Imprimer

Un ennemi sans merci : le moustique des marais

Écrit par Marcel Pouget. Associe a la categorie Zoologie

Le paludisme a tué plus de soldats dans les premiers temps de la conquête de l'Algérie que les combats. Et les colons, dans les campagnes, en furent aussi les victimes sans que l'on sache à quoi attribuer cette mystérieuse maladie, cette fièvre des marais. Le docteur Marcel Pouget nous raconte nomment et grâce à qui on n'eut bientôt plus à redouter ce véritable fléau.

 

Faire en 1980 l'historique du paludisme en Afrique du Nord présente un intérêt certain pour plusieurs raisons.

Endémique depuis la plus haute Antiquité, il y est toujours endémique.

C'est en Algérie qu'ont été découverts, il y a un siècle, l'agent vecteur et le mode de transmission de la maladie.

C'est grâce enfin aux travaux des médecins militaires du corps expéditionnaire français, créateurs de la paludologie moderne à partir de 1830, travaux continués par l'Institut Pasteur d'Alger, puis par les autres instituts Pasteur d'Afrique du Nord et centralisés actuellement par l'O.M.S., que la lutte antipaludéenne, à l'échelle mondiale, a pu se développer pour atteindre l'ampleur qu'elle connaît maintenant, avec les résultats remarquables que l'on sait, là où elle est appliquée correctement.

Ce sont, en effet, les travaux poursuivis pendant tout ce siècle par les instituts Pasteur d'Afrique du Nord, qui ont permis à la prophylaxie et à la thérapeutique du paludisme d'atteindre un sommet qui a peu de chances d'être dépassé.

Le paludisme ou malaria (du latin palus, paludis, marais, ou de l'italien malaria, mauvais air) est une affection fébrile à manifestations cliniques diverses et de caractère intermittent.

Connu depuis la plus haute Antiquité, on le trouve mentionné dans l'Ancien Testament ; les Egyptiens l'ont signalé, et, près de mille ans avant Jésus-Christ, il était chanté dans les poèmes d'Homère. Les Carthaginois et les Romains en Afrique du Nord et, plus tard, les médecins arabes, en parlent dans des textes épars.


Bien qu'il ait été endémique dans tout le bassin méditerranéen, les soldats et les colons romains ne semblent pas en avoir beaucoup souffert, mais ils l'ont connu, comme en témoignent des pages d'Horace et de Tacite et certaines inscriptions gravées dans la pierre dont l'une trouvée à Aumale (l'antique Auzia) qui relate comme un fait remarquable qu'une femme ait vécu quarante ans sans fièvre (pudicitiae honestae famea quae vixit sine febritus annis XXXX).

On connaissait le rôle néfaste des marais et la recrudescence automnale de la fièvre. Il n'est pas jusqu'aux formes cliniques des accès avec leur évolution intermittente et cyclique (fièvres continue, tierce, quarte) qui ne fussent déjà décrites.

Au Moyen Age, l'armée de saint Louis, partant pour la huitième et dernière croisade, campée sous les murs de Tunis et décimée par la peste; eut aussi à souffrir du paludisme. Le diagnostic était alors bien mal précise dans les diverses infections fébriles et contagieuses.

Avicenne Ibn Sina surnommé " le prince des médecins " au Xle siècle, célèbre médecin et philosophe arabe, décrit les fièvres pernicieuses dans son principal ouvrage le Canon de la médecine. Un peu plus tard, au XIII, siècle, un autre médecin arabe, Averrhoes Ibn Rached, né à Cordoue et mort au Maroc sous le règne du sultan Mansour, mentionne dans ses écrits (dont le plus important a été traduit en latin sous le nom de Colliget et nous est parvenu) les " fièvres malignes " sans pourtant faire du paludisme une entité bien nette.

Au XVI° siècle, l'armée de Charles Quint campée dans la région de Maison-Carrée à Fort-de-l'Eau, entre les oueds Harrach et Hamiz au sud et à l'est d'Alger eut à en souffrir. Et, peu après, pendant la période de l'Alger barbaresque, nombreux furent les esclaves chrétiens parqués dans les bagnes qui en moururent.

En 1820, deux chimistes français, Pelletier (1788-1842) et Caventou (1795-1877), isolent le principe actif du quinquina, et lui donnent le nom de " Quinine ".

1830 arrive. Conquête de l'Algérie par les Français, débarquement à Sidi-Ferruch, pénétration dans la plaine de la Mitidja, autant d'étapes marquées par autant de ravages, à tel point que, pendant longtemps, on envisagea l'abandon du pays. Et tandis que Bugeaud, le soldat laboureur (1) recommandait à ses soldats et à ses colonnes d'éviter de camper dans les bas-fonds et sur les bords des cours d'eau où sévit la fièvre, Antonini et surtout Maillot, à Alger, introduisaient la quinine dans la thérapeutique.

A partir de ce moment les formes cliniques mieux étudiées se précisent. De nombreux travaux sont faits par les médecins militaires du corps expéditionnaire. L'un d'eux, étudiant à l'hôpital de Bône en 1878, le pigment des organes paludéens, s'illustre en 1880 par la découverte à Constantine de l'hématozoaire qui porte son nom : Laveran.

Dès lors une ère nouvelle s'ouvrait pour la prophylaxie du paludisme quand Laveran émit l'hypothèse que le parasite en cause était transporté par un agent vecteur, comme P. Manson l'avait démontré en 1878 pour la filaire du moustique. Laveran, par ses travaux, devenait ainsi le précurseur et l'initiateur des études de pathologie coloniale. En 1897, l'Institut Pasteur de Paris lui ouvrit les portes de ses laboratoires et le prix Nobel de médecine couronna ses travaux en 1907. Ses successeurs ne firent que suivre ses pas.

En 1898, aux Indes britanniques, Ronald Ross corrobore l'hypothèse de Laveran confirmée aussi par les travaux de Grasi, Bignani et Bastianelli en Italie en 1899. La paludologie moderne était née. Deux ans plus tard, Roux envoie en Algérie une mission chargée de contrôler les découvertes de Ross, sur le rôle des moustiques dans la transmission de l'affection, et de poursuivre selon les méthodes pastoriennes l'exploration de la pathologie nord-africaine.

Dès 1900, Edmond et Etienne Sergent entreprennent l'étude du paludisme, à laquelle ils vont consacrer une grande part de leurs travaux.

En 1902 la première campagne prophylactique est mise sur pied avec la protection de la gare de l'Alma à 40 km à l'est d'Alger sur la ligne de Constantine. L'année suivante, c'est au tour de sept gares les plus touchées du réseau des chemins de fer de l'est algérien.

En 1904 création du " Service algérien d'études antipaludiques " par le gouverneur ,général Jonnart. En même temps, d'autres gares sur le réseau ouest sont protégées ainsi que le village de Montebello. Par la suite, dans chacun des trois départements algériens, plusieurs villages sont choisis parmi les plus impaludés pour servir de champ d'expérimentation où sont essayées conjointement toutes les mesures prophylactiques et thérapeutiques. Parallèlement, dès 1901 les mêmes études sont poursuivies dans la région parisienne, la Loire-Atlantique (ex-Loire-Inférieure), la Vendée, la Tunisie, la Corse et le Maroc.

En 1906 Edmond et Etienne Sergent utilisent le paludisme des passereaux à Plaspodium Relictum, le paludisme des pigeons à Haemoproteus Colombae et celui des moineaux et des canaris pour expérimenter le traitement préventif et curatif par la quinine. Ils démontrent ainsi que l'action de la quinine sur le Plasmodium Relictum est la même que celle de la quinine sur les trois Plasmodium, de l'homme. Les études expérimentales mettent en évidence les faits suivants : la virulence du Plasmodium Relictum est atténuée chez le culex pipiens au bout de plusieurs mois d'hybernation. L'influence du froid est en relation directe avec la durée. L'infection, même massive, du culex n'entraîne pas de trouble chez le moustique. Des canaris sur la peau desquels on écrase des moustiques infectés contractent le paludisme dans la proportion de 4 sur 10.

En 1909, Roux charge Calmette de négocier avec le gouverneur général de l'Algérie un contrat pour fonder l'Institut Pasteur d'Alger, dont Edmond Sergent est nommé directeur à sa création, en 1910.

A l'Institut Pasteur d'Alger, Edmond Sergent s'attache tout particulièrement, avec ses collaborateurs, à poursuivre avec acharnement l'étude du paludisme. De nouveaux villages du Tell comme Beni-Messous, près d'Alger, ou de la Mitidja comme Beni-Mered (dont le nom signifie " les enfants malades ", ce qui se passe de commentaires sur la salubrité de l'endroit) sont protégés et le paludisme régresse progressivement, pour finalement disparaître.

En 1916, l'armée d'Orient en Macédoine a son corps expéditionnaire décimé par le paludisme. Le général Sarrail, commandant en chef, voyant fondre ses effectifs, demande l'aide d'une mission médicale qui lui est aussitôt accordée par le gouvernement. Edmond et Etienne Sergent, envoyés sur place, proposent un plan de lutte qui est immédiatement adopté. Un an plus tard l'armée d'Orient peut passer victorieusement à l'offensive.

Au Maroc, à la demande du général Lyautey, un service antipaludique est créé, dès 1919. Petit à petit, de nouveaux agents chimiques sont découverts, le Stovarsol, la Rhodoquine, la Quinacrine et sont utilisés dans les territoires de l'Afrique du Nord et du Sahara qui leur offrent un magnifique terrain d'expérimentation.

Dès 1907 déjà, un laboratoire saharien était créé à Béni-Ounif de Figuig dans le sud oranais. En 1922, un laboratoire est organisé à Biskra. En 1927, dans la Mitidja, est créée la station expérimentale du " marais des Ouled Mendil ", près de Birtouta, à 25 km au sud-ouest d'Alger. En 1911 est créé l'Institut Pasteur de Tanger. L'Institut Pasteur de Tunis, fondé en 1893, est le plus ancien d'Afrique du Nord. Le dernier, celui de Casablanca, au Maroc, date de 1928-1931.

La thérapeutique fait des progrès incessants.
En 1922, c'est le Stovarsol, de Fourneau, qui est expérimenté par le docteur Marchoux puis, dès janvier 1925, par les docteurs Foley, Catanéi, Brouard et Leblanc, d'Alger.
L'expérimentation se poursuit à l'Institut Pasteur d'Alger avec la Rhodoquine (710 F.) puis le 574 de Fourneau, utilisé au Maroc par les docteurs Sicault et Decourt.

A la même date, l'Atébrine ou Quinacrine est étudiée sur le paludisme expérimental aviaire. Le paludisme des passereaux à Plasmodium relictum offre des conditions idéales car on peut disposer de sujets nés en cages et isolés. Il en est de même pour le Plasmodium relictum des canaris.

Toutes ces associations médicamenteuses nouvelles et ces travaux expérimentaux nous conduisent à la période de la guerre de 1939-1945 qui marque une orientation nouvelle des études paludéennes.

Après le débarquement des Anglo-Américains en Afrique du Nord le 8 novembre 1942, le D.D.T. (Dichloro-Diphényl-Trichloréthane) fait son apparition sur une large échelle, ses propriétés insecticides étant connues depuis 1939, date à partir de laquelle il a été largement utilisé dans le monde entier. En 1944-1945 il a été pulvérisé par avion au-dessus des marécages de la Sicile, de la Sardaigne, de la Corse et de l'Italie, pour procéder à la destruction des moustiques, avec un plein succès, inaugurant une chimioprophylaxie nouvelle.

Ainsi l'œuvre colonisatrice de la France, tant décriée, trouve pleinement sa justification dans la participation apportée par les médecins, parmi tant d'autres, au bien-être et à la santé des populations d'Afrique du Nord. qui marque une orientation nouvelle des études paludéennes.

Marcel POUGET

(1) Enae et aratro, par l'épée et par la charrue, devise célèbre du maréchal Bugeaud.

In l'Algérianiste n°11 du 15 septembre 1980

Vous souhaitez participer ?

La plupart de nos articles sont issus de notre Revue trimestrielle l'Algérianiste, cependant le Centre de Documentation des Français d'Algérie et le réseau des associations du Cercle algérianiste enrichit en permanence ce fonds grâce à vos Dons & Legs, réactions et participations.