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Le sort des combattants musulmans d'Algérie d'après les archives militaires et diplomatiques

Écrit par Maurice Faivre. Associe a la categorie Histoire Politique

Prises de fonctions

Les décisions et déclarations des autorités politiques et militaires sont parfois attribuées à des personnes qui n'en sont pas les auteurs. Il importe donc de préciser la chronologie des prises de fonction, de 1958 à 1960:

Président du Conseil: De Gaulle 1er juin 1958

Premier ministre: - Debré janvier 1959 - Pompidou du 14 avril 1962 à juillet 1969 Ministre d'Etat chargé des Affaires algériennes : Louis Joxe 22 novembre 1960. - Secrétaire d'Etat :

J. de Broglie 22 décembre 1962.

Ministre de la Défense: De Gaulle 1er juin 1958

Ministre des Armées: Guillaumat juin 1958 - Messmer du 5 février 1960 au 22 juin 1969.

Délégué général: Salan 1er juin 1958 - Delouvrier 19 décembre 1958 - Morin novembre 1960.

Haut-commissaire : C. Fouchet 25 avril 1962.

Haut représentant et ambassadeur: J.M. Jeanneney 5 juillet 1962 - G. Gorse janvier 1963.

Chef d'Etat-Major général des Armées : Ely 9 juin 1956 - Lavaud 25 février 1959 - Martin

11 avril 1961 - Ailleret juillet 1962.

Chef d'Etat-Major général de la Défense nationale : Cabanier 1er juin 1958 – Ely 7 février 1959 - Olié 1er mars 1961 - Puget 1er novembre 1961 - Fourquet 23 juillet 1962.

Commandants en chef : Salan 14 décembre 1956 - Challe 19 décembre 1958 - Crépin 23 avril 1960

Commandants supérieurs: Gambiez mars 1961 - Ailleret juillet 1961 - Fourquet 25 avril 1962 - de Brebisson 24 juillet 1962.


Déclarations françaises

  • Le 16 septembre 1959, dans le discours sur l'autodétermination, le Chef de l'Etat déclare :

« Ceux qui voudraient rester Français le resteraient. La France réaliserait leur regroupement et leur établissement » ... Sept jours plus tard, il ajoute: « A quelles hécatombes condamnerions-nous ce pays si nous étions assez stupides et assez lâches pour l’abandonner ! » - Le 7 juillet 1960, le général Ely, CEMGDN, note que « les cadres se sentiraient déshonorés s'ils devaient abandonner à la haine et aux représailles de la rébellion des hommes qui ont combattu sous nos drapeaux ».

  • Le 5 janvier 1961, le général Crépin, commandant en chef, assure par note de service que l'Armée assurera par sa présence le retour à la vie normale. Les combattants musulmans auront la possibilité de rester Français. Le 15 mars, il demande au gouvernement que les harkis, considérés comme vainqueurs, restent groupés et armés pendant un an après le cessez-le-feu. - Le 19 février 1961, rencontrant M. Boumendjel à Lucerne, M. Pompidou demande quelles garanties seront données à tous ceux, Français ou Musulmans, qui pourraient être massacrés.

  • De mars à décembre 1961, les hauts fonctionnaires du Secrétariat d'Etat aux Affaires algériennes (en particulier H.-J. Manière, M. Roland-Cadot et M. Massenet ) se prononcent pour la protection des musulmans fidèles à notre cause. Ils préconisent : - la promesse de non-représailles à exiger du FLN - le maintien dans la nationalité française, assorti de garanties juridiques - la possibilité d'installation en France.
  • Le 23 mars 1961, le chef de l'Etat déclare à M. Debré: « Il n'y a pas d'aide de la France si l'Etat algérien ne répond pas à certains critères ... à ce qui touche à la liberté des Français, la liberté des Musulmans fidèles ... L'Armée française doit être présente pour garantir ces règles ».

  • Le 26 mars 1961, le général Olié, nouveau CEMGDN, demande que le général De Gaulle réaffirme avec force que «  les musulmans engagés à nos côtés auront une place de choix dans l'Algérie nouvelle, et que leurs droits seront sauvegardés en cas de sécession ».

  • Le 26 juin 1961, le Comité des Affaires algériennes à Paris décide que les effectifs des harkis, ainsi que ceux des groupes d'autodéfense, seront progressivement réduits, et que la transformation des SAS en service civil sera réalisée avant la fin de l'année.


Positions françaises

  • Le 4 octobre et le 2 novembre 1961, répondant à un questionnaire de M. Joxe, les préfets d'Algérie estiment que pour les musulmans fidèles à la France, « les seules protections efficaces sont la présence de l'armée dans le bled et le transfert en métropole. Mais ils font observer que très peu de musulmans menacés envisagent de s'expatrier. Or ils ne seront pas protégés ».

  • Le 20 octobre, le SDECE reçoit l'ordre de cesser tout soutien au Front algérien d'action démocratique (FAAD), dont les militants sont abandonnés aux vengeances du FLN.

  • Le 27 janvier 1962, les hauts fonctionnaires des Affaires algériennes proposent à nouveau les mesures propres à assurer la sécurité de certains musulmans « proclamation de l'amnistie, nationalité française, liberté de circuler entre l'Algérie et la France, où il faudra leur assurer refuge et emploi ».. ..« La France faillirait à son honneur si elle ne tentait pas tout en leur faveur ».
  • Le 14 février 1962, le général Ailleret, commandant supérieur, demande au ministre de diffuser une note rassurant les FSNA servant dans nos armées sur leur avenir et sur la volonté de la France de ne les abandonner en aucune circonstance.

  • Le 21 février 1962, le général De Gaulle répond à la Secrétaire d'Etat Sid Cara qui s'inquiète du sort des musulmans qui n'ont pas d'attirance pour le FLN : « Nous avons le devoir de nous en occuper aujourd'hui, nous devons nous en préoccuper demain ».

  • Le 8 mars, le communiqué du ministre des Armées suspend les incorporations de musulmans, incite les engagés à se recaser en Algérie, et offre aux harkis le choix entre l'engagement dans l'armée, un contrat civil de six mois et la démobilisation avec prime. Le transfert en France sera accordé à ceux qui sont menacés, pour lesquels il prescrit le 15 mars d'ouvrir des centres d'accueil en Algérie.

  • Planifié par l'EMI de Reghaia le 13 mars, la dissolution des harkas est prescrite le 3 avril par le Comité des Affaires algériennes à Paris.

  • Dans une note du 7 avril, le ministre des Affaires algériennes L. Joxe affirme que ceux qui se sont engagés seront protégés par l'armée, mais. il précise que de toute manière, on fera effort pour maintenir ces personnes en Algérie.

  • Le rapport de M. Massenet du 10 avril, proposant un rapatriement massif de musulmans, est rejeté par le gouvernement.
  • Le 9 mai, une instruction de M. Pompidou affirme que le devoir de porter assistance à des personnes en danger s'impose à tout militaire. Les généraux Fourquet,commandant supérieur et Martin, CEMGA, confirment que les secours sont apportés d'initiative par tout militaire se trouvant sur les lieux. Mais le 23 juin, le Comité des Affaires algériennes précise que l'intervention dite d'initiative ne devra être envisagée pour assurer la protection de nos forces ou celle de nos nationaux que dans les cas de légitime défense ou d'attaque caractérisée.


Positions du FLN

  • Les 28-29 octobre 1961 à Bâle, écrit Ben Khedda, la délégation française soulève une question qui semble lui tenir à coeur : le principe de non-représailles... Notre réponse positive (le 9 novembre) détendit l'atmosphère. Cette concession, normale dans l'esprit du GPRA, allait permettre au dialogue de se nouer véritablement.
  • Le 18 mars 1962, Krim Belkacem signe le texte des accords d'Evian (93 feuillets) qui précise que « les deux parties s'engagent à interdire tout acte de violence collective et individuelle ». Il déclare alors que « la délégation algérienne s'engage à respecter ces accords, et à veiller à leur application.»

  • Le 26 mars, le colonel Boumediene lance un appel général à la désertion des frères algériens. Les chefs locaux du FLN contactent alors les supplétifs et leur promettent le pardon.

  • Simultanément les wilayas diffusent des directives secrètes, prescrivant de « se montrer conciliant envers les harkis afin de ne pas provoquer leur départ en métropole, ce qui leur permettrait d'échapper à la justice de l'Algérie indépendante ». 90% des harkis font confiance à ces promesses mensongères.
  • Du 27 mai au 7 juin, le CNRA réuni à Tripoli dénonce les accords d'Evian comme une plate-forme néo-colonialiste et une entrave à la révolution. Mis en minorité, Ben Khedda quitte Tripoli sans préavis. Le gouvernement français est informé de ces dissensions.


Déclarations françaises (suite)

  • Le 12 mai, un TO de M. Joxe fait état des réseaux de rapatriement organisés en particulier par des SAS et prescrit de « faire rechercher les promoteurs et les complices de ces entreprises et faire prendre les sanctions appropriées.

  • Les supplétifs débarqués en métropole en dehors du plan général de rapatriement seront en principe renvoyés en Algérie... Je n'ignore pas que ce renvoi peut être interprété par les propagandistes de la sédition comme un refus d'assurer l'avenir de ceux qui nous sont demeurés fidèles. Il conviendra donc d'éviter de donner la moindre publicité à cette mesure...».

  • Cette mesure est approuvée par le Comité des Affaires algériennes du 23 mai, qui demande que les préfets signalent toute arrivée irrégulière de musulmans. Le même 12 mai, le colonel Buis, chef de cabinet militaire du Haut commissaire, appelle émigration ces initiatives de rapatriement et précise que le transfert des Français musulmans menacés dans leur vie ou dans leur bien s'effectuera sous la forme d'une opération préparée et planifiée. Cependant le 30 mai le colonel Buis demande que l'armée prenne en charge le rapatriement (non planifié ?) des moghaznis. M. Messmer écrit en marge du TO: « Il faut le faire ».
  • Le 28 juin, M. Joxe déclare à l'Assemblée : « Les officiers qui veulent ramener leurs hommes font preuve d'un condamnable instinct de propriétaire, sur des personnes dont ils violent la liberté de choix afin de constituer en France des groupements subversifs ».

  • Le 30 juin le Corps d'armée d'Alger signale « des enlèvements d'hommes, de femmes et d'enfants, des exécutions sommaires, mises en quarantaine, travaux forcés dans les camps de l'ALN ». Le commandant supérieur rend compte à compter du 6 juillet des violentes épurations en cours: "Encadrée par l'ALN, la population se déchaîne... Les ordres ont été donnés par des échelons élevés du FLN, ou au minimum avec leur grande complaisance ".

  • Début juillet, le chef de l'Etat donne à M. Jean Marcel Jeanneney, ambassadeur à Alger, autorité sur le commandement militaire et lui commande de faire en sorte que nous ne recommencions pas la guerre. Respectant ces directives, le commandant supérieur prescrit le 24 août de « cesser de donner asile à des Algériens (sic) sauf dans des cas exceptionnels... et de ne procéder en aucun cas à des opérations de recherche dans les douars de harkis ou de leurs familles ». Il renouvelle ses consignes restrictives le 20 octobre : « les possibilités d'absorption de la métropole étant largement saturées, il convient de suspendre dès maintenant toute nouvelle admission dans les camps ».

  • Il semble ignorer ainsi la lettre de M. Pompidou du 19 septembre qui après avoir reçu Mgr Rodhain, invite les ministres à « assurer le transfert en France des anciens supplétifs qui sont venus chercher refuge sous la menace des représailles de leurs compatriotes ».

  • Le 16 novembre 1962, le Comité des Affaires algériennes prend en considération les importants changements survenus depuis la signature des accords d'Evian... et'Etat. Il n'est pas fait état au cours de cette réunion du rapport adressé au Comité par les Affaires algériennes : « plusieurs milliers d'anciens supplétifs détenus dans des camps... nombre d'entre eux ont succombé à d'horribles violences... l'engagement de non-représailles a donc été ouvertement violé... Notre représentant en Algérie est intervenu à de nombreuses reprises pour protester contre ces violences ». l'incapacité actuelle du gouvernement algérien à assurer la marche de l
  • Dans son rapport sur le moral de 1962, le général Le Masson, commandant le 23ème Corps d'armée (Alger ) fait part de « l'inquiétude et du sentiment de culpabilité (des cadres et de la troupe), s'agissant du sort des européens et plus encore des harkis livrés sans défense à la vengeance d'Algériens fanatiques... Beaucoup ne comprennent pas les mesures de prudence qui leur interdisent pratiquement d'aller leur porter secours ».


Réactions algériennes

  • Le 23 mai 1963, le général de Brebisson écrit que « le gouvernement algérien est intervenu, mais la plupart du temps il a encouragé ou laissé faire ».

  • Le 3 juin 1963, Ben Bella déclare à la presse : « Nous avons pardonné aux anciens harkis, leurs assassins seront arrêtés et exécutés ».

  • Le ministre de la Justice Bentoumi attribue les massacres à la « volonté de vengeance, contre des criminels impunis, des populations des douars, et de l'ANP qui a été encore plus brutale, ... ceux qui sont en prison sont presque tous des opposants au régime ... Il faut d'abord les désintoxiquer ».


Maurice FAIVRE

In « l’Algérianiste » n° 84

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