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Le Football à PHILIPPEVILLE

Écrit par Robert Fiorio. Associe a la categorie Football

Football a Phillippeville

La majorité des Pieds-Noirs sont, comme moi je pense, passionnés de football. Je regarde tous les matchs que la télévision retransmet, et je dois l'avouer, je suis souvent déçu par le manque d'ardeur, d'enthousiasme de toutes ces stars royalement rétribuées. Et je me prends alors à rêver au football de chez " nous autres ".

Je ne peux témoigner qu'à travers ma ville, Philippeville, mais il en était certainement de même ailleurs. Le football a marqué toute la jeunesse de beaucoup d'entre nous, car il représentait je crois trois choses : un jeu, un moyen de défoulement lorsqu'on était enfant, un véritable sport quand, à partir de l'adolescence, on était apte à jouer dans un club, enfin à tout âge une passion et un art de vivre.

Le foot, il commençait devant la porte avec les rares moyens dont on disposait. Le terrain c'était souvent la rue, chez moi la rue Mellet (que doit bien connaître mon voisin d'alors le futur abbé Poupeney), avec à gauche un grand mur, et de l'autre le caniveau et le trottoir. Alors avec mes copains européens et musulmans du quartier, à quatre contre quatre, cinq contre cinq, nous recréions l'ambiance des grands matchs dont nous rêvions. La balle, souvent une boule de chiffon, suffisait à notre bonheur. Mais quand nous disposions d'une vraie balle en caoutchouc, alors c'était la fête ! Malheureusement nous ne rêvions pas longtemps, car la dureté des tirs et de l'asphalte lui faisait rapidement rendre l'âme. Je me souviens même d'avoir reçu un jour, un véritable ballon en cuir, cadeau d'une parente marseillaise en visite chez nous. Pendant quelques jours, avec les copains, nous nous sommes vraiment crus les égaux des Kopa, Strappe ou Baratte, vedettes des grands clubs métropolitains de l'époque. Hélas, lui non plus n'a pas fait long feu, mais il nous avait apporté quelque temps une immense joie.

Adolescents, c'était déjà un autre monde. Certes nous continuions souvent à jouer sur des terrains de fortune, parfois au bord de la mer vers la Marinelle. Mais les meilleurs d'entre nous avaient droit aux championnats cadets, juniors ou réserves dans les " grands " clubs : le Racing, l'Étoile ou la JSMP.

Pour eux le sérieux commençait avec l'entraînement en semaine, moins scientifique que maintenant, car nos " coachs " étaient rarement diplômés. Je pense par exemple à " Patchi " (j'ai oublié son vrai nom) le patron du bar du Colisée, personnage haut en couleur, dont une des expressions m'avait frappé. S'adressant un jour à un jeune gardien de but, il lui avait conseillé de " cueillir la balle comme un melon sur un melonnier " ! Mais l'évolution aidant nous eûmes droit plus tard à de vrais professionnels comme Bozzi à l'Étoile, Prouff (international A) au Racing ou autres Gonzalès.

Le jour des matchs, on évitait la " macaronnade "sacré du dimanche, craignant un alourdissement préjudiciable. Et puis arrivait l'heure de l'affrontement sur le terrain en dur du stade municipal. La rencontre était toujours passionnée, d'un engagement total mais dénué de méchanceté. Et pourtant l'enjeu n'était que relatif car la vraie passion se concentrait sur le match des " premières " qui suivait, avec l'entrée en lice de nos vedettes locales.

C'est là que le football devenait pour petits et grands une véritable passion et caractérisait notre art de vivre. Car nous les aimions ces joueurs souvent talentueux, toujours ardents au combat, alors que, petits amateurs, ils ne jouissaient pas d'avantages mirobolants.

Auprès de nous un Toto Buccafuri au Racing, un Conte à l'Étoile, un Louahem à la JSMP (Ah ! ses pénalties), bénéficiaient de tous les égards prodigués à un Cantona ou à un Ginola aujourd'hui. Tout au long de la semaine, on les interrogeait sur leur forme, on s'inquiétait de leur santé, on sollicitait un pronostic pour le dimanche. Et ce jour-là on applaudissait à tout rompre les crochets célèbres de Dédé Gianmarchi au Racing (il devait plus tard devenir capitaine de l'équipe de France olympique), la classe et l'efficacité d'un Ermecini, la puissance d'un Ascencio à l'Étoile, les brillants arrêts d'un Gori à l'Étoile d'un Sellini dit " Bouba " à la J.S.M.P. On admirait les rushs d'un Oudjani qui laissa par la suite à sa descendance le soin de briller dans le football professionnel métropolitain. Qui ne se souvient des facéties ou des tacles quelques peu litigieux d'un Barbara au Racing ou d'un Guettaff à l'Étoile ?

Passion qui s'exacerbait lors des derbys Racing-Etoile où pendant quelques jours, avant et après la rencontre, la fièvre ne quittait pas les supporters dans leurs angoisses d'avant match et leurs joies ou leurs déceptions selon le résultat. La défaite était toujours dure à avaler, la victoire splendide, mais l'une comme l'autre occultaient les petites misères quotidiennes. Et au sujet de ces derbys, personne n'oubliera la célèbre " Marie Pacaron " et son parapluie (Pacaron c'était son surnom, car elle avait fait " ses Pâques à Rome ") ardente supportrice du Racing, qui invitait gratuitement dans son restaurant les meilleurs joueurs... s'ils l'avaient emporté.

Passion aussi chez les lycéens : je me souviens d'un lundi matin où apprenant que je venais de récolter une mauvaise note, j'ai été consolé par mon ami André Quilici dit " Quiqui ", le Vignal des juniors du Racing, par ces mots: " Ce n'est pas grave le Racing a gagné hier ". Et combien de fois tous deux en classe de philosophie, avons-nous cessé d'écouter notre professeur M. Belle, qui s'efforçait de nous inculquer la sagesse de Socrate, pour bâtir sur le coin de la table l'équipe qui nous semblait la meilleure pour le dimanche. Qu'ils étaient nombreux les camarades aphones le lundi matin, pour avoir trop entonné au stade la veille, de " Bomatchikabos " pour le Racing ou d'" Aller l'Étoile " ! Ce véritable engouement, il s'exprimait tout au long de la semaine dans les bars, fiefs des clubs, comme le " Ballon" des frères Fortino pour le Racing, ou chez Mimon sous les arcades pour l'Étoile.

Oui mais me direz-vous, en France aussi actuellement il y a des supporters enthousiastes ? Minute tout de même ! Cet engouement, cette passion tout au long de la semaine, ils étaient éprouvés pour de petits clubs amateurs à faible budget, dans un championnat modeste. Et ils ne s'éteignaient pas lorsque l'équipe ne brillait pas. Et les joueurs signaient pratiquement un bail à vie avec leur club.

Alors s'agissait-il d'une drogue ? En quelque sorte oui, pour tous les " petits ", les pauvres de la rue du 3e Bataillon d'Afrique, qui s'évadaient un peu grâce au football.

Oui tout compte fait, je crois que ceux du Racing ou de l'Étoile à Philippeville, de l'ASB ou de la JBAC à Bône, du RUA à Alger et j'en passe, cette passion ils peuvent en être fiers, car elle exprimait toute cette joie de vivre à l'image du soleil de notre pays perdu.

ROGER FIORIO

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