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La station expérimentale d'élevage ovin de Tadmit

Écrit par Charles Griessinger. Associe a la categorie Sciences agricoles

Les réalisations poursuivies par l'ad­ministration française en Algérie, afin de protéger, d'améliorer et de dévelop­per l'agriculture en milieu musulman ont été, pour la plupart, ignorées du grand public, à l'exception de quel­ques rares d'entre elles, telles les Sociétés Indigènes de Prévoyance, rebaptisées Société Agricoles de Pré­voyance, dont l'importance sur le plan social et économique assurait à elle seule la publicité. Mais d'autres restè­rent inconnues, sauf à de rares initiés. Ainsi la mise en restauration des sols de reliefs arides, sur lesquels les tra­vaux accomplis firent réapparaître une végétation sur des pentes dénu­dées et renaître des sources taries depuis des générations. Il en fut de même pour la vulgarisation d'une api­culture rentable au seul bénéfice des apiculteurs musulmans. Également pour la lutte antiacridienne qui, se portant sur les Hauts Plateaux, proté­gea les cultures de nombreux fellahs. Il faudrait aussi citer les stations de remonte de l'armée, destinées à amé­liorer la production équine des éle­veurs musulmans, les stations expérimentales du palmier-dattier et tant d'autres encore, dont l'énumération allongerait par trop cet article.
Mon propos est de tirer de l'oubli une réalisation, modeste par les moyens mis en oeuvre, mais importante quant aux résultats et au rayon­nement qui furent les siens : la station expérimentale d'élevage ovin de Tadmit.

La station

station-carte-AlgerCréée en 1918, sur le domaine d'un ancien pénitencier agricole, elle était située à 70 km au sud-ouest de Djelfa, au pied des contreforts saha­riens du Djebel Amour. Cette vaste région présaharienne s'étendait de part et d'autre de la route Djelfa-Laghouat, tout au long des derniers contreforts du Djebel Amour et des monts Ouled Naïl. Elle constituait une vaste zone de parcours où des tribus pastorales, vivant d'un élevage trans­humant, se déplaçaient sans cesse.
Je me rendis une fois à Tadmit, à l'occasion d'une prospection de lutte antiacridienne.
Parti au matin de Djelfa, j'empruntai la route de Laghouat, franchisai le col des caravanes, pour arriver, au bout de 52 Km, à l'embranchement de la piste de 15 Km aboutissant à la station.
Cette dernière était entièrement isolée, dans un décor à la fois sévère et grandiose. Sol caillouteux à végéta­tion herbacée clairsemée, horizon limité au nord-ouest par les reliefs du Djebel Amour, de faible altitude, 500 m de différence avec Tadmit à 1.036 m, reliefs où se distinguaient quelques taches sombres révélant des peuplements de genévriers. A l'est et au sud le regard portait à l'infini. Pas d'agglomération, mais ça et là des campements de nomades, plus nom­breux à l'approche de la station, les pasteurs venant présenter leur trou­peau à la visite du chef de la station. Aucun ravitaillement sur place. Il se faisait à Djelfa une fois par semaine. Jusqu'à la création de la station, les troupeaux de la région étaient formés d'éléments très dissemblables au point de vue morphologique, ce qui réduisait la valeur des élevages. Aussi l'inspecteur chef du service algérien de l'élevage décida de créer une sta­tion d'amélioration de la race ovine chargée d'appliquer le programme zootechnique suivant :

Programme

— création et entretien d'un troupeau modèle d'ovins, le plus nombreux pos­sible,    composé   d'animaux   choisis parmi les meilleures variétés du pays ;
— amélioration par la sélection;
— fourniture aux éleveurs de géni­teurs de valeur;
— étude de l'ensemble des problèmes touchant   au   perfectionnement   de l'élevage ovin ;
— diffusion des méthodes d'améliora­tion de cet élevage compatibles avec les   conditions   pastorales   du   sud algérien.
La station était dirigée par un ingé­nieur des services agricoles, M. Leblois André, lors de ma visite, assisté d'un chef-berger, chargé de suivre les troupeaux dans leurs déplacements et d'un chef de culture.

Le troupeau

La constitution du troupeau de la station fut l'objet d'une première sélection lors de l'achat des premiers sujets. Formé, au départ de 250 ani­maux, le troupeau comportait un effectif de plus de 4 000 bêtes dix ans après et ce compte non tenu de la mor­talité des agneaux durant les hivers, toujours rigoureux dans ces régions, non plus que des animaux livrés aux syndicats d'élevage, aux commissions pastorales et aux particuliers, notam­ment pour ce qui est des béliers sélectionnés.
A souligner que le troupeau de la station était conduit selon les mêmes principes d'élevage transhumant, nomadisant, comme tous les autres troupeaux, du Sahara aux Hauts Plateaux.
Trois variétés constituaient le trou­peau expérimental :
- les descendants sélectionnés du premier troupeau constitué en 1918;
- la    variété    des   Ouled   Aïssa, dénommée   «Raimbi»,   caractérisée par la couleur fauve clair de la tête;
- la   variété   dite   des  « Zahrer », représentant le meilleur type de mou­ton des Ouled Naïl, dont l'aire d'habi­tat   s'étendait   de   l'annexe   des Ouled-Djellal à la région de Chellala, ces moutons que j'avais eu déjà l'oc­casion de rencontrer.et de déguster lors de mon séjour à Bouïra-Sahari.
Ainsi formé, le troupeau de la sta­tion représenta, par son homogénéité et sa valeur un des plus beaux ensem­bles existant en Algérie.

La sélection

Elle constituait l'élément essentiel de l'amélioration des troupeaux de la région. Elle portait principalement sur la conformation au point de vue de la boucherie et sur les qualités de la laine.
Dans un premier temps étaient mesurées la longueur du corps, de la pointe de l'épaule à la pointe de la fesse, la largeur de la poitrine et de la croupe. Étaient éliminés, en tant que reproducteurs, les sujets dont les mensurations n'atteignaient pas les moyennes établies pour les béliers et les brebis.
Étaient ensuite écartés les animaux présentant un garrot saillant et des gigots trop longs et trop minces, indices d'un squelette trop développé et d'insuffisance musculaire.
La sélection portait également sur l'abondance et la finesse de la laine.
Cette sélection rigoureuse s'est tra­duite par :
- un accroissement de la longueur du corps de plus de 7 cm, de la lar­geur de la poitrine de plus de 2 cm, par une augmentation du poids moyen des animaux de 5 kg
- une   augmentation   du   poids moyen des toisons de 200 gr et par une amélioration sensible de la qua­lité de la laine.
Un autre effet de cette sélection fut un pourcentage élevé des naissances (95 %), ainsi que des survivances (90 %) à Tadmit, (70 % chez les nomades), une plus grande résistance à la disette, aux intempéries et aux maladies.

Cession des béliers sélectionnés

Les béliers firent l'objet d'une sélec­tion rigoureuse, ne retenant, le plus souvent, qu'un quart d'animaux déjà présélectionnés.
Cette exigence de ne distribuer que des reproducteurs de qualité s'expliquant par le fait qu'un seul bélier était appelé à féconder annuellement une cinquantaine de brebis.

Autres activités de la station

La gale des moutons constitua long­temps un handicap aux conséquences économiques considérables. Pour y remédier, la station organisa la bai­gnade systématique des animaux dans un liquide antiparasitaire et mit au point, à cet effet, une baignoire d'une contenance de 30 m3 que les animaux étaient amenés à traverser à raison de 2400 par jour.
Ce système fut dénommé « bai­gnoire de Tadmit» et fut adopté dans toutes les régions d'élevage ovin.
L'emploi des « forces » pour la tonte nuisait à la régularité des coupes et occasionnait des blessures fré­quentes. La station généralisa l'utili­sation des tondeuses mécaniques qui, tout en supprimant ces inconvénients, augmenta le poids des toisons.
Elle institua également le classe­ment des laines en quatre catégories prime, fine, demi-fine, commune, ce qui apporta aux laines ainsi classées une plus value sur les laines mélangées.
La sélection reposant sur la castra­tion des mauvais béliers, la station vulgarisa l'utilisation de la pince Burdizzo évitant la castration par ablation des testicules, supprimant ainsi hémorragie et blessure.
Elle répandit également la pratique de l'ablation de la queue, effectuée la première semaine de la naissance, ce qui évitait la salissure de la toison, favorisait l'accroissement des gigots et facilitait l'accouplement.
Après la très importante mortalité par la famine des années 1930 et 1931, elle organisa la production et le stockage de fourrages d'appoint, qui devinrent une pratique courante dans la région, facilitée par l'exécution de travaux hydrauliques, permettant les cultures irriguées d'essences fourragères.

Vulgarisation

Chaque année des démonstrations furent faites aux éleveurs sur les opé­rations de sélection, la castration, l'amputation de la queue, les bains antigaleux, la tonte, le classement des laines.
Telle fut l'action poursuivie et menée à bien par la station de Tadmit, isolée quant à sa situation géographi­que, mais dont le rayonnement s'éten­dit à l'ensemble du territoire algérien. Elle a contribué, pour une large part, à l'accroissement de la production de l'élevage ovin qui s'élevait en 1959 à 6 600 000 moutons représentant 40 000 tonnes de viande.
Par ce rappel des activités de la sta­tion expérimentale d'élevage ovin de Tadmit il est ici, rendu hommage à son directeur et à son personnel, dont la foi dans l'œuvre à accomplir, les qualités professionnelles et le dévouement sont à la mesure des résultats obtenus.

Charles GRIESSINGER

In « l’Algérianiste » n°45

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