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De l'origine du nom d'Oran (suite)

Écrit par Georges Bensadou. Associe a la categorie Oranie

DE L'ORIGINE DU NOM D'ORAN (Suite)

3. " OUAHRAN ", toponyme berbère

L'histoire d'Ouahrân nous a appris que la ville a une origine très ancienne qui remonte à l'arrivée des Berbères dans la région, il y a 6 000 à 8 000 ans. Cette ancienneté du site fait présumer que ses habitants lui ont donné un nom qui, très souvent chez les Berbères provient d'une caractéristique géographique du lieu (montagne, plaine, mer, rivière ...) ou encore des animaux fréquentant la région (lion, hyène, chacal, tortue, perdrix, escargot ...). Ceci admis, peut-on supposer que ce nom a été supplanté ou bien a été déformé par les conquérants étrangers ?

Les Phéniciens

Il n'est pas établi que Phéniciens du Liban, puis Puniques de Carthage se soient installés dans le port d'Ouahrân. D'autre part, Ouahrân paraît bien étranger à la langue punique. Cette hypothèse d'un nom phénicien ou d'un nom berbère " punicisé " doit être rejetée.

Les Romains

Ils ont bien connu le port d'Oran qu'ils ont appelé, en le groupant avec celui de Mers el-Kébir, Portus Divini. Manifestement, à l'époque romaine, Portus Divini s'est ajouté, pour ceux-ci seulement, au nom berbère et ne l'a pas supplanté. Il est tout aussi évident, que Portus Divini ne peut être à l'origine du nom d'Ouahrân, qui n'a aucun caractère latin.

Les Vandales

Il ne semble pas qu'ils se soient installés à Oran. Puis, là où ils ont exercé leur pouvoir, ils ont simplement repris les noms romains. Ils sont donc tout à fait étrangers au toponyme Ouahrân.

Les Byzantins

Leur pouvoir ne s'est pas étendu jusqu'en Oranie, le royaume d'Oran paraissant avoir été leur allié. D'ailleurs, Ouahrân, est un terme étranger au grec comme au latin.

Les Arabes

Il est à noter que les historiens arabes qui, les premiers, font sortir Oran de l'ombre, ne disent nullement qu'à cette époque, vers 902/903 de notre ère, les Musulmans espagnols qui en prennent possession lui ont donné le nom d'Ouahrân. Leurs écrits doivent être compris en ce sens, que la ville existait à cette époque, qu'elle était peuplée d'indigènes (berbères) et qu'elle portait le nom qui lui avait été donné par ces derniers (I). Dès lors, l'origine berbère de Ouahrân parait logique.

Et au surplus, les noms d'origine arabe proposés par quelques auteurs ne peuvent, manifestement, pas être retenus.

Ainsi :

 "- Lieu difficile d'accès " Ouaâr " (9) outre qu'il ne correspond pas à l'orthographe arabe ouahrân, ne peut pas avoir désigné un site bien accueillant."

"- ouahrân, la grande peur, doit être écartée, pour la même raison."

Les Turcs et les Français

Nous entrons dans des pages d'histoire bien connues et nous savons que ni les Turcs, ni les Français n'ont donné de nom à la ville d'Ouahrân, que les derniers ont simplement francisé en Oran, par suite de l'impossibilité pour un Européen de prononcer correctement le mot, comme nous le verrons dans un instant. Il résulte de cette étude que, Ouahrân " est bien un toponyme d'origine berbère. Mais que pouvait-il signifier ? Et a-t-il été déformé ? Ce qu'il convient, maintenant, d'examiner.

4. Signification de " Ouahrân "

Plusieurs significations ont été proposées pour expliquer le toponyme Ouahrân -.

AHRI - IHIREN : LA SOURCE - LES SOURCES

Voilà une proposition séduisante Ihiren, c'est-à-dire les sources. Mais, il faut admettre une déformation du mot par les Berbères eux-mêmes, avant l'arrivée des Arabes, en Ouahrân, ce qui paraît invraisemblable. Et d'autre part, il y a un détail géographique qui s'oppose à cette signification de Ouahrân ; ce qui a donné naissance à un site peuplé par l'homme sur les pentes du ravin qui domine le port d'Oran, c'est une source, la source aujourd'hui appelée " Ras El Aïn " d'où la dénomination du ravin où coulait la petite rivière formée à partir de celle-ci. Jusqu'à une époque relativement récente, il n'y a eu qu'une seule source pour alimenter la ville d'Oran (II). La seconde source captée par l'homme, celle appelée " Bilal " sur les pentes du Murdjadjo, au-dessus du plateau de la "Blanca " date du début du XVe siècle.

Ces considérations amènent à abandonner cette proposition sur le sens de " Ouahrân ".

AR - IREN: LE LION - LES LIONS

La racine berbère AR qui désigne le lion (pluriel Iren) est bien connue. On la retrouve aujourd'hui, en Kabylie, sous la forme Airad (pluriel Airaden) et au Hoggar, chez les Touaregs du Nord, de langue tamahac, sous la forme Ahar (pluriel Aharen). Les Berbères, de la Préhistoire à l'Antiquité ont souvent donné le nom des animaux qui fréquentaient les lieux, à cet endroit. Et s'il y a un animal qui a toujours exercé une emprise fascinante sur l'homme, c'est bien le roi des animaux: le lion. D'une part, le climat humide du Maghreb aux temps préhistoriques a favorisé le développement d'une flore, d'une végétation qui a permis à de grands troupeaux de ruminants d'y vivre. On y trouvait en abondance des buffles, des antilopes, des zèbres, des cerfs.... suivis, bien sûr, par leurs prédateurs : lions, panthères, hyènes, chacals... Dans l'antiquité, certaines espèces ont été éliminées par l'homme qui peuplait de plus en plus des territoires jusque-là sauvages. Les éléphants, les autruches ont commencé à disparaître. Mais les fauves sont demeurés assez nombreux pour répondre aux demandes des cirques romains. Et c'est le cas à Oran et en Oranie, où le lion a vécu, en nombre, à ces époques. Nous en avons de multiples témoignages dans la salle romaine du Musée Ahmed Zabana d'Oran (ancien Musée Demaeght). Ainsi, y sont exposées une poterie représentant un lion qui attaque un cheval, et deux lampes en terre sur lesquelles sont dessinés des lions en situation de course, qui ont été trouvées à Saint-Leu (ancien comptoir phénicien devenu ensuite le port romain de Portus Magnus) à 35 km à l'est d'Oran, aujourd'hui Bettioua. Sont également présentées dans cette salle, une bouche de gargouille avec une tête de lion, trouvée à Tagremaret (autrefois Dominique Luciani, près de Frenda entre Mascara et Tiaret), une poterie avec un lion qui marche, trouvée à Ouled Mimoun (autrefois Lamoricière) et une autre poterie avec un lion qui fuit, trouvée à Aïn Témouchent (III). Un autre témoignage intéressant de la présence fréquente du lion dans la région d'Oran, c'est le nom du massif qui domine la baie d'Oran, 10 km à l'est de la ville en direction de Saint-Leu. Les indigènes l'appellent d'un nom arabe, le Djebel R'âr (11), c'est à dire la " Montagne de l'antre ". Il faut comprendre par là, la montagne du repaire du lion, ou des repaires des lions. C'est d'ailleurs ce nom qui lui a été donné par les Français : la Montagne des Lions. Très certainement, les pentes boisées de ce massif, tout comme celles du Djebel Murdjadjo qui domine Oran à l'ouest, devaient abriter des meutes de lions, aux époques préhistoriques et pendant l'Antiquité. C'est pourquoi, les anciens Berbères ont probablement voulu marquer cette présence du lion sur le site d'Oran, en lui donnant un nom faisant état de cette particularité, un nom qui avait vraisemblablement une racine " Iren " (les lions). Mais comment expliquer le nom de " Ouahràn " à partir de la racine " Iren " ? Il a été proposé une explication faisant état de l'arabisation du mot berbère " Iren " ; en ce sens, l'avis de Sidi-Ikhlef, responsable de la bibliothèque du musée Zabana d'Oran, soit " Wahran: deux lions " (12).

Mais il semble bien qu'il soit possible d'expliquer le passage d'un toponyme de racine " Iren " à celui de " Ouahrân " en faisant simplement appel à la langue berbère. Dans les dialectes berbères, il existe une préposition de lieu, le vocable " Oua " ou encore " Ouah " qui signifie "c'est.... il y a.... à cet endroit..., l'endroit de... ". Et ainsi, " Ouah iren " aurait pu désigner le site d'Oran, c'est à dire un endroit où il y a des lions, ou bien l'endroit des lions.

Mais comment " Ouah iren " serait devenu " Ouahrân " ?

On peut admettre une déformation de " Ouah iren " en " Ouahrân " due aux Berbères, la voyelle " i ", lettre faible s'effaçant devant la consonne forte " h " dans la conversation courante, et la ressemblance entre le son final " rene " et celui de " rane " entraînant la disparition du premier.

Vraisemblablement, ces déformations datent de l'arrivée des Arabes à Oran, au début du Xe siècle car elles correspondent à des sonorités habituelles de la langue arabe, surtout en ce qui concerne le son final " ane " très fréquent en arabe. La référence au vocable berbère " Iren " permet aussi, d'expliquer pourquoi le site d'Ouahrân a pu être appelé par les Berbères, habitants d'Oran au Moyen-Age : Oued El-Haran ou Oued El Ouahrân (IV) (12). A cette époque, les Berbères sont déjà bien arabisés, et commencent à utiliser des mots arabes. On peut supposer que la rivière qui part de la source du Murdjadjo, descendant le ravin de Ras El-Afn pour se jeter dans la mer, à hauteur du port s'appelait alors en berbère : la Rivière des Lions, car ces fauves devaient venir s'abreuver là, au seul point d'eau de la région. Le nom berbère de rivière des lions, devait être " Lilu ouah Iren " ou " Sua ouah Iren " ou encore " Tttt ouah Iren ". Dans tout le Maghreb le mot arabe " oued ", a rapidement supplanté les mots berbères: lilu, itel, sua ou titt. Ainsi, le seul mot " lions = Iren " étant conservé comme qualificatif de la rivière, l'expression serait devenue Oued El-Iren, déformée ensuite en Oued El-Haran ou Oued El-Ouahràn.

Voilà les raisons qui incitent à donner une origine berbère au toponyme " Ouahrân ". Mais, il reste à expliquer comment " Ouahrân " (prononciation Ouahrane) est devenu pour les Européens " Oran ".

III. DE OUAHRAN A ORAN

Ouahrân (13) prononciation " ouah/râne", voilà qui n'est pas facile à dire pour un Européen, non familiarisé avec les sons gutturaux des consonnes de l'alphabet arabe.

La première syllabe se termine par la consonne " ha " (14) un " h " expiré fortement du fond du larynx, guttural car il ne supporte aucune voyelle.

Cette difficulté de prononciation est accentuée par le fait que la seconde syllabe commence par la consonne " ra " (15) qui doit donner un son " r " roulé.

Il était donc inévitable que ce nom soit déformé par les Européens. Et c'est ce qui s'est produit, quand les premiers commerçants européens sont venus négocier dans le port d'Ouahrân. Pisans et Génois dès 1133, Marseillais à la fin de ce XlIe siècle, Catalans, plus tard, au début du XIVe siècle, et Vénitiens à la même époque ont déformé le nom du port où ils venaient commercer.

Nous le savons à partir de l'orthographe donnée à Ouahrân, et ainsi par la transcription en caractères latins de ce toponyme :

"- Horan, sur des portulans (cartes marines) des Génois du début du XlVe siècle,"

"- Boran, sur une carte marine des Pisans, de la même époque,"

"- Oram, sur les cartes pisanes, génoises, catalanes ou vénitiennes des XVe et XVIe siècles."

"- Oran apparaît sur un portulan génois de 1384, se généralise au cours du XVIe et devient le seul toponyme employé à la fin de ce siècle et depuis cette époque."

Vraisemblablement, la prononciation d'Oran était " orâne" avec un accent tonique sur le son final " an " commun dans toutes les langues d'origine latine de la Méditerranée, et notamment en espagnol où cette prononciation s'est conservée. Le 18 mai 1509, les Espagnols s'emparent d'Oran. Chassés par les Turcs, après deux siècles de présence, en 1708, ils reviendront fin juin 1732 pour en partir définitivement en mars 1792. Cette très longue occupation va fixer chez les Européens le toponyme Oran qui sera repris par les Français qui s'y installent le 4 janvier 1831, mais avec l'accent tonique final, en moins (V).

L'Algérie indépendante a conservé Oran comme transcription du toponyme Ouahrân, en caractères latins.

CONCLUSION

Bien peu d'Oranais ont su dans le passé quelle était l'origine du nom de leur ville, bien peu d'Oranais savent, aujourd'hui, quelle est l'origine du nom d'Ouahrân. Mais même si les Oranais, qui ont su ou qui savent que le nom de la ville est dû à la présence des lions qui fréquentaient les lieux, il y a quelques siècles, ont été et sont peu nombreux, tous ont été et sont fiers de leurs lions. Il s'agit, bien sûr, des deux superbes lions en bronze du sculpteur animalier Auguste Cain, situés de part et d'autre des escaliers de la mairie d'Oran, construite en 1888, place Foch, connue des Oranais sous le nom de place d'Armes.

Née sous le signe des Lions, Oran reste toujours sous leur bonne garde

IN CHA ALLAH (16)

GEORGES BENSADOU

(I) El Bekri, ouvrage précité, page 144. Ibn Khaldoun, "Histoire des Berbères ", tome 1, page 283. Librairie orientaliste Paul Geuthner, Paris - 1982.

(II) Dans tout le Maghreb, la source d'eau est désignée d'une manière imagée par le mot " 'aïn " (10) qui signifie " oeil ",. " Râs " (10) c'est la " tête ". Il y a donc une redondance dans la locution arabe " Râs el Aïn ".

(III) L'inventaire de la salle romaine m'a été aimablement offert par le responsable de la bibliothèque du musée, M. Sidi-Ikhlef, qui m'a donné son avis sur l'origine du nom d'Oran, le 20 mai 1992.

(IV) Noms cités par MM. Fey et Didier dans leurs ouvrages précités.

(V) Les Oranais, que l'on disait fâchés avec les sons " on, an, et en ", disaient " Oron " bien souvent...

Notes

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Vers la première partie de l'article

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