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Les trois calendriers des musulmans d'Algérie

Écrit par Robert Laffitte. Associe a la categorie Musulmanes

calendriers01Agrandissement de l'un des cartouches, celui du mois de septembre représentant les vendangeurs foulant le raisin.
(collection auteur)

 

  

On sait que les Européens d'Algérie utilisaient pour le décompte des jours, des semaines et des mois le même calendrier que tous les pays civilisés occidentaux. Calendrier solaire basé sur des années de 365 jours un quart et marchant de pair avec les saisons. Par contre, les musulmans utilisaient, pour les besoins de leur culte, un calendrier lunaire dont les douze mois fixés par les phases de la lune n'avaient que vingt-neuf ou trente jours, ce qui leur donnait des années d'une durée totale de 354 jours seulement. Ainsi, toutes leurs solennités religieuses telles que leur grande fête l'Aïd el Kebir ou leur mois du jeûne le Ramadan tombaient chaque année onze jours plus tôt que l'année précédente. Et ainsi, au cours d'un cycle de trente-six années toutes les cérémonies liées au culte musulman balayaient successivement les quatre saisons de notre année solaire. Cette année destinée aux pratiques religieuses ne pouvait absolument pas convenir aux nécessités de l'agriculture : labours, semailles et autres, déterminées par le rythme des saisons liées au soleil. Au cours des cent trente années de cohabitation avec la France, les musulmans s'étaient facilement habitués à vivre suivant les dates de notre calendrier qui rythmaient d'une manière satisfaisante les travaux des champs, mais que se passait-il avant la période française?

Genèse 1.14. " Dieu dit: Qu'il y ait des luminaires " " dans le ciel pour séparer le jour d'avec la nuit; " " que se soient des signes pour marquer les saisons, les " " jours et les années. "

Nous savions qu'en plus des mois de l'année musulmane : Moharrem, Safar... Ramadan, ils utilisaient douze mois de trente ou trente-et-un jours analogues aux nôtres auxquels ils donnaient des noms presque identiques aux noms français : iennar (janvier), fourar (février), mars, ebrir (avril), maio (mai), iounian (juin), iouliou (juillet), raoucht (auguste), september, october, november, dicember!

La première idée qui venait à l'esprit était qu'il s'agissait simplement de nos noms des mois français déformés ou même simplement mal prononcés.

Il n'en était rien, ces noms étaient en usage bien avant 1830 et dès ces temps préfrançais, ils les utilisaient au cours d'une année solaire nécessaire pour accompagner au cours des saisons le climat qui réglait les labours, les semailles et la vie des troupeaux, indifférents à la lune et aux fêtes religieuses, mais assujettis aux saisons donc au cours du soleil. Qu'était donc cette année des habitants du bled algérien avant 1830? C'était bien une année solaire mais ce n'était pas la nôtre. Les débuts des mois retardaient de douze jours sur les nôtres. Quel était donc ce calendrier?

Le calendrier julien

C'était le vieux calendrier julien qui tire son nom du fait qu'il a été promulgué par Jules César il y a aujourd'hui un peu plus de 2000 ans et qui fut introduit dans l'Afrique romaine où il s'est perpétué.

Jules César voulait sortir les Romains des calendes et de leurs règles empiriques qui fixaient les dates de tous leurs usages et donnaient dans un certain désordre les dates commémoratives aussi bien q e celles des pratiques agricoles. Il fut étudier par l'astronome grec Sosigène un calendrier basé sur les observations astronomiques que, depuis deux siècles, des savants de la période hellénistique avaient étudié. Il suffisait de le codifier. Ce calendrier comporta des années de 365 jours et pour tenir compte du quart de jour supplémentaire une année de 366 jours était créée, dite bissextile, qui comportait un mois de février de vingt-neuf jours une année sur quatre. Ce calendrier entra bientôt en usage dans tout l'Empire romain, l'origine des années étant comptée depuis la fondation de Rome.

Le calendrier grégorien

Ce décompte des années était calculé sur une durée de 365 jours un quart, ce qui n'est qu'approximativement exact. L'année ne compte pas 365,25 jours mais 365,2422 seulement. Cela fait que l'année du calendrier julien est trop longue de onze minutes et quatorze secondes.

Sosigène le savait, mais cet écart lui parut négligeable. Mais siècle après siècle, le retard s'accumulant, il devint de plus en plus apparent et au XVe siècle les saisons se trouvaient avoir dix jours d'avance sur les dates du calendrier ou ce qui revient au même, le calendrier avait pris dix jours de retard sur le soleil, et donc sur les saisons!

Tous les érudits ayant pris conscience de cet écart depuis le XIVe siècle au moins, et en ayant souvent débattu, le pape Grégoire XIII prit les décisions qui s'avéraient nécessaires, fixant les règles générales et, pour compenser le retard des dates calendaires, il décida de retrancher dix jours à l'année 1582. Le lendemain du jeudi 4 octobre fut le vendredi 15 et cette année-là n'eut que 355 jours, mais les équinoxes marquant les débuts des saisons retrouvèrent les dates fatidiques fixées plus de dix siècles plus tôt.

Les règles destinées à conserver indéfiniment cette coïncidence des dates du calendrier avec les mouvements apparents du soleil et les saisons sont simples. II a suffi de décider de supprimer le caractère bissextile de trois années sur quatre. Alors que toutes les années séculaires nombre divisible par quatre - étaient bissextiles, il fut décidé qu'après l'année 1582, les trois années 1700, 1800 et 1900 resteraient des années "courtes", les années 1600 puis 2000 resteraient bissextiles et ainsi de suite toutes années dont les deux premiers chiffres indiquant le nombre de siècles sont divisibles par 4 (16, 20 et ainsi de suite) resteraient bissextiles.

La réforme fut faite avec le minimum de troubles puisque si la coupure de dix jours qui était nécessaire modifia le mois d'octobre 1582, la continuité des jours de la semaine ne fut pas perturbée puisque le lendemain du jeudi 4 octobre fut le vendredi 15.

Cette réforme ne fut pas due à un souverain mais a été promulguée par le pape dont l'autorité morale était plus étendue. Cela se fit immédiatement à Rome et dans toute l'Italie et tous les pays catholiques l'acceptèrent plus ou moins rapidement. La France fit la "coupure" de dix jours en décembre de la même année 1582.

Mais les pays protestants furent parfois lents à l'adopter. Ainsi la très conservatrice Angleterre, toujours lente à adopter les mesures venant du continent, surtout quand elles étaient édictées par la papauté, ri adopta la réforme qu'avec plus d'un siècle de retard, exactement en 1752! Et il leur en coûta la suppression de onze jours au lieu de dix, car ils avaient eu une année bissextile en 1600, et ils passèrent sans intervalle du 2 au 14 septembre 1752. Le grand astronome Kepler à qui nous devons d'avoir déterminé les lois qui régissent les mouvements des planètes autour du soleil dit : "Les protestants aiment mieux être en désaccord avec le soleil que d'accord avec le pape".

Le troisième calendrier des musulmans d'Algérie

Il y eut donc des réticences de beaucoup de pays qui hésitaient à reconnaître l'autorité de Rome même quand il ne s'agissait pas de questions touchant à la religion. Et que se passa-t-il dans le pays qui allait devenir l'Algérie? Il était isolé de l'Europe par la civilisation musulmane et les Turcs. Tous continuèrent donc à utiliser le calendrier julien continuant à compter tous les quatre ans une année bissextile sans exception. C'est ainsi qu'en 1933, j'ai rencontré dans l'Aurès, à cent cinquante kilomètres au sud de Constantine, un vieil homme, un cheikh, qui vivait dans une dechra de l'oued Abdi, à Teniet el Abed; il indiquait les dates. Et pour ne pas se tromper, il conservait dans un petit sac de cuir dans lequel il mettait quatre pierres et les retirait une à une au début de chaque année pour ne pas oublier la quatrième, celle qui devait avoir 366 jours. Et lui - ou ses aïeux - devaient faire cela, je ne dirais pas depuis Jules César, mais depuis qu'au Ille ou IVe siècle de notre ère, les Romains avaient introduit leur calendrier avec ses années bissextiles.

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Mosaïque ornant la pièce principale d'une maison romaine de Thysdrus en Tunisie. Douze cartouches représentent les mois Martias (Mars) Apriles (Avril) Maïas (mai) etc. jusqu'à September, October, November, December dont les numéros 7,8,9,10 représentent leur rang dans l'année romaine. Celle-ci finissait par janvier et Février et c'est à la fin de celui-ci que tous les quatre ans on ajoutait un jour dit bissextile. (collection auteur).

 

 

Et le premier jour de l'année, au début de iennar, les Chaouïa fêtaient Bounini. Encore un nom dérivé du latin, c'est de toute évidence quoique les marabouts aient pu dire le souhait Bonus Anus. Ce n'était pas une grande fête, on nettoyait les maisons, les hommes tiraient des présages de la direction du vol des oiseaux tandis que les femmes et les enfants soulevaient des pierres éparses autour de leurs maisons; si une bête quelconque, ver, insecte ou limaçon se trouvait sous l'un de ces cailloux, c'était un présage heureux : l'année serait faste, et si par hasard on découvrait un nid de fourmis, c'était un signe réjouissant annonçant une bonne récolte, une année d'abondance: aam rhra.

Et ainsi parmi quelques montagnards sédentaires depuis près de deux millénaires, il subsistait des bribes des apports de la civilisation romaine surnageant après la venue des envahisseurs arabes.

Robert Laffitte

In l'Algérianiste n° 89 de mars 2000

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