La station expérimentale d'élevage ovin de Tadmit
Les réalisations poursuivies par l'administration française en Algérie, afin de protéger, d'améliorer et de développer l'agriculture en milieu musulman ont été, pour la plupart, ignorées du grand public, à l'exception de quelques rares d'entre elles, telles les Sociétés Indigènes de Prévoyance, rebaptisées Société Agricoles de Prévoyance, dont l'importance sur le plan social et économique assurait à elle seule la publicité. Mais d'autres restèrent inconnues, sauf à de rares initiés. Ainsi la mise en restauration des sols de reliefs arides, sur lesquels les travaux accomplis firent réapparaître une végétation sur des pentes dénudées et renaître des sources taries depuis des générations. Il en fut de même pour la vulgarisation d'une apiculture rentable au seul bénéfice des apiculteurs musulmans. Également pour la lutte antiacridienne qui, se portant sur les Hauts Plateaux, protégea les cultures de nombreux fellahs. Il faudrait aussi citer les stations de remonte de l'armée, destinées à améliorer la production équine des éleveurs musulmans, les stations expérimentales du palmier-dattier et tant d'autres encore, dont l'énumération allongerait par trop cet article.
Mon propos est de tirer de l'oubli une réalisation, modeste par les moyens mis en oeuvre, mais importante quant aux résultats et au rayonnement qui furent les siens : la station expérimentale d'élevage ovin de Tadmit.
La station
Créée en 1918, sur le domaine d'un ancien pénitencier agricole, elle était située à 70 km au sud-ouest de Djelfa, au pied des contreforts sahariens du Djebel Amour. Cette vaste région présaharienne s'étendait de part et d'autre de la route Djelfa-Laghouat, tout au long des derniers contreforts du Djebel Amour et des monts Ouled Naïl. Elle constituait une vaste zone de parcours où des tribus pastorales, vivant d'un élevage transhumant, se déplaçaient sans cesse.
Je me rendis une fois à Tadmit, à l'occasion d'une prospection de lutte antiacridienne.
Parti au matin de Djelfa, j'empruntai la route de Laghouat, franchisai le col des caravanes, pour arriver, au bout de 52 Km, à l'embranchement de la piste de 15 Km aboutissant à la station.
Cette dernière était entièrement isolée, dans un décor à la fois sévère et grandiose. Sol caillouteux à végétation herbacée clairsemée, horizon limité au nord-ouest par les reliefs du Djebel Amour, de faible altitude, 500 m de différence avec Tadmit à 1.036 m, reliefs où se distinguaient quelques taches sombres révélant des peuplements de genévriers. A l'est et au sud le regard portait à l'infini. Pas d'agglomération, mais ça et là des campements de nomades, plus nombreux à l'approche de la station, les pasteurs venant présenter leur troupeau à la visite du chef de la station. Aucun ravitaillement sur place. Il se faisait à Djelfa une fois par semaine. Jusqu'à la création de la station, les troupeaux de la région étaient formés d'éléments très dissemblables au point de vue morphologique, ce qui réduisait la valeur des élevages. Aussi l'inspecteur chef du service algérien de l'élevage décida de créer une station d'amélioration de la race ovine chargée d'appliquer le programme zootechnique suivant :
Programme
— création et entretien d'un troupeau modèle d'ovins, le plus nombreux possible, composé d'animaux choisis parmi les meilleures variétés du pays ;
— amélioration par la sélection;
— fourniture aux éleveurs de géniteurs de valeur;
— étude de l'ensemble des problèmes touchant au perfectionnement de l'élevage ovin ;
— diffusion des méthodes d'amélioration de cet élevage compatibles avec les conditions pastorales du sud algérien.
La station était dirigée par un ingénieur des services agricoles, M. Leblois André, lors de ma visite, assisté d'un chef-berger, chargé de suivre les troupeaux dans leurs déplacements et d'un chef de culture.
Le troupeau
La constitution du troupeau de la station fut l'objet d'une première sélection lors de l'achat des premiers sujets. Formé, au départ de 250 animaux, le troupeau comportait un effectif de plus de 4 000 bêtes dix ans après et ce compte non tenu de la mortalité des agneaux durant les hivers, toujours rigoureux dans ces régions, non plus que des animaux livrés aux syndicats d'élevage, aux commissions pastorales et aux particuliers, notamment pour ce qui est des béliers sélectionnés.
A souligner que le troupeau de la station était conduit selon les mêmes principes d'élevage transhumant, nomadisant, comme tous les autres troupeaux, du Sahara aux Hauts Plateaux.
Trois variétés constituaient le troupeau expérimental :
- les descendants sélectionnés du premier troupeau constitué en 1918;
- la variété des Ouled Aïssa, dénommée «Raimbi», caractérisée par la couleur fauve clair de la tête;
- la variété dite des « Zahrer », représentant le meilleur type de mouton des Ouled Naïl, dont l'aire d'habitat s'étendait de l'annexe des Ouled-Djellal à la région de Chellala, ces moutons que j'avais eu déjà l'occasion de rencontrer.et de déguster lors de mon séjour à Bouïra-Sahari.
Ainsi formé, le troupeau de la station représenta, par son homogénéité et sa valeur un des plus beaux ensembles existant en Algérie.
La sélection
Elle constituait l'élément essentiel de l'amélioration des troupeaux de la région. Elle portait principalement sur la conformation au point de vue de la boucherie et sur les qualités de la laine.
Dans un premier temps étaient mesurées la longueur du corps, de la pointe de l'épaule à la pointe de la fesse, la largeur de la poitrine et de la croupe. Étaient éliminés, en tant que reproducteurs, les sujets dont les mensurations n'atteignaient pas les moyennes établies pour les béliers et les brebis.
Étaient ensuite écartés les animaux présentant un garrot saillant et des gigots trop longs et trop minces, indices d'un squelette trop développé et d'insuffisance musculaire.
La sélection portait également sur l'abondance et la finesse de la laine.
Cette sélection rigoureuse s'est traduite par :
- un accroissement de la longueur du corps de plus de 7 cm, de la largeur de la poitrine de plus de 2 cm, par une augmentation du poids moyen des animaux de 5 kg
- une augmentation du poids moyen des toisons de 200 gr et par une amélioration sensible de la qualité de la laine.
Un autre effet de cette sélection fut un pourcentage élevé des naissances (95 %), ainsi que des survivances (90 %) à Tadmit, (70 % chez les nomades), une plus grande résistance à la disette, aux intempéries et aux maladies.
Cession des béliers sélectionnés
Les béliers firent l'objet d'une sélection rigoureuse, ne retenant, le plus souvent, qu'un quart d'animaux déjà présélectionnés.
Cette exigence de ne distribuer que des reproducteurs de qualité s'expliquant par le fait qu'un seul bélier était appelé à féconder annuellement une cinquantaine de brebis.
Autres activités de la station
La gale des moutons constitua longtemps un handicap aux conséquences économiques considérables. Pour y remédier, la station organisa la baignade systématique des animaux dans un liquide antiparasitaire et mit au point, à cet effet, une baignoire d'une contenance de 30 m3 que les animaux étaient amenés à traverser à raison de 2400 par jour.
Ce système fut dénommé « baignoire de Tadmit» et fut adopté dans toutes les régions d'élevage ovin.
L'emploi des « forces » pour la tonte nuisait à la régularité des coupes et occasionnait des blessures fréquentes. La station généralisa l'utilisation des tondeuses mécaniques qui, tout en supprimant ces inconvénients, augmenta le poids des toisons.
Elle institua également le classement des laines en quatre catégories prime, fine, demi-fine, commune, ce qui apporta aux laines ainsi classées une plus value sur les laines mélangées.
La sélection reposant sur la castration des mauvais béliers, la station vulgarisa l'utilisation de la pince Burdizzo évitant la castration par ablation des testicules, supprimant ainsi hémorragie et blessure.
Elle répandit également la pratique de l'ablation de la queue, effectuée la première semaine de la naissance, ce qui évitait la salissure de la toison, favorisait l'accroissement des gigots et facilitait l'accouplement.
Après la très importante mortalité par la famine des années 1930 et 1931, elle organisa la production et le stockage de fourrages d'appoint, qui devinrent une pratique courante dans la région, facilitée par l'exécution de travaux hydrauliques, permettant les cultures irriguées d'essences fourragères.
Vulgarisation
Chaque année des démonstrations furent faites aux éleveurs sur les opérations de sélection, la castration, l'amputation de la queue, les bains antigaleux, la tonte, le classement des laines.
Telle fut l'action poursuivie et menée à bien par la station de Tadmit, isolée quant à sa situation géographique, mais dont le rayonnement s'étendit à l'ensemble du territoire algérien. Elle a contribué, pour une large part, à l'accroissement de la production de l'élevage ovin qui s'élevait en 1959 à 6 600 000 moutons représentant 40 000 tonnes de viande.
Par ce rappel des activités de la station expérimentale d'élevage ovin de Tadmit il est ici, rendu hommage à son directeur et à son personnel, dont la foi dans l'œuvre à accomplir, les qualités professionnelles et le dévouement sont à la mesure des résultats obtenus.
Charles GRIESSINGER
In « l’Algérianiste » n°45
Mon propos est de tirer de l'oubli une réalisation, modeste par les moyens mis en oeuvre, mais importante quant aux résultats et au rayonnement qui furent les siens : la station expérimentale d'élevage ovin de Tadmit.
La station
Créée en 1918, sur le domaine d'un ancien pénitencier agricole, elle était située à 70 km au sud-ouest de Djelfa, au pied des contreforts sahariens du Djebel Amour. Cette vaste région présaharienne s'étendait de part et d'autre de la route Djelfa-Laghouat, tout au long des derniers contreforts du Djebel Amour et des monts Ouled Naïl. Elle constituait une vaste zone de parcours où des tribus pastorales, vivant d'un élevage transhumant, se déplaçaient sans cesse.
Je me rendis une fois à Tadmit, à l'occasion d'une prospection de lutte antiacridienne.
Parti au matin de Djelfa, j'empruntai la route de Laghouat, franchisai le col des caravanes, pour arriver, au bout de 52 Km, à l'embranchement de la piste de 15 Km aboutissant à la station.
Cette dernière était entièrement isolée, dans un décor à la fois sévère et grandiose. Sol caillouteux à végétation herbacée clairsemée, horizon limité au nord-ouest par les reliefs du Djebel Amour, de faible altitude, 500 m de différence avec Tadmit à 1.036 m, reliefs où se distinguaient quelques taches sombres révélant des peuplements de genévriers. A l'est et au sud le regard portait à l'infini. Pas d'agglomération, mais ça et là des campements de nomades, plus nombreux à l'approche de la station, les pasteurs venant présenter leur troupeau à la visite du chef de la station. Aucun ravitaillement sur place. Il se faisait à Djelfa une fois par semaine. Jusqu'à la création de la station, les troupeaux de la région étaient formés d'éléments très dissemblables au point de vue morphologique, ce qui réduisait la valeur des élevages. Aussi l'inspecteur chef du service algérien de l'élevage décida de créer une station d'amélioration de la race ovine chargée d'appliquer le programme zootechnique suivant :
Programme
— création et entretien d'un troupeau modèle d'ovins, le plus nombreux possible, composé d'animaux choisis parmi les meilleures variétés du pays ;
— amélioration par la sélection;
— fourniture aux éleveurs de géniteurs de valeur;
— étude de l'ensemble des problèmes touchant au perfectionnement de l'élevage ovin ;
— diffusion des méthodes d'amélioration de cet élevage compatibles avec les conditions pastorales du sud algérien.
La station était dirigée par un ingénieur des services agricoles, M. Leblois André, lors de ma visite, assisté d'un chef-berger, chargé de suivre les troupeaux dans leurs déplacements et d'un chef de culture.
Le troupeau
La constitution du troupeau de la station fut l'objet d'une première sélection lors de l'achat des premiers sujets. Formé, au départ de 250 animaux, le troupeau comportait un effectif de plus de 4 000 bêtes dix ans après et ce compte non tenu de la mortalité des agneaux durant les hivers, toujours rigoureux dans ces régions, non plus que des animaux livrés aux syndicats d'élevage, aux commissions pastorales et aux particuliers, notamment pour ce qui est des béliers sélectionnés.
A souligner que le troupeau de la station était conduit selon les mêmes principes d'élevage transhumant, nomadisant, comme tous les autres troupeaux, du Sahara aux Hauts Plateaux.
Trois variétés constituaient le troupeau expérimental :
- les descendants sélectionnés du premier troupeau constitué en 1918;
- la variété des Ouled Aïssa, dénommée «Raimbi», caractérisée par la couleur fauve clair de la tête;
- la variété dite des « Zahrer », représentant le meilleur type de mouton des Ouled Naïl, dont l'aire d'habitat s'étendait de l'annexe des Ouled-Djellal à la région de Chellala, ces moutons que j'avais eu déjà l'occasion de rencontrer.et de déguster lors de mon séjour à Bouïra-Sahari.
Ainsi formé, le troupeau de la station représenta, par son homogénéité et sa valeur un des plus beaux ensembles existant en Algérie.
La sélection
Elle constituait l'élément essentiel de l'amélioration des troupeaux de la région. Elle portait principalement sur la conformation au point de vue de la boucherie et sur les qualités de la laine.
Dans un premier temps étaient mesurées la longueur du corps, de la pointe de l'épaule à la pointe de la fesse, la largeur de la poitrine et de la croupe. Étaient éliminés, en tant que reproducteurs, les sujets dont les mensurations n'atteignaient pas les moyennes établies pour les béliers et les brebis.
Étaient ensuite écartés les animaux présentant un garrot saillant et des gigots trop longs et trop minces, indices d'un squelette trop développé et d'insuffisance musculaire.
La sélection portait également sur l'abondance et la finesse de la laine.
Cette sélection rigoureuse s'est traduite par :
- un accroissement de la longueur du corps de plus de 7 cm, de la largeur de la poitrine de plus de 2 cm, par une augmentation du poids moyen des animaux de 5 kg
- une augmentation du poids moyen des toisons de 200 gr et par une amélioration sensible de la qualité de la laine.
Un autre effet de cette sélection fut un pourcentage élevé des naissances (95 %), ainsi que des survivances (90 %) à Tadmit, (70 % chez les nomades), une plus grande résistance à la disette, aux intempéries et aux maladies.
Cession des béliers sélectionnés
Les béliers firent l'objet d'une sélection rigoureuse, ne retenant, le plus souvent, qu'un quart d'animaux déjà présélectionnés.
Cette exigence de ne distribuer que des reproducteurs de qualité s'expliquant par le fait qu'un seul bélier était appelé à féconder annuellement une cinquantaine de brebis.
Autres activités de la station
La gale des moutons constitua longtemps un handicap aux conséquences économiques considérables. Pour y remédier, la station organisa la baignade systématique des animaux dans un liquide antiparasitaire et mit au point, à cet effet, une baignoire d'une contenance de 30 m3 que les animaux étaient amenés à traverser à raison de 2400 par jour.
Ce système fut dénommé « baignoire de Tadmit» et fut adopté dans toutes les régions d'élevage ovin.
L'emploi des « forces » pour la tonte nuisait à la régularité des coupes et occasionnait des blessures fréquentes. La station généralisa l'utilisation des tondeuses mécaniques qui, tout en supprimant ces inconvénients, augmenta le poids des toisons.
Elle institua également le classement des laines en quatre catégories prime, fine, demi-fine, commune, ce qui apporta aux laines ainsi classées une plus value sur les laines mélangées.
La sélection reposant sur la castration des mauvais béliers, la station vulgarisa l'utilisation de la pince Burdizzo évitant la castration par ablation des testicules, supprimant ainsi hémorragie et blessure.
Elle répandit également la pratique de l'ablation de la queue, effectuée la première semaine de la naissance, ce qui évitait la salissure de la toison, favorisait l'accroissement des gigots et facilitait l'accouplement.
Après la très importante mortalité par la famine des années 1930 et 1931, elle organisa la production et le stockage de fourrages d'appoint, qui devinrent une pratique courante dans la région, facilitée par l'exécution de travaux hydrauliques, permettant les cultures irriguées d'essences fourragères.
Vulgarisation
Chaque année des démonstrations furent faites aux éleveurs sur les opérations de sélection, la castration, l'amputation de la queue, les bains antigaleux, la tonte, le classement des laines.
Telle fut l'action poursuivie et menée à bien par la station de Tadmit, isolée quant à sa situation géographique, mais dont le rayonnement s'étendit à l'ensemble du territoire algérien. Elle a contribué, pour une large part, à l'accroissement de la production de l'élevage ovin qui s'élevait en 1959 à 6 600 000 moutons représentant 40 000 tonnes de viande.
Par ce rappel des activités de la station expérimentale d'élevage ovin de Tadmit il est ici, rendu hommage à son directeur et à son personnel, dont la foi dans l'œuvre à accomplir, les qualités professionnelles et le dévouement sont à la mesure des résultats obtenus.
Charles GRIESSINGER
In « l’Algérianiste » n°45