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Hammam-Bou-hadjar

Écrit par François Rioland. Associe a la categorie Oranie

AVEC LE BOUYOUYOU EN ROUTE POUR...... HAMMAM-BOU-HADJAR

Avant d'atteindre les abords de la morne plaine de la M'leta, plus ou moins éloignés de ce long serpentin qu'était autrefois la voie étroite, vont défiler sous nos yeux, en forçant plus ou moins notre esprit et en ouvrant grand notre coeur, l'hippodrome du Figuier, le vivant village de La Sénia et l'aéroport à cheval sur cette commune et sa voisine Valmy, autre coquette entité, la base aéronavale de Lartigue.

Encore quelques instants de rêve et nous bifurquions vers le lac salé, cette Sebkha dont, durant des lustres, la haute Administration étudia la possibilité de l'assécher, en vue de la livrer à la culture... De quoi ? On peut encore se poser la question. En attendant, elle fut le champ de tir de l'Artillerie du 2ème groupe puis du 66ème R.A.A. et de l'Aviation.

Là-bas, sur notre gauche, direction Sud-Est pour être précis, se profile le petit village de Tafaraoui, couché, à vol d'oiseau, à quelques kilomètres des collines truffées de grottes du Tessalah, centre isolé parmi ses céréales à faible rendement.

Et puis voici l'agglomération d'Arbal et le fameux domaine Camallonga, où oeuvraient des condamnés de droit commun, puis de nouveau la morne plaine écrasée de soleil et de vapeurs, jouxtant sans cesse le lac, et Puis encore la halte de Saint-Maur, rappelant le nom (du Pré de Saint-Maur) d'un céréaliculteur de la dure époque, mais aussi celui d'un homme politique qui défraya longtemps la chronique oranaise, entre la Monarchie de Juillet et les débuts de la IIIème République. Ecoutez ce qu'en a dit Roland Villot, le regretté pharmacien d'Arzew, dans son ouvrage " La Vie politique à Oran ", un vrai reliquaire passionnant : "Etrange destin que celui de cet homme qui, réactionnaire en 1848, libéral sous l'Empire, conservateur sous la République, et, à tout prendre, frondeur sous les trois régimes, ne put accéder jamais aux postes où il eût pu donner sa mesure. "

Et puis voici d'autres haltes sans nom, sinon celui d'un vénéré marabout ou d'un douar proche, où descend et monte tout un monde hétéroclite chapeauté d'énormes boumentel, ces couvre-chefs en paille quasi-frères des sombreros d'Amérique latine, les uns chargés de volailles diverses piaillant haut et ferme et de couffins d'oeufs recouverts de paille, les autres de toutes sortes de ballots plus ou moins bien serrés et ficelés, voire d'un agneau ou d'un chevreau ; c'est aussi le spectacle d'un clapier ambulant ou déambulant d'un wagon à un autre, ou encore d'un poulailler, pour ne pas dire d'une ménagerie occupant toute la plate-forme. Entre nous, c'était une belle époque où n'existait pas encore la D.D.T., mais très heureusement la " Marie-Rose ", unique produit efficace contre certains parasites. Mais ne nous émouvons pas trop à ce sujet, d'autant que nous voici presque à l'arrêt d'Ain-el-Arba.

Jusque-là, anciens de toute cette région qui ne brillait guère, vous aurez évoqué la mémoire des hommes de bien disparus, ou en exil, ayant oeuvré non sans peine dans ces parages : les Andréo, les Chèze, les Huertas les Azorin, les Préfume, les Cara, les Renoux, les Stoumen, ceux de " l'Etrier oranais" et de toutes les industries installées tout particulièrement sur le territoire de La Sénia, et son dernier maire, le docteur Parrès, dont le dévouement à la chose publique méritait un autre sort. Mais n'oublions pas non plus ceux dont les noms frappaient notre esprit au fur et à mesure qu'avançait notre petit train, à Valmy: les Bazet, les Mercadier père et fils, les Lafumat, les Long, les Ramade ; de Tafaraoui j'ai le souvenir, mais lointain, des Pitollet, celui plus récent du souriant Sandouk, d'autres noms sont au bout de mes lèvres : Lamasse peut-être, et aussi Assenci, ceux des Victori, le père surtout, qui fut maire d'Aïn-el-Arba, son fils aussi du reste, qui serait encore dans la région, les Gouré, et les grandes familles des Bohé, des Belda, des Buffalan, auxquelles il faudrait encore ajouter les descendants des constructeurs de cette petite cité, les Pitt, les Brottier, les Bourde, les Gomez, dont le fils aîné, médecin, fut lui aussi pendant quelque temps maire du village...

Faisons un retour en arrière, avant d'atteindre la halte de cette chronique, à l'aérodrome civil de La Sénia, pour retrouver les images des jours heureux du temps passé. En cet instant même je revoie les grandioses festivités dues aux mordus du manche à balai : les Serviès, les Paolacci, combien toujours regretté ce dernier ! les Poutingon, les Aupy, les Lévecque.... et les silhouettes des merveilleux acrobates de la voltige aérienne, les Détroyat, les Doret.... puis toutes les grandes figures de notre aviation, partant de La Sénia à la conquête de records, d'autres du Sahara. C'était ça la belle époque de bien de nos concitoyens ou compatriotes d'Oranie, et avec quelle passion, quel désir de servir ils la vivaient!

Depuis de longues minutes, d'Ain el-Arba à vrai dire, nous pouvons chantonner " La voilà la jolie vigne..." et, si le coeur vous en dit, nous pouvons en même temps sauter à terre acheter de la volaille, des oeufs, de asperges sauvages, des épices, de plantes médicinales (la yerba buena entre autres), des arbouses ou de figues de barbarie, des brassées de fleurs des champs de toutes teintes, et rattraper au vol votre wagon, après avoir piqué seulement un 100 mètres... Et comme il n'est nullement nécessaire d'attendre la halte régulière du " bouyouyou ", autant mettre à l'instant même les pieds à terre, sans nous presser, puisque nous sommes à deux pas de la cité et que nous n'avons d'autres bagages que notre coeur et nos souvenirs... Et hop, ça y est ! Regardons, écoutons et imaginons les jours où la Voix de la France était la nôtre. Oui, regardons. écoutons quelques ombres et méditons, car depuis douze ou treize années, que d'anciens ont disparu, qui ont marqué le lieu d'une empreinte exceptionnelle, entre autres les Muller, les Roux, les Vergobbi, et tout récemment Ernest Delage, l'avant-dernier maire, si j'ai encore bonne mémoire. Et combien d'autres encore avaient, comme on disait au temple, "terminé leur course ", au temps où nos couleurs flottaient allègrement, d'abord sur la première maison commune, les Boireaud, les Michel.

A ce sujet, il me faut vous dire que les chefs des vieilles familles, encore choqués malgré le temps écoulé, citent aux voyageurs qui passent des noms qu'ils ont encore à l'esprit, des patronymes qu'ils ne sont pas prêts d'oublier : Pastor, Pitt, Bouche, Vergobbi, Everlet, Cottin, Vigne, Lopez, Lévy, Chamuel, Rol, Ryckwaert, Andreoletti, Amie, Cardona, Faurous, Eysserie, Muller, Riot, Vautherot, "le Préfet Mouillot "...

Combien d'autres, en fermant les yeux, ont cru passer le flambeau aux continuateurs de la tâche entreprise à l'origine par l'aïeul, il y a plus d'un siècle, et dans quelles conditions ! Ayons une pensée à l'endroit de ces autres anciens, aux héritiers des précurseurs qui avaient noms Saint-Jean, Etienne, Fonteyraud, Montero, Laffargue, Rico, Brusseaux...

Savez-vous, amis connus et autres, bonnes gens de ces lieux évoqués et d'ailleurs, que le monument perpétuant la mémoire des fils de Bou-Hadjar morts pour la France, heureusement sauvé par l'un des vôtres, Gaston Montamat, a été remis sur pied en l'accueillante cité de Saint-Raphaël ? Que de fois, dans cette collectivité administrée par un ancien interne de l'hôpital d'Oran, le docteur Girod, l'ai-je longuement contemplé! En pensant à vous aussi, Docteur-Vétérinaire Boismery, dernier maire du plus grand centre mondial de production de vin rosé, " ce nectar spirituel ", ainsi que le désignait après l'avoir apprécié, il y a déjà, bien des années, un préfet allemand du BadeWurtemberg. Cela étant dit, allons faire un p'tit tour au Fer à Cheval, aux bains, à l'environnement. Quel havre merveilleux et accueillant, reposant, abondamment fleuri, où domine la rose ! ...

A présent, revenons sur terre, et allons jeter un dernier regard à ce bel Hôtel de Ville, le plus bel ornement de la cité perdue, et aussi à cet autre qu'est le Centre Médico-Scolaire, consécration d'un texte législatif émanant, dit l'Histoire, de l'abbé Sieyès, " que la Convention n'eut pas le temps de voter ", dans lequel il était recommandé " qu'un officier de Santé du district visite dans les quatre saisons de l'année toutes les écoles nationales, examine les enfants et indique en général et en particulier les règles propres à fortifier leur santé ". C'est ce qui se faisait toutes les semaines au Centre Médico-Scolaire de Bou-Hadjar, n'est-ce pas docteur Montero ? pour dépister les maladies congénitales, pour soigner le trachome, sous la direction d'un personnel qualifié qui procédait tant au point de vue clinique que radiologique.

Reprenons notre périple après un dernier regard aux coquets logements à loyer modéré, comptant trois ou quatre étages au maximum, édifiés en un lieu agréable, avec autrement de bonheur, de goût pour tout dire, que ceux que nous voyons ici, çà et là, dans la région parisienne notamment, véritable défi au bon sens, à la valeur de l'Homme.

Mais laissez-moi vous dire, entre parenthèses, sans exagération aucune, la description qu'en a faite quelqu'un qui revient de là-bas (mai 1973), un homme de l'art pour préciser, chargé d'une étude générale pour la région de l'Ouest oranais qui, au lieu de rédiger son rapport, a préféré prendre le large : peut-être a-t-il craint d'être rémunéré en monnaie de chaadi.

" Des cages, à poules, pour ne pas dire le mot, n'est-ce pas, des bergeries alter ego de celles vues déjà à Oran, aux cités Mimosas, des Troènes, de Gambetta où, de surcroît, tout ce qui concerne le sanitaire, la robinetterie, la canalisation et même l'exutoire... naturel est à remplacer depuis longtemps déjà. " A remplacer! Pourquoi, puisque la rue est là, toute proche, " ou l'on peut se, laver les.. pieds à des bornes-fontaines de création récente, sous la surveillance, combien odorante, des... sentinelles traditionnelles! ".

De l'oeuvre grandiose que vous avez dû abandonner, il ne restera, bientôt plus que des décombres.... à l'aide de quoi on élèvera des bidonvilles de style moderne!

François RIOLAND. L'Echo de l'Oranie n° 90 de juillet-août 1973

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