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L’urbanisme à Alger de 1950 à 1958

Écrit par Georges Mercier. Associe a la categorie Societe

Cet article témoigne de la vitalité de la construction immobilière et des programmes sociaux qui animaient la ville d'Alger avant l'abandon des années 1960. Une sorte d'état des lieux à plus de cinquante années de distance, qui donnera au lecteur, la véritable image de cette ville moderne en plein essor, qui ne se doutait pas du malheureux destin que la folie des hommes lui réservait. Un constat des réalités contre l'oubli et les détracteurs de l'Algérie


Je vous parle d'un temps que les moins de quarante ans ne peuvent pas connaître... ,

La pierre en ce temps-là, s'étalait partout, et le cœur d'Alger la Blanche s'activait. Fière d'avoir été, pendant la guerre, en 1943, la capitale de la France libre, elle pensait bien être l'égale des plus grandes villes de la métropole. Elle avait échappé de justesse en 1933 aux idées délirantes d'un urbanisme visionnaire style Le Corbusier, mais en 1945, après la guerre, s'imposait la nécessité de loger une population dont la courbe démographique ne cessait de croître.

En 1950, la municipalité avait bien créé « l'Office public d'habitations à bon marché » (HBM. appellation de l'époque), pour lancer quelques opérations telles les 1000 logements du Champ-de-manœuvre autour du Foyer civique, à proximité de l'Hôpital de Mustapha, ou encore celle du Clos Salembier, mais c'était bien insuffisant. Il devenait urgent d'activer les projets en cours.

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Le rond-point du Champ-de-manœvre (place Raymond Poincaré) avec le côté du Foyer Civique
(Extrait de
Alger de ma jeunesse, Editions Jacques Gandini, Nice, 1995)

Vers 1952, une violente polémique politico-médiatique s'instaura à l'approche des élections municipales. Elle était orchestrée par M. Alazar, directeur de l'Institut de l'urbanisme à l'université, avec pour vecteur l'Écho d'Alger, journal d'Henri Borgeaud, gros propriétaire foncier et viticulteur, à l'encontre, non sans arrière-pensée, du maire en place, M. Pierre-René Gazagne.

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Alger : "Le Lafayette" en construction

Ce dernier n'avait pourtant pas ménagé ses efforts pour tenter de loger ou de recaser 20 000 foyers. Mais, c'est surtout sur des dérogations accordées sur des permis de construire d'immeubles de grande hauteur (pour l'époque) en centre ville, qu'il fut pris à partie. Il y avait déjà eu des précédents avec le « Maurétania », au carrefour de l'Agha ou encore l'Aéro-habitat; mais la plus violente polémique se déchaîna avec le chantier projeté, sur seize étages, en centre ville (1), de l'immeuble (le) « La Fayette », par le cabinet Solivères et Cazalet. En 1953, la cabale s'enfla tellement que le maire Gazagne fit établir par ses services un bilan de ses réalisations et projets. Dans ce bilan figurait la Cité Pérez à Bab-el-Oued, la Cité des Eucalyptus en recasement de population venant de cités vétustes ou de taudis, celle d'El-Kettar, de Clemenceau, de la Boucheraye, ainsi que l'achèvement de celle des Quatre-Canons, y compris, bien sûr, tous les équipements publics et sociaux.
Dans ce bilan figurait aussi le fameux Tunnel des Facultés, qui fut vite appelé « le trou des facs » (2), dont la hardiesse qui le faisait passer sous les facultés avait soulevé des polémiques passionnées. Le maire ne manquait pas de mentionner qu'il avait fait commencer les études des cités satellites du plateau des Anassers et de l'Harrach etc …La violence des attaques ne faiblit pas pour autant.

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Le Tunnel des Facultés, dit «  le trou des facs »
(Extrait de Le pays d’ou je viens, d’Elisabeth Fesner, Calmann-Levy, 1999)

La querelle médiatique s'éteignit en 1953 lorsque les élections mirent en place un nouveau maire personnage bien en vue déjà: M. Jacques Chevallier, dont les idées n'allaient pas tarder à surprendre les Algérois.
Dès lors, l'Écho d'Alger se mit à vanter les mérites d'énormes opérations projetées par le nouveau maire. L'Écho d'Alger trouva même un allié en son confrère la Dépêche Quotidienne, propriété de M. Blachette, et qui avait aussi soutenu la campagne de Jacques Chevallier.

Tout devint plus clair quand on apprit que M. Blachette était propriétaire de carrières de pierres (3) à Rognes, dans la région de Marseille, et que ces pierres, façonnées sur place, seraient transportées par les cargos du sénateur Schiaffino et ami d'affaires des deux précédents. Comme si le pays était dépourvu de matériaux de construction. Tout le monde comprit le « montage » subtil, mais la population d'Alger avait d'autres préoccupations bien plus inquiétantes avec le début des « événements d'Algérie » et les « opérations de police » (4) qui tentaient de contenir le terrorisme F.L.N qui ensanglantait le pays.

Mais le principal souci de M. Jacques Chevallier, nouveau maire en place, était de maîtriser, à sa façon, l'urbanisme de la ville car, malgré la période d'instabilité qui prenait forme, la construction immobilière ne s'était pas du tout ralentie.

Avec l'encouragement de M. Claudius Petit, ministre de la Reconstruction et de l'Urbanisme, M. Chevallier projeta d'instaurer, au sein de la mairie, un bureau de l'urbanisme. Ce bureau fut installé au dernier étage, sur environ 500 m2, de là on avait une vue splendide sur le port et la baie.
La création en fut confiée à un urbaniste métropolitain, M. Dalloz, et fut intitulée le « Bureau du Plan ». Sa mission était de « conseiller » le maire et son conseil sur les aménagements de la ville et des nouveaux quartiers projetés pour faire face à la démographie galopante et à l'attrait de la capitale. Ce bureau d'urbanisme devint très vite le tampon et le filtre indispensable à la maîtrise des promotions immobilières qui fleurissaient à Alger. Le fonctionnement du Bureau avait été confié à un autre urbaniste de métropole, M. Gérald Hanning, qui dirigea une équipe de nombreux techniciens de toutes origines, aussi bien métropolitains qu'étrangers. Il y avait là des projeteurs, des sociologues, des géologues, de cartographes, des ingénieurs divers, des conseillers
financier et juridiques, des dessinateurs, des maquettistes, etc.
Bien que diverse par ses origines, cette équipe paraissait assez loin des réalités locales et des modes de vie des différentes communautés algéroises, le Bureau se mettait au travail.

Pour le maire, c'était le principal.
L'administration de l'agence était composée des divers services municipaux, mais également des représentants d'organismes de la cité, concernés par le développement urbain du « grand Alger » qui ne comptait pas moins d'un million d'âmes avec toutes les communes périphériques.

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Le bureau de l'urbanisme dit "bureau des plans"
(coll. auteur)

Une société d'équipement de la région fut également fondée en juin 1956, où figuraient la ville et les communes alentour, la Chambre de commerce, la Compagnie des chemins de fer algériens, la C.I.A, (Compagnie immobilière algérienne), les installations portuaires, la Caisse des dépôts, etc.
Les énormes projets de logements sociaux devaient constituer l'essentiel d'un plan directeur qui fut mis en place dès 1953, et pour lesquels le maire n'avait pas hésité à faire appel à un architecte marseillais, Fernand Pouillon, qui avait rénové et construit ou reconstruit le vieux port de Marseille et ce, à la grande « surprise » des architectes algérois.

Se concrétisèrent ainsi à une vitesse record les ensembles qui faisaient partie du plan directeur. Un véritable tour de force qui impliquait les études architecturales et techniques, mais aussi l'exploitation des pierres façonnées à Rognes et le transport par bateaux, et les mises à pied d'œuvre. De là à penser que tout était prévu de longue date.

S'édifieront ainsi:

-Les 732 logements de Diar-es-Saâda (La Cité du Bonheur), bâtis sur 8 ha, qui seront livrés en novembre 1954;

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Diar-es-Saâda
(Extrait d'Alger de ma jeunesse, Editions Jacques Gandini, Nice 1995).

- Les 1550 logements de Diar-el-Mahçoul (La Cité de la promesse tenue), bâtis sur 12 ha, livrés en octobre 1955.
Compris, bien entendu, toutes voies et réseaux divers (v.r.d.), aussi mosquée, dispensaires, poste, une mairie annexe, un groupe scolaire, bâtiments sportifs, etc... et même un téléphérique pour relier les deux cités qui sera inauguré en février 1956.
Une incontestable réussite sur le plan architectural.

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Diar-el-Mahçoul
(Extrait d'Alger de ma jeunesse, Editions Jacques Gandini, Nice 1995).

- La Cité du «Climat de France »qui dominait Bab-el-Oued et la mer, bâtie sur le plateau des Tagarins et les flancs de la colline de Bouzaréah sur 25 ha, avec son agora du grand marché, étonnant bâtiment intitulé les « Deux cents colonnes ».

Les besoins en logements et en équipements divers à Alger nécessitaient bien d'autres opérations nouvelles ou extensions. Je citerai par exemple:

- L'achèvement du programme de 650 logements du Champ-de-manœuvres par l'Office public, qui fut achevé en décembre 1955, y compris voies et réseaux divers, et jardins;

- La Cité Pérez de 94 logements à Bab-el-Oued qui terminait une première tranche;

- La Cité des Eucalyptus de 700 logements, toujours à Bab-el-Oued;

- La Cité Léon Roches, d'environ 1200 logements, encore à Bab-el-Oued, que la Régie foncière destinait au recasement des habitants de l'ancien quartier de La Marine détruit pour vétusté;

-La Cité de la Concorde de 1064 logements à Birmandreis réalisés par la C.I.A., y compris un centre commercial et un groupe scolaire à 15 minutes du centre des affaires d'Alger et à 20 minutes des grandes zones industrielles du Hamma ou d'Hussein-Dey;

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Vue aérienne de la Vité de la Concorde
(Extrait d'Alger de ma jeunesse, Editions Jacques Gandini, Nice 1995).

- La Cité Mahiédine, avec son groupe scolaire près de la rue Fontaine-Bleue, destinée au recasement des habitants des anciens « bidonvilles ».

Les communes de la périphérie d'Alger étaient également très actives en logements sociaux, par exemple:

- La Cité « La Montagne » de la C.I.A., comprenant 2000 logements formule économique, adaptée à l'habitat musulman, en 500 unités « collectifs », y compris voies et réseaux divers, et constructions publiques ou privées indispensables à la vie de la communauté (marchés, commerces, bains, cafés maures, jeux, etc);

- Les 1000 logements du secteur industrialisé d'Hussein-Dey de l'office HLM, sans oublier certaines cités dites « d'urgence » comme celle de Maison-Carrée, destinées à résorber le développement sauvage des bidonvilles..., véritables faits de société que connaissent toutes les grandes capitales, et que les détracteurs de l'Algérie française ne manquèrent pas de photographier pour leur propagande de désinformation en métropole.

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Hussein Dey : opération du secteur industrialisé (coll. auteur)

Et je citerais encore: l'ensemble HLM de l'Armaf à Réghaïa, de 400 logements. Bien d'autres opérations demeurèrent à l'état de projets ou demeurèrent inachevées.

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Les 400 logements d'Armaf Reghaîa (coll. auteur)

Il y a lieu de rappeler qu'outre les opérations de logements sociaux, les constructions publiques ou privées étaient actives malgré les « événements », pour la bonne raison que, dans l'esprit de tous, une solution allait être trouvée et surtout en 1958, quand De Gaulle fut rappelé aux affaires. Et puis, comment la France pouvait-elle ne pas tenir compte de 130 ans de patients efforts pour créer ce pays moderne logiquement destiné à un bel avenir économique? C'était impensable!
Aussi, on continuait à investir et à construire, comme

- La Cité universitaire du lycée franco-musulman et l'École normale d'institutrices;

- Celle d'El-Biar aussi;

- Le Rectorat d'Alger dans les années 1955-1956;

- La nouvelle école des Beaux-Arts, qui devait remplacer la très vieille école du quartier de La Marine, en plein remembrement d'urbanisme;

- La Maison des jeunes et de la culture de Birmandreis;

- L'École hôtelière à El-Biar;

- L'Institut d'études nucléaires de l'université d'Alger, au lieu-dit des « Quatre Canons », et bien d'autres...

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Aérogare d'Alger - Maison Blanche (coll. auteur)

Le présent état des lieux d'Alger en ces années soixante, est forcément bien incomplet. Il donne toutefois l'image des réalités de l'Algérie française à tous ceux qui ont voulu occulter l'énorme « gâchis », et qui persistent dans la désinformation.

De nombreux ouvrages nous montrent « Alger la Blanche » et Alger moderne et attirante où il faisait bon vivre. Le travail ne manquait pas.
Un bilan similaire pourrait être produit pour les autres grandes villes d'Algérie, et notamment sur Oran.

Georges Mercier.


Bibliographie:

Documents personnels de l'auteur.
HUMBERT Jean-Charles, Alger de ma jeunesse Éditions Jacques Gandini, 1995. –
FECHNER Élisabeth, Le pays d'où je viens, Calmann-Lévy, Paris, 1999.

1- L'ossature métallique des ateliers Durafour en surprit plus d'un.
2 – « Le trou des facs » restera gravé dans nos mémoires en souvenir des barricades de janvier 1960. Sa réalisation fut une incontestable réussite d'aménagement d'urbanisme pour désengorger la circulation automobile.
3 - On l'appelait « la pierre qui pleure » en raison de l'eau qu'elle rejetait après absorption.
4 - « La guerre d'Algérie » n'était pas encore avouée par ordre du gouvernement donné aux médias. Pendant très longtemps, on ne parle que « d'événements » ou « d'opérations de police », alors que l'armée y était engagée avec rappel de classes, puis le contingent quand cela devint plus sérieux.


In. «l’Algérianiste» n° 100 de Décembre 2002

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