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Oran avant la France

Écrit par Paul Birebent. Associe a la categorie Oranie

Lorsqu’Oran avait été occupée définitivement par le général de Fodoas le 17 août 1831, elle comptait à peine 3 000 habitants. « C’est au milieu des ruines et dans une bien pauvre ville que s’intallérent en 1831 les Français »(1). Les Arabes l’avaient désertée. Ils n’étaient plus que 250. Les Juifs, non seulement y étaient restés, mais accouraient des villes de l’intérieur des terres, pour se placer sous la protection des troupes françaises. Ils atteignaient très vite le chiffre de 5 000 et cohabitaient sans problème avec quelque 300 Espagnols et autant d’Italiens.
En 1840, on disait déjà qu’Oran était « la ville la plus européenne d'Algérie », avec près de 10 000 habitants. Les Espagnols surpassaient en nombre les Français, alors que la population
musulmane stagnait. Dix ans plus tard, avec l'impulsion donnée à l'Algérie par la politique de colonisation, les Oranais étaient plus de 25 000, avec deux fois plus d'Espagnols que de Français. Les Juifs étaient stables. La pacification du pays ne les obligeait plus à chercher refuge ailleurs. Ils étaient deux fois plus nombreux que les 2 500 Arabes qui réintégraient la ville abandonnée vingt ans plus tôt.

L'évolution du nombre d'habitants s'accélérait après 1870 et atteignait le chiffre de 40 000. Les crises politiques et économiques que subissait l'Europe provoquaient de vastes mouvements migratoires, français, espagnols, essentiellement, dont l'Algérie et Oran tiraient profit. Les diverses communautés se fondaient dans la naturalisation et la citoyenneté françaises, avec le décret Crémieux pour les Juifs et les lois de 1884 pour les étrangers.

Au début du siècle, Oran comptait 100 000 habitants et 150 000 pour les fêtes du Centenaire en 1930. Les Espagnols d'origine représentaient alors plus du quart de la population européenne. Leur puissance économique était devenue telle, et les échanges avec l'Espagne si productifs, qu'une chambre de commerce franco-espagnole avait été fondée dès 1887.

En 1951, la ville d'Oran, d'après les estimations, avoisinait les 290 000 habitants, dont environ un tiers de Musulmans (2). On savait peu de chose de la préhistoire de cette ville. Un lieu-dit portait le nom d'Ifri, nom berbère qui signifiait cavernes. Il en existait quelques-unes dans le ravin de Noiseux où l'on avait trouvé des outils en pierre taillée et polie. De la période romaine n'avait subsisté qu'un nom, « Portus Divini » (3), sans traces concrètes d'occupation. Les Arabes de Sidi Okba, au VIIe siècle, avaient continué jusqu'à « Traducta Julia », l'actuelle Tanger, sans s'arrêter.

Après la mort d'Okba et la révolte de la Kahéna, la Mauritanie tombait entre les mains d'un « Émir El Mogrob » (4), un « prince du couchant », et se séparait du gouvernement d'Egypte dont elle dépendait. Les Berbères essayaient de secouer le joug de l'occupant arabe, tout en se convertissant massivement à l'islam. L'occasion de défouler et de détourner leurs ardeurs guerrières, se présenta en 711 quand les Espagnols, pour une querelle dynastique, firent appel à l'aide arabe. Sous la conduite du gouverneur de Tanger, Tarik ben Zeyad, les Maures débarquèrent en Espagne (5).

Vers l'an 807, Edriss, descendant d'Ali, gendre du prophète, fondait la dynastie des Edrissites et le royaume de Tlemcen qui s'étendait jusqu'à la mer. Ses descendants régnèrent pendant plus d'un siècle sur les deux Maurétanies.

 

Anonyme, « Prise d’Oran », 1509, fresque décorant une chapelle de la cathédrale de Tolède

Un peu plus tard, un marabout très écouté, au nom de Mahomet, entreprenait de prêcher la révolte contre les Edrissites.
Sur le point de succomber, les princes arabes appelèrent à leur secours les Maures d'Espagne qui s'emparèrent de Fès, de Tlemcen, de Tiaret, et d'Oran qui venait d'être fondée.

« Ouahran » datait de l'an 903. Des marins andalous avaient occupé le site et s'étaient associés à des tribus berbères, les Ghamra, pour commercer avec Tlemcen, tête de pont des caravanes africaines d'une part, et les grands ports de la Méditerranée occidentale d'autre part. En 910 et 911, la jeune cité était brûlée et saccagée, et à nouveau rebâtie. Les Espagnols et les Berbères survivants, conscients de l'intérêt économique et stratégique des deux ports d'Ouahran et de Mers el-Kébir, ne baissaient pas les bras. Les marins trouvaient sur place des plages pour débarquer, des abris contre le gros temps, de l'eau et du ravitaillement en abondance. Les terriens disposaient de matériaux de construction, de ravins encaissés et de promontoires rocheux faciles à défendre. Les navires qui se présentaient en rade, arrivaient de Barcelone, de Marseille, de Gênes, de Venise. Oran devenait le port de Tlemcen, capitale d'un royaume toujours rattaché au califat de Cordoue.

En 1086, une nouvelle dynastie berbère, originaire du sud de l'Atlas, s'emparait du royaume de Tlemcen. Elle était renversée à son tour par une tribu de l'Anti-Atlas, les Almohades, qui poussèrent leur domination jusqu'à Bône et Tunis.

À la mort du dernier des Almohades, le royaume fut divisé en trois gouvernements indépendants. Les Beni-Zian montaient sur le trône de Tlemcen et prenaient possession d'Ouahran pour une longue période.

Au XVe siècle, le royaume de Tlemcen connaissait une remarquable prospérité dont profitait la ville d'Ouahran.

Le commerce était florissant. Dans les deux ports de la côte, des navires apportaient des « textiles, mercerie, quincaillerie, vins, épices, parfums, produits médicaux et tinctoriaux, verrerie, perles et pierres précieuses » (6). Ils reprenaient la mer avec, à leur bord, des « laines, cuirs, peaux, grains, dattes, cire, et parfois des esclaves » (6). Les Génois chargeaient des « écorces tannantes, des fruits secs et, surtout, de l'huile pour leurs savonneries ». Les Vénitiens embarquaient du « coton de la plaine de M'ieta, au sud de le la Grande Sebka, des haïks et burnous fins, des tapis, du cumin, des noix de galle, des esclaves noirs » (6).
Ouahran était également l'entrepôt de commerce entre Tlemcen et le Soudan. Des caravanes, auxquelles se joignaient des commerçants européens, rapportaient des bords du Niger, « ivoire, poudre d'or, ambre gris, plumes d'autruches et esclaves »(6).

Pendant ce temps, les Portugais d'Henri le Navigateur s'installaient le long des côtes d'Afrique et détournaient à leur profit le trafic des caravanes. En 1337, la dynastie berbère des Mérinides, installée à Fès, s'emparait du royaume de Tlemcen. La décadence commençait. Ouahran s'enorgueillissait de splendides mosquées, d'écoles coraniques réputées, de bains et d'édifices publics remarquables, de vastes entrepôts regorgeant de marchandises. Les richesses et le luxe corrompaient les mœurs. Les excès en tous genres conduisaient à la discorde et aux désordres. La piraterie s'installait à Ouahran.

Comme Alger, Ouahran devenait un nid de pirates barbaresques. Leur audace et leurs brigandages portaient la désolation sur les côtes chrétiennes et créaient en Méditerranée une insécurité favorable aux ripostes et aux interventions armées des Portugais, Espagnols, Turcs et Français.

Les premiers, les Portugais s'emparaient d'Oran en 1415, en étaient chassés, revenaient et abandonnaient définitivement en 1477.
En Espagne, le dernier Maure, Boabdil, capitulait à Grenade en 1492, prenait le chemin de l'exil et venait mourir à Ouahran (7).

En 1497, les Espagnols échouaient devant Mers el-Kébir, et les Portugais, en 1501, débarqués sur la plage des Andalouses, subissaient une sanglante défaite et perdaient de nombreux prisonniers. Enchaînés, ils étaient vendus sur la place publique d'Ouahran. Quatre ans plus tard, les Espagnols s'emparaient de Mers el-Kébir, mais ne réussissaient pas à prendre Ouahran.
En 1509 enfin, le religieux Francisco Ximenès de Cisneros, confesseur de la reine Isabelle, élevé deux ans plus tôt au cardinalat de Tolède, primat d'Espagne, régent et Premier ministre, était chargé de reconquérir la ville et d'en chasser les Barbaresques.

 

André Hébuterne, « Le Ravin de Ras-el-Aïn », gouache, 31x46 cm, (coll. particulière)

À la tête d'une flotte de 33 vaisseaux de haut bord, de 22 caravelles et de 6 galiotes, le cardinal venait mouiller devant Kébir et Ouahran. Avec la complicité d'un Juif, Ben Zouawawa, un riche marchand, et grâce surtout à la rapidité et à la vigueur de leur attaque, à la dureté de la répression (8), les Espagnols s'emparaient d'« Oran » et libéraient plus de 300 esclaves chrétiens.

L'Espagne n'envisageait pas de conquête coloniale. En s'emparant d'Oran, son intention était de mettre fin à la piraterie en Méditerranée. Pour y parvenir, il lui fallait des « presidios » judicieusement placés sur la côte.
Les Espagnols s'activaient à fortifier la ville. Ils construisaient une enceinte, élevaient des forts et des bastions, agrandissaient l'Alcazaba arabe. Leurs tentatives d'expéditions punitives contre les Turcs et les tribus vassalisées d'Arzew, de Mostaganem et de Tlemcen, se soldaient par des échecs. Enfermés dans leur enclave de 10 ha, ils étaient harcelés par leurs ennemis, décimés par les épidémies. Ils manquaient de vivres. Les bateaux d'Espagne étaient rares et ils ne pouvaient rejoindre Mers el-Kébir que par la mer, sur de petites embarcations. En 1708, an choual 1119 de l'hégire, après un siège éprouvant de cinq mois, Oran tombait aux mains des Turcs débarqués à Aïn el-Turk. Elle redevenait Ouahran, ville du royaume de Tlemcen, et sa voisine de Marsa Kebira connaissait le même sort.
En pénétrant dans la ville, Bou Chelaghram (9) ordonna le massacre des chrétiens. Les rues étaient encombrées de morts, chaque maison devenait le siège d'un carnage. Après le viol, l'égorgement et l'incendie, ceux qui survivaient étaient enchaînés et réduits en esclavage.
Les Espagnols abandonnaient d'importantes fortifications. Du côté de la mer, la ville était défendue par le Rosalcazar (10), les forts San Gregorio, Santa Teresa et la Mona (11), que les Arabes appelaient le « Bordj el youdi », en souvenir du juif qui les avait trahis, du côté de la terre, par les forteresses San Andrès, San Felipe et Santa Cruz (12) sur le pic de l'Aïdour.
Le « bey de l'Ouest », Bou Chelaghram, du fait d'une soumission prudente au Divan d'Alger, obtenait le commandement de la ville devenue capitale du bey-lick. Il maintenait l'ordre avec ses tribus maghzen des Douaïrs et des Zrnelas (13) Ouahran se repeuplait, la piraterie reprenait sur les côtes d'Espagne. Le marché de la Casbah regorgeait de produits rares et d'esclaves chrétiens. Le commerce était prospère. Le bey prélevait ses bénéfices et reversait tous les trois ans le « denouch » (14) au dey d'Alger.

Vingt-quatre ans plus tard, Philippe V, roi d'Espagne, décidait une nouvelle expédition. Sous le commandement du comte de Montemar, 28 000 Espagnols débarquaient sur la plage des Andalouses et bousculaient les 40 000 Arabes envoyés pour les refouler. Le lendemain, 1e' juillet 1732, ils entraient dans Oran. La population, défenseurs et habitants, s'était enfuie; le bey s'était réfugié à Mostaganem. L'Agha turc, Ben Dabiza, assiégé dans Mers el-Kébir, se rendait au lieutenant général don Alejandro de la Motta.
Par deux fois, Bou Chelaghram, avec l'appui de forts contingents turcs envoyés par Ibrahim, le dey d'Alger, essuyait un échec en tentant de reprendre la ville. Le sultan du Maroc, poussé par l'Angleterre, était à son tour battu lourdement dans la plaine d'Arbal, et allait mourir à Oujda.

Harcelée en permanence par les tribus montagnardes avides de richesses supposées, Oran s'enfermait dans ses murailles et devenait une forteresse et un bagne. La ville comptait environ 9 000 habitants, dont la moitié était des soldats. Le reste était composé d'exilés, les « desterrados », de réfugiés maures, et de condamnés à la déportation. Le ravin de Ras el-Aïn partageait la ville en deux et fournissait de l'eau potable. Sur la rive droite, s'étageaient des constructions nouvelles avec des rues étroites et à pic, au pied du Rocalcazar. Sur la rive gauche s'étalait la vieille ville, la Blanca, entre l'Alcazaba (15), les pentes du petit Santon et la Marine. Trois portes perçaient l'enceinte fortifiée de 2500 m et renforcée de six bastions(16), qui enfermait Oran: la porte del Santo vers Mers el-Kébir, de Canastel à l'est et de Tlemcen.
Les bagnards relevaient les fortifications décrépies par la longue occupation turque et endommagées par les assauts répétés des Arabes. Ils bâtissaient un môle brise-lames à l'entrée du port (17), un quai d'accostage pour les bateaux, et un bâtiment des Douanes. Ils creusaient, dans la falaise, des entrepôts pour le sel, le fourrage, les vivres et le vin. Pour y accéder ils aménageaient un canal d'eau de mer qu'empruntaient les barques de pêche pour s'abriter du gros temps. Ils reliaient les forts par un dense réseau de galeries souterraines souvent profondes (18). Ils construisaient des casernements pour les troupes, dont un pour la « cuadrilla del campo », les Maures, embrigadés pour assurer par des coups de mains hors les murs, le ravitaillement en bétail. Toujours à la Marine, près de la chapelle et de la place del Carmen, ils montaient les magasins à grains, à charbon et pour les tuiles envoyées d'Espagne. Tout au sud d'Oran, au bord du Ras el-Aïn, se trouvait la vieille forteresse de l'Alcazaba, reconstruite par les Espagnols en 1589, avec son palais des gouverneurs aux trente-sept pièces et aux sols de marbre, élevé sur trois niveaux: sa chapelle royale, sa ménagerie et ses écuries, mais aussi ses casernes et ses cachots dans les profondeurs des soubassements.

De son temps, Bou Chelagrham avait effacé les inscriptions espagnoles et fait graver des caractères arabes.

 

Alexandre Genet, « Colysée à Oran », lithographie, Bibliothèque nationale, Alger

De l'Alcazaba, on rejoignait la Blanca par la rue de la « Carrera » {19). Les maisons étaient basses et étroites, sans ouvertures visibles, avec des toits en terrasses. La place d'Armes était le centre de la ville (20). Les troupes y défilaient en arrivant par la rue de la Merced (21). Les églises étaient nombreuses, la Iglesia Mayor, celle du couvent San Francisco et Santo Christo de la Paciencia (22). Elles voisinaient avec la mosquée du marabout Sidi el-Houâri que les Espagnols avaient respectée et la résidence du comte duc de Montemar.

Oran, que Madrid traitait avec mépris de « Corte Chica » (23), s'enorgueillissait d'un théâtre, le « Colisée », d'un marché aux herbes, d'une halle aux poissons, d'abattoirs, de fours à pain, de moulins à grains, de magasins à farines, d'une manufacture de tabac. Elle possédait un hospice civil, un service du Trésor, avait des écuries, des abreuvoirs, des lavoirs et des fontaines publiques. La pression arabe se relâchait. L'activité commerciale se ralentissait pour devenir insignifiante. Les Espagnols avaient commis l'erreur de chasser les Juifs d'Oran.

Le 4 mai 1769, le magasin à poudre du fort San Andrès explosa, le détruisant en partie et tuant tous les soldats de trois compagnies d'infanterie du régiment de Zamora.

Oran comptait alors 42 édifices publics et 542 maisons, adossées les unes aux autres, le long de venelles étroites, selon les principes de construction des médinas arabes.
Le soleil pénétrait peu dans les ruelles où l'ombre et la brise de mer maintenaient un peu de fraîcheur pendant les journées torrides de l'été.
La population avait augmenté. Les civils, tous métiers confondus, étaient estimés à 2 300, auxquels s'ajoutaient 2 800 déportés libres qui, pour la plupart, tenaient un commerce régulier. Le décompte des forces militaires était précis: 4 383 soldats tenaient garnison dans la ville, sous les ordres d'un lieutenant général et d'un nombreux état-major, chargé des services: travaux du génie, artillerie, intendance, administration, justice, bureau des interprètes et capitainerie du port. Une commission des approvisionnements avait la charge de fournir et de gérer les denrées essentielles: le pain, l'huile, la viande et le charbon. Deux navires assuraient, deux fois par mois, le ravitaillement de la ville et la liaison Oran-Carthagène.

L'Espagne conservait Oran parce qu'elle était « un point de sérieuse importance à occuper en face de la fertile Andalousie (24), pour contrebalancer l'influence toujours croissante du pavillon anglais » (25).
Dans la nuit du 7 au 8 octobre 1790, vingt-deux secousses sismiques ébranlaient la ville, semant la destruction et la mort. L'Alcazaba, les constructions anciennes de la vieille ville, étaient renversées. 3 000 personnes, en moins de trois minutes, étaient ensevelies, dont les deux tiers probablement enterrés vivants.

La rive droite du Ras el-Aïn et le Rocalcazar n'avaient pas souffert du tremblement de terre.

En apprenant la nouvelle de la catastrophe survenue à Oran, le dey d'Alger donnait l'ordre au bey de l'Ouest, à Mascara, d'enlever la place forte aux chrétiens. Mohamed el-Kébir, ou el Kh'al (26), réagissait moins vite que le capitaine général de Carthagène. Des régiments espagnols avaient déjà débarqué. Ils repoussaient les assaillants. Nullement découragé, Mohamed el-Kébir revenait à l'attaque au cours des deux étés suivants, alors que le roi d'Espagne, Charles IV, entamait des négociations avec la Régence. Elles aboutissaient en septembre 1791.
En échange de facilités commerciales, d'une évacuation honorable et d'un délai raisonnable, Oran serait rendue aux Turcs. Les Espagnols s'engageaient à détruire les édifices publics construits depuis 1732 et épargnés par le tremblement de terre, à restaurer les fortifications et à reconstituer les approvisionnements qu'ils avaient trouvés lors de leur conquête.

Le sixième jour du mois de Redjeb, en l'an 1206 de l'hégire, Mohamed el-Kébir entrait dans Ouahran. C'était en mars 1792.
Quelques familles espagnoles avaient songé à demeurer sur place. Elles ne résistaient pas longtemps aux pressions et aux vexations répétées, et regagnaient leur pays d'origine. Les « Moros de paz » (27) s'exilaient dans les « presidios » du Rif. Seul demeurait un Français, le sieur Dominique Gaillard, né à Paris en 1750. Arrivé à Oran avec un régiment de gardes wallons, il s'était fait naturaliser espagnol, puis avait embrassé la religion musulmane en acceptant la charge de joaillier du bey (28).
Mohamed el-Kébir devenait bey d'Ouahran.
Pour repeupler la ville, endommagée, désertée et ruinée, le bey faisait appel aux populations des cités voisines de Tlemcen, Mascara, Miliana, Médéa. Il autorisait les Juifs à revenir et faisait construire un quartier qui leur était réservé, sur la rive droite du Ras el-Aïn. Rapidement le commerce et la banque passaient entre leurs mains et les circuits commerciaux, abandonnés par les Espagnols, étaient rétablis et diversifiés.

Pendant quarante ans, les beys d'Oran, soumis à des révolutions de palais, à la pression des fonctionnaires turcs, à la suspicion du dey d'Alger, s'enfermèrent dans leur nouvelle résidence de Rosalcazar avec leur harem, pour n'en plus bouger.
Cruels, corrompus, indolents, débauchés, souvent ivrognes, les beys, sans réagir, assistaient au pillage des rares vestiges qui subsistaient de l'occupation espagnole, comme l'église de Santo Christo de la Pacîencia. Pendant leur long règne, ils n'avaient construit qu'un monument d'importance: la mosquée du Pacha, édifiée en 1796, avec l'argent provenant du rachat des esclaves chrétiens (29).

En juillet 1830, Hassan bey, attaqué de toutes parts par les tribus arabes, sollicitait l'intervention de la France. Le capitaine Louis de Bourmont, fils du général, appareillait pour Mers el-Kébir, il occupait les forts turcs et rencontrait le bey à Ouahran. De retour à Alger, il rendit compte de sa mission à son père, le général comte de Bourmont, commandant en chef de l'expédition. L'occupation d'Oran était décidée.
Le 14 janvier 1831, les Français du général Damrémont faisaient leur entrée dans la ville.

Paul Birebent


Les tableaux ayant servi à illustrer cet article sont extraits de L'Algérie des peintres, de Marion Vidal-Bué, Éditions Paris-Méditerranée.

1- Cruck Eugéne, Oran et les témoins de son passé,1956
2- En 1962, Oran comptera 400 000 habitants.
3 -En syntaxe latine « Portus Deorum » : Port des Dieux.
4 - Fey H. L, Histoire d'Oran, 1858.
5 - Gibraltar ou le djebel (la montagne) de Tarik.
6 - Oran - étude de géographie et d'histoire urbaine - LESPES 1938 - cité par Robert Tinthouin, directeur conservateur du musée Demaëght.
7 - Fey H. L, Histoire d'Oran, 1858
8 - 4 000 Maures et Arabes égorgés, 8 000 prisonniers.
9 - Que les Espagnols surnommaient « bigotillas » : l'homme aux petites moustaches.
10 - Déformation de Ras el Cacer, la tête de la forteresse.
11 - Mona-guenon en espagnol. Selon la légende, il y avait autrefois des singes sur le Murdjajo.
12 - Ruiné en partie en 1732, rasé en 1735, reconstruit et achevé en 1738.
13 - Elles avaient rallié les Turcs.
14 - Tribut.
15 - Kasba -.forteresse en arabe, devenue la Casbah.
16 - Santa Isabel, de los Leones, de San Francisco, de Santo Domingo, de los Banos, de San Roque.
17 - Construit en 1736 et emporté par une tempête en 1738.
18 - cf. plan chapitre août 1830.
19 - De la carrière.
20 - Place du Colisée.
21 - De la Merci, du nom de l'ordre institué pour le rachat des captifs.
22 - Devenue Saint Louis.
23 - Petite cour

24 - De Vandales - Vandalia, terre des Vandales.
25 - Fey H. L, Histoire d'Omn, 1858.
26 - Le « grand », surnommé aussi le « noir ».
27 - Autre nom des Arabes ralliés de la « cuadrillo del campo ».
28 - En 1831, les Français le retrouveront sous le nom de Domingo Gallardo. Il mourra en 1841.
29 - Cruck Eugène, Oran et les témoins de son passé, 1956.


In « l’algérianiste » n°103

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