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Le service de la défense et de la restauration des sols

Écrit par Charles Griessinger. Associe a la categorie Agriculture

RestaurationSols-dessinLe Service de la défense et de la restauration des sols bien connu sous le sigle D.R.S., créé en 1941, au sein du Service des eaux et forêts, eut pour tâche essentielle de remédier à l'érosion des pentes du relief algérien.

La rareté des végétations forestières sur ces reliefs est une des caractéristiques marquantes du pays. Et cependant, il semble bien, qu'à une lointaine époque, il possédait un peuplement forestier plus important que celui existant aujourd'hui. D'ailleurs, Ibn Kaldoun, le célèbre historien arabe n'a-t-il pas écrit, dans son Histoire des Arabes, des Perses et des Berbères, qu'il fut un temps où l'on pouvait aller du golfe de Gabès jusqu'à l'Atlantique, traversant ainsi l'ensemble du Maghreb, en marchant toujours à l'ombre.

On peut, d'ailleurs voir la trace de ces peuplements anciens dans la persistance des forêts qui ont survécu sur les sommets les plus élevés des Nementcha, de l'Aurès, de l'Atlas tellien, de Teniet-el-Had, de l'Ouarsenis , là où l'altitude a assuré leur protection. Par contre, les reliefs moins élevés présentent très souvent un aspect de désolation.
Ainsi la route reliant Fedj-M'Zala à Saint-Arnaud s'étire en de nombreux lacets, entre des hauteurs dénudées, ravinées, dans un paysage lunaire. Elle passe par Djemila, dont les ruines, bien conservées, des deux cités romaines, la païenne, en contrebas, flanquée de son temple et de son amphithéâtre, la chrétienne, groupée autour du baptistère, attestent de l'existence d'une cité autrefois prospère.

Djemila fut un important centre de commerce, un lieu de marché, si l'on en juge par les étals en pierre des commerçants, parfaitement conservées, qui présentent encore les cavités destinées à mesurer l'huile et les céréales. Aujourd'hui, Djemila s'inscrit dans un paysage désertique, aussi loin que la vue porte. On ne peut imaginer qu'il en fut ainsi au temps de sa prospérité et, on se représente mieux les hauteurs qui l'entourent, boisées et plantées d'oliviers.

D'autres vestiges témoignent ailleurs de l'action de la colonisation romaine en matière d'arboriculture. Ainsi, la région Mechta l'ArbiM'Chira proche du Djebel Rehrour, au sud de Châteaudun-du-Rhumel, ne laisse pas apparaître, au premier abord, qu'il y eût là une activité agricole dans une région aujourd'hui désertique. Cependant, vus d'avion, les reliefs révèlent la trace de courbes de niveau, témoins de plantations arboricoles. Et les labours, effectués dans cette région par les agriculteurs de Châteaudun-du-Rhumel, ont mis à jour des vestiges de moulins à huile, dont le rapprochement avec les courbes de niveau plaide en faveur de l'existence d'oliveraies, aujourd'hui disparues sur ces reliefs.


Ces mêmes paysages de désolation se rencontrent sur l'ensemble du territoire, à quelques exceptions près, telle la région EI-MiIia-Collo-Tamalous où le chêne-liège assure le maintien d'une végétation forestière et la forêt de Yakouren, à l'écart des flux migratoires.

Est également à souligner le nombre de localités dont le nom commence par le terme " Aïn ", la source, alors que, pour nombre d'entre elles, la source n'existe plus. Elle a coulé, dans le passé, mais le déboisement des pentes proches des villages, provoquant le ruissellement des eaux pluviales, au lieu de leur infiltration dans le sol, en est responsable.

A cet état de fait, ne sont pas étrangères les invasions successives des Vandales, puis des Arabes et l'occupation du pays par ces derniers. Peuple pastoral, à la recherche continuelle de nouvelles pâtures, ils les trouvaient dans la végétation succédant à la forêt brûlée, végétation herbacée d'abord drue, en raison de l'enrichissement du sol par le carbonate potassique des cendres de bois, puis de plus en plus clairsemée, pour finalement disparaître, à mesure que l'érosion éolienne et pluviale lessivait les sols, ne laissant que la roche.

Une comparaison s'impose. Qu'en était-il des reliefs de même nature des pays européens, situés de l'autre côté de la Méditerranée, habités par des populations rurales besogneuses, obligées de tirer leur subsistance de terrains difficiles à cultiver en raison de leur configuration ? Depuis des siècles, elles avaient imaginé d'aménager les pentes en terrasses successives, soutenues par des murettes de pierres empilées les unes sur les autres, la terre située au-dessus étant rabattue entre la muraille et la pente, de façon à constituer une plate-forme horizontale. Des intervalles, de largeur différente suivant la déclivité du terrain, séparaient chacune d'elles et la pente prenait l'aspect d'un gigantesque escalier. Les cultures entreprises sur les plates-formes, vigne et arbres fruitiers le plus souvent, assuraient la fixation du sol, tandis que ce système de terrasses évitait l'érosion pluviale, les eaux s'infiltrant, au lieu de ruisseler sur la pente, en emportant la terre. II se constituait ainsi des réserves hydriques du sol, se traduisant souvent par l'apparition de sources au bas des reliefs.

II n'en fut pas de même en Algérie, dans les siècles qui virent disparaître progressivement les traces de la colonisation romaine. La dégradation des pentes déboisées provoqua l'envasement des oueds par les déblais entraînés par les pluies souvent torrentielles, caractéristiques du climat algérien. Ne pouvant plus s'écouler dans les oueds, les eaux débordaient et provoquaient des inondations et la formation de marécages, générateurs du paludisme.

 

S'inspirant d'expériences réalisées dans l'ouest des U.S.A. le Service des eaux et forêts entreprit, en 1938, l'application, sur le terrain, d'une technique adaptée à la restauration des reliefs, et s'inspirant des gradoni italiens et japonais. Il s'agissait de couper les pentes par des banquettes horizontales, retenant les eaux s'écoulant sur les déclivités et permettant leur infiltration dans le sol, empêchant, du même coup, l'arrachement et l'exportation de la terre des reliefs.

Entrepris dans l'Atlas tellien, à Sakamody, les premiers travaux démontrèrent leur efficacité en régularisant le cours de l'oued Arbatache par le creusement de son lit en réduisant considérablement les transports de limon qu'il charriait et qui menaçait d'envasement le barrage du Hamiz.

Les travaux reprirent en 1945, en faisant une large part à l'expérience acquise. Ils furent le fait d'un nouveau service, émanant de celui des Eaux et Forêts, le Service de la défense et de la restauration des sols, créé en 1941.

D'abord exécutées à la main, les banquettes, de faible largeur, 70 cm, ne comportaient pas de bourrelet à l'aval, ni une légère pente opposée à la déclivité du terrain. Mais, très rapidement, l'emploi de terrasseur à traction animale permit d'élargir la banquette à 1 m 25 et de constituer le bourrelet d'aval, indispensable pour l'implantation d'une végétation arboricole.

En 1946 et 1947 furent utilisés, pour la première fois, des tracteurs lourds permettant l'utilisation des rooters de 3 tonnes, capables de défoncer profondément les sols durs et rocheux, caractéristiques de la plupart des sols érodés. De cette époque, date également la détermination de la pente à donner aux banquettes soit 15 %, afin de faciliter, en cas de forts orages (3 mm d'eau à la minute) l'écoulement des eaux excédentaires reçues par les banquettes.


Un profil strictement horizontal, obligeant ces eaux à passer par-dessus le bourrelet amenait la destruction de ce dernier; Grâce à cette légère déclivité, les eaux excédentaires s'écoulaient jusqu'à une rigole les évacuant le long de la pente.

Les techniques de la D.R.S. se perfectionnant, des matériels tracteurs et tractés encore plus performants furent utilisés, tracteurs de 200 CV et rooters de 6 tonnes. Des bourrelets plus massifs furent constitués, autorisant la formation de banquettes présentant une sole pouvant atteindre 3 m de large et un bourrelet de 0 m 50 de hauteur.

RestaurationSol-LesGradinsCes différents types de banquettes, étroites ou larges, amenèrent les concepteurs de la D.R.S. en Algérie, à les combiner sur une même pente. Banquettes très larges, établies de loin en loin, portant des plantations d'arbres sur leur bourrelet, banquettes servant également de voie d'accès et, entre elles, des banquettes plus serrées, faciles à entretenir avec un matériel léger.

Les banquettes établies, intervenait alors la restauration des sols, dont une longue période d'érosion avait fait disparaître toute fertilité. II fallait leur restituer une profondeur aussi grande que possible, afin de faciliter l'infiltration des eaux et la constitution de réserves hydriques indispensables. Suivant la largeur de la banquette, les travaux d'ameublissement du sol s'effectuaient soit par outils manuels, soit par rooters et lorsque la roche était trop dure, par explosifs agricoles.

Une fois le sol ameubli, intervenait alors sa mise en valeur par l'implantation de cultures arboricoles, associées, le cas échéant, à des cultures fourragères et céréalières.

Ces plantations variaient suivant l'importance de la déclivité du terrain.

Pentes supérieur à 50 %
Plantations d'arbres exclusivement. L'arbre est planté sur le bourrelet : caroubier, févier doux, olivier, figuier, amandier, et, si les conditions climatiques et les ressources du sol le permettaient, châtaignier, noyer, pommier et cerisier.

Pentes de 30 à 50 %
L'arboriculture prédomine, sous la forme de vergers plus rationnellement cultivables dans la mesure où la sole de la banquette aura pu être profondément défoncée par rooter.

Pentes entre 12 et 30 %
Deux conceptions d'utilisation de la banquette se présentent suivant le secteur concerné.

Secteur évolué : Installation de vignobles, de vergers à haut rendement et de cultures techniquement évoluées.
Les arbres ne sont plus plantés sur le bourrelet, mais sur la sole. Sur la pente, entre deux banquettes, le sol est travaillé en courbes de niveau parallèles à la banquette, ce qui permet l'installation de cultures dans des normes de sécurité suffisantes.

Secteur traditionnel : Vivant traditionnellement de la céréaliculture, ce qui l'incitait à pousser ses cultures sur les pentes les plus fortes, à la limite des possiblités d'emploi de la charrue, il était réfractaire à toute autre sorte de culture.

II a donc été nécessaire d'entreprendre, auprès de ces populations, un effort de vulgarisation, l'orientant vers l'élevage par la production de cultures fourragères sur la sole de la banquette, et la plantation d'arbres fruitiers, oliviers le plus souvent, sur le bourrelet.

Pentes inférieures à 12 %
La mise en D.R.S. n'y est plus systématique, les labours en courbe de niveau suffisant, dans la plupart des cas, à assurer la protection des sols. Elle n'intervient plus que rarement par l'installation de banquettes très espacées.

Ce côté technique des travaux de la D.R.S. ne doit pas laisser dans l'ombre son caractère social, bien au contraire. En effet, chaque fois que cela fut possible, lorsque les travaux à effectuer, tels la mise à profil de la banquette, le travail du sol, la formation du bourrelet, la fixation des exutoires, les plantations sur le bourrelet etc. pouvaient être exécutés manuellement, il fut fait appel à la population locale.

Ainsi, cette dernière fut associée à la restauration de son propre patrimoine, lorsque les travaux étaient exécutés en terrains " melk ", c'est-à-dire propriété collective de la tribu, et les salaires rémunérant les centaines de milliers d'heures passées à la restauration de son propre sol contribuèrent à améliorer très sensiblement ses revenus. Cela méritait d'être souligné.

De 1938 jusqu'au neuf premiers mois de 1959, les travaux de D.R.S. portèrent sur 240 000 hectares. Leur coût, en francs de l'époque s'éleva à 11 milliards.

Cela, aussi, devait être dit. Comme il convient de le faire pour les ingénieurs des Eaux et Forêts, et de la D.R.S. qui conçurent et réalisèrent cette mise en défense et en restauration du relief algérien, MM. Saccardy, Chef du Service des Eaux et Forêts, en Algérie, Monjauze, Ingénieur général, Putod, Chef du Service de la D.R.S. pour la région d'Alger, Plantie, pour la région d'Oran, Huriet pour la région de Constantine.

Charles GRIESSINGER

Documentation

Documents établis par le Service de la D.R.S. à l'occasion des journées des 23 et 24 juin 1961 consacrées à la rénovation rurale

- Examen critique des méthodes et des prix de revient en matière de travaux de D.R.S. par Jacques Pélissier, Directeur de l'Agriculture et des Forêts. 1960.
- Notes sur la mécanisation des travaux de D.R.S. par Alexis Monjauze. 1960.
- Technique Française Algérienne des Banquettes de D.R.S. par Louis Plantié. 1960.

In l'Algérianiste n° 52 de décembre 1990

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