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Le Ruisseau

Écrit par Eva Fournier. Associe a la categorie Algérois


Je suis née au Ruisseau., banlieue est d'Alger, mon père aussi. Il a suivi les cours de l'école de garçons de la rue Mirabeau (directeur M. Scheffer), je suis allée à l'école maternelle puis à l'école de filles de cette même rue (directrice Mme Chartier).
C'est en mai que ma famille paternelle s'est installée dans ce quartier. Mes grands-parents s'étaient mariés au Champ-de-Manœuvre en l'égli­se Saint-Bonaventure le 8 novembre 1879. Au Ruisseau, ils ont eu onze enfants, sept ont atteint l'âge adifte (quatre garçons et trois filles).


En 1930 six ans après ma naissance, le Ruisseau est encore un village où tout le monde se connaît, situé entre le Jardin d'Essai et Kouba dans le sens ouest-est et entre Hussein-Dey et le Ravin de la Femme Sauvage dans le sens nord-sud. Deux grandes rues s'y croisent, la rue de Lyon qui naît au Champ-de-Manœuvre et la rue Polignac qui arrive d'Hussein-Dey.

Qui se souvient encore des C.F.R.A.  bruyants  mais   si  pratiques; une motrice, deux   jardinières ou wagons,tels étaient les trams. Les jardinières avaient bien un toit pour abriter du soleil mais à mi-hauteur rien n'était protégé, lorsqu’il pleuvait les places assises se vidaient et les passagers se tassaient loin des bords pour échapper à l'averse.
Lorsque le tram arrivait la motrice était dételée, wattman et receveur descendaient pour basculer le trolley et grâce aux aiguillages le convoi pouvait repartir vers Alger. Les rails allaient jusqu'à Kouba, à certaines heures le tram délesté d'une ou deux jardinières s'y rendait. Les trams se sont modernisés un peu avant 1939, leurs manœuvres en furent simplifiées. Remplacés par des bus, ils disparurent au printemps 1957. J'ai entendu raconter que, bien  avant la Grande Guerre, les trams étaient tirés par des chevaux.


La rue de Lyon (doc. éd. Gandini, Jean-Charles Humbert,
Alger de ma jeunesse - 1945-1962, tome II)


Rue Polignac se trouvait l'imprimerie des billets de la Banque de l'Algérie, face aux abattoirs de la ville d'Alger qui, eux dépendaient d'Hussein-Dey. Je revois, y arrivant des troupeaux de moutons, menés par des bergers.

Tout près de la Banque de l'Algérie, la paroisse Sainte-Monique Saint-Jean-Bosco qui a été ouverte au culte après 1921. L'église n'est qu'un grand local tout simple ; grâce à la générosité d'industriels et de paroissiens elle a été dotée d'une cloche aux environs de 1937. La cloche porte le nom de ses deux marraines Marthe et Elisabeth. Elle n'a jamais été dans n clocher mais était suspen­due à un échafauda­ge de bois. C'est en organisant chaque année une kermesse que les paroissiens ont fait construire le presbytère où logèrent le père Lecoq, sa maman et sa sœur, ils étaient Bretons et la maman du père Lecoq était restée fidèle à sa coiffe régionale. Plus tard, toujours grâce aux résultats des ker­messes, fut commencée l'église qui devait remplacer le premier bâti­ment, seule la nef fut achevée et consacrée.

Un peu plus loin le chemin Vauban coupe la rue Polignac. À ce croise­ment la Société Alfred Borgeaud et Fils commercialise lièges et peaux. Chemin Vauban, on trouve en allant vers l'est une ou deux tanneries, à l'opposé une tonnellerie.
J'ai aussi en mémoire une voie sans issue où était un lavoir public, elle passait derrière les écoles. En 1930 la classe de CE 1 donne sur ce lavoir, des femmes y font leur lessive.
Au carrefour des rues de Lyon et Polignac une maison à un étage, der­rière, une grande et large cour avec des hangars ; dans l'un d'eux, deux énormes locomobiles marchant à la vapeur, sous leur chaudière elles ont chacune un très gros treuil où s'enroule un câble de fort diamètre. Tout comme la maison et la cour elles appartiennent à mon père et à ses frères.

Dans la cour se trouvent les deux charrues à bascule et les trois roulottes (dortoir, cantine, réparation) qu'utilise l'entreprise quand, de mai à octobre, hommes et matériel s'en vont pour effectuer à la demande des agriculteurs labours et défoncements dans un rayon de 50 à 60 km autour d'Alger.
D'autres hangars abritent une fabrique de cristaux de soude utilisés pour les gros nettoyages. Ces cristaux sont aussi broyés en une fine poussière puis moulés en boules de la taille d'une balle de tennis et emballés en papillote, on appelle cela des « boules de neige », elles sont utilisées pour la lessive. Le travail de moulage et d'emballage est effectué par des femmes européennes.
Toujours dans cette cour, un forgeron et un plombier, ce sont des artisans qui travaillent durement. Je n'oublie pas les deux grands mûriers qui attirent les écoliers en quête de leur feuillage pour nourrir les vers à soie que l'enseignant leur fait étudier à l'école.

Frappée d'alignement la maison fut démolie en 1946 ou 1947. Mon père, ses frères, ses sœurs et quelques-uns de leurs descendants y étaient nés. Avant sa démolition, en plus des propriétaires, trois locataires occu­paient des locaux donnant sur la rue de Lyon et le Ravin de la Femme-Sauvage :
-  Tout en bas, la gargote de Méziane; il fallait descendre une marche pour y pénétrer, la cuisine se faisait sous l'œil du client, sur le comptoir de faïences disjointes on voyait de grands plats en émail remplis de sar­dines frites rangées en étoile ou de poivrons frits, des bols et des cuvettes émaillés aussi remplis de couscous et de sauce (marga) avec légumes, pois chiches, quelques morceaux de viande de mouton. Certains jours s'alignaient des têtes de moutons grillées (bouzdoufe).
- Au-dessus un café maure tenu par Ben Karl on n'y sert pas d'alcool, on boit du thé, du café, de la limonade,  on joue aux dominos, seuls les hommes le fré­quentent.
-  À côté une petite épicerie   est   tenue par Youssef.
Sur le même plan que le café maure et l'épicerie et s'ou­vrant sur la cour, un logement (deux pièces et une cuisi­ne) où je vis avec mes parents de 1926 à   1929.   Au-dessus    demeurent les trois frères de mon père avec leur famille. Par le Ravin de la Femme-Sauvage passaient les taxis grand tourisme menant, vers Blidah et le Ruisseau des Singes, les touristes de l'époque, la plupart anglo-saxons. Ces voyageurs, nommes et femmes dont le bateau de croi­sière avait fait escale à Alger étaient généralement vêtus de blanc et por­taient large chapeau, parfois même casque colonial. Un des angles du carrefour fut aménagé en place publique. J'ai connu à cet emplacement une vieille maison à un étage, au rez-de-chaussée, il y avait quelques modestes boutiques (certaines s'éclairaient encore à la lampe à pétrole). Elle fut démolie avant 1930.
Pendant des années on verra sur cet emplacement des joueurs de boules, de temps en temps un petit cirque y montera son chapiteau, sans oublier la fête annuelle avec ses baraques foraines, ses manèges, pas encore d'autos tamponneuses mais des tonneaux ou bacs tamponneurs retenus par une chaîne au centre de la piste et bien sûr le bal (on danse sur la terre). La fête qui dure du samedi au dimanche commence par une retraite aux flambeaux qu'accompagne la fanfare.


Emile Claro, "L'épicerie Michel",
huile sur toile (coll. part.).

Après 1930, rue de Lyon, direction Alger, le quartier change. Sur la droi­te à la place d'un ancien bâtiment qui abritait une forge d'où sortirent les grilles d'un grand lycée s'élève un immeuble de cinq ou six étages. Tout à côté se construisent les premières HBM (habitations à bon marché), les anciens craignent de perdre leur tranquillité en voyant arriver ces nou­veaux voisins (on doit y reloger les habitants du quartier de la Marine qui est en voie de démolition).

À la rentrée les écoles sont saturées, plus de cinquante élèves par classe et ça se passe bien cependant. On entreprend alors la construction des écoles de la rue de la Corderie près desquelles vont s'élever de nouveaux immeubles des HLM (habitations à loyer modéré).

HBM et HLM ont ainsi pris la place d'anciens jardins maraîchers. En face se trouve la grande villa du docteur Bourkaïb ; un autre médecin, le doc­teur Roffo est installé rue Polignac, quelques années après mais, toujours avant 1939, le docteur Lévy ouvrira son cabinet.

Après les HBM, l'École pratique de commerce et d'industrie, elle, n'est fréquentée que par des garçons, c'est un internat; il y a aussi des externes.

Jouxtant l'École Pratique, Lebon qui deviendra Électricité et Gaz d'Algérie (EGA), ses tas de charbon et de coke, son pont transbordeur et surtout ses gazomètres ; le pays n'a pas encore découvert ses richesses pétrolières et c'est par distillation de la houille qu'on obtient le gaz dis­tribué et utilisé en ville.
Après EGA la rue Hélène-Boucher, elle mène vers d'autres immeubles et un dispensaire tenu par des religieuses. Puis, mitoyens du Jardin d'Essai, le stade municipal et les piscines municipales elles aussi.
Face à la grande entrée du Jardin d'Essai, le musée national des Beaux-
Arts, un peu plus haut la villa Abd-el-Tif, en revenant vers l'est l'institut Pasteur et à flanc de colline le quartier Montfleury.


Musée national des Beaux-Arts (Jean-Charles Humbert,
Alger de ma jeunesse - 1945-1962, éd. Gandini)


De 1929 à 1963 mes parents vont habiter rue Montfleury; c'est un ensemble de villas (on ne dit pas pavillon) et de petits immeubles dont les propriétaires ou locataires sont de toutes confessions et il n'y a pas d'animosité. Les hommes sont des artisans, des commerçants, travaillent en usine, dans des bureaux ou dans des administrations ; peu de femmes ont une activité extérieure, ce sont des mères au foyer. Les enfants sont nombreux chez les musulmanes qui demandent aux autres femmes com­ment elles font pour limiter les naissances.
De la villa où nous demeurons nous avons vue sur une partie du stade, des piscines et du quart nord-est du Jardin d'Essai. Nous apercevons la pointe du môle du port de l'Agha et la Méditerranée. Les travaux du stade municipal ont commencé en 1929 ou 1930 à l'em­placement de jardins maraîchers; il était à la fois stade et vélodrome. Il a servi à de nombreuses réunions qui n'étaient pas toujours sportives. En 1936, s'y rassemblaient de multiples manifestants :
-  les uns drapeaux rouges en tète levaient le poing, chantaient l'Internationale et certains d'entre eux scandaient « les serviettes partout » ; l'URSS était loin et « soviets » ils ne connaissaient pas ;
-  les autres levaient la main et on entendait le Chant du Départ et la Marseillaise.

En 1939 grande démonstration de gymnastique rythmique par les écoles d'Alger pour le 150e anniversaire de la Révolution française.

Aucun parking n'avait été prévu près ou autour du stade. Les jours de grands matchs, quand s'affrontaient Gallia, R.U.A., Mouloudia et j'en oublie, les véhicules se garaient n'importe où et n'importe comment au grand dam des riverains.

Dans les écoles de garçons les petits musulmans sont nombreux; chez les filles, à partir du CM1 les petites musulmanes disparaissent, les parents les gardent à la maison, elles ne sortent plus seules et sont voilées.
Il y a un cinéma au Ruisseau, le Stella, il est dans la rue menant aux écoles, rue où longtemps s'installa le marché quotidien avec ses étals de poissons, de volailles, de fruits, de légumes, il y a un petit marché cou­vert où se trouvent charcuterie et épicerie. Dans cette même rue, une lai­terie ; on entend meugler les vaches logées dans le bâtiment arrière où se trouve aussi, mais donnant sur une ruelle, un maréchal-ferrant.


Rue Polignac, des petits commerces, des boutiques plutôt :
- une épicerie où les enfants aiment bien aller, on y vend des bonbons de toutes sortes (il n'y a pas encore de chewing-gum).
- un bazar, celui de Mme Louis (on dit la mère Louis), logique puisque quel que soit l'âge du client, elle accueille toujours par un « bonjour mon fils ou ma fille ». La mère Louis vend des fournitures scolaires, de la mer­cerie et peut-être même un peu de bonneterie. Entre 13 heures et 13 h30 elle se tient assise à droite de la boutique derrière son comptoir, ayant à portée de mains, cahiers divers, crayons, gommes, plumes, bâtons de craie (1 sou le bâton de craie blanche, 2 sous le bâton de craie de couleur).
À cette heure-là, il ne faut pas qu'une écolière en panne de fil rouge pour la marquette (abécédaire sur canevas) du cours de couture vienne lui demander un écheveau de fil, la réponse tonne « non, pas maintenant ma fille, reviens ce soir », pourquoi ? Parce qu'il lui aurait fallu se lever, faire le tour du comptoir pour atteindre le côté mercerie, c'était dur... Combien pesait-elle ? Sûrement beaucoup.
-  une matelassière, elle se rend à domicile pour refaire les matelas de laine ou de crin mais elle travaille aussi dans sa cour et on l'y voit manœuvrant avec vigueur la cardeuse dont les griffes redonnent volume à la laine pendant que sèchent les toiles fraîchement lavées.
D'autres commerces :
- une mercerie-bonneterie plus importante;
- plusieurs coiffeurs pour hommes, un salon de coiffure pour femmes ouvrira en 1930 ou 1932;
- deux ou trois boulangeries (les boulangers sont presque toujours d'ori­gine espagnole) on les entend parler leur langue avec les clients de même origine ;
- des boucheries tenues par des musulmans, les carcasses des bœufs et des moutons restent pendues à des crochets et à terre il y a de la sciure pour éponger le sang qui s'égoutte, cependant ils ont de grands réfrigé­rateurs fermés par de grosses portes de bois.
- des épiceries nombreuses et parmi elles, celles des Mozabites (on dit les Moutchous).
Comment décrire ces épiceries mozabites bien ordonnées tout en parais­sant fouillis? Au milieu un grand comptoir dont la partie haute vitrée abrite beurre et fromages, en contrebas de cette vitrine, ouverte mais abritées des mouches par une plaque de verre quelques boîtes de gâteaux secs vendus au détail, un peu plus bas, au sol s'alignent les sacs de couscous, de semoule, de riz, de légumes secs.
Au fond du magasin, sortant de la cloison qui le sépare de l'arrière-boutique deux ou trois robinets sous lesquels le mozabite place les mesures de 1/2 ou 1/4 de litre pour verser dans la bouteille du client l'huile d'oli­ve ou d'arachide demandée.

Sucre en poudre et sucre en morceaux sont vendus au détail mais il y a aussi des boîtes et des pains de sucre sur des étagères; il en est de même pour le sel, le café en grains, vert ou torréfié. À la demande, le café tor­réfié peut être moulu sur place dans un gros moulin actionné à la main.

Sur d'autres rayons on trouve des gros cubes de savon de Marseille, des bouteilles d'eau de Javel, des boîtes de lait condensé, de confitures, de légumes divers, de poissons (sardines et thon). À terre des petits barils de harengs secs et d'anchois au sel voisinent avec de la morue sèche et salée sur une planche.

Ces commerces sont un kaléidoscope de couleurs et d'odeurs.
Le mozabite est vêtu d'une blouse grise type cache-poussière et porte sur la tête une calotte blanche. Pour emballer la marchandise vendue au détail il utilise du papier gris; il reçoit avec le sourire mais dès l'entrée le client est prévenu : au-dessus de la caisse un écriteau « Au comptant tou­jours content, à crédit pas un radis ». Très commerçant, il n'oublie pas si la cliente est accompagnée d'un enfant de lui donner bonbon ou image et même beaucoup plus tard, pendant les événements, une mini-auto récla­me en plastique.

Quotidiens locaux (L'Écho, la Dépêche, Alger républicain) et quelques petits journaux sont vendus dans des bureaux de tabac tenus par des commer­çants de toutes confessions.

Des pharmacies il y en eut une, puis deux, puis trois; je revois une dro­guerie, une quincaillerie et 4 ou 5 cafés européens où on sert des boissons alcoolisées.

Rue de Lyon se trouve une poterie, l'argile est livrée en gros parallélépi­pèdes qui sont transformés en pots et tuiles. En allant sur Kouba une autre poterie beaucoup plus grande a, sur place, sa carrière d'argile. Au fil des années le quartier se modifie, évolue. Septembre 1939, mobilisa­tion générale, la France entre en guerre, tous les hommes en âge de l'être sont appelés sous les drapeaux même ceux qui l'ont été en 1914-1918. En 1940 certains regagnent leur foyer, nombreux sont prisonniers en Allemagne. D'autres, hélas ! ne reviendront plus.
Par la radio nous sommes au courant de ce qui se passe en France : bom­bardements, débâcle, exode, sans tenir compte de nos mobilisés, nous y avons presque tous de la famille et les lettres se font rares.

Quand en 1940 l'Italie entre dans les hostilités, à Alger on creuse des tranchées dans les terrains vagues afin que les civils puissent trouver abri en cas de bombardements.
En deux fois, en plein jour, les sirènes retentissent, nous ne voyons et n'entendons rien, une heure après elles retentissent à nouveau pour signaler la fin d'alerte.

Juin 1940, la guerre ne modifie pas les dates d'examen, les candidats sont informés que les épreuves ne se dérouleront pas à Alger mais en péri­phérie et on leur communique le nom des lieux où ils doivent se rendre pour composer. C'est dans une école maternelle au Vieux-Kouba que je passe le brevet. Tables et sièges ne sont pas à nos tailles et nous mettons nos jambes entre les rangées. Pour l'épreuve d'histoire-géographie un seul nom « l'Alsace », sans grandes connaissances on pouvait faire du texte.

De 1940 à 1942, toute la population participe à des quêtes, à des ker­messes pour venir en aide (Secours National) à nos compatriotes de métropole qui ont beaucoup souffert et beaucoup perdu.
Il n'y a plus d'essence donc plus de circulation, on commence à voir des gazogènes et on roule à vélo. On peut sortir d'Alger et aller sur les plages ou en campagne mais une épidémie (typhus ou typhoïde) se déclare, il faut un laissez-passer pour sortir de la ville. Nous sommes une dizaine de jeunes entre 15 et 20 ans et projetons d'aller à vélo nous baigner à Alger-Plage; les gendarmes nous arrêtent à Fort-de-1'Eau; nous sommes obligés de faire demi-tour, nous n'avons pas l'autorisation nécessaire.



Comment vivait-on au Ruisseau avant 1939?

En 1930, le soir on entendait grenouilles et crapauds dans les jardins maraîchers. Il y avait peu de circulation, les rues étaient éclairées au gaz, les ordures ménagères ramassées à dos-d'âne, les barres de glace livrées sur des chariots tirés par des chevaux.
Les réfrigérateurs étaient rares pour ne pas dire inexistants, certains avaient une glacière et pour beaucoup d'autres il n'y avait que la gar­goulette qui tenait l'eau au frais sans oublier les bouteilles entourées de linge humide et placées à l'ombre dans un espace où filait un petit cou­rant d'air.
Les boulangers acceptaient, contre quelques sous, de faire cuire plats et pâtisseries, pour Pâques : mounas, montecaos et pour l'Aïd Kebir les pla­teaux de petits gâteaux que les gamines portaient sur leur tête.
Les femmes de toutes confessions et de toutes origines étaient très sen­sibles aux coutumes correspondant aux événements familiaux (naissan­ce, baptême, mariage) et elles n'oubliaient pas de s'offrir les pâtisseries traditionnelles.

Les « Roumis » râlaient lorsque la nuit ils étaient réveillés par les « youyous » des femmes et les coups de fusil célébrant les mariages.
Mais il faut aussi parler des enterrements qui n'étaient suivis que par les hommes chez les musulmans, des hommes européens suivaient le cortè­ge lorsqu'ils connaissaient le défunt ou sa famille et réciproquement les musulmans en faisaient autant.
 

Lorsque la sécheresse régnait dans les terres, on voyait passer rue de Lyon des groupes d'hommes se rendant au cimetière du Marabout, ils portaient des drapeaux colorés et chantaient en s'accompagnant de tam­bours larges et plats à une peau pour implorer la pluie.

Que voyait-on encore dans les rues de ce quartier, comme dans tous les autres d'ailleurs ?
- Galoufa avec son grand fouet à lacet, il capturait les chiens errants et les enfermait dans des cages grillagées fixées sur le plateau d'un petit véhi­cule.
- Le marchand d'habits, il parcourait les rues avec un sac de jute sur l'épaule en criant « zabi.. .zabi » ; il achetait à tous des vêtements qui n'al­laient ou ne convenaient plus et les revendait. C'était la terreur des enfants menacés par leur mère « Si tu n'es pas sage, je te donne au marchand
d'habits et il te mettra dans son sac».
- Les marchands de glace: gaufrettes ou cornets à la vanille, au chocolat, à la pis­tache.
- Les marchands de zoublis attirant  les clients avec un cla-quoir.
- Les marchandes de calentita  (flan  à  la farine      de      pois chiche).
- Les « Baba Salem » vêtus de loques, des peaux de bêtes pen­dues à la ceinture; ils     dansaient     et chantaient en agitant et faisant résonner des grosses castagnettes métal­liques.

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Pierre Faget-Germain, « L'Amirauté par temps gris », huile sur toile (coll. part.).



Eva Fournier

In «  l’Algérianiste » n° 111



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