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Stora

Écrit par Gérard Crespo. Associe a la categorie Constantinois

Une localité italienne de l'est algérien au XIX° siècle

Officiellement Stora est occupée par le maréchal Valée le 8 octobre 1838. En réalité l'expédition avait été préparée par le général Négrier qui, le 10 avril, avait effectué une reconnaissance topographique et géodésique et avait repoussé une attaque des tribus environnantes conduites par un certain Ben Ba Ahmed.

Pourquoi occuper Stora ? « L'occupation de la rade de Stora me paraissait depuis longtemps le seul moyen de consolider notre établissement à Constantine » déclare le Maréchal Valée dans un courrier adressé au ministre de la Guerre.

Situé à une lieue de l'antique Rusicade, le site de Stora est connu depuis l'Antiquité. Les Phéniciens, qui en furent les premiers occupants, le dédièrent à Vénus et lui donnèrent le nom d'Astarte ou d'Astoreh. Les Romains laissèrent des traces abondantes de leur passage, puisque deux citernes alimentaient encore en eau la population au XIXe siècle, et d'autres citernes servirent d'assises aux maisons du XIXe et du XXe siècle. Lors de l'arrivée des Français existaient encore les vestiges de l'administration de l'Annone qui était l'impôt agricole en nature payé par les provinces africaines à Rome. Au Moyen Age, le géographe arabe Edrisi cite Mers Estora. Plus tard les bateaux des marchands gênois qui venaient mouiller dans la rade étaient si nombreux que Stora fut appelé le Port Génois. Mais durant la période turque, l'insécurité ralentit les allées et retours des bateaux italiens le long des côtes algériennes. Juste avant la conquête, alors que les relations diplomatiques entre la Régence et le Royaume de Naples d'une part et le Royaume de Piémont d'autre part se normalisent, bateaux sardes, napolitains mais aussi toscans et romains viennent nombreux pécher sur le littoral surtout à l'est d'Alger. Au lendemain de l'expédition française ce mouvement s'accélère. Parallèlement à l'occupation de Stora, le maréchal Valée fait construire un certain nombre de fortifications entre la rade et Rusicade qu'il propose de nommer Philippeville. Mais sa lettre du 16 novembre 1838 au ministre de la Guerre est claire : « les études que j'ai fait faire sur la nature du mouillage et sur la possibilité de fermer complètement le port de Stora ont donné la certitude qu'avec peu de dépenses ce port deviendrait le plus sûr de la côte ; « on pourrait » commencer l'été prochain à construire sur le rivage les bâtiments nécessaires pour les magasins de la Marine. A Stora aucun établissement particulier ne sera créé. Les négociants devront avoir leurs maisons à Philippeville. »

Stora1 PhotoNB Stora FleuveStora semblait être condamnée à n'abriter aucun habitant. Les premiers occupants de la localité furent un dessinateur polonais, huit ouvriers d'art et leurs épouses et enfants - affectés au service du Génie. Mais la possibilité de mouiller dans la rade, le fait que le site était connu des pécheurs depuis avant la conquête, la quête de nouveaux bancs de coraux par des marins de Naples, de Sardaigne et d'Elbe sont autant d'éléments qui contribuèrent au succès maritime de Stora. Toutefois ces pêcheurs gardent leurs habitudes d'avant 1830; ils viennent pendant la saison favorable, s'installent temporairement sur le littoral ; ils transportent avec eux le matériel de pêche mais aussi ce qui est indispensable à leur alimentation et, la saison terminée, ils rentrent avec le produit intégral de leur pêche. Migrants saisonniers, ils n'apportent rien à l'Algérie et sont très mal vus par l'Administration française qui les considère comme des parasites. II est vraisemblable que ces pêcheurs dormaient dans leurs barques ou dans des cabanes qualifiées par les fonctionnaires français de gourbis. Pourtant quelques-uns décidèrent de se fixer dans les années 1840-1850, la croissance de Philippeville (1000 habitants en 1840 dont un quart d'étrangers) permettant d'écouler la production.

Un témoin a rapporté que les premiers occupants qui décidèrent de se fixer furent un Sicilien, Amodeo, et ses trois fils, des familles sardes, quelques Corses et des Maltais. Amodeo aurait été, toujours selon ce témoignage un des premiers à construire une baraque qui aurait servi aux salaisons. L'anecdote est intéressante car j'ai retrouvé dans les Archives un Amodeo propriétaire d'une usine sardinière, beaucoup plus tard dans les années 1880, qui était signalé Génois. Enchevêtrement de la Mémoire et de l'Histoire !

Stora accueille de plus en plus de pécheurs à tel point que l'administration décide la création du centre le 31 janvier 1848. Migration essentiellement masculine, épouses et enfants viennent plus tard lorsqu'on considère que le site est favorable pour une installation durable. En 1851 on décompte 316 habitants originaires surtout du golfe de Naples (Procida, Ischia, Torre del Greco), le centre se développe rapidement :866 habitants en 1861, - il semble qu'il ait accueilli des émigrants de la côte adriatique -, 1030 en 1867, 1159 en 1877. Le faible accroissement dans la décennie 1867-1877 est aisément explicable, puisque cette époque correspond avec la mise en service du port de Philippeville qui portera un coup fatal à la croissance de Stora.

La vie économique tourne presque exclusivement autour de la pêche et de ses dérivés, salaisons ou conserveries. Les Italiens ont le monopole de ce secteur dans l'Est algérien. Aussi jusqu'en 1886 date des premières mesures législatives visant à briser ce monopole, la quasi totalité des pêcheurs et des habitants de Stora sont italiens.

Entre 1840 et 1870, Stora est le port de Philippeville. D'ailleurs dans les premières années de l'installation il y a parfois confusion des noms des localités dans les rapports militaires. Les marchandises étaient débarquées à Stora puis transportées par route à Philippeville :une lieue de trajet cahotant ! Pourtant le mouillage à Stora présentait des inconvénients par gros temps; ainsi en janvier 1841 sur 41 navires qui étaient en rade à Stora, une tempête jeta 28 d'entre eux sur la côte ; on ne sut jamais exactement le nombre des disparus, mais sur un seul bateau, La Marne, 53 hommes périrent.

En 1843, un brick et un trois-mâts s'écrasèrent sur les rochers ; tous les marins, sauf le capitaine et le second du trois-mâts, furent noyés. En 1845, 22 navires furent détruits. Les conditions de vie des pécheurs étaient donc rudes et rares étaient les
sorties l'hiver.

Stora2 tableau NB femme face au portHuit à neuf mois par an les pêcheurs italiens de Stora pratiquaient la pêche au lamparo pour capturer allaches, sardines, maquereaux, anchois et bonites la pêche au palangre pour les rascasses, les sars et les mérous, la pêche au trémail pour les daurades et rougets, la pêche au chalut pour les crevettes et les poissons de fond. L'hiver, les pécheurs allaient s'employer comme dockers à Philippeville où on avait établi un débarcadère en bois pour pallier les difficultés du débarquement à Stora.

Un nouveau désastre maritime en 1854 incita les autorités à envisager la construction d'un port à Philippeville. Une commission en approuva le principe en 1857, mais le programme définitif ne fut arrêté que le 11 avril 1860 les travaux se poursuivirent durant la décennie 1860 -1870, et le nouveau port ne fut vraiment opérationnel qu'en 1872.

Les jours de Stora semblent donc comptés. Mais à une époque où les mentalités vivent au jour le jour, où l'on se soucie davantage du profit du jour même que d'un avenir lointain, par opposition à un passé récent où l'on connaissait la misère, la perspective de l'aménagement de ce qui deviendra le premier port de pêche de l'Algérie, et ce jusqu'en 1950, n'empêche pas les émigrants de s'installer à Stora. En 1877, ils sont, nous le rappelons, 1 159 habitants majoritairement italiens qui côtoient quelques Français (surtout Corses) et quelques Maltais. En 1877, le maire, son adjoint et au moins trois conseillers municipaux sont italiens ou d'origine ; 5 cabaretiers sur 7, 1 boulanger sur les 2 du village, sont italiens. Sur la route de Philippeville à Stora ont été construites des usines de conserves et de salaisons où propriétaires et ouvriers italiens apportent leurs compétences et leur savoir-faire; les produits sont exportés vers le Sud de l'Europe, Grèce, Portugal, Italie.

Mais la population de Stora stagne, le port de Philippeville s'accroît et Stora ne peut supporter la concurrence. L'économie doit se diversifier si la localité veut survivre. Ainsi par un courrier du 27 novembre 1874 le préfet de Constantine demande au Gouverneur Général « la remise au service de la colonisation d'une partie du territoire situé au-dessus du village de Stora pour être attribué à plusieurs familles de ce centre qui lui ont adressé des demandes de terre. »

A l'appui de cette proposition, le Préfet fait remarquer que « le mouvement commercial qui animait autrefois Stora et faisait vivre sa population s'est transporté à Philippeville... Réduites à vivre aujourd'hui du produit de la pêche certaines familles de Stora sont sur le point d'abandonner cette localité pour chercher ailleurs les moyens de subvenir à leurs besoins. » Un autre arrêté d'expropriation de terres sera pris en 1887. Ces mesures contribuant à l'agrandissement du territoire de la commune de Stora permettront donc de fixer des habitants. Mais il ne faut pas le cacher, à partir des années 1880, Stora vit dans l'ombre de Philippeville.

Qu'en est-il de la communauté italienne ?

Les années 1880 constituent un tournant dans le sens où un certain nombre de mesures législatives la contraignent à demander la naturalisation française. En 1884 toute représentation dans les conseils municipaux de la colonie est enlevée aux étrangers ; en 1886 le traité de libre échange entre la France et l'Italie est dénoncé par la France ;les pécheurs saisonniers ne peuvent plus se déplacer librement entre la péninsule et la côte africaine ; en même temps la France impose qu'un quart de l'équipage d'un bateau soit français; en 1888 ce sont les capitaines d'équipage qui doivent être français; en 1889 c'est la loi de naturalisation. Les Italiens de Stora, comme ceux de Bougie, de Collo ou d'ailleurs acceptent majoritairement de devenir Français, le retour en Italie semblant absolument impossible. Mais les traditions demeureront jusqu'à la veille de l'indépendance.

Les Italiens de Stora sont devenus Français, mais lorsqu'on regarde la composition du conseil municipal de la ville en 1894 et si
on ne sait pas que Stora était une localité de l'Algérie française, on serait enclin à penser que la ville serait située quelque part sur la botte; qu'on en juge plutôt : Cauro, Arata, Aprea, Buonacore, Miglio, Mauzo, Scotto di Vetimo, Stizi. (Pour être tout à fait honnête et compléter la composition de ce conseil municipal, il convient de citer les sieurs Abdelal, Ahmed ben Taïeb, El Haoussine ben Ahmed et Barluet).

Gérard CRESPO

Sources et bibliographie.

Gilbert Attard : Philippeville, ses souvenirs, tome 3, les premiers jours de Philippeville, Bordeaux, 1983.
Gérard Crespo : Les Italiens en Algérie, 1830-1960, histoire et sociologie d'une migration. Edit. Gandini 1994.
Marcel Gori : Philippeville, Imp. de Frontignan, 1983.
Emile Lederman: Philippeville et ses environs, Edt. du Syndicat d'initiative, Philippeville, 1935.
Gaston Loth : Le peuplement italien en Algérie et en Tunisie, A. Colin, 1905.
Bernard Sasso : Contes et récits d'un village d'Algérie (Stora) Edit. Michel Moutet / Bernard Sasso, Régusse, 1980.
Edouard Solal : Philippeville et sa région, Edit. de la maison des Livres d'Alger, 1950.
H. Zanetecci : Les pêcheurs italiens du golfe de Philippeville.
Aux A.N.O.M. d'Aix-en-Provence surtout la Série L : 22L65, 24L168, 24L276, 144 et F80 1549 et 1550 Ports d'Algérie F80 1559 Pêche.

In l’Algérianiste n° 80 de décembre 1997

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