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Le docteur François-Clément Maillot

Écrit par Raymond FERY. Associe a la categorie Médecine

Ense aratro et quina
par Raymond FÉRY
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Buste du docteur MAILLOT par Mme MAILLOT

l. - LE DOCTEUR FRANÇOIS-CLEMENT MAILLOT

Sans la quinine, sans le docteur Maillot, il n'y aurait sans doute jamais eu de colonisation française en Afrique du Nord, ni même d'Algérie, puisque ce nom a été donné à la Régence d'Alger par le roi des Français.

La situation sanitaire à Bône en 1834

Lorsqu'en janvier de cette année-là, le médecin-major François-Clément Maillot arrive à Bône, pour prendre la direction de l'hôpital militaire, il découvre une situation catastrophique.
La ville, cernée par les marais de la Boudjima, l'embouchure marécageuse de la Seybouse, a été enlevée, abandonnée, puis reprise, mais, avant de l'évacuer définitivement, les troupes du bey de Constantine l'ont complètement dévastée. Les Français se sont installés dans des maisons croulantes, aux terrasses crevées, les rues ne sont que des cloaques jonchés d'immondices.

L'année 1833 a été particulièrement éprouvante. Sur l'effectif de 5.500 hommes de la garnison bônoise, 4.000 ont été admis, pour des périodes plus ou moins longues, à l'hôpital militaire, installé dans des conditions de fortune. Un grand nombre d'accès pernicieux ont emporté les malades en quelques heures; Hutin, alors médecin-chef, note que pour 35 sortants on a compté 10 décès.

Lors du dernier été, la position de la garnison était devenue intenable : la ville, encerclée par les Berbères, qui allumaient des incendies embrasant les collines d'alentour, n'avait plus pour défenseurs que des hommes harassés, mourant de faiblesse et de fièvres. Du 15 juin au 15 août, on a enregistré trois cents décès, soit plus d'un pour trois hommes!

La situation en Algérie

En d'autres points du territoire, la situation, pour moins grave qu'elle fût, ne laissait pas d'être extrêmement préoccupante. Dans tous les corps de troupe, les " fiévreux" étaient nombreux et souvent la fièvre prenait un caractère pernicieux un fiévreux sur seize en mourait.

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Les fiévreux de l'Armée d'Afrique

" Encore les soldats trouvent-ils dans les hôpitaux des soins diligents et dévoués. Livrés à eux-mêmes, les malheureux colons qui se sont aventurés à la suite de l'armée sur cette terre inhospitalière, meurent bientôt dans l'effroyable proportion de trente pour cent! Qui peut oublier en Algérie les hécatombes des premiers Européens habitant Boufarik? En moins de trois ans, nous dit Beaudricourt, s'est éteinte toute la génération des premiers colons de cette ville. " (1)

Alors des voix s'élèvent pour prôner " l'occupation restreinte ", voire pour réclamer le rapatriement du corps expéditionnaire et " l'abandon de l'Algérie, ce domaine de la mort sans gloire, aux chacals et aux bandits arabes". Bugeaud, le plus illustre des chefs militaires, se prononce contre la conquête qu'il estime, politiquement et économiquement, stérile. Le gouvernement lui-même hésite sur la conduite à tenir, il ne demande au Parlement que des crédits parcimonieux, permettant tout juste de maintenir des effectifs réduits à ceux d'une division (1 0 000 hommes environ).

Le rôle du service de santé

Les médecins du service de santé, instruits en France, n'ont qu'une connaissance théorique de la pathologie locale. Confrontés à une endémo-épidémie de " fièvres " et de " dysenteries ", ils se fondent sur des symptômes trompeurs et portent le diagnostic de gastro-entérite ou de gastro-encéphalite. Selon la doctrine apprise au Val-de-Grâce, ces affections seraient dues à " l'inflammation de la membrane interne du canal digestif irritant vivement l'appareil cérébro-spinal " (2), justifiant un traitement "antiphlogistique", propre à entraîner la déplétion des viscères enflammés.

Dans les hôpitaux on applique, en conséquence, des thérapeutiques surannées, inefficaces, voire dangereuses : purgations, diète draconienne tant que la fièvre persiste et saignées à répétition. Certes on utilise la quinine, mais à doses infinitésimales et encore attend-on la fin du dernier accès pour administrer la première prise. " Plus on retarde la quinine, plus le succès est certain, plus on détruit les chances de récidive " écrit très sérieusement le major Huet, médecin de l'hôpital de Bône.

D'ailleurs, le service de santé dispose de peu de moyens. Sans parler des installations souvent précaires, le manque de matériel et de médicaments est constamment signalé par les médecins. Le sulfate de quinine coûte 25 francs l'once! C'est un médicament de luxe et c'est peut-être la raison de l'usage parcimonieux qui en est fait. " En fin de compte, les malades qui avaient pu surmonter la fièvre, la diète et les saignées, restaient des convalescents vidés et débiles. Les accès s'arrêtaient bien mais lorsqu'apparaissait la cachexie. " (3)

On comprend que, dans de telles conditions, la conquête d'immenses territoires et, plus encore, leur colonisation apparaissent chimériques et, en tout cas, au-dessus des moyens que la France est capable de mettre en oeuvre.

L'oeuvre du docteur Maillot

Telle est la situation lorsque Maillot prend la direction de l'hôpital de Bône en janvier 1834. Il est alors âgé de trente ans. Ses biographes le décrivent comme " doué d'une intelligence vive, d'une perspicacité pénétrante, d'un caractère énergique, de sentiments très délicats... Sa physionomie exprime la finesse et la bonté, le calme et la fraternité ". (4)

" Esprit lucide, observateur sagace, travailleur passionné ", il s'est déjà familiarisé avec les " fiévreux ". Il vient, en effet de passer plusieurs mois à l'hôpital militaire d'Ajaccio (1831) et plus d'une année à celui d'Alger (1832-1833). Aussitôt il recherche la nature des maladies frappant la garnison bônoise et l'analogie existant entre ces affections et celles qu'il vient d'observer en Corse et à Alger. Se fondant sur la similitude du climat, la position des points occupés par les troupes au voisinage des marais, il conclut à leur identité. Mais, ajoute-t-il, " à Bône, les marais touchant la ville et les ports extérieurs étant placés au centre ou au pourtour de ces terrains marécageux, on devait avoir des accidents plus graves, des fièvres pernicieuses en plus grand nombre ". (5)

Maillot institue alors le traitement des fièvres sur des bases complètement nouvelles. Avant lui, Antonini, médecin du corps expéditionnaire, puis médecin-chef de l'hôpital militaire d'Alger, avait déjà préconisé leur traitement par la quinine, mais si Maillot n'en a pas introduit l'usage, "il en a parfaitement codifié et répandu l'utilisation. Il prouve, en effet, que la quinine ne provoque pas d'accident mais qu'elle amène la chute de la fièvre et la disparition des congestions viscérales. Encore faut-il savoir la prescrire ". (6)

Insistant sur la nécessité de frapper fort, dès le premier accès, il n'hésite pas à porter la dose quotidienne à 24 et jusqu'à 40 grains, soit 1,20 g et 2 g, au lieu d'attendre que la fièvre soit tombée pour agir et de s'en tenir aux doses de 4, 6 ou 8 grains, c'est-à-dire entre 0,20 et 0,40 g, comme c'était la règle jusqu'ici. (7)

Les résultats ne se font pas attendre. En 1835, on n'enregistrera à l'hôpital de Bône qu'un seul décès pour 27 entrants. La mortalité est tombée à 3,7 %, contre 11 % en 1832 et près de 23 % en 1833!

Maillot préconise également l'abandon de la diète, des purgations drastiques et de la saignée. Il écrit : " Des circonstances de guerre m'ayant forcé à brusquer le régime, j'ai vu qu'on pouvait le tenter sans qu'il en résultât de graves inconvénients " et ses convalescents, convenablement alimentés, se restaureront plus rapidement.

Malgré le succès de sa méthode, Maillot éprouvera les plus grandes difficultés à imposer ses vues. A Bône même, dans son propre hôpital ,on voyait les malades traités dans les services voisins du sien, mais par les méthodes anciennes, se hâter d'abandonner leurs lits, pour se disputer ceux que non plus les décès mais les convalescences et les guérisons laissaient vacants chez M. Maillot. Ils répondaient à ceux qui s'étonnaient de les trouver sans inscription régulière : " Je viens dans le service où l'on guérit". (8)

Si certains médecins demeuraient réticents, il n'en allait pas de même dans la troupe et chez les colons. Tous réclamaient le médicament miracle. La quinine se vendait dans les cantines au même titre que les consommations (9). La médication de la fièvre par la quinine s'imposa aux médecins à la demande des malades eux-mêmes.

S'il est vrai, comme l'a écrit Desjobert, qu'" en Afrique le véritable ennemi c'est la maladie, le véritable champ de bataille c'est l'hôpital", (10) Maillot a gagné une bataille décisive. Le traitement des fièvres selon sa méthode a permis de réduire considérablement la mortalité dans les corps de troupe et chez les colons. Dès lors, la conquête de l'Algérie devenait possible et la colonisation pouvait être envisagée avec les plus grandes chances de succès. Bugeaud, qui succède au maréchal Valée au poste de gouverneur général, fait volte-face et décide de transformer ses anciens soldats, à l'image des vétérans des légions romaines, en soldats-laboureurs. L'Algérie sera conquise par l'épée et par la charrue : ENSE ET ARATRO.

Pourtant, il faudra attendre encore des années pour que justice soit rendue à François Maillot. Ce sera fait, avec éclat, à l'occasion du congrès scientifique qui se tiendra à Alger en 1881. Le docteur Cuignet y présentera un important rapport sur " l'oeuvre du docteur Maillot en Algérie ". On affirmera alors que, grâce à lui, l'Algérie a pu devenir française et le docteur Battarel, médecin des hôpitaux d'Alger, proposera de remplacer la fameuse maxime de Bugeaud par celle de : ENSE ARATRO ET QUINA! (par l'épée, la charrue et la quinine).

Raymond FÉRY.

(Prochain article : , La quinine, médicament miracle ? ")

(1) DARBON (A.). - Le service de santé des armées en Algérie, 1830-1858, in Regards sur la France, n° spécial, octobre - novembre 1958.
(2) BROUSSAIS (J.). - Cours de pathologie et de thérapeutique, Val-de-Grâce, 1829-1830.
(3) DARBON (A.). - Op. cit.
(4) CUIGNET (J.). - L'oeuvre du docteur F.-C. Maillot en Algérie. Congrès scientifique d'Alger, 1881.
(5) MAILLOT (F.-C.). - Mémoire à l'académie de médecine, 30 mai 1835,
(6) DARBON (A.). - Op. cit.
(7) Le grain équivalait à environ 0,053 gramme.
(8) Lettre du général Duzer au ministre de la Guerre, datée du 10 mars 1835.
(9) TRUMELET (Col. C.). - Boufarik, Alger, 1887.
(10) DESJOBERT,L'Algérie en 1838, 1844 et 1846.

In l'Algérianiste n° 37 de mars 1987

     

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