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Valmy, village algérien en 1960 (suite)

Écrit par Robert Perez. Associe a la categorie Oranie

Deuxième partie : situation en 1960


Eglise Sainte Catherine d’Alexandrie de Valmy

PROMENONS-NOUS, en 1960, avec Jean Morral, dans ce coin de notre bonne vieille terre algérienne avant qu'il ne quitte son village bien aimé pour l'école de la grande ville, puis pour l'exode en métropole.

Partant d'Oran vers le sud, au bout de douze kilomètres, peu après l'aérodrome de La Sénia, on découvre une bourgade s'abritant sous les oliviers, les faux-poivriers et les, ficus. C'est Valmy, en plein milieu d'une vaste plaine bordée au sud par les molles ondulations bleutées des monts du Tessala et au nord par le djebel Murdjadjo, longue vipère assoupie, isolant la plaine de la mer. Les vents dominants d'ouest qui se sont asséchés en passant sur l'Espagne proche, sont canalisés par les deux chaînes de montagnes parallèles. Aucun obstacle ne les-modérant, ces vents accentuent une pluviométrie insuffisante et capricieuse. Le climat est donc méditerranéen, sec; et la végétation naturelle assez maigre, plus proche de la steppe que de la garrigue. Les petits oueds venant des montagnes proches et sèches n'ont aucune puissance et vont se perdre dans la grande sebkha d'Arzew. Ils ne peuvent donc pas suppléer au manque d'eau par irrigation. Si l'on ajoute que les terres proches de la sebkha et les bas-fonds sont salés, on comprend les difficultés qu'ont rencontrées les pionniers et les mérites qu'ils ont eu pour réussir.

L'agriculture

La culture du fait du climat et du terrain ne peut prospérer que sur une petite partie du territoire : mille hectares sur les sept mille que compte la surface administrative communale. La principale culture est la vigne cultivée de préférence sur les coteaux qui bossellent la plaine à l'est et au sud-est et couvre une superficie de sept cent vingt hectares. Le vignoble, objet de soins attentifs est composé de plants français : carignan, cinsault, grenache et aussi alicante et morastel. Le rendement, suivant le terrain et l'année varie de vingt à soixante-dix quintaux, ce qui est peu quantitativement, mais donne un vin de très bonne qualité, fortement alcoolisé (12 à 13 %). La majeure partie de cette récolte est vinifiée dans une importante cave coopérative (capacité trente-cinq mille hectolitres).

Le maraîchage, avec quarante hectares, dans les endroits où l'irrigation est possible, est la seconde culture en importance économique. La production de légumes variés est dirigée sur l'important et proche marché d'Oran. Elle sert bien sûr à l'approvisionnement local. Les autres cultures sont de bien moindre importance ; deux cents hectares de céréales n'ont qu'un rendement très médiocre ; de nombreux oliviers bordent les limites de parcelles et les routes et chemins ; la production alimente une huilerie.

L'arboriculture, pratiquement inexistante, se résume à quelques arbres d'ornement dans les rues du village et aux alentours. En plus des oliviers on trouve des caroubiers, des eucalyptus, des faux-poivriers, des ficus, des cyprès et les inévitables figuiers de barbarie. Ce qui nous amène à la production fruitière qui est aussi très restreinte, réduite à l'usage familial : orangers, grenadiers et figuiers. N'oublions pas que c'est cet arbre qui a donné son nom à la plaine.

Quant à l'élevage, ce n'est pas la vocation de Valmy.

Comme on le voit, l'agriculture, objet de tous les efforts des pionniers, n'a donné sur cette terre ingrate et sèche qu'un résultat médiocre et seule la vigne a pu permettre de maintenir la vie du village à un rythme de croisière acceptable pendant un siècle.

La population

Ce n'est que dans les derniers temps que l'industrie et surtout l'aviation vont faire « décoller » Valmy et sa région.

On s'en rend parfaitement compte en examinant le tableau de l'évolution de la population

Années 
Population
1860 703
1873 752
1899 862
1926 952
1956 956
1962 5703

Les villages voisins à vocation principalement agricole : Sidi-Chami, Misserghin, Mangin, et Ste Barbe-du-Tlélat connaissent comme Valmy une croissance lente et continue, régulière jusqu'à la fin. Par contre La Sénia plus proche de la ville et de l'aérodrome a une courbe plus accentuée, passant de six cent cinquante-quatre habitants en 1873 à dix mille en 1962.

A l'origine de cette population il y a les cinquante-deux familles de l'implantation de 1848 venues pour la plupart du sud de la France, et dont bon nombre de descendants, à la cinquieme génération seront toujours là en 1962. A ce groupe de base se sont agglutinés peu à peu de nouveaux arrivants : d'abord des membres de tribus voisines Douaîrs et Zmélas qui avaient passé avec les Français un traité d'amitié, amitié qui ne s'est jamais démentie. Trouvant là d'abord protection, puis travail, enfin les commodités d'un centre organisé, ces tribus se sédentarisèrent rapidement. II y eut ensuite une arrivée d'Alsaciens et de Lorrains après la guerre de 1870 et peu à peu un flux d'immigrants libres venus pour la plupart d'Espagne proche et qui s'assimila sans problème. A noter que l'élément européen a toujours été majoritaire. Quand, après la Seconde Guerre mondiale la tendance était prête à s'inverser, l'arrivée massive de familles de l'aéronavale rétablit la prépondérance de la population d'origine purement française. Ainsi en 1860 la population de Valmy était de deux cent cinquante-neuf Français, cent soixante quatorze Européens étrangers et deux cent soixante Musulmans. Un siècle plus tard on dénombre trois mille deux cent habitants d'origine européenne et deux mille cinq cents d'origine musulmane..

L'agglomération

L'agglomération se compose de trois parties bien distinctes.

Le vieux village

Tracé et construit au début de la colonisation sur six hectares, de forme rectangulaire, il est divisé en quatre parties égales par la route nationale Oran-Alger et la grande route départementale Valmy-Mangin.

C'est donc un village de carrefour. Au centre une grande place rectangulaire plantée sur le pourtour de ficus avec le monument aux morts au milieu. Tout autour de cette place sont répartis l'église, la mairie avec la salle des fêtes, la poste, le presbytère et l'ancienne école communale devenue collège d'enseignement général. Chaque quartier est divisé en une quinzaine de lots de six cents mètres carrés. Sur chaque lot, une maison. Certaines datent encore de 1848, d'autres ont été rénovées ou agrandies : cours et dépendances, d'abord à usage agricole, souvent transformées ensuite pour le commerce et diverses autres activités. Ces constructions sont le plus souvent édifiées en briques venues de la briqueterie proche d'Arbal et couvertes avec des tuiles plates provenant de Marseille, puis de Mers El-Kébir. En 1940, puis en 1956 des chalets construits pour les militaires viennent compléter le village.

Le douar

Peu après l'établissement des Français, des Musulmans des environs s'installent aux abords du village et édifient un « douar » fait de gourbis implantés sans aucun ordre et sans aucun aménagement d'aucune sorte. Peu à peu des maisons en dur remplacent les gourbis, mais toujours sans plan ni travaux de viabilité. Au cours des années 40 la municipalité installe l'adduction d'eau, un réseau d'égouts, l'électricité, aménage des rues et fait construire une mosquée.

La cité de la Marine nationale

En 1954, la Marine nationale cherche un emplacement pour construire des logements pour les familles des marins de Mers EI Kébir et aviateurs de la base de Lartigue. La commune de Valmy, qui offre des terrains disponibles situés entre les deux bases et bien desservis en voies de communication est choisie. De-1954 à 1958 dix-neuf grands bâtiments.de trois à cinq étages sont construits sur sept hectares à l'angle du vieux village et du douar. Leur blancheur contraste avec le vieux village gris et les collines rougeâtres alentour. Cette cité en doublant la population donne un sang neuf et dynamique à Valmy.

Le commerce

Le commerce suit cette évolution. Le nombre de magasins passe de huit à trente et un et toutes les branches commerciales d'une cité moderne sont représentées, donnant à Valmy un aspect gai et dynamique.

L'industrie

Nous avons déjà cité la cave coopérative et l'huilerie qui traitent les productions agricoles locales. II convient de noter qu'en outre une briqueterie créée en 1933 par M. Beltran fonctionne toujours pour satisfaire les besoins de la construction. II existe aussi une usine de fabrication de poteaux en béton (entreprise I.R.C.B.). Par contre l'exploitation des salines de la Sebkha a cessé depuis long temps. Mais l'avenir industriel de Valmy semble prometteur. En effet la « C.A.D.A.T. » (entreprise agréée d'aménagement) avait lancé un projet de « zone industrielle » sur plus de quatre-vingts hectares en limite des communes de Valmy et de La Sénia et des firmes industrielles commençaient à s'y installer quand en 1962 tout s'est écroulé brutalement.

Les voies de communication suivent l'évolution. Ainsi la Nationale 4 d'Oran à Alger qui traverse le village, devenue insuffisante, vient d'être doublée par une autoroute tracée en 1957 et mise en service en 1960. Ce qui met Valmy à huit minutes d'Oran. Un réseau dense de bonnes routes permet d'accéder aux villages voisins, aux villes lointaines et aux plages proches. L'aviation, moyen de transport du futur, dispose d'un aérodrome de classe internationale parfaitement aménagé sur le territoire même de la commune et de celle voisine de La Sénia. Les chemins de fer ont une station à Valmy même. Une petite note de rétrospective : au cours des années 40 le bouyouyou » avait été supprimé. C'était un petit train à voie étroite, bruyant et sympathique, transportant à travers la plaine les voyageurs d'Oran (et de Valmy) à la station thermale réputée d'Hammam-bou-Hadjar.

Les environs de Valmy

Cette évocation nostalgique nous incite à faire après le tour de ville, un tour de plaine en compagnie de notre cicérone Jean Morral.

Comment évoquer Valmy sans parler de la Sebkha qui limite tout l'ouest de la commune. C'est à quatre-vingt-six mètres d'altitude, un très grand lac salé de cinquante-trois kilomètres de long, large de huit à douze kilomètres, couvrant trente-deux mille hectares, jaunâtre après les pluies. II a tout au plus cinquante centimètres d'eau qui s'évaporent en été, laissant une surface de sel d'une blancheur éblouissante. Sur le bord oriental et sud on trouve des lagunes salées dont une dizaine sur le territoire valmicien. Depuis 1880 plusieurs projets d'assèchement, de drainage et de mise en valeur de ce vaste espace stérile ont été étudiés, mais aucun n'a abouti à une réalisation concrète. Sebkha et lagunes restent le domaine du vent et des oiseaux migrateurs dont les plus remarquables sont les grues.

Si l'on quitte le village à l'opposé de la Sebkha, c'est-à-dire vers l'Est, par la route de Mangin, on aboutit au Paléral. Le Paléral (mot espagnol signifiant forêt de cactus) est un bas-fond un peu plus fertile où croissent non seulement beaucoup de cactus, mais aussi des aloès, des palmiers nains, des asperges et toutes sortes de fleurs sauvages. Ce fut longtemps le lieu de rendez-vous dominical de Valmiciens venant goûter là calme, repos, fraîcheur et délassement en partageant la traditionnelle mouna. En semaine le Paléral était abandonné aux chacals qui trouvaient refuge dans ses fourrés. Les chacals sont les seuls animaux notables d'une faune sauvage assez rare.

En dehors de l'agglomération on trouve la ferme du Vieux Figuier, construite, comme son nom l'indique, près du célèbre figuier.

II y a aussi l'auberge du père Cor, construite vers 1850, et, bien plus récent, l'hôtel-restaurant « Le Tahiti» sur la route de La Sénia.

L'hippodrome du Figuier créé dans les années trente est le grand hippodrome de la région oranaise. II rivalise avec celui du Caroubier près d'Alger, possède plusieurs pistes, et attire les foules.

Valmy détient le haras le plus célèbre d'Algérie, situé au domaine St-Joseph, propriété de M. Mercadier, maire de Valmy.

L'aéroport d'Oran ne saurait être oublié, car s'il porte le nom de « La Sénia » où eurent lieu les premières constructions, la majeure partie des installations et les pistes se trouvent sur le territoire de Valmy.

Enfin nous, terminerons ce « tour de plaine» à l'entrée du village, où se trouve le monument du Figuier, élevé en 1893, pour commémorer le traité de 1835 qui concrétisait l'amitié entre les Français et la population locale. Cette amitié s'est poursuivie sans heurt, dans une franche compréhension mutuelle, jusqu'aux derniers jours des « événements » qui secouaient ailleurs l'Algérie.

L'écroulement final parait incongru, ici encore plus qu'ailleurs, forçant la population d'origine européenne à s'exiler en catastrophe de son sol natal et à laisser ses morts et cent vingt-sept ans de souvenirs, au moment même où l'on eût pu espérer que tant d'efforts, de progrès, de réalisations concrètes permettraient de goûter enfin une vie meilleure dans le calme.

Robert PEREZ
(D'après un mémoire de Jean Morral)

in l’Algérianiste n° 62 de juin 1993

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