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La Calle - Le Bastion de France

Écrit par Maddy Degen. Associe a la categorie Constantinois

L'histoire du Bastion de France, petit port de l'est Constantinois, est ignorée de la plupart des Français, elle est fort mal connue de ceux qui l'habitent.
Pour cette étonnante histoire, il a fallu, au départ, des commerçants à l'esprit entreprenant, des hommes d'Etat lucides, ensuite, il a fallu la Course, trop souvent passée sous silence, et, pour finir, une étrange affaire de blé.
Mais, par-dessus tout, il a fallu que dure le Bastion, du XVI° au XIX° siècle, grâce à notre ténacité, pour ne pas dire à notre obstination.

C'est donc ici, dans l'est Constantinois, que tout a commencé. Sur environ dix lieues de côte vendues par des tribus indigènes, dans cette région des lacs — lac Mélah, lac Oubéïra, lac Tonga — qui cerne la presqu'île de la Calle.

Au XVI° siècle, des privilèges accordaient aux Français de commercer dans l'Empire turc. Mais il eut été difficile de faire respecter ces droits par des tribus non encore soumises. Seulement autorisés par ces privi­lèges, les Français acquirent le droit de s'établir sur cette zone côtière. Vendue, elle devenait terre aliénée, terre sur laquelle les indigènes n'avaient plus de droits. C'était la Mazoule
.

Des Français, Carlin Didier et Thomas Lenches, fondèrent le premier Bastion, dans une crique protégée, près du lac Melah. Plus à l'est, ils occupèrent le port abandonné de Marsa — Marsa el Kharas — c'est-à-dire le port aux breloques, qu'ils appelèrent La Calle, parce qu'on y tirait les bateaux sur la plage pour les radouber au moyen d'une cale.

Quelles ressources avaient pu attirer nos commerçants sur cette côte ? D'abord la pêche et le corail dont l'intérêt est indiqué par l'ancien nom du port.

Mais La Calle était aussi le débouché naturel des hautes plaines constantinoises. Aussi, par-delà les forêts, forêts le plus souvent de chênes-lièges, mais aussi d'ormes et de frênes, en plus de l'élevage existant dans les prairies naturelles, il y avait la possibilité de faire venir les céréales, les blés de l'intérieur, des blés durs sans pareil dans le monde.

Et c'est ce commerce du blé qui, plus que le très beau corail de La Calle, prendra de l'importance, causera nos difficultés, amènera notre occupation.

Malgré ces ressources, on peut être surpris par l'intérêt que nous donnons à ce comptoir de Berbérie au XVI° siècle. Le XVl° siècle, c'est le siècle des grandes découvertes, partant des grands empires coloniaux. Or, plus que les grandes découvertes nous intéressaient ces comptoirs, ces échelles de la Méditerranée si connue, et, plus que l'aventure, la politique. En effet, dans cette première moitié .du XVI° siècle, le duel François 1er - Charles Quint met la France en péril. Contre l'ennemi commun l'Espagnol, nous faisons alliance avec le Turc Soliman le Magnifique, la grande puissance méditerranéenne.

On comprend donc l'intérêt des Capitulations, ce traité d'alliance défensive et offensive, mais aussi commercial. Soliman règne sur la Méditerranée orientale. Les frères Barberousse viennent de lui donner les côtes de Libye, de Tunisie, de Berbérie. Autorisés à commercer dans l'Empire turc, les Français ajoutent aux Echelles du Levant, les Echelles de Berbérie.

On ne saurait minimiser la valeur de ce traité sur le plan politique.
La Calle - Le Cours
La Calle. Le Cours. (Collection Delon.)


Tous les chrétiens allant à Constantinople, aux Echelles du Levant et de Berbérie, sont sous la juridiction et la protection du Consul de France.» On voit par là le prestige de la France en Méditerranée.

Mais de surcroît, il y a le respect du pavillon français. La Turquie, cette puissance qui vit de la course — la piraterie —, pour qui la course est une institution d'Etat, fait exception pour la France. « Les corsaires ne doivent pas attaquer nos bateaux.»

Tant que les corsaires d'Alger respecteront cette clause, la Compagnie Lenches fera de bonnes affaires au Bastion, et sa prospérité témoignera de l'accord des Français avec les tribus de la Mazoule. Cette clause sera-t-elle toujours respectée ? Un successeur de Khair al Dïn, hostile à la France, et qui cherche à se rendre indépendant ne la respectera pas. Il occupe le Bastion en 1551 et ne le rendra que moyennant paiement d'un tribut.

En 1571, la victoire navale de l'Espagne sur la Turquie, à la bataille de Lépante, ruine pour un temps la puissance du Sultan.

Plus de force, plus de prestige, partant, plus d'autorité. Les corsaires d'Alger ne respecteront plus les Capitulations, si nuisibles à leurs intérêts : la course reprend à nos dépens, comme aux dépens de tout vaisseau chrétien.

Les affaires de notre Bastion périclitent.

La France, trop occupée par ses guerres de religion, ne peut, en cette fin de siècle, défendre les intérêts de ses commerçants en Méditerranée.

Nous entrons, sous ces fâcheux auspices dans le XVII° siècle, qui sera l'âge d'or de la course.

On est surpris, tout de même, de la puissance des corsaires en ce début du XVII° siècle ; plus forte que les pouvoirs politiques, que le Sultan, que le Roi de France. Pourtant, la Turquie s'est remise de sa défaite de Lépante, victoire chrétienne sans lendemain. Elle a resserré ses liens avec ses nouvelles possessions. Le pouvoir civil a remplacé le pouvoir militaire. La Berbérie est devenue la Régence d'Alger.

En France, Henri IV a affermi son pouvoir. En 1604, il décide de rétablir la situation du Bastion. Notre ambassadeur à Constantinople, M. de Brèves, obtiendra, cette même année, le renouvellement des Capitulations.
Mais telle est l'insubordination des corsaires d'Alger que non seulement la course continue 'de sévir à nos dépens, mais que le Bastion est détruit en 1604 (première destruction du Bastion).

Pour le sultan, c'est une offense. Un envoyé de la Porte se rend à Alger et le gouverneur est étranglé. Voilà qui ne trouble pas les corsaires la course sévit plus que jamais.

Un Edit de la Marine (1620) du temps de Louis XIII, prouve qu'elle triomphe. Non seulement nos bateaux ne peuvent plus circuler librement, mais nous devons protéger nos côtes, les fortifier contre les incursions des pirates, des corsaires.

Pourquoi la course prend-elle une telle extension ? Pourquoi les corsaires d'Alger, au mépris des Capitulations, de la volonté du sultan, s'attaquent-ils aux bateaux français ? C'est tout simplement que la course est une ressource indispensable. Qui ne peut vivre de son bien, vit du bien d'autrui.

Quelles sont les ressources du pays ? Dans ce pays où les nomades l'emportent chaque jour davantage sur les sédentaires, les ressources diminuent. De moins en moins de récoltes, de plus en plus de bétail, facile à dissimuler. Au passage, nous comprenons le mécontentement du pouvoir d'Alger, privé des blés du Constantinois par le commerce des tribus avec le Bastion et nous comprenons les tribus, qui aiment mieux vendre leur blé à des commerçants français plutôt qu'être pressurés par les janissaires. Mais il demeure que les entrées sont maigres. Il n'en va pas de même avec la course.

La course, entre les mains des raïs (1), est source d'abondance. Plus que toute autre marchandise, procurée par la piraterie, ce sont les captifs chrétiens qui sont la grande ressource. On sait ce que rapporte leur rédemption, leur rachat.

Aussi, quand les galères reviennent avec leur cargaison humaine, c'est la joie dans Alger. On festoie. La course, si j'ose dire, est une ressource de tout repos.

En ce siècle prospère... pour les corsaires, le nombre des esclaves chrétiens, dans ce repaire de corsaires qu'était Alger, a été évalué entre 25.000 et 30.000, soit le tiers de la population. C'est donc une ressource essentielle à la bonne marche du pays et l'on comprend qu'en dépit du sultan, du roi, du traité de Brèves, la course continue.

Allons-nous renoncer ? C'est impossible : nous sommes dans l'obligation de nous défendre, puisque nos côtes sont attaquées. Mais avant de rompre on négocie, et Richelieu chargera Samson Napollon, gentilhomme de la Chambre du roi, de reprendre les négociations.

Le souvenir de ce négociateur est resté, quand celui de tant d'autres a été oublié. Qui a vécu à La Calle, du temps des Français, pouvait voir sur le cours de cette ville, en bordure du port, un monument à la gloire de Samson Napollon. Il l'avait bien mérité.

Certes, il traite avec la Porte : traité de 1626. Mais il ne se contente pas 'de faire confirmer par le gouvernement turc les droits qui nous sont reconnus par les Capitulations. Il se rend à Alger. Il sait parler au pacha, à la milice : sans doute, aux corsaires, et il obtient que l'on rétablisse le Bastion, que l'on restaure le port de la Calle.

Un envoyé du roi, M. de Lisle, apporte une ordonnance, aux termes de laquelle il fut bien établi que Samson Napollon tenait les places du Bastion immédiatement du roi. Par ce dernier, Samson Napollon est nommé commandant du Bastion, des forteresses de la Calle, au cap Mass.

Ce même M. de Lisle, au cours de son inspection, s'est rendu au Bastion, à la Calle. De ce dernier port, il a laissé une description qui répond assez bien à ce qui existe encore : « l'escarpement du rocher, les constructions, les murs qui unissent forment une enceinte qu'on a décorée du nom du Bastion. Il y a trois portes : la porte de la Marine, favorable aux départs précipités, la porte de Terre, la porte Sud ».

Qui a vu un voilier à l'entrée du port de la Calle peut imaginer la vie de ce temps : les galères amarrées au quai, tous ces voiliers dans la baie des corailleurs, ou sillonnant la mer, du Bastion à La Calle. On comprend le contentement des hommes de la Mazoule. Cette presqu'île n'était plus Marsa el Kharas, un repaire de corsaires sur une côte déserte, mais un port actif. Avec le Bastion, avec La Calle, la vie renaissait.

Ainsi, le Bastion rétabli, notre pouvoir confirmé, notre pavillon respecté, il semblait que Samson Napollon eût jeté les bases solides d'une présence française dans ce pays.

L'œuvre sera de courte durée. Nous ne connaissions plus d'autre difficulté que la concurrence génoise à Tabarka. Il était naturel de vouloir y mettre un terme.

Mais peut-être l'action fut-elle mal entreprise, plus sûrement la trahison eut raison de notre commandant.

Samson Napollon périt misérablement, lors de l'attaque en 1633. Ce fut un désastre.

Son successeur, S. Lepage, ne s'impose pas, et, en 1637, le Bastion est détruit par le corsaire Ali Bitchini, de son vrai nom Picinini (un renégat italien). Les habitants du Bastion sont enlevés, vendus comme esclaves.

Voilà qui semble bien fait pour décourager notre gouverneur, qui a d'autres soucis. N'y a-t-il pas eu cette même année 1637 un complot contre Richelieu ?

Ce n'est donc pas de chez nous que vient le recours. Il vient des tribus de la Mazoule, des tribus de ce territoire vendu à la France.

Les tribus de la Mazoule refusent de payer l'impôt au bey de Constantine. Plus de Bastion, plus de commerce, plus d'argent.

Et l'on parle de rien moins que d'attaquer Constantine. Il faut toute la sagesse du vieux chef pour calmer les esprits et l'on traite : les tribus de la Mazoule ne seront pas châtiées pour avoir refusé l'impôt et le Bastion sera restauré, rendu aux Français.

Un homme entreprenant, Coqueil, s'entremet pour la signature du nouveau traité (traité Coqueil 1640). Comme les précédents traités, il ratifie les Capitulations. Mais il ajoute une clause qui peut surprendre. Il demande que le Bastion de La Calle soit fortifié pour se protéger des attaques espa­gnoles et pour protéger les bateaux corsaires qui chercheraient refuge dans notre port. Richelieu proteste mais la 'mesure est appliquée.

En plein triomphe de la course nous pouvons donc commercer librement en Méditerranée ; cela durera dix-huit ans et cela pourrait durer longtemps encore sans les agissements de notre gouverneur.

Si Coqueil a compris la mentalité des corsaires, Th. Piquet, lui, s'est pénétré de cette mentalité. Les affaires vont moins bien, le tribut est lourd. Qu'à cela ne tienne. Quand Drogmans et Chaouchs se présentent pour toucher le tribut, notre gouverneur les couvre de chaînes, les emmène sur sa galère et les vend.

Le gouvernement français désavoue ce ressortissant indigne, paie ses dettes mais rien ne peut calmer la fureur d'Alger. Les esclaves chrétiens ont beaucoup à souffrir tant est grande l'indignation des corsaires.

(In l’Algérianiste n° 17 de mars 1982)

L'affaire Arnaud

On a raison de dire que quand une affaire est difficile, il faut se la donner en trois. Après la mort tragique de Samson Napollon, la fuite honteuse de Th. Piquet, nous pouvions connaître le découragement devant ce bastion abandonné, déshonoré.

Mais dès 1659 nous sommes libérés de la lutte contre l'Espagne (traité des Pyrénées) et notre roi reprend la lutte contre les corsaires. Leur flotte est incendiée en 1665 et la milice demande à traiter, Un janissaire fait remarquer que les Français pouvaient faire cuire leur soupe à Marseille et la manger à Alger.

Ce sera le traité Arnaud. Le sieur Arnaud, au jugement de Colbert, est un homme de beaucoup d'esprit, de pénétration et de droiture. Ce traité, pour la quatrième fois, ratifie les clauses des capitulations.

Tout semble bien aller. Arnaud a la confiance et du dey et de son gouvernement... Il ne manque que l'argent. Arnaud n'a pas les moyens de restaurer le bastion, de relancer les affaires.

Alors il fonde une compagnie. Un dénommé Lafont sera directeur à Marseille. Arnaud sera gouverneur du bastion. Très vite, un conflit éclate pour la capitainerie de la Calle. Arnaud la veut pour son fils, Lafont pour une de ses créatures. Le conflit s'envenime. Fort de sa direction, Lafont obtiendra lettre de cachet, ordre du roi. Arnaud ne cède pas ! Il entre en rébellion. C'est la guerre commerciale : Lafont interdit à nos vaisseaux de se rendre au bastion. Arnaud ouvre le bastion aux Livournais, même aux Gênois. On use alors de sévices contre la famille Arnaud demeurant à Marseille. C'était compter sans le dey et son amitié pour Arnaud. Le dey menace de rompre les relations diplomatiques avec la France. Ainsi une rivalité entre deux négociants français risque d'entraîner une rupture entre la France et le régime d'Alger.

Telle est la force des rapports d'homme à homme en Berbérie.

La mission d'Arvieux

Le gouvernement français comprend enfin qu'il faut dédramatiser la situation. Il choisit pour régler cette étrange affaire, un chevalier qui nous semble mieux fait pour vivre à Versailles qu'en Berbérie.

Le chevalier d'Arvieux, nommé Consul de France à Alger, doit mettre fin à la querelle Arnaud - Lafont et rétablir nos bons rapports avec la Régence. Comment s'y prend-il ?

Arrivé à Marseille pour s'embarquer, il fait signer au directeur Lafont l'accommodement suivant : Lafont sera gouverneur du bastion en remplacement d'Arnaud, et Arnaud, qui s'est mis dans un mauvais cas, sera amnistié, il touchera 1.200 écus, versés par Lafont.

Cet accommodement ne vaut rien. Jamais Arnaud ne consentira à quitter son bastion, jamais Lafont ne lui versera 1.200 écus.

A peine le chevalier d'Arvieux est-il parti que Lafont dénonce l'accommodement. Ainsi, pendant que le chevalier vogue vers Alger, n'attendant d'autre difficulté que celle venant du très grand attachement du dey pour Arnaud, son accommodement est caduc.

Sa mission sera orageuse ; lui-même nous la conte dans ses mémoires.

Mission du chevalier d'Arvieux

Quand il entre dans le port d'Alger, le chevalier d'Arvieux peut se tenir pour satisfait Tous les bateaux présents le saluent de cinq coups de canon. M. Le Vacher, vicaire apostolique, vient le saluer. Assuré par ce dernier qu'il peut débarquer, le chevalier embarque sur une chaloupe.

J'avais, dit-il, mon épée au côté, ma canne à la main et un habit assez propre pour être distingué de tous ceux qui m'accompagnaient. »

Jusque là tout va bien, mais lorsque le chevalier a mis pied à terre, traversé la grand-rue, atteint le lieu où se tient le Divan alors tout se gâte.

« Nous traversâmes une grande cour où nous ne rencontrâmes personne (personne pour accueillir le chevalier d'Arvieux), personne sauf, dans un coin, accroupi, Baba Hassan, le gendre du dey.

« Je trouvais, nous dit le chevalier un homme de fort mauvaise mine, habillé d'une manière peu convenable â une personne qui était la seconde de l'États Aussi mal appris que mal habillé, Baba Hassan ne prend pas le temps d'écouter le compliment du chevalier, et lui en fait un, fort impoli.

Qu'a-t-il dit, Baba Hassan ?

Il s'est emporté contre Lafont, contre le chevalier qui favorise cet homme méchant aux dépens de son bon ami Arnaud. Et c'est lui qui a raison. Sous des dehors fâcheux Baba Hassan est un homme de cœur. II voit clair et le chevalier d'Arvieux n'est qu'un sot.
Rachat des Captifs
(Collection camille Para)


Les agissements déloyaux de Lafont - il a dénoncé l'accommodement - devraient amener le chevalier à réviser l'affaire. Il s'en tient à son accommodement. Devant cette obstination inexplicable, on comprend le mauvais succès de sa seconde entrevue avec Baba Hassan et avec le dey. Ce dernier lui interdit de s'occuper des affaires du bastion et réaffirme son intention de laisser le bastion à son bon ami Arnaud. Mais un événement remet tout en question. On apprend la mort du sieur Arnaud au Bastion de France. Voilà qui facilite la tâche du chevalier : n'est le doigt de Dieu. Toutes les clauses de son accommodement seront acceptées par le dey.

Seul Baba Hassan s'inquiète encore et non sans raison. Quand tout semble terminé, tout est rompu, par la faute .de Lafont.

Apparemment réconcilié avec les Arnaud, il emmène les fils Arnaud au bastion. Mais là, libre d'agir, il les fait charger de chaînes sous une fausse accusation et les envoie à Marseille pour être jugés.

On conçoit la jute indignation, la colère de Baba Hassan, du dey. Lafont est chassé du bastion, et l'on renvoie le chevalier d'Arvieux. C'est l'échec humiliant de la mission d'Arvieux. Conséquences ? Notre premier bastion ne survit pas à cette pénible affaire. On s'aperçoit que l'air y est insalubre, et notre nouveau gouverneur Dussault, un bien honnête homme, s'installe à la Calle, qui devient le Bastion 1677.

Qui se soucie, aujourd'hui, du traité Arnaud ? de l'accommodement d'Arvieux ? Mais enfin, ma génération pouvait apprendre encore, les bombardements d'Alger par Duquesne, la mort de M. Le Vacher à la bouche du canon.

L'échec de la mission d'Arvieux serait-il le signal de la guerre ? Il s'écoule tout de même neuf ans entre cet échec et nos bombardements. En fait, notre rupture avec la Régence facilite la conduite de notre roi Louis XIV en 1683.

En 1683, le Turc est sous les murs de Vienne, il a déclaré la guerre à l'empereur romain, et en quels termes ! « Nous, Mohamed Ali , par la grâce de Dieu empereur de Babylone, de Judée, d'Orient, d'Occident, roi de tous les rois de la terre et du ciel... Nous te donnons notre parole de ce qui suit ; nous nous apprêtons à porter la guerre dans ton misérable petit pays ».

Charles de Lorraine et Sobieski ne perdent pas leur sang-froid et c'est la victoire de Kahlenberg.

Il y a, dans toute l'Europe chrétienne, une atmosphère de croisade. Le roi chrétien Louis XIV peut-il rester indifférent ? Peut-il intervenir ? C'est impossible : il n'a nulle envie de renoncer aux Capitulations. Alors nos mauvais rapports avec Alger nous rendent service. Et nous ferons notre croisade à peu de frais, en bombardant Alger.

A l'occasion de ses bombardements d'Alger, M. Duquesne doit faire l'expérience des bombes à mortier. Il semble que ce soit pour lui tout l'intérêt de cette expédition.

Les premiers bombardements sont assez meurtriers et destructeurs pour émouvoir la population qui demande que l'on traite. Mais Duquesne poursuit ses bombardements. Il ne s'éloignera que chassé par le mauvais temps, revient bientôt et c'est alors un terrible bombardement, des centaines de victimes, des centaines de maisons détruites. Cette fois-ci ce n'est pas seulement la population civile qui demande la paix, mais la milice. Elle veut traiter et Baba Hassan demande ses conditions à Duquesne. Elles sont bien raisonnables : Duquesne demande la restitution des esclaves chrétiens. C'est tout.

C'est beaucoup trop pour la population d'Alger. Le peuple d'Alger, si désireux de paix, lorsqu'il souffrait des canonnades, oublieux de ses terreurs ne voit plus que la perte de ses esclaves. Plus d'esclaves, plus de main d’oeuvre, c'en est fini de ces belles demeures, de ces beaux jardins. Il proteste ; refuse cette condition. La situation est inextricable, insoluble.

Mezza morte

C'est alors qu'intervient un étrange personnage, Mezza Morte.

Otage .de Duquesne, il lui promet de rétablir la situation, s'il peut aller à terre. Bien à tort, Duquesne lui fait confiance. A peine débarqué, Mezza Morte excite la foule, porte au comble la fureur de la milice, Baba Hassan est abattu, et Mezza Morte élu dey.

Naturellement, Duquesne reprend ses bombardements. Mais les choses vont changer avec Mezza Morte. Il fait savoir que si les bombardements continuent, il fera mettre a la bouche du canon tous les Français qui se trouvent à Alger. Duquesne fait évacuer la Calle, mais continue le bombardement d'Alger.

Ce ne sont pas tous les Français, mais M. Le Vacher qui sera mis à la bouche du canon. Aucun des musulmans de la troupe ne voulut mettre le feu au canon. Le vieux missionnaire était connu des Turcs pour un homme de piété, d'une douceur, d'une charité sans exemple. Ce fut un renégat qui se chargea de l'exécution, le 27 juillet 1683.

Ainsi mourut M. Le Vacher, vicaire apostolique, après avoir consacré trente-six ans de son existence au soulagement des pauvres esclaves chrétiens de Tunis et d'Alger et près de vingt ans à d'honneur de son roi.

Naturellement, Duquesne reprend ses bombardements. Mais il y a heureusement cet habile homme, Dussault, qui avait été gouverneur de la Calle en remplacement de Lafont. C'est lui qui traite.

En 1684, c'est donc le cinquième traité ratifiant les capitulations.

Quelques termes de ce traité méritent d'être rapportés

« A aucune époque il n'y eut joie plus grande parmi le peuple. Le peuple promet de maintenir inviolablement la paix, disant que les enfants de leurs enfants se souviendraient qu'il ne faut jamais faire la moindre insulte au pavillon français. »

Qu'avons-nous gagné à ces bombardements ? Il y a restitution des esclaves. Mais les Anglais sont à la Calle,ils ont un bail jusqu'en 1694 et surtout M. Le Vacher est mort. Enfin, cette paix inviolable ne sera pas respectée des corsaires ; reprise de la course, reprise des bombardements et Français à la bouche du canon : tout recommence. Pourtant, notre vieux Dussault ne se lasse pas, traite encore et obtient la paix en 1689. Une paix séculaire, cette fois-ci.

C'est toujours avec Mezza Morte que nous négocions, tant il est vrai que pour un bon diplomate, la politique fait bon marché de ses sentiments humains. Dussault a raison. Notre gloire est ternie ; nous vivons la guerre de successsion d'Espagne ; grâce à Dussault nous récupérons la Calle en 1694 et le gouverneur pourra envoyer du blé à la France pendant les famines de 1701-1709.

Pendant le siècle qui venait de s'écouler, le Bastion de France avait joué un certain rôle politique, on s'était habitué à considérer ses gouverneurs comme des agents du roi de France. Pour le premier bastion, Samson Napollon, Arnaud avant sa querelle pour le deuxième bastion, le très sage et très habile Dussault avaient eu des qualités de diplomates.

Au siècle suivant, les directeurs du bastion seront seulement des commerçants ; c'est le déclin du bastion.

XVIIIe siècle

Un mot caractérise le XVIIIe siècle en Méditerranée : le déclin. Déclin de la Turquie, du commerce, de la course et du bastion. Tout se tient. La Russie et l'Autriche se sont révélées pour la Turquie des ennemis autrement redoutables que l'Espagne.

En France, Nantes et Bordeaux prospèrent, Marseille, ravagée par la peste, végète. C'est le déclin de la course puisque le butin se raréfie.

Mais en raison de ce déclin, la course s'exercera sur tout ce qui tombe sous la main, vaisseau français comme vaisseau espagnol, et Dieu sait si le butin humain souffre alors du mécontentement des corsaires. Le récit d'un père trinitaire nous l'apprend.'

Venus à Alger pour une rédemp

Voilà qui semble bien fait pour décourager notre gouverneur, qui a d'autres soucis. N'y a-t-il pas eu cette même année 1637 un complot contre Richelieu ?tion, nos pères trinitaires sont délestés d'une grande partie de la somme apportée pour le rachat des captifs. Ils n'en pourront délivrer que 200 ; ceux qu'on ne peut racheter auront à souffrir du dépit des marchands. « Les violences dont sont victimes les malheureux que le manque d'argent n'a pas permis de racheter est un spectacle intolérable - nous dit le père trinitaire -. Les maures, furieux, et poussant des hurlements les frappent cruellement sur la tête, jusqu'à faire. jaillir le sang et les ramènent en prison. »

Mais à ces causes de déclin contre quoi nous ne pouvons rien, il en faut ajouter une qui nous incombe. Nous remplaçons ces compagnies privées qui avaient assuré la vie du bastion par de grandes compagnies.

Nous y laissons ces contacts humains si nécessaires en ce pays et si favorables au maintien de notre crédit, et notre influence.

Sur le territoire même de la Mazoule, là où des tribus prenaient fait et cause pour les Français contre le pouvoir central, des Français seront tués. L'insécurité s'installe.

Les rapports se gâtent entre la France et la Régence. Nous avons arraisonné un bateau corsaire. A titre de représailles notre consul, nos missionnaires sont jetés en prison et le bastion est pillé en 1744.

La nouvelle compagnie, la Compagnie d'Afrique, trouvera le bastion complètement délabré. Et cette nouvelle compagnie, qui ne sait rien du pays, devra sur 1’ordre du bey, traiter .avec une nouvelle tribu pour son commerce. C'en est fait de notre indépendance.

En 1763, parce qu'un vaisseau français s'est défendu contre un vaisseau corsaire, les Français d'Alger sont encore arrêtés et le bastion pillé. On ne nous ménage plus. Le droit de commerce nous est retiré en faveur de quelques Majorquais et de quelques Juifs livournais. Il n'y a plus de bornes à l'agressivité des corsaires, aux mesures vexatoires et ruineuses que nous inflige le bey.

Mais que fait le sultan ? On ne le voit plus intervenir pour rappeler à l'ordre un vassal oublieux des capitulations. Il semble que le sultan n'ait plus d'autorité.

Un autre récit de course nous le prouve. C'est l'histoire d'Aimée de Rivery, une cousine de l'Impératrice Joséphine (1783).

Cette jeune créole était venue parfaire son éducation dans un couvent de Nantes. Cette éducation terminée, elle regagne son île natale (la Martinique). Mais le bateau qui la porte est pris par la tempête. Le commandant croit sage de se réfugier en Méditerranée : il y trouve les corsaires de la Régence! Tout est pris! Mais devant la grande beauté d'Aimée de Rivery, les corsaires la réservent pour le dey qui l'offre au sultan. Cette offre d'une esclave chrétienne mais Française. du dey au sultan, prouve qu'à cette date (1783), une clause essentielle des capitulations a vécu, a cessé d'exister pour le sultan comme pour le dey. Il n'est plus question, en Méditerranée, de respecter le pavillon français.

Cette même année 1783, la peste ravage la Régence et, bien entendu, notre zone côtière, la Mazoule. L'abbé Poiret, écrivant à un ami, pourra dire : « ... Votre cœur formera des vœux pour voir à jamais anéanti un commerce qui fait le déshonneur de la France. » Mais il faut croire que, pour nous, un traité n'est pas un simple chiffon de papier. Louis XVI, en 1789, ratifie le traité séculaire de 1689 qui ratifiait tant d'autres traités (Vias, Brèves, Samson Napollon, Cogueil Arnaud, Dussault). On se demande pourquoi. Les Capitulations n'ont plus de valeur que pour nous. Au XVIIIe siècle le bastion n'a fait que survivre.

Enfin, nous sommes en 1789. La Révolution.

Il ne semble pas que les événements dont notre pays .sera bientôt le théâtre soient bien faits pour prolonger la survie du bastion.

Eh bien ! C’est lorsque nous penserons y renoncer que notre Révolution, bouleversant tout, va resserrer nos liens avec la Régence et, pour finir, contre toute attente, amener la colonisation de l'Algérie.

(In l’Algérianiste n° 18 de juin 1982)

Maddy Degen poursuit et achève dans ce numéro l'histoire du Bastion de France, petit port de l'est constantinois : dix lieues de côte - la presqu'île de la Celle - cernée de lacs; l'aventure commence au XVI' siècle. Les Français acquièrent le droit de s'établir sur cette zone. Carlin Didier et Thomas Lenches fondent le premier bastion.

Il faut, je l'ai dit, une étrange histoire de blés. II faut, comme le reconnaît l'historien Julien, trois fripons, deux commerçants livournais d'origine israélite et un grand seigneur français, M. de Talleyrand. Mais il faut encore un bien honnête homme : M. Vallière, notre consul. M. Vallière sera notre consul en Alger de 1791 à 1794. Au cours des années terribles.

A son entrée en fonction, le directeur du Bastion l'informe de notre situation critique. Elle n'a fait qu'empirer depuis la Révolution, mais, dit-il, maintenant que le roi a sanctionné la Constitution, les divisions vont cesser et le directeur veut espérer.

Vallière ne partage pas ce point de vue. C'est un homme inquiet qui arrive à Alger. Ce qu'il trouve le décourage, et il propose, sans tarder, l'abandon du Bastion, des Comptoirs.

On le comprend. En France ce n'est plus l'euphorie de 1790, des fêtes de la Fédération. La fuite à Varennes a montré, aux yeux de tous, le désaccord entre le roi et l'assemblée. La fusillade du Champ-de-Mars, le désaccord entre cette assemblée et le peuple.

Sans être un ci-devant, M. Vallière est un modéré. II peut craindre pour sa famille : il est inquiet. Ce qu'il trouve, nous le savons : l'insécurité pour les Français sur le territoire même de la Mazoute. Un bey hostile aux Français, qui nous empêche de commercer ; et la Course qui sévit à nos dépens.

Il faut renoncer.

Les événements se précipitent en France : journée du 10 août. Chute de la monarchie : massacre de septembre.

Le directeur convient que la Compagnie n'a plus l'espoir de se relever. Mais si notre directeur et notre consul sont d'avis qu'il faut renoncer, notre jeune République n'en juge pas ainsi.

Une frégate se présente devant Alger. On notifie au dey la proclamation de la République qui fera respecter le droit des gens par tous les moyens que lui assurent des moyens immenses et 25 millions d'habitants.
Ce discours plein d'assurance a tout le succès voulu le dey reconnaît la République. C'est heureux : malgré nos immenses richesses nous manquons de blé. Les temps de révolution ne sont pas favorables à l'agriculture, les besoins sont grands.

Un comité, créé dans le Midi, doit attirer vers Marseille tout le blé passible. Le directeur du Bastion constate amèrement : « C'est au moment on nos comptoirs marchent à grands pas vers la ruine que la France, encore une fois, a recours à eux pour se procurer du blé. »

Et c'est alors le revirement de notre consul Vallière. C'est un diplomate. Satisfait du nouvel accord, il décide d'agir. Il va déployer son habileté, toute son énergie à nous procurer ce blé si nécessaire aux départements du Midi. Il ne s'arrêtera pas aux difficultés insurmontables qu'il trouve sur place. Et maintenant les nouvelles qui viennent de France peuvent l'encourager : nos frontières sont délivrées, nous passons à l'attaque. Vallière fait au dey un discours en rapport avec ces circonstances heureuses « Insensiblement - dit-il - j'en suis venu au blé, à ce blé indispensable... » Et il obtient les blés du Constantinois.

Tout est réglé entre la France et le dey, le consul et le dey.

Il ne reste plus qu'à payer ce blé. Mais comment ? Le bey de Constantine a donné la préférence pour le commerce des blés à des Juifs livournais. Il a comme homme de confiance un dénommé Bacri. Le commerce du Bastion est suspendu : pas d'argent. Ne comptons pas sur la France pour payer. On sait l'état de nos finances en 1794. Comment faire ?

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C'est alors que se place le début de cette étrange histoire de blé. Le dey est toujours bien disposé à notre égard. Nos victoires sans doute, mais aussi son amitié pour Vallière. Ces sentiments vont l'amener à tenir une conduite inespérée. Il nous prête de l'argent sur son trésor.

Au prix d'une digression, je ferai vivre cette amitié. Vallière a un beau-frère. Ce dernier a continué d'exercer ses fonctions à Toulon, lors de l'occupation anglaise. A la libération de cette ville, il doit s'enfuir en Espagne. Le dey envoie un bateau à Carthagène, et on ramènera à Alger beau-frère, sœur, père et mère. Toute la famille est réunie par les soins du dey.

Pourquoi cet attachement ? Ce Vallière est encore un de ces Français qui, comme Arnault, comme Dussault, ont su gagner la confiance, la sympathie, pour finir l'amitié des dirigeants d'Alger. Il arrive que l'honnêteté soit payante. Aux yeux des Turcs. ce sont de vrais Français que ces Français.

Tout cela est touchant ; malheureusement, il s'agit de l'argent du Trésor. Le dey ne va pas le remettre à Vallière. II l'envoie au bey, si mal disposé à notre égard, qu'il s'en remet à son homme de confiance. Bacri, pour le remettre au directeur du Bastion. Et maintenant, les Bacri sont associés aux Busnach, ont une maison commerciale à Alger. Il y a un frère Bacri à Marseille. Bref, cette maison draine le commerce des blés. Ils sont chargés de la fourniture aux armées. Nous voici entre les mains des Bacri-Busnach.

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C'est le moment que choisit notre gouvernement pour destituer Vallière. Le consul d'Alger ne pouvait recevoir impunément un homme qui avait dû fuir le nouveau régime - fût-ce son beau-frère...

Ceux qui le remplaceront ne pourront se maintenir. Les rapports se gâtent avec Alger. C'est dans ce contexte que le nouveau régime, le Directoire, va prendre l'initiative de rompre le traité qui, depuis si longtemps, nous liait à la Turquie : les Capitulations de 1535.

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L'expédition d'Égypte en 1798 est un expédient de Napoléon trop populaire : c'est M. de Talleyrand, récemment introduit aux Affaires étrangères, qui imagine ce brillant ostracisme.

Cet événement est de conséquence pour le Bastion .

Vassal du sultan, le dey nous déclare la guerre, et c'est la destruction du Bastion en 1799.

Tout semble fini une fois pour toutes. Mais encore une fois, il suffit d'un homme pour rétablir la situation. Napoléon est «  cet homme unique qui a ce qu'il faut pour régler et maintenir l’unité du pouvoir» (M. de Fouché). Il faudra l'autorité de Napoléon, en effet. Tout-puissant, car la deuxième campagne d'Italie s'est terminée par notre victoire, Napoléon menace d'envahir Alger si le Bastion n'est pas rétabli, si la liberté de commercer n'est pas respectée. Et c'est la paix de 1801.

Le dey s'incline : « Je veux toujours être l'ami de Bonaparte » dit-il. Grâce à la haute intervention de Talleyrand, le traité de 1802 met fin aux dissentiments provoqués par la campagne d'Egypte (paix d'Amiens). Nous connaissons donc tous les succès : militaires, politiques, diplomatiques... mais pas financiers.

« Si je n'avais le boiteux dans la main, je ne pourrais rien faire,», dit Bacri ; ainsi protégés par Talley, les commerçants demandent un acompte de 4 millions.

Napoléon consent à payer cette somme, considérable, et qui n’est qu’un « à valoir ».

On peut s'étonner que cet homme intègre, cet esprit lucide, enfin cet homme tout-puissant ait consenti le versement d'une telle somme, sans discussion.

Il y a à cela quelques raisons.

Collection Lopez
collection Lopez

Sa toute-puissance est plus apparente que réelle : il y a eu un complot lors de la bataille de Marengo. Il lui faut payer les dettes de Joséphine pour n'être pas éclaboussé. N'a-t-elle pas trafiqué des fournitures aux armées ? C'est un homme mécontent, inquiet, intrigué par l'étonnante fortune de M. de Talleyrand qui devra écouter le beau discours de ce dernier au Sénat, en tant que ministre des Affaires étrangères.

Ce discours commence par une condamnation du Turc : « des confins de l'Égypte au détroit de Gibraltar, le nord de l'Afrique est possédé par une race d'hommes étrangers dans le pays qu'ils oppriment... » « Placés sur l'une des grandes routes du commerce européen, ils en sont le fléau... Mais suit un exposé des rapports de la Régence et de l'Europe qui ne va pas sans lacune... Nulle mention de l'expédition d'Égypte, et il n'est pas dit que le dey veut l’achat de l'exécution du traité de paix, c'est-à-dire qu'on lui paie ce qu'on lui doit.

Les trois complices sont bien d'accord pour oublier la créance du dey.

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Il est impossible de suivre le sort des créances Busnach-Bacri au cours des années qui suivront.

Le dey d'Alger n'aurait jamais songé à rien réclamer au maître de l'Europe. Mais les Busnach-Bacri continuent d'accumuler les intérêts de la dette. Aussi longtemps que dure l'Empire, les deys ne réclament rien, et la dette augmente. Mais tout a une fin, même l'Empire.

La Restauration reprendra les pourparlers. Elle veut en finir avec cette dette pendante. Seulement, par un hasard admirable, les Busnach-Bacri retrouveront aux affaires le même Talleyrand qui n'a rien à leur refuser. Ils présentent donc, sans pièces comptables à l'appui, le montant de leur créance qui s'est accru de tant d'intérêts composés qu'il atteint 24 millions. On juge de l'émotion !

Une commission entreprend l'examen de la dette qui est ramenée à 14 millions, puis à 8 millions, enfin à 7 millions !

Mais, dans cette liquidation, seuls les intérêts des Busnach-Bacri sont reconnus. C'est en vain que le dey réclame. Nous nous en remettons à ces intermédiaires qui avaient toute la confiance d'Alger.

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On sait la suite. Un nouveau dey intelligent. autoritaire, veut faire valoir ses droits. Les circonstances l'y contraignent. C’en est fait de la Course et les besoins d'argent sont pressants. Le dey s'impatiente des arguments de procédure que lui a opposés notre consul.

Il y aura une vive discussion une trop vive discussion, et ce sera le fameux coup d'éventail ! C'est la rupture et en cette même année 1827 une dernière destruction de la Calle, notre bastion...


Enfin, c'est la Conquête d'Alger. Tout cela est connu. Ce que l'on sait moins, c'est qu'en 1836, lors de la reprise de notre bastion par Berthier de Sauvigny, ce dernier put être surpris. « Le détachement, dit-il, n'a rencontré aucune résistance. Un groupe d'Arabes, sans armes, assis paisiblement sur les ruines de cette ville française, attendait l'arrivée des Français...  » Probablement pour recommencer le commerce des blés.

(In l’Algérianiste n° 19 de septembre 1982)

Maddy DEGEN.

(1) Capitaine des corsaires.

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