Imprimer

La cuisine pied-noire

Écrit par Marie-Jeanne Groud. Associe a la categorie Généralités culinaires

LA CUISINE PIED-NOIRE

La cuisine de "chez nous", c'était la joie de vivre, dans la couleur et dans une lumière privilégiée. Simple, peu raffinée mais savoureuse, authentique, avec du caractère, elle répondait à notre joyeux appétit de vivre. L'historienne Joëlle Hureau ajoute même que" cette cuisine ne se veut pas gastronomique mais s'affirme comme plaisir des sens et jouissance collective.et qu'elle témoigne tout simplement d'une manière d'être ".

Reflet d'une vie quotidienne où le brassage d'une multitude de pratiques et d'activités avait rapproché des hommes de mœurs et de confessions différentes, cette cuisine est la preuve d'une fusion des diverses particularités qui ont donné tout son caractère au peuple pieds-noirs..

Avec les plats indigènes, les spécialités venues des nombreux pays d'origine se sont transmises comme des secrets de mère en fille ou en belle-fille.. Elles sont d'abord l'expression des rites ou des interdits, des goûts , des traditions qui révèlent le caractère spécifique de chaque culture.

Peu à peu, elles vont passer d'un groupe à l'autre , s'agrémenter ou se simplifier, s'influencer en accord avec les produits du sol, parce que cette terre d'abord aride et malsaine, va donner bientôt le meilleur d'elle même, grâce au travail des hommes qui savent la féconder.

En accord avec les différents groupes humains qui vont se frotter, se côtoyer, apprendre à se connaître et quoi qu'on dise s'estimer et aussi s'aimer.

En accord avec les habitudes de travail et de vie commune en pays méditerranéen où comme l'écrit Fernand Braudel : "on ne va pas seulement au café pour boire mais pour tenir sa place dans une société d'hommes".

Mais on n'allait pas seulement au café pour refaire le monde. Sur les comptoirs s'alignaient les petites assiettes contenant olives cassées, petits poissons frits, escargots, poulpe en salade, allumettes aux anchois, tramousses ( graines de lupin salées), qui constituaient la fameuse kémia, complément indispensable de la célèbre anisette. Le mot " kémia" vient de l'arabe "kma-yekmi" qui signifie: prendre une petite dose de narcotique, de hashich et par extension, prendre une petite nourriture avant une boisson ( Lanly). Quant à l'anisette, on la fait remonter à l'époque des fièvres de marais. La population maltaise aurait été la première à distiller une liqueur à base d'aneth ou de fenouil sauvage. qui, outre ses vertus rafraîchissantes avait la réputation de guérir les maux de ventre quand elle était ingérée pure d'où l'expression" boire l'anisette à la maltaise". Elle était sensée prévenir le paludisme, soulager les maux de dents ou s'utilisait en friction sur les entorses. En réalité, l'anisette est dérivée de l'anis étoilé ou badiane , elle a remplacé l'absinthe après son interdiction..

Au départ, la cuisine d'Algérie sera faite de plats simples, nourriture de base de gens pauvres le plus souvent, paysans, ouvriers venus de France avec leur pot -au- feu ou leur choucroute traditionnels. Gens d'Italie, où les pâtes font le menu quotidien, d'Espagne avec un plat de riz frugal qu'on pourra agrémenter d'un peu de viande ou de poisson, de Sicile où l'anchois et la tomate vont constituer la garniture essentielle de la pizza, de Malte , de Corse ou de Grèce avec des préparations à base de fromage de chèvre, nourriture de bergers ou de petits agriculteurs.

Des plats qui viendront apporter un complément harmonieux à la cuisine algérienne d'origine telle que la découvrirent ceux qui prirent leurs premiers contacts avec le pays.

Là aussi, cuisine simple, à base de céréales, viande de mouton surtout, bien cuite, quelques légumes et quelques fruits. Eugène Fromentin qui passa un été dans le Sahara en 1856,nous conte sa surprise devant une "diffa" à Laghouat. "C'est-dit-il- le repas de l'hospitalité. Voici le menu fondamental d'une diffa.D'abord un ou deux moutons rôtis entiers. On les apporte empalés sur de longues perches et tout frissonnants de graisse brûlante";

Le méchoui ne date pas d'hier, puisqu'il se pratiquait déjà dans la Grèce antique. Depuis, il a fait son chemin, a traversé la Méditerranée, est devenu le plat privilégié des retrouvailles pieds-noires et même bien françaises.

Choisi par l'Islam, le mouton est à la base de la cuisine musulmane, le porc étant strictement interdit. La légende (ou une des légendes) veut qu'à l'occasion d'une "zerda", réunion de tribus où l'on se partageait la nourriture, un vautour s'envola emportant un morceau de porc et le relâcha au milieu des viandes. L'assistance cria alors"hram", qui veut dire péché. Faute de pouvoir reconnaître le morceau, on interdit la consommation de porc. Une légende bien commode, en vérité, qui concilie côté religieux et sanitaire.

La chair de mouton entrera aussi dans la préparation des"chorbas", soupes plus ou moins épaisses agrémentées de légumes de saison et de pois-chiches, toujours relevées de "kosbar", c'est à dire de coriandre fraîche.

Les fressures d'agneaux, taillées en tout petits cubes, enfilées sur de fines pointes de roseau, deviendront ces délicieuses brochettes qu'on dégustait le long des plages.

Les merguez auraient leur origine dans la cuisine juive. Ces petites saucisses maigres au mouton ou au bœuf, épicées au poivre rouge, ont aussi traversé la Méditerrannée. En Algérie , il ne serait venu à l'idée ni au goût de personne de les servir avec du couscous. Depuis longtemps, elles font la garniture de bien des sandwiches, les jours de fêtes foraines ou après le disco du samedi. On les mange aussi bien à Perpignan qu'en Bretagne ou à Roubaix..

On est loin du repas dégusté par Fromentin en 1856, dans le sud algérien. Laissons le raconter ses découvertes:" On prend la viande avec les doigts, sans couteau ni fourchette, on la déchire. Pour la sauce, on se sert d'une cuillère et le plus souvent d'une seule qui fait le tour du plat. Enfin arrive le couscoussou qui se mange indifféremment soit à la cuillère, soit avec les doigts. Pourtant, il est mieux de le rouler de la main droite, d'en faire une boulette et de l'avaler au moyen d'un coup de pouce rapide, comme on lance une bille."

Plat de civilisation méditerranéenne, lié au rituel du blé depuis l'antiquité, le couscous serait né quelque part en Afrique du Nord, à la fin de l'ère chrétienne. On aurait retrouvé sa représentation sur une mosaïque datant de cette époque. Mais rien n'est très sûr. S'agissait-il de blé cassé ou de ce qu'on a appelé plus tard "couscoussou" puis" couscous"?

Le blé dur aurait été d'abord grossièrement concassé et consommé bouilli avec un peu d'huile d'olive. Ce blé cassé figurait encore au menu de familles turques et koulougli après 1830 à Alger. Le blé dur a été, par la suite, écrasé en semoule au grain plus fin, roulé, mêlé à un peu de farine, d'eau et de sel. C'est pourquoi, le couscous viendrait de l'arabe "rak kès kès" qui veut dire " broyé menu". Pourtant l'appellation "couscous" serait française. "Couscous" serait la transcription phonétique de kès-kès ou kès-ksou, nom d'un récipient en alfa tressée ou en terre percé de trous et adapté au dessus de la marmite à bouillon au col étroit et qui sert à faire cuire à la vapeur cette semoule roulée en grains plus ou moins gros. Le tout placé sur un petit fourneau de terre à trois supports et rempli de braises, le "kanoun".

On roule généralement le couscous, dans un grand plat à bords hauts, le plus souvent en bois d'olivier, la "guessah". Pour une bonne cuisson, la graine, mêlée à un peu d'huile d'olive ou de beurre, est mise à la vapeur trois fois après avoir été emiettée.

Le bouillon qu'on appelle"marga", est fait à partir de viande de mouton, de légumes et de pois-chiches. Il peut comprendre aussi du poulet, devenir le couscous au bœuf aux tripes emprunté à l'excellente cuisine juive. Ainsi que le couscous aux carottes, à la tomate, aux fèves, aux petits pois, aux cardons, voire aux pommes de terre.

Il peut être aussi au petit lait, au miel, aux raisins ou aux abricots secs et même aux dattes avec des œufs durs. Lors de certaines fêtes juives, il devient couscous de cérémonie avec pruneaux et amandes, accompagné d'un bouillon au bœuf parfumé de safran. Alphonse Daudet, dans une des" Lettres de mon moulin", cite un couscous à la vanille dégusté vers 1860, chez le caïd de Miliana, personnage raffiné d'origine turque.

Au fil des années, quand les productions vont se diversifier, on y trouvera des variantes comme le couscous au poisson qui se préparait déjà en Tunisie. Avec des poissons à chair ferme comme le mérou, ce couscous était un régal.

Marie-Jeanne Groud

Vous souhaitez participer ?

La plupart de nos articles sont issus de notre Revue trimestrielle l'Algérianiste, cependant le Centre de Documentation des Français d'Algérie et le réseau des associations du Cercle algérianiste enrichit en permanence ce fonds grâce à vos Dons & Legs, réactions et participations.