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La Quinine, un médicament miracle ? (2)

Écrit par Raymond FERY. Associe a la categorie Médecine

Ense aratro et quina
par Raymond FÉRY

Il. - LA QUININE, UN MEDICAMENT MIRACLE?
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La quinine, on l'a vu, a vaincu le paludisme (1)

Le docteur Maillot a vécu assez longtemps pour voir triompher ses idées. Il est mort à Paris, à l'âge de quatre-vingt-dix ans et repose désormais au cimetière du Montparnasse. Entre-temps, on est entré dans l'ère pastorienne, les fièvres ont maintenant un nom et l'on en connaît l'origine.
Longtemps on en a trouvé la cause dans les miasmes méphitiques, exhalaisons de marais pestilentiels, empoisonnant l'atmosphère. Pour les Italiens, ces affections, sévissant dans tout le bassin méditerranéen, c'est la malaria : l'air est malsain. Le ministre français de la Guerre le croit, lui aussi : "L'Algérie n'est qu'un rocher stérile, dans lequel il faut tout apporter, excepté l'air, encore est-il mauvais!" (2)

D'autres tiennent pour l'origine tellurique des émanations miasmatiques responsables des fièvres. Elles proviennent des terrains marécageux des marais (palus, paludis en latin). Les fièvres qu'elles provoquent sont la traduction de l'infection palustre ou, si l'on veut, de l'impaludation. On les désignera sous le nom d'impaludisme ou, plus simplement, de paludisme (3).

La découverte de Laveran

Ce n'est qu'en 1880, près de cinquante ans après que Maillot eût réglementé le traitement du paludisme par la quinine, qu'Alphonse Laveran en découvrira l'agent causal, un parasite du sang, l'hématozoaire. " Pour atteindre la vérité, il a suffi à Laveran de quitter les sentiers battus et de rechercher la cause première du paludisme non pas dans l'air, les eaux ou le sol, mais dans l'homme malade. " (4)

Ce jeune agrégé du Val-de-Grâce est un clinicien, mais aussi un homme de laboratoire. Il sait, depuis les découvertes de Pasteur, que des micro-organismes, qu'un autre médecin de l'Armée d'Afrique, le chirurgien Sédillot, a proposé d'appeler microbes (5), sont responsables de certaines maladies infectieuses.

Les premières recherches de Laveran remontent à 1878. A cette époque, étant en poste à Bône, il avait déjà reconnu l'existence de corps sphériques, pigmentés, doués de mouvements dans le sang des fiévreux. Il suppose qu'il s'agit d'éléments parasitaires et c'est à Constantine qu'il va en avoir la confirmation.

En 1880, le rocher de Constantine, cerné d'un côté par un vertigineux abîme et de l'autre par les gorges profondes du Rhumel, n'est toujours relié à la terre ferme que par l'unique pont dit d'El Kantara au nord-est et par l'isthme étroit qui le soude à l'éminence du Koudiat au sud-ouest. Une vaste caserne a été construite aux pieds du Rocher, dans le quartier du Bardo, non loin du confluent du Rhumel avec l'oued Bou Merzoug. La garnison, comme en bien d'autres localités d'Algérie, paie un lourd tribut au paludisme. Un chaud matin d'été de cette année-là, un malheureux soldat du train des équipages grelotte sur sa couche, claquant des dents et souffrant d'un violent mal de tête. On le transporte d'urgence à l'infirmerie de la caserne, où un aide-major passe la visite. Le toubib l'évacue dare-dare sur l'hôpital militaire, dont les grands bâtiments s'élèvent dans la casbah, immense citadelle couronnant le Rocher.

Le petit tringlot est aussitôt admis dans le service du médecin-major Alphonse Laveran qui, avant tout traitement, procède sur lui à un prélèvement de sang pour l'examiner au microscope. Cette fois, l'examen montrera, sur le bord des corps sphériques pigmentés, la présence d'éléments filiformes s'agitant avec vivacité. Dès lors, Laveran n'a plus de doute sur la nature parasitaire de la maladie.

Des mois durant, il va poursuivre ses recherches sur de nouveaux malades. Maintes fois, il retrouvera le parasite et pourra décrire ses différents aspects avec précision. En novembre 1880, il se décide à rendre compte de ses travaux à l'Académie de médecine. Mais " la découverte de Laveran ne sera comprise et reconnue qu'après de longues années de lutte, car l'animalcule, auquel il attribue le paludisme, est très différent des microbes connus en 1880... Après l'avoir découvert, Laveran est amené à supposer qu'il est propagé par les moustiques" (6), ce qui sera confirmé, expérimentalement, par le médecin de l'Armée des Indes Ronald Ross en 1897.

Ainsi l'on connaît désormais l'agent causai des fièvres palustres : c'est un microbe inoculé à l'homme par la piqûre des moustiques; leurs formes cliniques sont précisées; leur diagnostic s'effectue couramment en laboratoire; leur traitement, tant curatif que préventif, peut être entrepris avec toutes les chances de succès.

Et la quinine dans tout cela?

Pendant près d'un siècle, elle sera le seul médicament dont disposeront les médecins pour combattre le paludisme. Laveran lui-même a écrit : " C'est parce qu'il tue ces parasites (les hématozoaires) que le sulfate de quinine fait disparaître les accidents de l'impaludisme.," (7)

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Jusqu'en 1942, cette statue de bronze de Pelletier et Caventou se dressait au carrefour du boulevard Saint-Michel, de la rue Auguste-Comte et de la rue Abbé-de-l'Epée, non loin de la faculté de pharmacie de Paris.
Durant l'occupation, elle fut, comme tant d'autres, démolie par les Allemands au titre de la récupération des métaux.
Aujourd'hui, elle a été remplacée par une fontaine monumentale, portant deux médaillons de bronze à l'effigie des deux savants pharmaciens. Une inscription commémore leur découverte de la quinine en 1820.

L'honneur revient à deux chercheurs français, les pharmaciens Pierre Pelletier et Joseph Caventou, d'avoir découvert la quinine, un alcaloïde qu'ils ont réussi à isoler et à extraire de l'écorce de quinquina. Leur découverte remonte à 1820 et l'on a vu que les médecins de l'Armée d'Afrique en ont fait usage, avec plus ou moins de bonheur, dès les premiers moments de la conquête de l'Algérie, jusqu'à ce que Maillot sache l'utiliser de façon rationnelle, avec succès (1).

A sa suite, les sels de quinine ont été employés sur une large échelle, pour le traitement des malades, par les médecins militaires, puis par les médecins de colonisation et, bien entendu, dans tous les établissements hospitaliers publics et privés; ils permirent, par la stérilisation du réservoir de virus - c'est-à-dire des populations fortement impaludées - d'entreprendre la protection des populations indemnes.

Au début du siècle, à la demande du gouverneur général Jonnart, l'Institut Pasteur de Paris envoie en Algérie une mission permanente pour l'étude épidémiologique et prophylactique du paludisme. Les pastoriens Edmond et Etienne Sergent feront oeuvre de pionniers et jetteront les bases du futur service antipaludique. " Pendant près d'un demi-siècle, sous la haute autorité des frères Sergent, aidés de leurs éminents collaborateurs, MM. Parrot, Foley, Castaneï et Sénevet, l'Institut Pasteur a poursuivi un triple but : l'expérimentation, l'enseignement et l'application des méthodes prophylactiques". (8)

" Quand nous avons commencé, en 1900, nos recherches expérimentales - écrivent Edmond et Etienne Sergent - la quinine était l'unique remède spécifique connu du paludisme. La quininisation systématique des porteurs de germe était le seul moyen de stérilisation du réservoir de virus... C'est pourquoi nous avons désigné sous le nom de quininisation préventivo-curative la méthode de distribution de la quinine, généralisée à tous les habitants d'une localité fiévreuse...."

" Autrefois, sur la table du colon, le flacon de quinine en poudre (sulfate, chlorhydrate) voisinait avec la salière. Au début du repas, elle était distribuée, comme le sel, au bout du couteau, aux convives, petits et grands." (9) Un tel procédé avait le grave inconvénient d'ignorer tout dosage rigoureux d'un médicament non exempt de toxicité, surtout pour les enfants. Les frères Sergent adoptent alors, à l'instar des paludologues italiens, l'emploi de dragées, colorées en rose, contenant 20 centigrammes de chlorhydrate de quinine, enrobé dans du sucre, que tous ceux qui ont vécu en Algérie connaissent bien.

Edmond Sergent rapporte, à ce propos, une savoureuse anecdote : "A la prime aube d'un jour brûlant d'été, dans l'auberge d'un village du Chéliff, je prenais le café noir du matin sur zinc, à côté d'un de ces rouliers des routes du sud décrits par Louis Bertrand dans le Sang des races. Je vois mon Rafael avaler une dragée rose entre deux gorgées de café chaud. "Que prenez-vous ainsi?" lui demandai-je. D'un air superbe et dédaigneux, il me répondit : "Comment, vous ne connaissez pas? Mais c'est la nouvelle quinine, bien meilleure que l'ancienne"." (10)

Des équipes d'agents quininisateurs, placés sous le contrôle des médecins de colonisation, parcourent le bled pour distribuer la quinine, à jour fixes, dans chaque village..." toujours et partout admirablement reçus par les fellahs, surtout par les femmes, reconnaissantes des soins qu'on apporte à leurs petits enfants". (11) Pour ces derniers, le service antipaludique du gouvernement général a fait préparer des chocolatines, tablettes sécables de chocolat, enrobant dix centigrammes de tannate de quinine et pouvant être divisées en demi et quart de dose.

Le déclin de la quinine

Le règne de la quinine va connaître le déclin, avec la découverte, après la guerre de 1914-1918, des antimalariques de synthèse. Le premier connu de ces médicaments est la plasmochine (ou proequine) découverte en 1926 par l'Allemand Schulmann; d'autres suivront : rodoquine, atébrine (ou quinactine) - 1930, nivaquine - 1938, paludrine - 1947, primaquine, etc. Malocide enfin, dans les années cinquante.

Néanmoins, la quinine a conservé longtemps la faveur des cliniciens. A mes débuts professionnels dans l'Aurès, j'utilisais encore couramment le formiate de quinine (spécialisé sous le nom de quinoforme) en injections intramusculaires à la dose d'un gramme par jour. Il m'est même arrivé, dans des cas d'accès pernicieux sévères, d'injecter aux malades du quinoforme par voie veineuse. (12)

L'Organisation mondiale de la santé soutient actuellement une quarantaine de centres de recherche sur le paludisme. Les uns procèdent à la sélection des médicaments et à la standardisation des techniques, d'autres étudient les méthodes sérologiques préparant l'immunisation des populations menacées par l'utilisation de vaccins antipaludiques.

Mais cela est une autre histoire...

Raymond FÉRY.

(Prochain article : " La merveilleuse histoire du quinquina".)

(1) Voir première partie:.Le docteur François-Clément MAILL0T., in L'Algérianiste n° 37 de mars 1987.
(2) Général BERNARD, ministre de la Guerre cité par Bonnatont Douze ans en Algérie (1830-1842). Paris, 1880.
(3) PÉRIER (J.A.), Hygiène de l'Algérie : exploration scientifique de l'Algérie, pendant les années 1840, 1841 et 1847 Paris, 1847.
(4) SERGENT (Ed.), SERGENT (Et.) et PARROT (L.), la Découverte de Laveran, collection du Centenaire de l'Algérie, Paris, 1930.
(5) SÉDILLOT (Ch.), Application des travaux de M. Pasteur, Paris, 1878.
(6) SERGENT (Ed.) et Sergent (Et.), Histoire d'un marais algérien. Institut Pasteur de l'Algérie, Alger, 1947.
(7) LAVERAN (A.), Traité du paludisme, 2- éd., Paris, 1907.
(8) ANDARELLI (L.), Le rôle des médecins de la santé dans la lutte antipaludique, congrès du Centenaire de la médecine de colonisation, Alger, 1955.
(9) SERGENT (Ed.) et SERGENT (Et.) - op. Cit. (6)
(10) SERGENT (Ed.) ibid.
(11) SERGENT (Ed) et SERGENT (Et.) - op. cit.
(12) FÉRY (R.), Médecin chez les Berbères, 1ère partie, chap. IX, Editions de l'Atlanthrope, Versailles, 1986.

In l'Algérianiste n° 38 de juin 1987

 

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