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Gastonville

Écrit par Edouard Solal. Associe a la categorie Constantinois

colonie agricole de 1848

(1848- 1870)

La crise économique et sociale que traversait la métropole, à la suite de la Révolution de février 1848, allait être la cause d'un nouveau peuplement de l'Algérie et d'une nouvelle colonisation (1).

Après février 1848, les colons algériens cherchèrent à développer la colonisation. Groupés en une " Société Algérienne " ils étudièrent, en commun avec des ouvriers parisiens (2), un projet qui aurait confié la direction de l'opération aux éléments civils seulement, et accordé l'association. F. Barrot, député de Philippeville, accepta de le présenter à l'Assemblée nationale.

Mais Lamoricière, ministre de la Guerre, prit les devants et déposa brusquement un projet qui fut adopté dans l'indifférence des députés.

A la suite de cette approbation, un arrêté du 19 septembre 1848 accorda un crédit de 50 millions sur les exercices de 1848, 49, 50 et 51.

Une première tranche de 5 000 000 de fr. servirait à envoyer en Algérie 12 000 personnes avant le ler janvier 1849. Chaque colon devait recevoir: une propriété de 2 à 10 hectares selon la qualité de la terre, une maison, du bétail, des semences et, pendant trois ans, des subventions alimentaires. A l'expiration de ce délai, le tout devenait sa propriété, sous certaines conditions, en particulier celles de prouver son travail sur son lot (3).

D'octobre à décembre 1848, 16 convois provenant en majorité de Paris et Lyon, allaient se succéder groupant chacun de 600 à 800 personnes.

50 Carte Manuscrite gastonville robertvilleIl fallut trouver, en un mois, 42 emplacements dans toute l'Algérie, dont 9 dans le département de Constantine. Pour la région de Philippeville, le choix des emplacements fut très simple: on se contenta d'utiliser les territoires fixés par ordonnances royales en 1847 à Gastonville et Robertvlle.

 

A Gastonville, depuis l'ordonnance de création, rien n'avait été fait. Le premier projet de lotissement s'avéra insuffisant d'autant plus que le ministre envisageait déjà d'agrandir le territoire de 535 ha à 1 870 ha.

Un directeur de la colonie fut nommé par le général de Salles: ce fut le capitaine Pigeon, du 8e de ligne, qui laissa d'excellents souvenirs par son intelligence et son énergie.

Avec l'aide de l'armée, il entreprit aussitôt les travaux d'enceinte, puis la construction des maisons. Mais un premier convoi arriva en novembre 1848. Rien n'était terminé. Les futurs colons ne trouvèrent qu'un chantier au milieu d'une solitude embroussaillée. La première déception passée, ils se mirent à aider les soldats dans la construction de baraques provisoires en planches où ils s'entassèrent tant bien que mal. Lorsqu'ils furent casés, ils aidèrent à la construction des maisons de pierre. Une église fut installée dans une baraque. Un second convoi arriva en décembre.

Le village avait été divisé en 216 lots urbains où 122 maisons devaient être construites par l'État (4).Un crédit global de 277 800 fr. avait été prévu sur les 5 millions de l'arrêté de septembre 48. Il devait permettre de construire: une enceinte, 2 puits, une fontaine, un lavoir, un four, la maison du directeur, les 122 maisons et de niveler les rues (5).

Les travaux furent interrompus en juin 1849 par les fièvres produites par les marais du Saf-Saf et les multiples maladies dues au manque d'adaptation au climat et à la promiscuité des baraques.

En juillet, une cinquantaine de personnes seulement étaient encore valides. Les autres furent évacuées vers les hôpitaux de Constantine ou de Philippeville. Les baraquements furent alors pillés.

L'automne 1849 amena une amélioration de la santé et le retour de nombreux colons.

Mais, à partir du 9 octobre 1849, une violente épidémie de choléra ravagea le centre pendant 42 jours causant 164 morts sur 429 habitants (6).

Les rescapés demandèrent leur rapatriement. Dix familles seulement restèrent au village.

Le directeur ne se découragea pas et persévéra. Un nouveau convoi d'émigrants combla les vides. Les orphelins furent recueillis par des soeurs de charité. L'Intendance de Philippeville envoya un nouveau cheptel et de nouvelles semences. Des moniteurs vinrent quelques semaines (Lamoricière refusa cette création de poste) enseigner la culture.

50 Maison 1849En 1850, 124 maisons furent construites par l'État pour les particuliers et 12 pour les services publics (église, presbytère, 2 écoles, salle d'asile) (7). 98 concessions urbaines avaient été accordées (à signaler que le village ne comprenait que 2 "ex-ouvriers d'art", le reste était d'anciens cultivateurs); 226 bestiaux avaient été distribués ainsi que 863 instruments aratoires.

Les lots à cultiver étaient très réduits, de 2 à 8 ha. 300 ha de terres furent défrichés, 8011 arbres plantés. La population était déjà de 350 habitants.

Bien entendu, les cultures étaient surtout du blé (99 ha), puis des légumes, des pommes de terre, des fèves et un peu de tabac.

On a beaucoup parlé de l'" échec " des colonies agricoles de 1848. On leur a attribué, à tort ou à raison, de multiples causes: régime militaire excessif, pouvoirs exorbitants des directeurs de colonies, manque d'enthousiasme de l'administration, présence d'ouvriers parmi les colons, désappointement des émigrants, maladies...

Dans le cas de Gastonville, nous pouvons dire qu'il n'y eut pas à proprement parler d'échec. Seul, le choléra vida le village ! Mais de nouveaux émigrants assurèrent la continuité de l'œuvre. Le régime militaire ne dura que jusqu'en 1852 et le capitaine Pigeon partit, regretté de tous; l'administration aida intelligemment le nouveau village: nombreux bestiaux, instruments, semences, suppression de l'attribution de vivres remplacée par une allocation journalière; enfin, les colons étaient pour la plupart originaires de départements agricoles (voir les registres d'état civil du village) ou d'anciens militaires.

Le véritable "échec" se situe vers 1854. Rappelons que les concessions rurales à Gastonville étaient d'une superficie des plus réduite: entre 2 et 8 ha, rarement au-dessus.

Chaque colon avait reçu, à son arrivée, un lot urbain, un jardin de 25 ares (situé autour du village même), un lot rural de 2 ha à l'ouest du village, un autre de 4 ha plus à l'ouest et un autre de 2 ha (planté surtout d'oliviers) le long de la route Constantine-Philippeville. Cette attribution de lots réduits et, de plus, séparés les uns des autres, était une erreur. Des colons réussirent à vivre quelques années sur leurs terrains propres mais, ensuite, à quelques rares exceptions, ceux qui ne réussirent point à agrandir leurs propriétés disparurent.

De 1850 à 1861, le chiffre de la population de Gastonville se maintint stationnaire. 1850: 350 habitants (depuis la Loi du 20 juillet 1850, les nouveaux habitants étaient choisis seulement parmi les anciens militaires d'Algérie ou les anciens cultivateurs). 1854: 423; 1857: 336; 1861: 401. Ce chiffre ne comportait qu'une très faible proportion d'étrangers (4 %).

Puis, avec la disparition de certaines petites propriétés, le chiffre tomba à 333 en 1866. (En 1925, il n'était plus que de 125). Par contre, le chiffre des musulmans s'accrut de 0 en 1850 à 213 en 1861, 357 en 1866 (et 4 224 en 1920).

En 1849 et 1850, 300 ha avaient été concédés gratuitement, à titre provisoire, par lots réduits. Les titres définitifs ne furent délivrés qu'en 1852.

A partir de 1851, de nouvelles concessions, de 6 à 15 ha, furent accordées dans des conditions différentes; de ce fait, le colon pouvait vendre ou hypothéquer ses terres.

En 1851, la commune est agrandie à 1870 ha par adjonction de deux des lots de "grande colonisation" tentée dans la " vallée du Saf-Saf" sans succès.

En 1854, 776 ha avaient été concédés.

En 1855, 1 081 ha, toujours malheureusement par lots réduits. Dans le village, de nombreux lots à bâtir restent sans maison; des concessionnaires plus actifs les rachèteront pour en faire des jardins (8).

En 1864, l'ensemble du territoire était concédé, y compris les anciens lots de la vallée du Saf-Saf attribués, par exemple, à M. Hubert de Sainte-Croix, banquier à Paris (567 ha).

50 Gastonville Rue PrincipaleEntre 1854 et 1870, le nombre de propriétaires de petits lots diminue quelque peu, certains agrandissant, peu à peu, leurs biens en rachetant les terres de ceux qui abandonnaient. En 1870, le territoire de Gastonville présente près de 800 lots réduits et dispersés aux mains d'une centaine de concessionnaires (9).

Les cultures du village s'étaient orientées, dès l'origine, vers le blé: blé tendre, évidemment, au début; blé dur, ensuite (en 1856, 90 hectares de blé dur contre 20 hectares de blé tendre). La nature des terres, terres fortes à la surface d'argiles nummulitiques, s'y prêtait bien. Jusqu'en 1861, les surfaces emblavées en blé crûrent régulièrement en raison de l'augmentation du nombre de concessions et, aussi, parce que la période était devenue favorable (les prix, grâce à la loi douanière de 1851, étaient rémunérateurs: la guerre d'Orient et les mauvaises récoltes en France ouvraient des débouchés). Après 1861, jusqu'en 1870 (années de sécheresse, de sauterelles, d'épidémies...), les superficies demeurèrent stationnaires (10).

Les méthodes de culture s'améliorèrent à partir de 1860 avec l'utilisation de herses, de machines à battre et de charrues plus perfectionnées. Les colons firent des essais d'assolement et répandirent des engrais. Le rendement augmenta (11).

A côté du blé, on cultivait de l'orge (1852: 34 hectares; 1855: 15 hectares), de l'avoine (1855: 14 hectares), des légumes, des fèves (1850: 7 hectares; 1861: 21 hectares), des pommes de terre (vite abandonnées), un peu de tabac.

La vigne n'exista pratiquement pas jusqu'en 1870 (0 hectare 5 en 1856; deux hectares en 1869).

Des essais de coton furent tentés sans lendemain.

Des colons s'occupèrent également, avec succès du greffage des oliviers qui allaient devenir une richesse de la région (12).

Au point de vue territorial, le 12 janvier 1853, les colonies agricoles, dont Gastonville, passèrent du territoire militaire, dans l'arrondissement de Philippeville.

En 1861, le village devint commune de plein exercice par décret du 22 août, avec le même territoire. Un conseil municipal comprenant le maire (le premier fut M. Tierce, un adjoint, six conseillers municipaux (1 étranger), fut installé le 1er janvrier 1862.

Jusqu'en 1870, la commune subit peu de modifications et conserva le même territoire.

Edouard SOLAL

(1) Piquet V.–La colonisation Française en A.N. - Paris 1912.
(2) Genet L.–Les colonies agricoles de 1848 dans La révolution de 1848 en Algérie - Palis 1949.
(3) Les voila donc ces "gros" colons qui devaient survivre avec 2 à 10 hectares !
(4) Etablissements français 1846-47-48-49.
(5) Le colonel du génie de Const. au Gouv. 23 mai 49, AGG 1 L 71.
(6) Relevé des registres d'état civil tenu par le Cne Pigeon.
(7) En 1856, un violent tremblement de terre lézarda presque toutes les maisons de Gastonville. Il fallut les consolider. L'église actuelle fut bâtie en 1859.
(8) D'après le "Cadastre de la commune de Gastonville" relevé par M. Duplaisir, géomètre, en 1869. (Arch. de la commune de Gastonville).
(9) D'après le "Cadastre de la Commune de Gastonvllle", déjà cité.
(10) Mollard G.–L'évolution de la culture et de la production du blé en Algérie de 1830 à1939 - Paris - 1950.
(11) Ibid.
(12) Autre indicatif, la commune de Gastonville comportait en 1950: 484 ha de blé dur, 56 de blé tendre, 49 d'orge, 34 d'avoine, 162 de fourrages, 171 de fèves, 65 de vignes, 2 de tabac, 159 de lin. (Communiqué par le service agricole de l'arrondissement de Philipeville).

 

  in L'Algérianiste  n°50 de juin 1990

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