Imprimer

L'apiculture en Algérie

Écrit par Charles Griessinger. Associe a la categorie Agriculture

Ruchers-deDemonstrationSARLAzail
Rucher de démonstration à Rovigo


 

L'apiculture en Algérie


par Charles GRIESSINGER

Actions de vulgarisation menées pour son développement en milieu musulman

La mise en album de photographies prises au cours de mes tournées dans le bled algérien, lorsque j'étais chargé de la vulgarisation de l’apiculture en milieu musulman, m'a fait revivre les actions menées dans ce domaine et remémorer les résultats encourageants déjà obtenus, lorsque, à partir du deuxième semestre de 1959, ces actions ont été ralenties, puis arrêtées par les événements.

L'originalité des moyens employés me semble être de nature à intéresser les lecteurs de notre bulletin d'informations.

Tel est le but de cet article.

Le potentiel apicole de l'Algérie est important. Le pays est riche de possibilités apicoles. L'abeille d'Algérie, très proche de l'abeille noire d'Europe, est robuste et bien acclimatée. Elle dispose d'une abondante flore mellifère spontanée, subspontanée et cultivée. A l'exception des régions désertiques des hauts plateaux et du Sud, l'apiculture est largement pratiquée dans les régions montagneuses à population dense, comme l'Aurès, la Kabylie, le Dahra; dans les plaines littorales comme celles de Bône, de la Mitidja, de Relizane, de Perrégaux; dans les vallées des grands oueds comme l'Oued el Kébir, la Soummam, l'Isser, l'Oued el Hammam et la Tafna.

Parmi les nombreuses espèces végétales qui forment la flore spontanée algérienne, certaines se rencontrent en peuplements importants. Ce sont, en montagne, la bruyère rose, l'arbousier, les lavandes, les romarins, de nombreuses variétés de thym, De cistes, d'asphodèles, l'astragale, l'euphorbe et la marrube vulgaire, ces deux dernières particulières à l'Aurès, le thuya, etc.

Dans les régions prémontagneuses de grande et petite Kabylie deux variétés de sainfoin couvrent de grandes superficies.

Dans les plaines fleurissent l'oxalis, les ravenelles, la bourrache, les vipérines, les mélilots, les chardons, les centaurées, etc.

La flore subspontanée est principalement représentée par l'eucalyptus, importé d'Australie en 1863. La floraison estivale de cette essence, très mellifère, produit un miel d'excellente qualité.

Quant à la flore mellifère cultivée, il convient de citer les rosacées de verger, communes à la France et à l'Algérie ou plus particulières à celle-ci, comme le néflier du Japon, dont la floraison automnale est précieuse; les agrumes: oranger, mandarinier, clémentinier, citronnier et autres citrus, qui produisent un miel renommé; les fourrages artificiels, tels que la luzerne et le trèfle d'Alexandrie, ainsi que des plantes de grande culture comme la lentille ou le coton.

La diversité de la flore algérienne et la douceur relative du climat, ménagent, dans certaines régions du littoral, des miellés successives s'étendant sur une grande partie de l'année, chaque saison se parant d'une floraison particulière.

La situation de l'apiculture algérienne

Malgré ces conditions favorables, la production algérienne de miel, de l'ordre .de 4 000 à 5 000 quintaux par an, était inférieure aux besoins de la consommation locale, d'où la nécessité d'une importation annuelle approximativement égale à la production intérieure, ce qui se révéla brusquement aux milieux officiels, lorsque, après le débarquement allié du 8 novembre 1942, l'Algérie ne fut plus ravitaillée par la métropole, en sucre notamment, et que furent alors recensés les produits édulcorants de production locale susceptibles de remplacer le sucre, jus de raisin et miel.

A noter que c'était la première fois, depuis 1830, que l'Algérie était coupée de la métropole.

C'est alors, seulement, que les autorités prirent conscience de l'insuffisance de la production algérienne en miel, eu égard aux possibilités apicoles du pays et en vinrent à en rechercher les causes, afin d'y porter remède.

Elles résident essentiellement dans l'inadaptation à une production rationnelle de la ruche arabe.

Cette ruche horizontale, faite soit de bâtonnets de férule assemblés, soit d'une écorce de liège, soit de planches, était déjà utilisée, dans sa forme actuelle, avant l'ère chrétienne. Varron, naturaliste romain (116-27 avant J.C.j décrivait déjà la ruche en férule dans son de re rustica. Elle n'a pas varié depuis, ni dans sa conception ni dans son mode d'exploitation simpliste et combien archaïque commun à l'Algérie tout entière.

Or ce matériel et sa méthode d'exploitation constituent un obstacle au développement de l'apiculture, car ils ne permettent pas la mise en œuvre des principes essentiels de l'apiculture, progressivement découverts depuis la fin du XVIll° siècle et qui ont conduit au perfectionnement du matériel et à la mise au point de méthodes nouvelles, à mesure que se découvraient et se précisaient les connaissances sur l’anatomie, la biologie et la physiologie des abeilles.

Ces connaissances ont conduit à la création de la ruche à cadres mobiles et à volume variable, instrument de base de l'apiculture moderne. Ses avantages sont connus, aussi ne sont-ils rappelés que brièvement.

En premier lieu orienter la construction des rayons à l'intérieur des cadres par l'utilisation de la cire gaufrée, de façon à pouvoir les retirer de la ruche selon les besoins et de les y remettre ensuite.

On y procède afin de retirer le miel des rayons ou pour examiner le couvain, C'est-à-dire les œufs et les larves en élevage, ce qui renseigne sur l'état de la ruche. Et le fait de les y remettre après extraction du miel évite aux abeilles de les reconstruire, d'où économie de temps et de miel, car pour fabriquer un kilogramme de cire les abeilles utilisent dix kilogrammes de miel.,

Second avantage, la capacité variable.

Lorsqu'un essaim est mis en ruche, la colonie est incomplète. II lui manque une partie essentielle de son individu, les rayons, dans les cellules desquelles la reine pondra et où sera élevé le couvain, cellules également dans lesquelles sera entreposé le miel. Aussi les abeilles cirières se mettent-elles immédiatement à sécréter de la cire et à construire les rayons. Cette production de cire nécessite d'abord un dégagement de chaleur, sans laquelle les glandes des cirières ne fonctionneraient pas chaleur produite par une oxydation du miel dans les muscles alaires très développés des abeilles ouvrières, muscles qu'elles contractent et décontractent lentement. Aussi plus les abeilles sont logées dans un espace restreint, plus vite le degré de chaleur ambiante sera atteint, la consommation de miel transformé en chaleur réduite et la production de cire plus importante. C'est ce que permet seule la ruche à cadres.

Puis l'apiculteur l'agrandit à mesure du développement de la colonie, notamment pendant la mise en réserve d'un miel excédant l'ensemble des besoins de la ruche et dont l'apiculteur prélève le surplus.

Ensuite, il en réduit à nouveau le volume avant l'hiver, le limitant à la seule partie occupée par les abeilles, ce qui constitue une, économie d'énergie, seule étant chauffée la partie habitée par la colonie.

La ruche à cadres permet de nombreuses autres opérations comme l'essaimage artificiel, le renforcement d'une ruche faible par une ruche forte, etc.

La ruche à cadres est donc l'instrument de l'apiculture moderne. Qu'en était-il de son utilisation en Algérie?

En 1942 une centaine d'apiculteurs, surtout professionnels, européens pour la plupart, exploitaient environ dix mille ruches à cadres produisant, selon les années, de 1000 à 2000 quintaux de miel. Par contre, plusieurs milliers d'apiculteurs musulmans possédaient quelque 150 000 ruches arabes, selon une statistique établie en 1943. Il ne faut pas perdre de vue, en effet, que le miel est très prisé du musulman et que sa consommation est recommandée par le Coran; Sourate XVI, verset 70.

Ce petit nombre d'apiculteurs européens, comparé à celui de leurs collègues musulmans, s'explique par le fait que la plupart des agriculteurs européens dirigeaient des exploitations agricoles requérant toute leur activité et ne pouvaient se livrer, en plus, à des travaux apicoles. Ils préféraient s'adresser à des spécialistes. Or ces derniers, ou bien faisaient défaut, ou bien ne présentaient pas, pour la plupart, des garanties de technicité satisfaisante. Cette insuffisance de spécialistes qualifiés a certainement freiné le développement de l'apiculture en milieu agricole européen.

Pour ce qui est des 150 000 ruches arabes, au rendement moyen de 2 kilogrammes par ruche, leur conception même, non seulement en limitait le rendement, mais encore conduisait à un mode d'exploitation amenant, chaque hiver, la perte de 50 % des colonies, cette mortalité se trouvant à peu près compensée au printemps pour le repeuplement des ruches mortes par ressaimage ce qui explique cette stagnation du cheptel apicole musulman.

A quoi était due cette mortalité? D'une part au fait que le volume de la ruche n'est pas modifiable, d'autre part à la façon dont on y prélève le miel. Pour bien passer l'hiver, les abeilles doivent âtre confinées dans un espace limité au volume qu'elles occupent et disposer de suffisamment de miel pour se chauffer et se nourrir. De même, au moment du peuplement de la ruche, alors que les abeilles doivent fabriquer de la cire pour construire leurs rayons et que le facteur chaleur conditionne cette production, l'espace occupé par l'essaim devrait être limité au volume de ce dernier. La ruche arabe ne le permet pas. Si l'essaim est volumineux, il arrivera à ne pas utiliser la totalité du miel, dont il s'est gorgé avant de quitter la ruche mère, pour chauffer la ruche avant de construire les premiers rayons. Par contre, s'il est trop petit, il aura peu de chance de se développer dans un logement trop grand, dont il n'arrivera pas à élever la température jusqu'au degré voulu pour la production de la cire.

Pour ce qui est de la récolte, la conception même de la ruche ne permet pas à l'apiculteur de distinguer les rayons contenant du miel de ceux renfermant le couvain. Aussi il les taille tous. Les abeilles doivent donc reconstruire tous les rayons à une époque, l'été, où les apports de nectar se raréfient, d'où manque de matière première pour cette construction. Mais ce qui est encore plus grave, la suppression du couvain provoque une forte diminution de la population. En effet, il n'y aura pas remplacement des abeilles mortes pendant au moins un mois, temps nécessaire à la construction des premiers rayons et à l'éclosion du nouveau couvain issu de la ponte de la reine dans ces rayons, cela à une époque de grande activité de la ruche qui limite à six semaines la vie des abeilles ouvrières.

Telles sont les causes de cette diminution de 50 %, chaque hiver, des ruches arabes, statistiquement vérifiée.

Ainsi se présentaient les éléments d'appréciation sur la situation de l'apiculture algérienne et les causes de stagnation relevés en 1943, à partir desquels l'Administration allait orienter son action de vulgarisation en vue de son développement.

Une méthode de vulgarisation

Mais il lui fallait, au préalable, tirer la leçon de l'échec des actions déjà entreprises, car il y en avait eu.

D'abord celle menée de 1888 à 1945 par la Société des apiculteurs d'Algérie, qui était plus un groupement d'apiphiles que d'apiculteurs, dont le siège était à Alger, au Jardin d'Essai, et qui exerça une action limitée de vulgarisation en milieu européen et pratiquement aucune chez les apiculteurs musulmans.

Ces derniers, en revanche, auraient pu évoluer du fait de la création, entre 1899 et 1936, de 200 ruchers scolaires, destinés à amener, par l'exemple, la modernisation du matériel et des méthodes chez les parents apiculteurs des élèves fréquentant l'école. Et cependant, malgré les efforts méritoires des nombreux instituteurs qui firent de la propagande apicole un véritable apostolat, les ruchers scolaires n'ont laissé, à quelques exceptions près, aucune trace de l'enseignement apicole vulgarisé pendant plus d'un quart de siècle. Les raisons de cet échec tiennent, d'abord, dans la cherté du matériel moderne et aussi dans l'ignorance des connaissances essentielles sur l'apiculture, auxquelles l'utilisation de ce matériel fait appel.

Alors que la création d'une exploitation, importante quant au nombre de ruches, ne nécessitant aucune dépense pour l'apiculteur musulman, fabricant lui-même son matériel avec des matériaux puisés dans la nature, une exploitation de la même importance, réalisée avec un matériel moderne manufacturé, a toujours nécessité un investissement important : 50 ruches à cadres et le matériel d'exploitation correspondant coûtaient 300000 F en 1942. Ainsi, pour l'apiculteur musulman, la ruche arabe, même avec son faible rendement moyen de 2 kg, lui assurait une rentabilité totale, sans qu'il ait à exposer la moindre dépense, alors qu'il en était bien autrement avec la ruche à cadres. D'autrant plus que la nécessité de mettre de la cire dans cette ruche ne lui apparaissait pas évidente, les abeilles produisant elles mêmes leur cire, alors que la garniture des vingt cadres d'une ruche moderne en cire gaufrée représentait la valeur de 2 kg de miel. II y avait là, pour lui, matière à réflexion.

En fait, les apiculteurs musulmans, qui firent l'essai de la ruche à cadres, ignorèrent, pour la plupart, la cire gaufrée, ce qui rendit impossible la manipulation de la ruche et la condamna sans appel.

Une fois tirée la leçon des échecs du passé, ce qui apparut évident fut qu'un accroissement de la production du miel reposait beaucoup plus sur une augmentation du rendement des quelque 150 000 ruches arabes et sur la réduction de leur mortalité hivernale que sur le développement de l'apiculture en milieu européen:

Comment y parvenir? Par l'amélioration du mode d'exploitation de la ruche arabe, en apprenant à !imiter le prélèvement des rayons à ceux-là seuls contenant du miel, à l'exclusion du couvain, en renforçant la, protection des ruches contre le froid, notamment en ne retirant pas la totalité du miel à la récolte, par l'enseignement de connaissances élémentaires sur la vie d'une ruche et ce qu'il convient de faire ou ne pas faire, par une initiation très progressive à l'apiculture moderne.

Comment exercer cette vulgarisation ? Il est apparu que la seule façon de la mener à bien était de l'exercer au sein même des populations apicoles recensées en 1943, à partir de ruchers de démonstration, dans lesquels il serait facile de réunir les apiculteurs en raison de leur proximité.

Dans un première analyse, ces ruchers devaient se composer d'un nombre identique de ruches arabes et de ruches à cadres. Cependant l'expérience des ruchers scolaires avait démontré qu'il était difficile, sinon impossible, de passer directement de la ruche arabe à la ruche à cadres.

C'est alors qu'a été imaginée une ruche de transition, identique par sa forme extérieure à la ruche traditionnelle, facile à construire par l'apiculteur lui-même, donc économique, mais réunissant les avantages les plus importants de la ruche à cadres, c'est-à-dire la capacité variable, la construction des rayons dans un sens déterminé par de petites amorces de cire gaufrée, la possibilité d'examiner les rayons, afin d'inspecter le couvain, la préservation de ce dernier au moment de la récolte et la limitation de la taille des rayons à ceux-là seuls contenant du miel. Après avoir été expérimentée au rucher de recherches et d'expérimentation de l'Institution agricole d'Algérie où elle eut des rendements comparables à, ceux des ruches à cadres, elle fut installée dans les ruchers de démonstration concurremment avec les autres types de ruche.

Ainsi se trouvait définie la méthode de vulgarisation, encore fallait-il les moyens de l'appliquer, car l'ampleur du programme envisagé, consistant à créer des ruchers de démonstration dans toutes les régions où l'apiculture était pratiquée en milieu musulman était considérable, tant en ce qui concerne son application que son financement. Il s'agissait en effet

- de la prospection du territoire, afin de déterminer les lieux d'implantation; '

- du recrutement et de la formation des moniteurs chargés de la création du rucher, de sa conduite, des démonstrations et des conseils à donner aux apiculteurs;

- de l'achat du matériel.

Aussi le Service de la protection des végétaux, chargé de l'apiculture, décida d'associer à cette action d'autres services ou collectivités publiques qui, à l'échelon local, disposaient des moyens de réalisation. Ce furent le Service du paysannat, celui des eaux-et-forêts, les Communes mixtes et les Sociétés agricoles de prévoyance, communément désignées sous leur sigle de SAP. La SAP était une institution administrative, créée au siège de chaque commune mixte, qui était à la fois crédit agricole, entreprise de travaux agricoles, organisme de stockage, de commercialisation, d'achats, mettant à la disposition des agriculteurs musulmans des moyens de financement, matériel et produits nécessaires à leur exploitation.

Ce travail d'équipe aboutit à la création de 140 ruchers de démonstration échelonnés de la frontière marocaine à la frontière tunisienne, des régions littorales jusqu'aux hauts plateaux et même à l'Atlas saharien.

La création de chacun d'eux nécessitait

- la prospection des régions, favorable et l'étude du financement avec l'autorité locale la mieux placée;

-. le choix de l'emplacement;

- le choix du moniteur et sa formation.

Chaque année, l'ingénieur des Services agricoles, chargé de l'apiculture effectuait une prospection des régions à vocation apicole et contactait l'autorité locale la mieux placée pour s'associer à la vulgarisation envisagée, dont la conséquence la plus importante et suivie d'effets rapides était de contribuer à l'amélioration du revenu agricole des populations concernées, disposant, pour la majorité d'entre elles, de moyens d'existence des plus modestes. Le financement, du fait de son coût réduit, moins de 20 000 F en 1942, n'a jamais soulevé de difficulté. A noter qu'il ne s'agissait d'ailleurs là que d'une avance, une partie des produits du rucher étant réservée à l'amortissement des frais d'installation.


En accord avec l'autorité locale associée, l'emplacement du rucher était déterminé en fonction des critères suivants

- situation centrale par rapport à l'ensemble de la population apicole concernée, de façon à faciliter la réunion du plus grand nombre d'apiculteurs;

- richesse mellifère environnante, c'est-à-dire dans un rayon de 3 km;

- exposition conforme aux données de la technique apicole.

De toutes les conditions indispensables à la création d'un rucher, le choix du moniteur était la plus importante, car sur lui reposaient l'installation du rucher, sa conduite, l'organisation des démonstrations, la visite des ruchers dans lesquels les apiculteurs intéressés par l'enseignement pratique acquis au rucher de démonstration, essayaient de le mettre en pratique avec plus ou moins de bonheur, la signalisation au Service de la protection des végétaux des anomalies constatées en apiculture dans la région, maladies notamment, l'établissement de la carte de la flore mellifère de leur circonscription, etc.

Aussi la détection des moniteurs n'était pas chose aisée, surtout étant donné que leurs fonctions étaient bénévoles. Il ne pouvait en être autrement. Bien que nombreuses et diversifiées dans leurs caractères, les activités d'un moniteur n'étaient que saisonnières et peu absorbantes, parce que limitées dans le temps. Elles ne justifiaient pas la création, sous une forme quelconque, d'un nouveau cadre d'agents de l'Etat. Même une rémunération journalière de son activité ne pouvait être envisagée, car elle aurait constitué une charge budgétaire pour l'unité administrative intéressée, charge insuffisamment compensée par les produits du rucher.

Ruchers-DeDemonstrationaRovigo
Rucher de démonstration du SAR Azail
(Sebdou)

Eh bien ! il s'est toujours trouvé des volontaires enthousiastes et désintéressés, sans lesquels rien n'aurait pu être entrepris, la grande majorité d'entre eux étant agents techniques des SAP, chefs de culture des Secteurs d'amélioration rurale, chefs de district ou agents techniques des Eaux-et-Forêts, mais aussi gardes champêtres et même simples particuliers.

Le principe que toute peine mérite salaire ne fut pas totalement méconnu et les moniteurs furent récompensés, bien modestement il est vrai, de leur collaboration active et efficace par la disposition qui leur fut laissée d'une partie des produits du rucher.

Les moniteurs une fois recrutés, encore fallait-il assurer leur formation, car la grande majorité d'entre eux était profane en apiculture. Mais la bonne volonté de ces néophytes et leur désir de s'initier à une activité nouvelle étaient vifs. Cette formation professionnelle d'ensemble était d'autre part indispensable, afin d'assurer une homogénéité de la vulgarisation dispensée sur l'ensemble du territoire à partir des ruchers de démonstration.

Afin d'assurer cette formation professionnelle, le Service de la protection des végétaux organisa chaque année, au début de la seconde quinzaine de mars, un stage d'une semaine à l'Institut agricole d'Algérie, dont les installations se prêtaient parfaitement à cette manifestation.

Après une première journée consacrée à l'exposé des connaissances techniques indispensables à la- pratique des opérations apicoles, les jours suivants étaient réservés à ces opérations. Les stagiaires, groupés par équipe de trois, chacune d'elles étant affectée à une ruche, effectuaient, sous la surveillance du directeur de stage, toutes les manipulations auxquelles ce dernier avait procédé au préalable, des plus simples jusqu'à celles relevant d'une technique apicole avancée.

A la fin de ce stage, les moniteurs étaient aptes, sitôt rentrés à leur poste, à installer le rucher et à l'entretenir, jusqu'à la visite de l'ingénieur chargé de l'apiculture, cette visite ayant lieu dans les deux mois suivant le stage. Le travail du moniteur était ainsi apprécié et sa formation professionnelle complétée le cas échéant.

De 1945 à 1959, les stages assurèrent la formation de 250 moniteurs et 450 auditeurs libres, dont nombreux furent ceux qui se livrèrent ensuite à des activités apicoles.

L'enseignement, à partir du rucher de démonstration, s'effectuait uniquement par l'exécution, en publique, des opérations saisonnières de l'apiculture, effectuées sur les trois types de ruche du rucher.

La première démonstration présentait une importance capitale. De son succès, dépendait la réussite de toute l'action qui serait menée ultérieurement. C'est pourquoi la première démonstration était celle de la récolte de miel.

Les invités étaient soigneusement choisis parmi les agriculteurs de la région, soit qu'ils aient marqué de la curiosité pour le rucher nouvellement créé, soit que pour d'autres activités ils aient montré un esprit ouvert au progrès. Réunis en petit nombre, une vingtaine, mais domiciliés en des lieux différents, de façon que leur rucher, une fois amélioré, constitue un exemple autour d'eux et incite les voisins à participer à leur tour aux démonstrations, ils assistaient à la récolte de miel. Et c'était un spectacle réjouissant devoir se succéder sur leur visage d'abord impassible, la surprise, la curiosité et enfin l'enthousiasme quand, habitués chez eux à de faibles récoltes, ils voyaient extraire d'une seule ruche une quantité égale à celle produite par plusieurs des leurs. La cause était entendue. Ils sollicitaient l'avis du moniteur sur l'amélioration de leur rucher, assistaient aux démonstrations, le moniteur devenant alors le guide patient leur évitant les erreurs de début.

Le succès de cette vulgarisation nécessita la mise au point de mesures d'aide aux fellahs nécessiteux. Des attributions de matériel leur furent consenties par les SAP sous forme de prêts à moyen terme remboursés par une partie des produits de leur rucher.

En 1959, les 140 ruchers de démonstration répartis sur l'ensemble du territoire constituaient une organisation efficace, menée à l'aide de moyens des plus modestes.

D'autres réalisations vinrent la compléter. Ainsi la création de ruchers-pépinières destinés à produire des colonies d'abeilles là où la demande dépassait les possibilités, tel 19 rucher-pépinière de la SAP de Ménerville, à Félix-Faure, produisant 400 colonies par an, réparties au nombre de quatre par apiculteur

En cette même année 1959, à partir de laquelle les événements freinèrent considérablement l'action si heureusement entreprise, les résultats étaient éloquents. La ruche arabe divisible avait reçu un accueil enthousiaste et existait à plus de 20 000 exemplaires. Beaucoup d'apiculteurs la construisaient eux-mêmes. Une centaine d'autres était passée à la ruche à cadres. La SAP de Boghari avait commercialisé une tonne de miel en 1952, là où l'apiculture était pratiquement ignorée dix ans auparavant, et avait obtenu une médaille de bronze au Concours général agricole, récompense également échue aux SAP de Tablat, de Téniet-el-Haad, de Tizi-Ouzou. La seule SAP de Collo avait réparti dans la région de Tamalous plus de 800 ruches arabes divisibles, fabriquées dans son Centre de formation professionnelle de menuiserie. Quant à la SAP de l'Ouarsenis elle conditionnait et commercialisait la production excédentaire de ses apiculteurs.

Ainsi se trouvait vérifié que cette vulgarisation aboutissait au but recherché, améliorer, par l'augmentation de la production en milieu apicole, les conditions d'existence des populations rurales autochtones par les ressources supplémentaires procurées et aussi améliorer, du même coup; la balance commerciale du miel au niveau des importations.

Mais il ne faudrait pas conclure que cette vulgarisation apicole ne s'exerçait qu'au seul bénéfice d'un élément unique de la population. Une action, différente, mais parallèle, était menée en milieu européen. Ainsi les stages de moniteurs avaient été ouverts aux auditeurs libres, au nombre de 450, dont plus de 50 % d'agriculteurs, intéressés par l'action efficace des abeilles sur l'accroissement des rendements de certaines productions agricoles, en arboriculture fruitière notamment. D'autres stagiaires se lancèrent dans l'apiculture professionnelle avec un plein succès.

Toujours dans le cadre de la vulgarisation en milieu européen, des brochures, des causeries radiophoniques, des articles de presse, des exposés présentés par l'ingénieur chargé de l'apiculture au cours de ses tournées, renseignaient les apiculteurs sur les nouveautés intervenues en matière de technique apicole et expérimentées par le Service dans ses ruches de recherche et d'expérimentation de l'Ecole nationale d'agriculture d'Alger et de la Station d'arboriculture de Boufarik.

Telle fut l'action de vulgarisation menée en Apiculture par le Service de la protection des végétaux, qui compléta celles plus importantes conduites dans d'autres domaines par l'ensemble des Services composant la Direction de l'Agriculture et des Forêts, afin de promouvoir une évolution de l'agriculture musulmane vers le progrès.

Charles GRIESSINGER

In l’Algérianiste n° 36 de décembre 1986

Vous souhaitez participer ?

La plupart de nos articles sont issus de notre Revue trimestrielle l'Algérianiste, cependant le Centre de Documentation des Français d'Algérie et le réseau des associations du Cercle algérianiste enrichit en permanence ce fonds grâce à vos Dons & Legs, réactions et participations.