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Alger Capitale de la France en Guerre

Écrit par Edgar Scotti. Associe a la categorie Algérois

Le port

Préambule

En septembre 1939, la mobilisation générale donne un brutal coup d'arrêt à l'activité économique de l'Algérie. De graves perturbations dans le fonctionnement des entreprises succèdent à la mobilisation. Longtemps les réservistes attendront d'être équipés militairement dans les bâtiments du port, les casernes et les vastes tonnelleries du boulevard Thiers et de la rue de Lyon.

Puis, malgré la réquisition des véhicules et des produits vivriers, en dépit des restrictions dans les déplacements et les communications, l'activité agricole, industrielle et commerciale de l'Algérie reprend et surmonte peu à peu ces difficultés. D'est en ouest, l'Algérie se mobilise pour produire.

Le port d'Alger est fermé tous les soirs par un lourd filet que manoeuvre un petit remorqueur de la Marine nationale. Sur les quais, les régiments de tirailleurs et de zouaves embarquent pour constituer en France les divisions d'infanterie nord africaine.

Après " la drôle de guerre " survient l'armistice de juin 1940 ; la Gendarmerie maritime veille sur la darse de l'Amirauté, ainsi que sur le port. Les accès en sont gardés par des marins musulmans, coiffés de la chéchia plate tunisienne.

En ville, beaucoup de femmes remplacent dans leurs emplois les hommes qui ne sont pas rentrés.

L'armistice : les années noires

En 1941, le port entre dans une longue période de léthargie. En sortant, aussitôt la passe franchie, les rares navires hissent une étamine jaune sous le drapeau national, en signe de non belligérance.

Cet état semi comateux touche aussi la natation, activité sportive très florissante naguère à Alger. Ainsi, le dimanche 6 juillet 1941, la traditionnelle traversée du port connaîtra-t-elle des restrictions mystérieuses ; l'épreuve étant cantonnée aux limites de la darse de l'amirauté, fermée par un train de chalands. Toujours très suivie du public, cette épreuve consacrera le triomphe du Racing Club de Philippeville avec l'arrivée dans l'ordre de trois de ses nageurs, Criscuolo, Benslimane et Guermèche, rejetant à la 4e place l'Algérois Bariod de l'Association Sportive de Montpensier.

Une flottille de petits voiliers de 3 m 50 - 4 mètres ose s'aventurer en rade ce dimanche, barrés par Claude Célérier, Gilbert Rando, Claude Lobrani, Pierre Sémidor et quelques autres.

L'année est surtout marquée par le retour des soldats du Liban. Le 9 octobre 1941, le paquebot, " Gouverneur Général Laferrière ", de la Compagnie de Navigation Mixte, accoste à la gare maritime avec 150 artilleurs, 130 sapeurs du génie et 100 tirailleurs algériens. Le 17 octobre, c'est le " Sidi-Brahim ", de la Société Générale des Transports Maritimes, qui débarque sur un quai voisin 250 militaires rapatriés du Moyen-Orient.

Au cours de cette année 1941, le port vit au rythme des arrivées de réfugiés venant de la zone occupée et surtout des départements de l'est. Ainsi, d'Alsace et de Lorraine, sur les traces de ceux qui les précédèrent en 1870, débarquent des familles entières. Les parents trouvent du travail dans les fermes, tandis que les enfants s'engagent dans des unités, embryons occultes d'une Armée d'Afrique qui ne demande qu'à renaître.

Il y a aussi le retour des prisonniers de guerre musulmans libérés par les Allemands et accueillis à la gare maritime par les dames de la Croix-Rouge.

Le 26 décembre 1941, le " Marigot " accoste avec 350 soldats. Il est suivi, le 26 janvier 1942, par le " Guyane " qui rapatrie 300 tirailleurs.

Le naufrage du " Lamoricière "

Le paquebot " Lamoricière ", de la Compagnie Générale Transatlantique, appareille d'Alger pour Marseille, le jeudi 8 janvier 1942, avec à son bord 120 hommes d'équipage, 272 passagers et, à la passerelle, le commandant Milliasseau assisté de M. Nougaret comme second. Une forte tempête souffle en Méditerranée, le charbon est de mauvaise qualité et le " Lamoricière " est un vieux navire. Construit en 1921 aux chantiers Richardson de Newcastle on Tyne, il jauge 4 713 tonneaux et mesure 125 mètres de long pour 17 m 50 de large.

Pris dans la tempête, le " Lamoricière " coule vendredi 9 janvier vers 12 h 40 à proximité des Baléares. Les embarcations de sauvetage mises à la mer chavirent les unes après les autres et leurs malheureux occupants sont précipités dans l'eau glacée. Cependant, les secours ne tardent pas à arriver, certains navires s'étant déroutés pour porter secours aux naufragés. Parmi ceux-ci, le " Gouverneur Général Chanzy " recueille 11 membres d'équipage et 13 passagers, le " Gouverneur Général Gueydon ", 27 marins et 24 passagers, " l'Impétueuse " parvient à embarquer 15 passagers. Après une nuit épouvantable, d'autres rescapés seront sauvés par le torpilleur " Kersaint " et le paquebot " Maréchal Lyautey ". Le remorqueur " Saint Louis ", de l'Entreprise d'Acconage et de Remorquage, s'est rendu sur les lieux du naufrage pour participer aux recherches.

Ce désastre, douloureusement ressenti à Alger comme à Marseille, fait 299 victimes dont 80 membres d'équipage à la tête desquels le commandant Milliasseau, resté à bord, et le chef mécanicien. Sur les 272 passagers embarqués, 53 survivants seulement ont été recueillis par les navires sauveteurs. Au cours de cette terrible tempête, le cargo " Jumièges " sera également perdu avec tout son équipage.

 

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Vue de la centrale thermique de la S.A.E.F
(Collection Pierre Jarrige)

 

 

 

 

I - Le port d'Alger de nouveau dans la guerre

Début novembre 1942, le vaste plan d'eau, où les plus gros navires peuvent facilement évoluer, est désert.

Cette capacité d'accueil et de réparation sera largement utilisée dès le dimanche 8 novembre 1942.

Sous le nom d'opération " Torch ", le débarquement anglo-américain a fait, selon les journaux de l'époque, 17 morts et soixante blessés à Alger. Mais c'est aussi la rupture brutale avec la métropole. La ville et le port entrent dès lors, avec le maximum d'efficacité, dans le bloc allié.

Les Américains d'abord, les Anglais ensuite, arrivent avec une flotte nombreuse de croiseurs, d'escorteurs, de transports de troupes et surtout de cargos, une " saucisse " (2) amarrée par un solide filin au mat avant.

Dès lundi 9 novembre, les avions allemands apparaissent dans le ciel d'Alger, un cargo est atteint. Durant l'attaque, les tramways s'arrêtent, leurs passagers s'abritent dans les couloirs des immeubles. Ce jour là, 9 appareils ennemis sont abattus, l'un d'eux s'écrasera en flammes dans l'embouchure de l'Harrach. La centrale électrique de la S.A.E.F, ainsi que l'hydrobase de l'Agha, occupée le 9 novembre par les Américains, sont les cibles des avions allemands.

C'est toujours le port qui est visé. Cependant, en raison de la configuration de la ville que les aviateurs allemands surnomment " le trou de la mort ", des bombes hâtivement larguées tombent souvent alentour. Les 22 et 24 novembre 1942, le dépôt des C.F.R.A. (3), rue Alfred de Musset, est atteint.

Chaque incursion d'avions allemands déclenche un barrage de feu dressé par les innombrables pièces de D.C.A. installées en front de mer, sur les boulevards et les hauts d'Alger ainsi que sur les navires à l'ancre, tel le cuirassé " H.M.S. Nelson " amarré momentanément en pointe du môle " El-Djefna ".

 

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Vue aérienne du grand môle Louis Morard,
cible privilégiée de l'aviation allemande avec l'usine thermique de la S.A.E.F
et l'hydrobase dont le plan d'eau est encombré d'épaves, visibles sur la photo.
(Collection Pierre Jarrige)

 

" Un seul but: La Victoire! "
(Général Giraud, 26 décembre 1942)

Moins d'une semaine après le débarquement, le port est au centre du dispositif allié. Alger est de nouveau dans la guerre, avec ses seules armes, ses canons légers, ses équipements camouflés dans la termitière d'El-Kettani et l'îlot de Stofila, l'ancien Péñon espagnol devenu l'Amirauté.

En réponse à l'appel du général Giraud, " Un seul but : la victoire ! ", comme en 1914 et en 1939, l'Algérie mobilise 18 % de sa population européenne en quelques jours. Plus de 30 000 jeunes gens, attendant leurs 20 ans, se retrouvent dans les chantiers de jeunesse. Ils y resteront peu de temps avant de monter au feu. Un volontariat féminin est également institué tandis que l'Armée d'Afrique renaissante est aussitôt engagée en Tunisie contre l'Axe. L'Algérie ouvre aux alliés ses ports, ses aérodromes, ses routes et ses voies ferrées. L'industrie et l'agriculture participent d'emblée à l'effort de guerre. Le port d'Alger connaît alors un essor sans précédent, jamais égalé depuis.

Les quais sont encombrés de matériel que des prisonniers de guerre, des militaires et du personnel civil transbordent sur des camions. Les capacités de grutage et de stockage sont saturées. Les cargos alliés rallient Alger en nombre malgré le harcèlement de l'aviation et des sous-marins ennemis.

 

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Bombardement du dépôt C.F. R.A le 24 novembre 1942
(Collection S.I.R.F.A l EC.P.A. France)

 

Humour anglais

Le 10 novembre, un navire marchand britannique, endommagé et handicapé dans ses capacités manœuvrières, heurte brutalement le quai de la petite douane, appelé aussi quai d'Abbeville, à l'angle du nouveau quai d'Ajaccio, sur le môle de France. Visible sur la photo ci-dessus, la brèche ouverte dans le quai ne sera comblée que beaucoup plus tard.

 

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Décembre 1942 : L'escadre anglaise dans le port d'Alger. Amarées au quai de la
" petite douane ", six vedettes. Des transports de troupes sont accostés au môle de France. En gare un train hôpital.
(S.I.R.P.A. /S.C.P.A. France)

 

Convoqué à bord du navire amiral, le commandant Ralph Davies, qui se trouvait à la barre de ce cargo, s'entend dire par le chef de l'escadre " Lorsque je voudrai me rendre directement à terre j'embarquerai à votre bord ".

Incendie d'un dépôt d'hydrocarbures

En novembre 1942, le dépôt de la Société Algérienne des Pétroles Mory, près du quai de Dakar, est incendié au cours d'un bombardement aérien. Après quelques mois d'efforts ininterrompus, les installations seront remises en service.

Pour sa part, le " Mory mazout I ", barge de 800 tonnes, est affecté au service des flottes alliées.

La vie dans le port et autour du port en 1943

En cette année 43, Alger plus que jamais vit au rythme de son port. Aucun des événements dramatiques dont il est souvent le théâtre ne laisse les Algérois indifférents ; en dépit d'une censure sévère, l'information circule parfaitement.

Chaque dimanche après-midi, plusieurs détachements des armées alliées défilent dans différents quartiers. Le 10 janvier 1943, musique en tête, des unités américaines, anglaises et françaises, se présentent devant les grilles du Palais d'Eté, en présence de l'amiral Cunningham, du capitaine Sauve, du capitaine Monpezat et de l'aspirant Meyer. Ces défilés dominicaux, à Belcourt ou sur les boulevards, attirent toujours une foule enthousiaste.

La ville et le port vivent sous la menace permanente des raids aériens qui se succèdent journellement, comme en témoignent les multiples batteries de canons " Bofors " (4) et les dépôts de " generators smok " (5) installés sur les boulevards.

Les 14 et 15 janvier, des attaques aériennes font plusieurs victimes. Dans la nuit du 26 au 27 janvier, lors d'un violent bombardement, six avions allemands sont abattus.

 

Alger-PhotoNB-Brancardiers1943-ECP-ArmeesFrancs
Alger, 16 juillet 1943: la triste besogne des
brancardiers sous l'oeil d'un " Tommy "
en tenue d'été.
(Photo : E.C.P. Armées -Francs)

 

Malgré la guerre, la vie culturelle se poursuit et le 17 février, Marius de Buzon expose justement des toiles du port d'Alger. Ce peintre est très sensible aux jeux irisés de la lumière qu'il exprime par des effets plastiques purement personnels.

Le 28 mars, un bombardier allemand " JU. 88 " est abattu. Sur les 4 membres d'équipage, 3 sont repêchés dans le port avec leur avion, le 4e, trouve la mort après avoir traversé le toit d'une maison.

L'aventure du " Mory mazout II "

En 1943, cette barge de 1 500 tonnes, bien connue des Algérois, appareille, remorquée par le " W 30 ". Ce remorqueur est coulé par un sous-marin allemand et, après une dérive de plus de 24 heures, le " Mory mazout Il" parvient courageusement à rejoindre Bône.

Bombardement du 12 mai 1943

A la suite de ce bombardement aérien, le " Dorse Coast ", de 646 tonnes, coule devant le pan coupé du quai de Sète. II est chargé d'essence. Son épave échouée restera sur place jusqu'en 1946. Après son renflouement par la Société Zagamé, le " Dorse Coast " sera réarmé et aménagé en pinardier. Il reprendra alors du service sous le nom de " Galatée " dans cette même société.

L'explosion du vendredi 16 juillet 1943

Ce jour-là, vers 15 heures, une terrible explosion survient sur le " Bjorkhaug ", cargo de 2 058 tonneaux. Amarré au quai de Fédalah, ce navire chargé de munitions coule, rapidement. La violence de la déflagration est telle que le quai est bouleversé, labouré sur 70 mètres.

Sur le port, c'est l'horreur, terrain dévasté, corps brûlés, déchiquetés. Parmi les victimes, de nombreux militaires alliés, des prisonniers de guerre et des civils, employés des compagnies de navigation et des Ponts et Chaussées, que les services de secours évacuent en hâte sur les hôpitaux. Beaucoup sont morts. D'autres, abasourdis, commotionnés, traumatisés, rentrent chez eux tant bien que mal. Les dégâts sont considérables. Tous les immeubles de la rue Sadi-Carnot et du boulevard Thiers, aux alentours de la place Jeanne d'Arc et des halles centrales, sont plus ou moins endommagés.

L'incendie se propage sur un navire voisin, le " Fort Lamontée ", et menace d'autres bâtiments. Le " Fort Lamontée " est un " Liberty ship " canadien de 7 134 tonneaux. Héroïquement pilotée par Antoine-André Urbani qui, grièvement blessé, y perdra la vie, l'épave en feu est remorquée hors du port pour être coulée au sud de la jetée de Mustapha.

Les journaux de l'époque n'ont guère relaté ce dramatique événement. Antoine-André Urbani, capitaine au long cours, enseigne de vaisseau de 1ère classe de réserve, devait mourir le 7 août 1943, à l'âge de trente-huit ans, des suites de ses graves blessures. Ses obsèques se déroulèrent le surlendemain en présence de son épouse, du responsable des services du pilotage et de la communauté corse d'Alger.

Par la suite l'épave du " Bjorkhaug " sera entièrement découpée au chalumeau et la remise en état du quai de Fédalah, entreprise en 1945 seulement, ne sera menée à bien qu'en 1947.

Trois autres explosions se succèderont dans le port qui eut à subir au total 39 attaques aériennes dont 22 avec bombardement. Les pertes en vies humaines, considérables, devaient s'élever à environ 300 morts dont 200 militaires au moins et 95 civils, tandis que pour les blessés, on ne dénombrait pas moins de 167 civils et de 200 à 400 militaires.

il convenait d'évoquer, quoique tardivement, la mémoire de ces obscures victimes et de rendre hommage à leur sacrifice.

 

Alger-Plan-PortdALger

 

Les épaves échouées dans la baie

En plus du " Dorse Coast " et du " Bjorkhaug ", coulés dans le port en 1942-43, d'autres épaves de navires marchands échouées dans la baie, demeureront longtemps gênantes pour la navigation. Telle celle du " Fort Lamontée " gisant à 300 mètres au sud de la jetée de Mustapha, qui laissera apparaître une partie de sa mâture pendant de nombreuses années.

L'ouvrage d'Yves Laye, sur le port d'Alger, nous permet d'ajouter à cette liste :

- Le " Berto ", de 1 494 tonneaux, coulé le 12 décembre 1942 par des nageurs de combat italiens et reposant sur des fonds de 25 à 30 mètres.

- " L'Ocean Seaman ", de 7 174 tonneaux, échoué le 6 juin 1943 au large de l'église d'Hussein-Dey.

- " L'Empire Standard ", de 7 229 tonneaux, échoué le 9 juin 1943.

- Le " Thomas Stone ", de 7 134 tonneaux, coulé le 16 juin 1943 dans les parages de l'" Ocean Seaman ".

- Le " Fort Confidence ", de 7 134 tonneaux, échoué le 16 juin 1943 à 300 mètres environ à l'est du " Thomas Stone ".

Le sous-marin " Casablanca "

Lundi 30 novembre 1942, les sous-marins " Casabianca " et " Marsouin " se présentent à la passe du port d'Alger.

 

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Le sous-marin "Casabianca " en rade d'Alger
(Cliché : E.C.P. Armées - France)

 

A la barbe des Allemands, en plein sabordage de la Flotte, ces deux sous-marins se sont évadés de la rade de Toulon avec leur équipage au complet. Après de multiples et dangereuses péripéties, ils ont réussi à rallier la France combattante. Sous le commandement du capitaine de corvette Lherminier, le "Casabianca " s'illustrera en participant à la libération de la Corse. Ce sous-marin effectuera alors plusieurs rotations entre Alger et les criques sauvages du Cap-Corse pour débarquer des armes et des munitions destinées aux patriotes corses. C'est lui enfin qui, le 11 septembre 1943, transportera dans ses étroites coursives le premier bataillon de choc parti pour libérer l'lle de Beauté.

II - Les fonctions industrielles du port

L'intense activité du port d'Alger, permettant d'assurer avec souplesse et efficacité la réparation sur une grande échelle des navires ainsi que le transbordement des hommes et du matériel, la mise en couvre des chaînes de montage et d'équipement d'engins de toutes sortes (automobiles, camions, blindés, avions même), ne s'exercera que pendant cette courte période de guerre et ne sera hélas plus égalée au retour de la paix.

La réparation des navires

Bien que modeste, l'outillage du port d'Alger présente l'avantage d'être concentré autour des bassins de radoub, des plans inclinés des cales sèches, et du quai d'Abidjan pour la réparation des navires à flot.

Ainsi, dans un secteur relativement réduit, les armateurs disposent du service de fonderies, d'ateliers de chaudronnerie et de mécanique. En plus des deux bassins de radoub et du ponton flottant de 500 tonnes, les plans inclinés, équipés d'un chariot, permettent .de mettre à sec des vedettes rapides et des unités de haute mer.

D'après une étude de M. Larras, directeur du port, l'effectif employé aux réparations des navires avant les hostilités était de 250 techniciens qualifiés. Après le débarquement allié, 1 000 personnes y travailleront jour et nuit.

Une excellente coordination des travaux au niveau des entreprises permettra d'utiliser judicieusement l'important stock de tôles, boulons et rivets, livré par les alliés. La réparation dans les meilleurs délais d'organes essentiels sur les torpilleurs et les cargos dénote l'effort de guerre considérable fourni par les ateliers Terrin, Roméo-Turner et d'Esposito, F.A.M.P.A., Durafour, Grisa, Ménéla Thomas, Ménéla Joseph, Scotto et Cie, Cavallo.

Le tableau suivant indique clairement l'effort de guerre déployé par ces entreprises.

 

 Années  Navires réparés  Passages dans les formes de radoub
 1941  105 70
 1942  104 70 
 1943  313 231
 1944  363 191 

(Source M. Larras, directeur du port, cité par M. Laye)

 

Encore, ces chiffres ne comprennent-ils pas les nombreux navires réparés à flot dans le port. Avec la fin des hostilités, l'activité industrielle du port sera brutalement stoppée. La suppression, par le Gouvernement provisoire, des Comités d'organisation des Constructions Navales (CONCENTRE d'Algérie entraînant très rapidement la rupture d'approvisionnement des ateliers, en tôles, boulons, rivets. A tel point qu'après la fin de la guerre, pendant 18 mois, les armateurs qui désiraient faire réparer leurs navires à Alger devaient y amener leurs tôles et autres éléments métallurgiques.

Le débarquement et le montage du matériel américain

Mais revenons à la mi-avril 1943 où le port d'Alger est le siège d'une intense activité des chaînes de montage en série alimentées sans discontinuer par les Américains.

Ce matériel moderne est destiné aux forces alliées, y compris l'armée d'Afrique. Cette dernière, qui sort épuisée par la meurtrière campagne de Tunisie effectuée avec des équipements français obsolètes et définitivement hors d'usage, sera entièrement reconstituée.

Le colonel Paul Gaujac, (L'armée de la victoire, tome I) relate ainsi cet épisode injustement oublié : " A Alger, en moins de cinq jours, cinq chantiers d'assemblage sont improvisés par une équipe américaine venue d'Oran. Du 14 au 21 avril, tous les cargos sont déchargés. A terre, 7 000 véhicules sont montés en moins d'un mois par 75 officiers et 2 300 hommes, en grande partie des jeunes des Chantiers, assistés de conseillers américains jusqu'au 5 mai.

Aussitôt après cette date les Français agissent seuls.

La première semaine, 1 900 véhicules sont assemblés. Le record quotidien est porté à 776 véhicules. Les jeunes des Chantiers se distinguent particulièrement sur les chaînes du bord de mer et du Champ de manoeuvres C'est dans ce premier arrivage que fut prélevé le matériel d'équipement et l'armement affectés au 7e régiment de chasseurs d'Afrique ".

Cet extrait démontre à l'évidence le succès de cette mission vitale confiée à l'enthousiasme des jeunes gens venus des Chantiers de Blida, Camp des Chênes, Ef-Affroun et Mouzaia.

III - " Et lorsque finira la guerre " (Le chant des Africains)

 

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Le 29 avril 1943, cérémonie lors de la remise officielle des chaînes de montage des véhicules américains aux Chantiers de Jeunesse, par les autorités américaines.
(E.C.P. Armées France)

 

En décembre 1945, les soldats de l'armée d'Afrique, démobilisés, s'entassent au Fort Saint-Jean et au Camp Sainte-Marthe à Marseille, dans l'attente impatiente et inconfortable d'en embarquement à bord d'un des rares navires en partance pour l'Algérie. Dans le port de Marseille, que nous parcourons à la recherche d'un bateau, c'est la désolation.

L'entrée du vieux port est obstruée par le " Cap Corse " de la Compagnie Frayssinet. Dans la passe principale, le " Massilia " est méconnaissable. Le " Maréchal Lyautey " est en cours de remise à flot. Les flammes des chalumeaux brillent sur une dizaine de navires en cours de découpage.

L'entrée du port de la Joliette est barrée par l'épave de l' " Imiréthée ". Dans les différents bassins et plans d'eau, nous découvrons successivement le " Gouverneur Général Grévy ", le " Djebel Amour ", le " Gouverneur Général Jonnart " et " l'El-Mansour ", tous immobilisés et plus ou moins gravement endommagés.

Cette visite intéressée du port de Marseille est bien démoralisante pour des jeunes " Au coeur joyeux et à l'âme fière d'avoir libéré le pays ".

C'est finalement un " Liberty " américain, le " Loamy Baldwin ", qui nous embarque lundi 24 décembre 1945 au petit matin. Amarré dans le port de l'Estaque, il n'a plus ses canons " Bofors " dont les plateformes sont toujours visibles à l'avant et à l'arrière.

En cette veille de Noël, la tempête fait rage en Méditerranée et d'impétueuses bourrasques soufflent de l'ouest, provoquant de nombreux naufrages. Les passagers valides voient avec inquiétude le " Liberty" s'enfoncer dans des creux vertigineux. Lorsque le calme revient enfin, nous sommes au large de Bône où notre navire fait une courte escale. C'est là que nos camarades trop éprouvés par le mal de mer quittent piteusement le navire pour rejoindre Alger et Oran par le train.

Le " Loamy Baldwin ", poursuivant sa route, permettra aux courageux demeurés à son bord de revoir avant eux la belle perspective des boulevards qui surplombent le port d'Alger. Mais la ville nous paraît bien calme et comme endormie, en ce vendredi 29 décembre 1945, lorsque nous accostons, vers 17 heures, au quai d'Antibes sur le nouveau môle de France.

Après cinq jours de traversée, nous retrouvons le sol natal et la vie civile ainsi que des préoccupations nouvelles bien différentes mais tout aussi sérieuses pour notre avenir immédiat.
Finie l'aventure commencée trois ans plus tôt, un certain 8 novembre 1942, quand l'opération " Torch " amenait dans ce port par centaines les navires alliés surmontés de leur " saucisse ".

Edgar SCOTTI

 

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La darse et l'amirauté construite sur I flot de Stofila (ancien Penon espagnol)
Au premier plan, les bâtiments et les voiliers du " Sport Nautique ".
(collection de l'auteur)

 

Références bibliographiques

- Yves Laye, Le port d'Alger, imprimerie L. Rives, 8 rue Marceau , Alger.
- Dr G. Duboucher, L'Algérie 1870-1930, Editions Milan 1983, 9 rue de Metz, 31000 Toulouse.
- M. Larras, Directeur du port d'Alger, L'équipement du nouveau môle, du bassin du vieux port, Alger 1947.
- T Bignand, documents et souvenirs.
- J. Thibaut, documents et souvenirs.
- Mlle Greliche, La chaîne du froid en Algérie, Thèse de doctorat, 1951.
- L'Echo d'Alger, consulté à la maison des rapatriés, 7 rue Pierre Girard, 75009 Paris.
- Journaux de l'époque consultés à l'annexe de la Bibliothèque Nationale, Versailles.
- Colonel Paul Gaujac, L'armée de la Victoire, tome I.
- Bulletin National des Anciens des Chantiers de Jeunesse en Algérie, communiqué par Yves Pleven.
- Les conseils d'E. Davies.

Iconographie

- Cartes postales, collection du Dr G. Duboucher.
- Photographies, collection de Pierre Jarrige.
- Photographies S.I.R.P.A./ E.C.P.A. fort d'Ivry.
- Cartes postales et clichés, collection de l'auteur.

 

(1). Voir l'Algérianiste Nos 51 et 52.
(2). Ballon gonflable de protection antiaérienne.
(3). Chemins de Fer sur route d'Algérie.
(4). Canons automatiques de 40 mm antiaériens.
(5). Pots fumigènes.

In l'Algérianiste n° 53 de mars 1991

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