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Constantine, le Rhumel et ses gorges

Écrit par Jean Bayol. Associe a la categorie Constantinois

Tous ceux qui, géologues, archéologues, géographes..., ont exploré les gorges du Rhumel, durant la période contemporaine, se sont efforcés de percer le secret des origines de cet étrange phénomène topographique.

Les gorges qui cernent la ville de Constantine sur ses limites orientales, ne sont pas des gorges ordinaires. D'abord par leur importance, leur profondeur, leur aspect particulier, elles sont uniques au monde. Elles confèrent son originalité à Constantine, dont l'histoire est étroitement liée à celle du Rhumel et conditionnée par elle.

Jusqu'à la fin de l'ère tertiaire, le Rhumel coulait directement depuis le Polygone, par la vallée du Hal el Mardj et de l'oued Mellah, jusqu'au pont d'Aumale. Au Polygone il recevait le Bou Merzoug qui, devant la face sud du rocher, s'élargissait en nappe lacustre. (Voir le plan ci-dessous.)

 


A la fin du tertiaire, le niveau de la Méditerranée s'abaissa. Simultanément le rocher de Constantine, redressé par le plissement alpin et fissuré en maints endroits, fut creusé plus activement, en surface, par un torrent, l'Ain El Areb (grossi du Chabet Sfa) descendant 'du Djebel Ouâch et coulant dans la direction Nord-Sud, pour se jeter dans la nappe lacustre du Bou-Merzoug, souterrainement par les infiltrations des eaux de ce même torrent.

Ce double travail d'érosion explique le profil actuel des gorges qui, à mi-hauteur, comporte un palier si bien taillé sur toute leur longueur qu'on a pu y établir, sur la rive droite, le fameux « Chemin des touristes » et sur la rive gauche, des cultures en terrasse (tomates et chrysanthèmes), près des habitations troglodytes situées entre la médersa et le pont dit « d'El Kantara ».

Le redressement du rocher de Constantine eut encore un deuxième effet d'une importance capitale : la grande faille de coupure le long de toute la face nord du rocher se prolongeait en direction du Polygone et le dénivellement qui en résultait suffit pour couper, à cet endroit, l'ancien cours du Rhumel, de sorte que le fleuve, capté par son affluent, le Bou-Merzoug, vint se jeter, conjointement avec ce dernier, dans le lac baignant l'extrémité sud du rocher, ainsi que dans le défilé souterrain formé par les infiltrations de l'Ain El Areb dans le rocher lui-même.

Au début de l'ère quaternaire — peut-être plus récemment — un effondrement, accompagné de jaillissement d'eaux chaudes venues d'une profondeur de plusieurs milliers de mètres, élargit la sortie des gorges en amont de la grande cascade. Cet événement explique, à cet endroit, la verticalité des falaises que l'érosion n'a pas encore entamées. L'une des roches surplombantes est devenue, pour cette raison, la « roche tarpéienne » des tyrans de Constantine, le fameux « Kef Ch'Kora » (le rocher du sac) d'où l'on précipitait les condamnés à mort.

La durée de l'épopée géologique des gorges peut être évaluée à plus d'une centaine de millénaires. Ce labeur titanesque de la nature devait avoir pour les destinées des futurs habitants du site constantinois, une importance capitale.

Le ravitaillement en eau était un problème vital. Les Français l'ont résolu par l'adduction des eaux de Sidi Mabrouk, de Fesguia et surtout du Djebel Ouâch où furent créés des lacs réservoirs. Les conduites aboutissent à l'ancien siphon romain — restauré — situé au-dessous du pont d'El-Kantara.

 

Constantine. —' La mosquée et le pont de Sidi-Rached, le pont du Diable
et l'entrée des gorges du Rhumel.


D'autre part, en 1920, les eaux du Rhumel ont été, utilisées à la production d'énergie électrique, grâce à la construction d'un barrage en aval de Sidi Rached. De là, elles ont été amenées, par un tunnel foré en diagonale à travers le rocher, puis par une conduite forcée jusqu'à l'usine hydroélectrique construite près du pont des chutes.

Le forage de ce canal avait nécessité des calculs d'orientation assez délicats, qui furent cependant si bien établis que l'erreur de déviation sur plus d'un kilomètre de parcours fut inférieure à un mètre. L'usine permettait de produire 1 700 000 kilowatts-heure pour l'éclairage et 700 000 pour la force motrice.

Du ténébreux abîme des gorges, le génie de l'homme moderne tirait lumière et puissance.
Mais le bon vieux Rhumel ne s'est pas prêté de bonne grâce à cet asservissement. Son élan était brisé et, sauf en temps de grande crue, ses eaux ne passent plus au-dessus du barrage, de sorte que la cascade près du pont des Chutes est, en temps normal, uniquement alimentée 'par les sources 'de l'intérieur des gorges.

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Enfin, ce Rhumel, de plus en plus obstrué, pourrait, un jour reprendre son cours primitif en se détournant au Polygone vers le nord à la suite d'une nouvelle captation amorcée dans la direction de son lit primitif. Ces travaux n'ont pas eu le temps de se réaliser. Comme le dit Paul Valéry :

« Les travaux des hommes opposent aux figures de chute et d'écroulement de la nature géologique la volonté contraire d'édification, le travail volontaire et comme rebelle de notre race. »

(A suivre.)

Jean BAYOL.
Illustrations de l'auteur.

In l’Algérianiste n° 25 de mars 1984

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