Imprimer

Le Sahara du 19e siècle, une passion à haut risque

Écrit par Daniel Grévoz. Associe a la categorie Societe

Sahara du XIXe siècle : une passion à hauts risques

Le Sahara est depuis longtemps une terre qui fascine l'Europe. Preuve en est l'aventure de René Caillié, en 1828. Elle eut à l'époque un grand retentissement et elle est restée dans les mémoires. Chacun se souvient, en effet, que René Caillié fut le premier Européen à atteindre Tombouctou et à en revenir en traversant le désert africain encore inexploré. Deux ans auparavant, l'Anglais Gordon Laing avait lui aussi visité Tombouctou, mais il avait été assassiné au moment où il en repartait. La réussite, combien difficile, de l'un et le destin tragique de l'autre, illustrent les entraves et les dangers rencontrés par les Européens qui s'aventuraient dans le Sahara avant sa conquête. Dangers qui perdurèrent bien après Laing et Caillié. Les drames allaient même se multiplier dans les dernières décennies du XIXe siècle, au moment où la fascination pour le Sahara, un des derniers bastions de l'Afrique à résister farouchement aux explorateurs, s'exacerbait. Et, contrairement à ce qu'on pourrait penser, ce ne sont pas les rigueurs climatiques sahariennes qui vont s'opposer aux entreprises de pénétration européennes mais les populations autochtones, malgré leur très faible densité.

L'échec de la mission Flatters reste la plus connue de ces tragédies Mais de nombreux autres aventuriers, partis seuls ou en compagnie de quelques chameliers indigènes, allaient payer de leur vie une irrésistible attirance pour les secrets du Sahara.

La passion était la motivation essentielle de ces explorateurs solitaires. Passion dévorante pour les découvertes, pour l'aventure, pour la gloire ou pour des préoccupations spirituelles et religieuses. C'était souvent leur unique bagage ! Leurs moyens étaient en effet dérisoires : quelques subsides de sociétés de géographie, de maigres fonds personnels, l'appui symbolique d'une chambre de commerce ou la bénédiction d'un évêque...

Nous sommes au début des années 1870. La défaite que vient de subir la France et le terrible épisode de la Commune ont relégué le Sahara au dernier rang des préoccupations gouvernementales. Mais une poignée de jeunes aventuriers épris d'indépendance et de grands espaces regarde avec insistance vers l'horizon ocre du désert. Ils ont pour nom : Soleillet, Largeau, Say, Méry, d'Attanoux... Et ils ne résisteront pas longtemps à l'attrait des ergs secrets et des oasis interdites. Les résultats qu'ils obtiendront seront en général peu significatifs : quelques incursions sur les marges du Sahara et des contacts sans lendemain avec les mystérieux Touareg. Mais les risques qu'ils vont encourir et leur immense foi dans l'intérêt du Sahara force l'admiration. Et on ne dira jamais assez leur inébranlable volonté, leur courage sans égal, face à des périls dont ils n'ignorent rien. Hélas! certains d'entre eux vont trouver la mort dans ces aventures hors du commun qui sont devenues le but de leur existence.

Après les membres de la mission Flatters, en 1881, ce sont les religieux qui paieront le plus lourd tribut au Sahara du XIXe siècle. En janvier 1876, trois missionnaires, les Pères Blancs Bouchard, Ménoret et Paulmier, envoyés du cardinal Lavigerie, sont ainsi égorgés par leurs guides au sud d'El-Goléa. Les religieux cherchaient à atteindre In Salah et se proposaient de visiter les oasis du Tidikelt. Les mises en garde formelles du commandant de la garnison de Laghouat, poste français le plus au sud à cette époque, n'avaient pas suffi à dissuader les trois hommes.

Quelques années plus tard, en décembre 1881, trois autres Pères Blancs, les Pères Richard, Morat et Pouplard, subirent un sort identique entre Ghadamès et Ghât. Le sévère avertissement lancé aux Français par le massacre de la mission Flatters, en février 1881, n'avait pas entamé leur détermination...

D'autres hommes avaient malheureusement déjà inauguré et allongé cette triste liste d'assassinats. En avril 1874, deux Français perdent ainsi la vie au sud de Ghadamès, tués par une bande de maraudeurs, les fameux « coupeurs de route » comme on les désignait alors. Ces hommes sont Dournaux-Dupéré, originaire de Guadeloupe, et Joubert, un commerçant de Touggourt. Les deux explorateurs envisageaient de traverser le Sahara, en visitant le Hoggar, pour tenter de renouer les ancestrales relations commerciales joignant la Méditerranée à l'Afrique noire. Un projet mille fois rêvé et mille fois déçu...

Il en faut pourtant plus pour décourager les passions! Le lieutenant Marcel Palat, écrivain et polyglotte émérite, prend lui aussi le chemin de Tombouctou à la fin de l'année 1885. Un chemin interdit par les autorités militaires de l'extrême Sud algérien qui craignent, avec raison, pour la vie de ces explorateurs téméraires. L'officier passe outre cette interdiction. Mais il a pris des précautions pour désarmer la méfiance des Sahariens. Il est muni d'un passeport marocain et se fait passer pour un médecin arabe.

C'était un stratagème souvent utilisé, en particulier par René Caillié. Mais cela ne sera pas suffisant. Il sera assassiné en février 1886, dans la région d'In-Salah. Vient ensuite un personnage envoûté par le Sahara au point qu'une première aventure où il a déjà failli trouver la mort ne l'a pas détourné de sa passion : Camille Douls. Avec l'appui de la Société de géographie de Paris, il se lance dans une deuxième exploration. Parti de Tanger, en août 1888, il projette de visiter le Sahara central et de pousserfait passer pour un indigène et il se mêle à une caravane en route pour une destination proche de la sienne. Mais il ne peut abuser ses compagnons de voyage qui découvrent sa véritable identité et l'étranglent au sud du Tidikelt en février 1889.

Et il faudrait en citer d'autres, même si on se limite aux seuls Français et au Sud algérien. En octobre 1896 le lieutenant Collot est assassiné au sud d'El-Goléa au cours d'une reconnaissance topographique. En juin 1896, c'est le marquis de Morès, personnage haut en couleurs et parfois controversé, qui est lui aussi assassiné dans le Sud tunisien où il avait résolu de s'enfoncer faute d'avoir eu l'autorisation de dépasser les postes dépendant d'Alger... Ce sera l'un des derniers drames du XIXe siècle dans cette région. Le début du XXe siècle allait inscrire une autre histoire dans le Sahara. Une histoire pleine de tragédies et d'exploits elle aussi : celle de la conquête.

On peut bien sûr se demander les raisons de tous ces meurtres. Elles sont multiples et souvent entremêlées. La principale est sans aucun doute politique : on redoute de voir les Européens se lancer à la conquête du Sahara. Des considérations religieuses peuvent avoir servi elles aussi de mobile : il ne fait pas bon être chrétien chez certaines populations sahariennes de cette époque. René Caillié l'avait bien compris, qui se faisait passer pour musulman. Enfin, le pillage, activité économique essentielle de plusieurs tribus nomades, a certainement pesé lourd dans la mort de tous ces aventuriers...

Ces échecs rendent d'autant plus remarquable la réussite de deux hommes dont on pourra reparler : l'un est tout jeune au moment où, en 1859, il part à la rencontre des Touareg et se nomme Henri Duveyrier. L'autre, Fernand Foureau, acquiert une solide expérience du Sahara et des nomades qui l'habitent en réussissant plusieurs petites explorations au cours des années 1890. Cette expérience va lui permettre de prendre la tête, en compagnie du commandant Lamy, de la première expédition française qui réussira la traversée du Sahara : la mission Foureau-Lamy.


DANIEL GRÉVOZ


In « l’Algérianiste » n 85



Vous souhaitez participer ?

La plupart de nos articles sont issus de notre Revue trimestrielle l'Algérianiste, cependant le Centre de Documentation des Français d'Algérie et le réseau des associations du Cercle algérianiste enrichit en permanence ce fonds grâce à vos Dons & Legs, réactions et participations.