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Sidi-Bel-Abbès : Naissance d'une ville

Écrit par Georges Bensadou. Associe a la categorie Oranie

Lors de notre dernier Congrès national à Gradignan, le 4 novembre 1995, nos amis du Cercle de Bordeaux nous ont présenté un très intéressant diaporama sur la ville de Sidi-Bel-Abbès.

Le Bel-Abbésien que je suis a pensé que les lecteurs de la revue pourraient être intéressés par une rapide évocation de la naissance de cette grande cité de l'Ouest algérien, car cet heureux événement s'est produit dans des circonstances bien particulières ; une arrivée au monde bien tardive, une ville sans passé et un nom de baptême emprunté à une légende.

UNE NAISSANCE TARDIVE

On sait que la structure géographique de l'Afrique du Nord est caractérisée par la présence de quatre chaînes de montagnes parallèles à la côte : du nord au sud, l'Atlas tellien, l'Atlas plissé, l'Atlas tabulaire et l'Atlas saharien. Et, entre ces chaînes, se succèdent des chapelets de plaines : du nord au sud, les basses plaines littorales, les plaines intérieures sublittorales, et les hautes plaines (ou Hauts Plateaux). Ce sont ces basses plaines qui, du Maroc à la Tunisie, ont, de toujours, permis un passage facile aux envahisseurs du Maghreb, en l'absence d'obstacles naturels sur cette voie.

 


Sidi-bel-Abbès - L'Hôtel de Ville.

 

Par contre, les communications entre la côte méditerranéenne et le Sahara se heurtent aux massifs montagneux des chaînes successives de l'Atlas et ne peuvent s'effectuer que par les rares trouées naturelles de ces massifs. Effectivement, ce sont ces passages qui ont été empruntés, au fil des siècles, par les commerçants se rendant et revenant du Bled essoudân, l'Afrique Noire, et les nomades effectuant la transhumance d'été ("achaba") ou bien, lançant quelque razzia dans le Tell.

C'est, bien entendu, sur les sites stratégiques qui se trouvent aux croisements de ces voies de communication est - ouest et nord - sud, que les autochtones du pays, les Berbères et plus tard, les conquérants romains, puis arabes, ont établi les premières villes du Maghreb. Dans l'Ouest algérien, il en a été ainsi, par exemple sur la côte, pour Siga (près de Béni-Saf), Oran et Mostaganem, et sur la route des plaines pour Nédroma, Aïn-Témouchent, Hammam-Bou-Hadjar, Sainte-Barbe-du-Tlélat, Saint-Denis-du-Sig, Perrégaux et Relizane et, plus au sud, pour Marnia, Tlemcen, Mascara, Tiaret (1).

Mais dans cette liste, pas de Sidi-Bel-Abbès ! Son site, toujours désertique, ne sera occupé que par le dernier conquérant de l'Algérie, la France, et seulement en 1835.

Pourquoi donc le plateau stratégique de Sidi-Bel-Abbès qui domine la grande boucle de l'Oued-Mékerra, où la rivière abandonne son parcours sud-nord, pour s'orienter nord-est vers la mer, pourquoi ce site, qui permet le contrôle des nomades du Sud venant dans le Tell et la route des invasions entre Mascara et Tlemcen, a-t-il été négligé par l'homme jusqu'en 1835 ?

La géographie des lieux donne la réponse. Dans sa grande boucle, la Mékerra ralentit sa course, suit des méandres dans lesquels des marais se sont formés. L'eau qui y croupissait en a fait le domaine des moustiques et donc du paludisme. L'homme, prudemment, s'est éloigné d'une région aussi malsaine.

Il a fallu les travaux de drainage des marais, entrepris en 1845 par les soldats de la Légion étrangère, pour assainir le climat et pour permettre l'installation d'un camp militaire, plus tard d'une ville d'où il sera possible de contrôler le grand axe allant de la Tunisie au Maroc et la voie du Sahara.

LA LÉGENDE DU MARABOUT DE SIDI-BEL-ABBÉS (2)

II était une fois, un saint homme que l'on appelait Bel Abbés (le fils de Abbés), un descendant (chârîf) du Prophète Mohammed (sur Lui, la Bénédiction et le Salut d'Allah) par son grand-père, arrivé de Mekka (La Mecque) pour apporter la Parole d'Allah au Maghreb.

Bel Abbés avait accompagné à Tlemcen son père qui y enseignait à la médersa de la ville. C'est alors qu'Allah lui aurait donné l'ordre de porter sa Parole aux tribus de la plaine de la Mékerra : Amarnas et Ouled-Brahim, tribus arabes arrivées au Maghreb vers 1052 avec les Beni Hillal mais faisant partie de la confédération des Ma'qil.

Sa mission est un plein succès. En obéissant aux Lois d'Allah prêchées par Bel Abbés qu'on appelle alors le marabout Sidi Bel Abbés, les indigènes connaissent la paix et la prospérité.

Mais voilà que le Démon (qu'il soit lapidé) prend aussi les apparences d'un marabout et parvient à faire chasser Sidi Bel Abbés par les indigènes trompés par lui. Ce dernier doit se sauver et il se cache dans la forêt de Messer au sud de la ville actuelle.

Et c'est alors que, punition divine, se succèdent épidémies et famines dans les tribus. Amarnas et O. Brahim comprennent leur erreur et ils vont chercher Sidi Bel-Abbès pour le ramener parmi eux. Le saint homme retrouvé, chaque tribu le veut pour elle seule et c'est la guerre qui va être gagnée par les O. Brahim qui veulent alors s'emparer de Sidi Bel Abbés. Mais ce dernier leur échappe en se transformant en une colombe qui prend son vol et qui ira se poser, ensuite, sur la rive gauche de la grande boucle de la Mékerra, où le marabout reprend sa forme humaine. Témoins de ce miracle, Amarnas et O. Brahim se réconcilient et c'est ainsi que Sidi Bel Abbés va poursuivre son apostolat et son œuvre de paix jusqu'à sa mort en 1780. II sera, alors, enterré dans un mausolée (en arabe : Qoubba) qui portera son nom, sur la rive gauche de la boucle de la Mékerra, là-même où s'était posée la colombe (3).

L'ARRIVÉE DES FRANÇAIS

Arrivons maintenant à l'année 1835. Le maréchal Clauzel, gouverneur général, décide de détruire Mascara capitale de l'Emir Abd El Qâdir (Abdelkader). L'expédition partie d'Oran le 10 novembre sera à Mascara le 5 décembre et, sur la route de Mascara, Clauzel fait établir des relais fortifiés aux endroits stratégiques notamment sur le plateau de Sidi-Bel-Abbés. De là, il est possible de contrôler les déplacements des tribus entre Mascara et Tlemcen et entre Oran et les Hauts Plateaux. Ce gîte d'étape sera construit sur la rive droite de la Mékerra, face au mausolée de Sidi Bel Abbés.

En 1840, le gîte deviendra un bivouac permanent, puis en juin 1843, le général Bugeaud y installe un camp retranché derrière, son fossé et ses remparts, construit par les Chasseurs d'Afrique et la Légion étrangère. La vie y est pénible : climat malsain, isolement, difficultés de ravitaillement qui vaudront à cette redoute le nom de Biscuitville ! Mais les légionnaires vont entreprendre le drainage des marais, ils vont débroussailler le sol, enlevant palmiers-nains (le doum), genêts épineux, jujubiers sauvages, lentisques... bientôt aidés par des civils (1845). En 1847, le général La Moricière, commandant la division d'Oran, propose la création d'une ville fortifiée afin de surveiller les tribus indigènes, notamment les B. Ameur et pour assurer la libre circulation entre Mascara et Tlemcen et entre Oran et les Hauts Plateaux.

La commission formée à cet effet donne un avis favorable et, sur les plans du capitaine du Génie Prudon, le gouverneur général propose la création de la ville, le 10 novembre 1848. Et c'est ainsi que par décret du 5 janvier 1849 le président de la République, le prince Louis Napoléon Bonaparte, décide: " Il est créé à Sidi-Bel-Abbès... un centre de population européenne de 2 000 à 3 000 habitants qui prendra le nom de ville de Sidi-Bel-Abbés " (4).

Mais pourquoi un toponyme arabe alors qu'à cette époque il était d'usage de donner aux villes nouvelles un nom de baptême français; pendant un mois un nom de saint du calendrier et le mois suivant un nom d'un grand homme ou d'une bataille célèbre de l'Histoire de France, et ainsi de suite (?) (5).
Je n'ai pas de réponse certaine à cette question, mais il est possible qu'un lecteur nous la donne !

Par la suite, la ville va rapidement se développer. Elle recevra, le 16 mai 1865, la visite de Louis Napoléon Bonaparte devenu l'Empereur Napoléon III. Les notables de la cité lui demanderont, alors, de donner " à sa fille "... " enfantée par l'un de ses décrets " son " glorieux nom " afin que cette ville dont le " nom ne s'attache à aucun souvenir historique... avec " l'appellation Napoléon-Ville reste comme l'immortel souvenir de la visite de Votre Majesté... "

Sidi Bel Abbés dut en frémir dans sa tombe. Mais cette supplique ne fut pas suivie d'effet certainement par l'effet de la baraka du marabout et c'est ainsi que la ville a gardé le nom du saint...

GEORGES BENSADOU

In l'Algérianiste n° 75 de septembre 1996

 

NOTES

 

1. Les noms de villes sont ceux de l'époque française.

2. En terre d'Islam, le Mrâbet' (t' : lettre arabe t'a qui est un t prononcé fortement) est un Croyant qui monte la garde à la frontière dans un couvent fortifié (ribat') d'où son nom
Almôrabit' (l'homme du ribat'). En Afrique du Nord, ce terme devenu mrâbet a désigné un saint homme qui a reçu la bénédiction d'Allah (baraka) ce qui lui permet de faire des miracles.
Les Européens ont déformé le mot en " marabout " et de plus, en pleine confusion, ont désigné le tombeau du saint, la qoubba par le mot marabout...
Sidi Bel Abbés signifie Monseigneur, le fils d'Abbés, étant précisé que le prénom arabe Abbas (devenu Abbés au Maghreb) commence non pas par la lettre " a ", mais par la lettre arabe " aïn " qui n'est pas connue dans l'alphabet latin et qui est représentée par le signe ?.
Le " aïn " se prononce comme un " a " chevroté (ou bien ressemblant au bêlement de la brebis). Le nom français de la ville ne pouvait donc comporter qu'un prénom commençant par " a " (Abbés).

3. Le marabout est le saint homme et la qoubba est son tombeau. Ne pas confondre.

4. Le toponyme de Sidi-Bel-Abbés doit s'écrire sans trait d'union, comme le veut la grammaire arabe et comme cela a été officialisé dans le décret du 5 janvier 1849. Mais l'usage grammatical de la langue française, qui veut que les noms composés soient liés par des traits d'union, a prévalu dans l'administration d'où l'orthographe très souvent utilisée de Sidi-Bel-Abbés, mais... erronée !

5. Voir article " L'Algérianiste " : " Comment la France a baptisé les nouveaux centres urbains d'Algérie " N.60 page 85.

 

BIBLIOGRAPHIE

  

BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE

Louis Bastide
Léon Adoue


Dr. Fabries
O.P. Kremar
Robert Tinthouin

G. Reutt
 
Bel-Abbés et son arrondissement. Perrier, Oran, 1880.
Sidi-Bel-Abbés. Histoire, légendes, anecdotes Roidot. Sidi-Bel-Abbés, 1927.
L'arrondissement de Sidi-Bel-Abbés en Oranie, 1887.
Sidi-Bel-Abbés et les Bel-Abbèsiens. Africa Nostra. Montpellier, 1985.
Aspects physiques du Tell Oranais (thèse de doctorat d'Etat) Fouque,
Oran, 1948. Chroniques : Notre plaine de la Mékerra (1980- Juin 1989) Revue " Khémia " B.P. 33 à Ballan-Miré 37510.
La plaine de Sidi-Bel-Abbés. Heintz, Oran, 1952.



LES TRIBUS DE LA RÉGION

BENi AMER










 
Ibn Khaldoun. Histoire des Berbères. Librairie Orientaliste Paul Geuthner, Paris, 1982.
Tome I p. 88, 90, 93, 101, 103, 104, 109, 113.
Tome III p. 447/468.
Ch. A. Julien. Histoire de l'Afrique du Nord. Payot, Paris, 1956. p. 156.
T. Tinthouin. Chronique Revue " Khémia " ci-dessus n° 92 (12/1992)
Ch. A Julien. Histoire de l'Algérie Contemporaine. T.I. Conquête et colonisation. p. 97, 206. P.U.F. Paris, 3e éd. 1986.
Pierre Montagnon. La conquête de l'Algérie. p. 364. Pygmalion, Paris, 1986.
Henri Léon Fey. Histoire d'Oran. p. 116, 124, 163, 225, 226. Perrier,
Oran, 1858. Réédition Lescane. Nice. 1991.
 
LES AMARNAs



 
Ibn Khaldoun précité.Tome I p. 115, 125, 129.
Tome IV p. 344, 345, 425, 426.
R. Tinthouin précité. " Khémia " n° 56 (15, 12 1983).
N.B. Les Ouled sont une fraction de la grande tribu des Amarnas
Brahim.
 
AUTRES TRIBUS


 
Hazedj, O. Slimane, Hassasna, Ouled Sidi Ali Ben Youb, O. Hamyan, O. Balag, Dhafra El M'Hamid.
Voir R. Tinthouin (précité) " Khémia " n° 54 et 55 des 15/6/1983, 15/9/1983.
 



PREMIERS TÉMOIGNAGES SUR LA VILLE.

Général Derrecagaix. " Le général de division Comte de Martimprey " Chapelet. Paris. 1913.
Général de Martinprey. " Souvenirs d'un Officier d'Etat-Major : Domination française dans la province d'Oran (1830-1847) Quantin Paris. 1886.
Marquis de Massol. " France. Algérie. Orient. Souvenirs ". Baujeune. Versailles. 1860.
Général Louis Lacretelle." Mémoires "
" Etudes sur la province d'Oran ". 1865.

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