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L’Impromptu d’Alger

Écrit par Fernand Destaing. Associe a la categorie Histoire Politique

L’Impromptu d’Alger



En novembre et décembre 1942, les événements d'Alger constituent un des grands moments de l'histoire du monde. Aujourd'hui, avec presque un demi siècle de recul, ils conservent pour nous, Algérois, un côté nostalgique, car ce sont des instants que nous avons vécus, où nous avons été aux premières loges. Pour le médecin que je suis, ils ont encore un côté médical qui m'a toujours retenu, car la mala­die du fils Darlan y a joué un rôle important. Ils gardent en 1989 toute leur actualité, d'autant que la plupart des acteurs ont écrit leurs mémoires. Essayons donc de nous replonger un moment dans le passé.
Nous sommes à Alger le dimanche 8 novembre 1942. Ce jour-là, la ville s'est réveillée au bruit des balles. Tous les Algérois sont à leur balcon, dans la rue ou sur les rampes du bou­levard Amiral Pierre ou de l'Amirauté. Ils admirent au loin, dans la rade, une incroyable « Armada » qui s'est déployée pendant la nuit : 290 bâti­ments, des porte-avions, des cuiras­sés, des croiseurs, des contre-torpilleurs, des patrouilleurs. Et ces ballons accrochés à leur proue, miroi­tant au soleil et qui leur donnent un air de fête !
Le soir, c'est un véritable feu d'ar­tifice qui est tiré dans la baie. Les avions allemands viennent tenter de lâcher leurs bombes sur la flotte, l'hôtel Aletti ou le Palais d'Eté, les canons de la D. C. A. tirent dans le ciel de longs chapelets de balles traçantes — une sur dix —. C'est la guerre, la vraie guerre qui se déroule sous nos yeux éblouis.
Tous les jours, le festival va recommencer. Les Allemands revien­nent, la D. C. A. fait merveille, interdi­sant les bombardements en piqué, les dégâts sont peu importants. Et Alger s'interroge. Hier encore pétai­niste — dans son ensemble — elle admire aujourd'hui la puissance amé­ricaine. Elle ne sait pas encore que se joue chez elle le grand tournant de la Seconde Guerre Mondiale. Devant ce spectacle grandiose, elle est surprise d'apprendre par la radio et la presse, deux faits importants qu'elle ne soupçonnait pas, la préparation du débarquement anglo-américain et la présence de Darlan. Faisons d'abord un retour en arrière, un « flash-back » comme disent les cinéastes, sur ces deux événements.

La préparation du débarquement Allié

L'intervention anglo-américaine en Afrique du Nord a été l’un des secrets les mieux gardés de la Seconde Guerre Mondiale. sous le nom de code d'« Opération Torch », elle est cependant en préparation depuis près d'un an. Seuls quelques initiés connaissent les grands moments qui l'ont précédée.
Depuis le début de l'année 1942, s'est formé ce qu'on a appelé « le Groupe des Cinq », cinq patriotes qui n'acceptent pas la défaite devant l'Allemagne : Lemaigre-Dubreuil, un riche industriel, gendre de Lesieur, qui ne cache pas ses opinions de droite, Jean Rigault, un monarchiste toujours à l'unisson avec lui, Henri d'Astier de Lavigerie, autre monar­chiste très actif mais pas toujours d'accord avec les deux premiers, de Saint- Hardouin, diplomate, un intime de Weygand qui a pris des contacts avec le consul américain Murphy, enfin Van Ecke, chef des Chantiers de jeunesse, qui assure au groupe le ravitaillement en essence et les lais­sez-passer nécessaires. Depuis près d'un an, ils ont tissé dans le pays un réseau de complicités pour préparer le débarquement.
Le 13 octobre 1942, Robert Murphy, consul américain à Alger et représentant personnel du président Roosevelt, a rencontré Alphonse Juin, commandant des forces de l'Afrique du Nord depuis un an déjà. Il se méfie de lui parce que Juin a été choisi par Vichy pour remplacer Weygand et pour aller rencontrer Goering à Berlin (1). « Si vous faites appel à nous, nous sommes prêts à vous apporter non seulement le matériel dont vous avez besoin, mais encore le concours de nos forces armées, a proposé Murphy — Puis-je en parler au gou­vernement ? — A Darlan seulement, et dans le plus grand secret ». Le général Juin a été impressionné par l'importance de cet entretien. Il en a fait un compte-rendu écrit pour l'ami­ral et lui en a parlé lors de son passa­ge à Alger.
Le 22 octobre, à vingt jours du débarquement, a eu lieu dans la ferme de Misselmoun ce qu'on a appelé « l'entrevue de Cherchell » entre le général français Mast, com­mandant de la Division d'Alger et le général américain Clark, représentant d'Eisenhower. Clark est arrivé dans la nuit en sous-marin et a promis un débarquement au Maroc et en Algérie avant la fin de l'année. Mise au cou­rant, la police de Vichy s'est inquiétée et Clark a dû repartir en catastrophe ; il a pris un bain forcé et perdu son pantalon... (2).
Cinq jours plus tard, le consul Murphy rencontre Mme Mast — pour ne pas donner l'éveil — et lui précise le jour J et l'heure H, qu'il communique également au Groupe des Cinq. Mast et les Cinq préparent la venue du général Giraud à Alger. Evadé de la forteresse allemande de Koenigstein, Giraud a accepté de « travailler avec le président Roosevelt à la libération de la France ». Mais il voudrait un débar­quement en Provence. Alors, il « traî­ne les pieds » Parti en sous-marin du Lavandou, emmené ensuite en hydra­vion jusqu'à Gibraltar, il a perdu un temps précieux pour rencontrer Eisenhower à qui il a réclamé une illu­soire égalité de commandement entre la France et l'Amérique.
Début novembre, les événements se précipitent. Une immense flotte alliée pénètre en Méditerranée. Officiellement, elle vient soutenir l'of­fensive que Montgoméry vient de déclencher le 2 novembre contre Rommel à El-Alamein en Egypte. C'est ce même jour que Juin a revu Murphy pour lui faire savoir qu'il serait le premier à faire appel à l'aide amé­ricaine si les Allemands intervenaient en Afrique du Nord. Et il a ajouté « J'espère que la provocation viendra des Allemands... mais j'ai des ordres pour défendre l'Afrique du Nord contre tout venant ». Murphy n'a donc pas parlé du débarquement imminent. Pourtant, un message passe et repasse sur les ondes de la B.B.C. « Allo, Robert, Franklin arri­ve ». Seuls les initiés comprennent que Robert désigne Murphy, et Franklin Roosevelt ! L'armada longe l'Afrique du Nord, dépasse le méri­dien d'Alger. C'est une feinte. Tout à coup, elle vire vers le sud-est et se présente dans la baie. Avec elle, les conspirateurs attendaient Giraud. C'est Darlan qui est là.

La présence de l'amiral Darlan à Alger

Darlan, c'est avant tout un marin. Comme il aime à le répéter, « il y a toujours eu des bateaux dans sa famille ». Un de ses ancêtres a com­battu à Trafalgar sur le « Redou­table » contre l'amiral Nelson. Lui-même a fait une carrière éblouissan­te. Il a été le plus jeune amiral de France. Est-il anglophobe comme on l'a dit ? Non, puisqu'il a épousé une descendante de l'amiral anglais Rodney. Darlan, c'est surtout un grand commis de l'Etat, disent ses supérieurs. Au Ministère de la Marine, on ajoute « Les ministres passent, mais Darlan reste ». Il parle peu, pourtant. Les Américains l'ont surnommé « Popeye » à cause de sa petite taille et de sa pipe, toujours vis­sée entre ses dents. C'est en tout cas un réaliste, un homme « terre à terre » disent ceux qui affectionnent le langage des marins. D'autres affir­ment qu'il est plutôt opportuniste. A Vichy, Laval assurait, sarcastique, qu'il faisait le point chaque matin « pour voir d'où venait le vent ». Il n'em­pêche que Darlan a évincé Laval et qu'il est devenu l'héritier présomptif du maréchal.

darlan
Amiral Darlan

Suivons-le bien tout d'abord dans son engagement aux côtés des Alliés. Dès juin 1941, il a dit à l'amiral Leahy, représentant de Roosevelt à Vichy auprès de Pétain « Si vous venez à Marseille avec 500 000 hommes, 5000 chars et 500 avions, nous sommes prêts à marcher avec vous. » En décembre 1941, après Pearl Harbor, il ne croit plus comme Laval à la victoire allemande, bien renseigné qu'il est sur la puissance américaine par ses services secrets, avec Dupré et Revers en particulier. En février 1942, il a même établi une filière à Alger avec Robert Murphy, par l'intermédiaire de son fils Alain, représentant en Afrique du Nord de la Société d'Assurances de l'Urbaine et La Seine. Alain a eu deux entretiens avec Murphy à Alger chez son par­rain, l'amiral Fenard. En septembre 1942, il est revenu mais n'a pas trou­vé le consul et s'en est allé en Tunisie en l'attendant. Murphy était parti en grand secret pour mettre la dernière main au débarquement et rencontrer Roosevelt à Washington et Eisenhower en Angleterre.
Les Américains ont mis, en somme, « deux fers sur le feu » : Giraud, grâce au Groupe des Cinq et à Mast, Darlan par l'intermédiaire de son fils et de Murphy. Ils écoutent les avances de Darlan, mais se méfient de lui comme de Juin parce qu'il est en contact avec les Allemands ; ils évitent donc de leur donner des dates précises. Au dernier moment, Roosevelt semble avoir penché en faveur de Giraud puisque le Groupe des Cinq a signé avec le consul amé­ricain les « Accords Murphy-Giraud » où Roosevelt s'engage à « rétablir la souveraineté française dans la France et dans son Empire et à ne débarquer qu'à l'appel des Français, au jour fixé par eux ».
Mais la présence insolite de Darlan à Alger est venue brouiller les cartes.

Darlan était-il au courant ?

La chose paraît certaine : la pré­sence de Darlan à Alger est inopinée. Il est là le 8 novembre par accident, à cause de la maladie de son fils. Nous savons qu'Alain était parti en Tunisie en attendant Murphy. Le 13 octobre 1942, son parrain, l'amiral Fenard l'a appelé chez le Bey de Tunis — pour garder le secret — et lui a fait com­prendre qu'on l'attendait à Alger. Deux jours plus tard, Alain s'écroule à sa descente d'avion. On pense d'abord à un coup de soleil. Mais non. Ses jambes répondent difficilement et l'on craint une poliomyélite. Le méde­cin général Le Chuiton fait alors appel au médecin général Gauthiez qui décide de son transport à l'Hôpital Maillot où se trouve le seul poumon d'acier d'Algérie. Alain est hospitalisé dans le Service de Neuro-psychiatrie du docteur Peretti. De Vichy, sa mère vole à son chevet, tandis que l'amiral Fenard câble à Murphy de ne pas se déranger « Ne venez pas, le petit est souffrant ». A la fin du mois d'octobre, l'amiral Darlan est lui-même en tournée africaine. Après avoir inspecté l'A.O.F. et le Maroc, il termine à Alger. Juin le met au courant de ses entretiens avec Murphy. Pour finir, l'amiral se rend à l'hôpital Maillot pour embrasser son fils et retourne à Vichy.
Mais le 3 novembre, l'état d'Alain Darlan s'aggrave brutalement. Sa conscience s'altère, son souffle devient court, sa tension artérielle s'abaisse. Les médecins qui soignent sa poliomyélite redoutent une atteinte bulbaire, le plus souvent mortelle. L'amiral Darlan prévenu prend un avion dans la nuit et arrive à Alger le 4 au matin. Le 5, l'état de son fils semble désespéré. Calmement, l'ami­ral prend quelques dispositions. On prépare à l'hôpital une chapelle ardente ; on retarde de 24 heures le départ pour Marseille du paquebot « El-Biar », qui pourrait emmener le cercueil si le malheur arrivait ; on fait ouvrir le caveau familial à Neyrac, près Agen. Le 7 novembre, les méde­cins découvrent chez Alain, à l'examen systématique, un foyer de congestion pulmonaire. Il s'avère donc que les signes inquiétants qu'on avait observés chez lui étaient le fait d'une complication respiratoire et non d'une localisation bulbaire (3). Alain sera vite hors de danger. L'amiral va‑ t-il retourner à Vichy ? Mais non. Il reste chez son ami Fenard, à la villa Sidi Allaoui, sur les hauteurs d'El Biar. Alors, se doute-t-il de quelque chose ? A-t-il joué le double jeu ? II semble qu'on puisse répondre par la négative. L'amiral ne croyait pas à un débarquement imminent des Alliés. Juin l'avait mis au courant de son entrevue du 2 novembre avec Murphy qui n'avait pas parlé d'un débarquement dans les jours à venir.
Le 5 novembre, le général Bergeret, juste arrivé de Vichy, lui a déclaré avoir appris de source sûre que le débarquement allié aurait lieu dans la première quinzaine de novembre. Le 7 novembre, le vice-amiral Moreau est venu voir Darlan pour lui faire savoir que les  télégrammes d'un agent secret de Lisbonne l'ont averti du déplacement de l'armada anglo-américaine, jour après jour. « A mon avis, ce convoi chargé de troupes et de matériel de débarquement est destiné à nous envahir » a ajouté Moreau — Impossible, répond Darlan. Regardez l'état de la mer. S'il y avait un débarquement, je serais le premier informé ». Darlan s'est trom­pé. Avec quelques heures de retard, la flotte anglo-américaine se présente devant Alger au jour dit (4).

Le jour J

Tout a commencé, en vérité, à J - 1, le samedi soir. Les principaux conjurés se sont réunis au 26 de la rue Michelet à Alger, au domicile du professeur Aboulker, oto-rhino-laryngologiste réputé et président local du. parti radical-socialiste. Le mot de passe des conjurés donne le ton « wisky-soda » — tout un programme —. José Aboulker, le fils, et les 400 conjurés s'emparent facilement des principaux centres nerveux de la capi­tale, le Commissariat Central, le Corps d'Armée, la Préfecture, les P.T.T., la Radio. Murphy, venu prendre contact avec les conjurés, appelle alors le colonel Chrétien, chef de la Sécurité Militaire, afin d'entrer en contact avec Juin.
A minuit trente, Chrétien l'amène chez Juin, villa des Oliviers à l'entrée d'El Biar. Murphy annonce à Juin le débarquement allié imminent. « Q'entendez-vous par là ? Deux jours, trois jours ? — Non, mon général... ce matin ». Juin s'emporte contre Murphy et lui reproche de l'avoir sciemment trompé lors de leur dernière entrevue. Lorsqu'il s'est calmé, il pense que Darlan est à Alger et que lui seul est qualifié pour prendre une décision. Un coup de fil chez l'amiral Fenard. Voici Darlan à la villa des Oliviers, qui découvre Murphy. Fureur de l'amiral. « C'est encore une de ces cochonneries dont vous, les Anglo-Saxons, nous acca­blez depuis deux ans. J'ai des ordres du maréchal. Je les exécuterai... Nous nous battrons. » Juin joue les conciliateurs. Darlan se décide enfin à envoyer un message à Vichy. Le téléphone est coupé par les insurgés. Nouvelle fureur. Et Murphy est gardé en otage, à la villa des Oliviers ! (5)
Nous sommes déjà le dimanche 8 novembre. L'heure H a été fixée à 2 heures du matin. Les Américains sont en retard. Ils ont une excuse. Le mau­vais état de la mer rend le débarquement difficile. Entre 4 et 5 heures du matin, ils prennent pied sur les plages de Sidi-Ferruch et commencent immédiatement la progression vers les hauteurs d'Alger. Au petit jour, les Gardes Mobiles de l'armée de Vichy reprennent la villa des Oliviers, libé­rant Murphy. Deux torpilleurs anglais, le « Broke » et le « Montcalm » ten­tent de forcer l'entrée du port. Les forts du haut de la ville leur répondent à coups de canon. Le « Montcalm » parvient à accoster, mais ses 200 hommes sont faits prisonniers. A 8 heures, à la radio on entend une pro­clamation qui commence par « Ici, le général Giraud » et se termine par « Un seul but, la victoire ». C'est José Aboulker qui a pris la voix de Giraud absent ; mais cela sent la supercherie et l'appel « tombe à plat ». A l'hôtel St Georges, Darlan reçoit la réponse de Pétain « Je suis heureux que vous soyez sur place... Vous savez que vous avez toute ma confiance ». Dans la soirée, Juin qui a reçu de Darlan l'autorisation de trai­ter, rencontre le général Ryder et signe un cessez le feu pour Alger, bientôt élargi à tous les théâtres d'opération. On déplorera treize morts du côté français.

Une semaine historique

Du 9 au 13 novembre 1942, Alger va vivre une semaine qui va compter dans l'histoire. Il est intéressant d'en dégager les grandes lignes, car on observe presque chaque jour des renversements de situation spectacu­laires (6).
Lundi 9 novembre, c'est un peu une journée perdue. Le général Giraud est arrivé sur l'aérodrome de Blida. On l'avait oublié. II est accueilli fraîchement, car son retard est la cause de tous les ennuis. Le Groupe des Cinq est amer et se demande comment renverser la situation. Alors, Juin, le camarade de prison de Koenigstein, explique à Giraud qu'il doit s'effacer devant Darlan, déjà accepté par toutes les forces armées. A trois heures du matin, Giraud qui ne se résout pas à tout abandonner, vient le revoir à la villa des Oliviers. En le rudoyant, son ancien camarade finit par lui faire admettre de se contenter d'un commandement mili­taire,... comme lui.
Mardi 10 novembre, c'est la journée des télégrammes. Un premier télex de Pétain à Darlan vient jeter la perturbation « J'avais donné l'ordre de se défendre contre tout agresseur. Je maintiens cet ordre ». Darlan cha­vire, puis se soumet, la mort dans l'âme. « Reçu votre message. Bien compris. J'annule mon ordre et me constitue prisonnier ». C'est la consternation. Mais Darlan reçoit un nouveau télégramme venu de l'ami­rauté. A Vichy, le vice-amiral Auphan, son adjoint, s'est avisé tout à coup qu'il existait un câble secret avec l'Amirauté d'Alger, inconnu des Allemands, et lui a câblé un télex bien différent « Comprenez que ce désa­veu était nécessaire pour la négocia­tion en cours ». Darlan, qui sait que Laval est en train de rencontrer Hitler à Berchtesgaden, comprend que le maréchal n'a pas voulu officiellement l'encourager.
Mercredi 11 novembre, ce diable d'Hitler vient encore tout compliquer en donnant l'ordre à la Wehrmacht d'occuper la zone libre Française au mépris de tous ses engagements antérieurs. Pétain, quasi prisonnier à Vichy, imagine sans doute dans sa détresse que Darlan est prisonnier à Alger et télégraphie « Le maréchal, chef d'Etat, désigne comme son seul représentant en Afrique du Nord, le général Noguès ». Nouveau désarroi chez Darlan, vite chassé par un second télégramme, arrivé par câble secret « Comprenez bien que c'est parce qu'on vous a supposé prisonnier que le général Noguès a été désigné comme représentant du Maréchal ».
Jeudi 12 novembre a été appelé « le jour de la querelle des géné­raux ». Chacun croit son heure venue et décide de frapper un grand coup. Noguès, qui vient d'arriver du Maroc, remet tout en question. Lorsqu'il apprend la teneur des télégrammes secrets, il accepte Darlan mais refuse toute entente avec Giraud. L'Amé­ricain Clark est excédé par tout ce « grabuge » comme il dit. Il est en particulier exaspéré par les atermoie­ments de Darlan. « Si vous continuez à hésiter, on va vous boucler, lance-t-il à la fin — Eh bien, bouclez-moi ! » Pour contrer Darlan, il tente d'imposer Giraud, avec l'accord du Groupe des Cinq, mais Giraud ne veut plus entendre parler d'un commandement politique. Sur ces entrefaites, un télégramme secret arrive de Vichy pour Darlan, signé Auphand. « Accord inti­me du maréchal ». Du coup, Noguès se rallie définitivement à l'amiral.
Vendredi 13 novembre, on dirait que la nuit a porté conseil. La crise se dénoue miraculeusement. Giraud a été trouvé Clark pour lui dire qu'il ne demande qu'un commandement mili­taire. II acceptera même un « Corps Franc » ! Le Groupe des Cinq est for­tement déçu par son attitude. Sarcastique, Lemaigre-Dubreuil a remarqué « L'aigle s'est fait moi­neau ». Giraud reconnaîtra plus tard qu'il a craqué. « J'ai été faible ». Là dessus, Juin arrive et se met en mesure de réconcilier tout le monde « Il faut marcher tous ensemble ! serrez-vous la main ! » Noguès et Giraud sont raccommodés. Ce que voyant, les Cinq se rallient à Darlan. Lemaigre-Dubreuil réunit tout ce monde autour d'un banquet dans sa villa Dar-Mahieddine, tandis que Clark signe avec Darlan un accord définitif, qui ne comprend pas moins de 21 articles.

Le règne de Darlan

L'amiral est nommé Haut Commissaire Français en Afrique du Nord. Il a désormais les pleins pou­voirs. Celui que Roosevelt a appelé dans une conférence de presse « l'expédient provisoire » semble devenir la carte à jouer. II lance l'Armée d'Afrique dans la guerre. Délaissant l'apparat, il a organisé son commandement dans sa villa de la « Renardière » et institué un Conseil Impérial qui groupe autour de lui le commandant en chef Giraud et tous les résidents ou gouverneurs géné­raux d'Afrique (A.O.F. comprise). Des secrétariats, préfigurant les ministères, sont mis en place. Y figurent la plupart des acteurs du débarquement, le groupe des Cinq en particu­lier.
Un nouvel événement est survenu le 27 novembre, la flotte française s'est sabordée à Toulon. Entrés en zone libre depuis le 11 novembre, les Allemands avaient fait mine de res­pecter le camp retranché de Toulon. Weygand avait alors supplié Pétain de s'envoler pour l'Afrique du Nord, mais le vieux maréchal préférait attendre encore. Lorsque les Allemands envahissent Toulon, l'ami­ral Laborde donne à la flotte française l'ordre de se saborder. C'est une nou­velle tragédie pour notre Marine, déjà très éprouvée depuis le drame de Mers-el-Kebir. Toute la France est désormais sous la botte nazie. En ce début de décembre 1942, Alger est devenue la capitale de la France en guerre !
Il y règne pourtant une atmosphè­re florentine. Darlan, le renard, est aux prises avec « de jeunes loups ». Ce n'est pas la survivance du régime de Vichy qui les gêne. Ils ont vraiment les dents longues et veulent le pouvoir. Commence alors ce que Juin a appelé « la conspiration des frus­trés ». L'échiquier algérois va devenir — les mots sont de Ragueneau — un chaudron de sorcières, où tout se dit et s'entend au « café du commerce ». A Alger, ce sont les cafés du centre de la ville qui sont le point de rassem­blement de tous ces « activistes », tous se trame entre le Laferrière, le Coq Hardi à côté, et le Paris en face.
Darlan semble avoir fait, en peu de jours, l'unanimité contre lui. II a contre lui les communistes qui sont alors les plus puissants dans les réseaux de la Résistance Française et entendent ramener la gauche au pouvoir, les Juifs qui ne pardonnent pas à l'amiral d'avoir abrogé le décret Crémieux qui assurait la nationalité française aux Juifs nés en Afrique du Nord. Darlan se heurte encore aux Conseillers Généraux qui estiment qu'ils sont les gardiens de l'ordre légal, chaque fois qu'il y a carence de l'Assemblée Nationale. Or, ils trouvent que Darlan tarde à rétablir la légalité républicaine et la députation. Parmi eux, les plus actifs sont l'Oranais Paul Saurin, Président du Conseil Général en exercice qui songe à jouer la carte de son ami, l'ancien ministre P.E. Flandin qu'il a présenté à Murphy, et l'Algérois Amédée Froger qui va jusqu'à remettre à Darlan une lettre l'invi­tant à démissionner pour laisser la place à un gouvernement légal. Pourtant, les plus hostiles au gouver­nement de Darlan sont en dehors de ces trois groupements : ce sont les monarchistes et les gaullistes (7).

Le complot

Les monarchistes veulent la Restauration du comte de Paris. Retiré dans sa propriété de Larache au Maroc, le comte a déjà tenté de reprendre des contacts à Vichy auprès de Laval qui s'est contenté d'ironiser à propos de ses titres et auprès de Pétain qui l'a poliment éconduit. A Alger, il peut compter sur Alfred Pose, un remarquable écono­miste nommé secrétaire aux Finances chez Darlan mais aussi un cagoulard notoire qui a la haine de la République et entend tout mettre en oeuvre pour restaurer la monarchie, en faisant croire si besoin au comte de Paris que tout le monde le réclame à Alger. Avec lui, Henri d'Astier, un des Cinq, déçu d'avoir été écarté par Darlan. Cagoulard lui aussi, en accord complet avec Pose, il reçoit beaucoup de monde dans son appar­tement du 2 de la rue Lafayette.
Derrière lui, l'abbé Cordier, un ancien séminariste devenu officier au 2è bureau. Il a gardé de cette occupation le goût du complot qu'il exerce pour le compte de d'Astier qui le loge chez lui. Pose, d'Astier, Cordier estiment que la position de Darlan est intenable et qu'il sera obligé un jour de se démettre. Rigault, par contre, monar­chiste mais moins arriviste, n'est pas d'accord avec ses camarades. Il pense que le comte de Paris ne pour­ra remonter sur le trône qu'à la faveur d'un coup de force, qu'il désapprouve.
Les gaullistes d'Alger sont assez proches des monarchistes et accep­tent de « prendre le train en marche » pour entrer dans le complot. Certes, Capitant, le professeur de droit, reste dans l'ombre, bien qu'il ne perde aucune occasion pour jeter l'anathè­me sur Darlan. Un autre gaulliste, Marc Jacquet, qui est chef de cabinet de Pose, se laisse persuader que le comte de Paris est un rouage néces­saire et va se rendre au Maroc pour lui demander de venir à Alger. Quelques jeunes gaullistes brûlent de l'envie de se rendre utiles. Parmi eux, le groupe du Corps Francs qui est en formation à Matifou, en particulier Jean Bernard d'Astier et son ami Mario Faivre, les trois camarades Tournier, Gros et Ragueneau, enfin un jeune idéaliste qui n'a pas vingt ans, Fernand Bonnier de la Chapelle. C'est un gosse franc et sympathique, à la fois gaulliste et idéaliste passionné. II a déjà fait une tentative d'éva­sion avec un avion sur l'aérodrome de Blida mais il a mis le feu à son appa­reil en faisant le plein à la lumière d'une bougie. Engagé dans le Corps Franc, il rêve de se dédouaner par une action d'éclat. Le 18 novembre 1942, dix jours après le débarquement allié, Ragueneau, Tournier, Gros et Bonnier, « la bande des quatre », décident d'assassiner Darlan et tirent à la courte paille celui qui en sera chargé. Ragueneau a une paille très courte et s'écrie : « C'est moi — Non, dit Bonnier, j'ai le brin le plus court, j'ai gagné ». Comme dans la chanson, le sort est tombé sur le plus jeune (8).

Le comte de Paris

A partir du mois de décembre 1942, les événements se précipitent. Bien qu'interdit de séjour, le comte de Paris est arrivé à Alger le 10 décembre. Il n'a d'ailleurs pas de domicile fixe et loge tantôt rue Amiral Coligny, tantôt boulevard Saint Saens chez son ami Jouvet. II retrouve enco­re chaque jour les conjurés au 2 rue Lafayette chez d'Astier (9). On lui a fait croire que Rigault et les Conseillers Généraux sont d'accord pour restaurer la monarchie. En véri­té, il n'y a jamais eu d'appel légal au Prince. II rencontre très vite Paul Saurin à l'Algéria, lui explique qu'il sera le médiateur. Son interlocuteur lui fait remarquer cependant que les Conseillers Généraux ne sanctionne­ront jamais un coup de force.
Le 19 décembre, arrive de Londres le général François d'Astier, frère d'Henri mais bras droit de de Gaulle à Londres. Les deux frères, l'un monarchiste et l'autre gaulliste sont les deux faces du complot. Plus direct, François n'y va pas par quatre chemins. II vient préparer, dit-il, l'arri­vée de de Gaulle à Alger. Entretiens à l'Aletti avec Saurin, qu'il invite à se rallier à son mouvement ; chez son frère avec le comte de Paris qui lui répète qu'il sera le médiateur. Lorsque le général d'Astier rencontre une résistance, il l'évite. « L'essentiel et de faire disparaître Darlan, on verra après — comment le faire disparaître dit l'un — Physiquement, répond d'Astier — Comment, physiquement ? — II faut l'é-li-mi-ner » . Et joignant le geste à la parole, il laisse 40 000 dol­lars pour « la propagande et l'élimina­tion ».
Tandis que d'Astier retourne pres­tement à Londres, ce même jour, le comte de Paris s'engage définitivement dans le complot. Il a été cloué au lit chez les d'Astier par une crise de paludisme. Sont réunis autour de lui Madame d'Astier qui reçoit, son mari Henri d'Astier, leur fils Jean Bernard, le copain Mario Faivre, le secrétaire l'abbé Cordier. On a redit comme avec les gaullistes que l'ami­ral Darlan devait être éliminé. « par tous les moyens ? a demandé l'un — Par tous les moyens ! a affirmé l'autre ». Et le comte de Paris s'est retourné vers Cordier « Alors, l'abbé, à vous de jouer ». A preuve le livre de Mario Faivre, au titre significatif « Nous avons tué Darlan » (10), et la lettre remise à Alain Decaux par Madame d'Astier où elle reconnaît les faits.

L'assassinat de Darlan

L'abbé Cordier sait bien que désormais, c'est à lui de jouer. Rosfelder lui avait parlé de deux tueurs qui, au pied du mur, se sont récusés. Mais le hasard va le favori­ser. Fernand Bonnier est amoureux. Or, sa fiancée habite au 2 de la rue Lafayette. Il n'en faut pas plus pour que Bonnier devienne l'homme de main du complot monarcho-gaulliste. Son ami Pierre Raynaud, instructeur au Corps Franc, a raconté les confi­dences de Bonnier. Pour triompher de ses dernières hésitations, on lui a démontré que tout était prêt déjà pour son évasion.
Le 23 décembre, dans les hautes sphères du pouvoir, on se prépare aux cérémonies de fin d'année. Le Haut Commissaire Darlan reçoit avec faste ses Alliés, Eisenhower, Clark et Murphy. Ses hôtes ne le trouvent pas triomphant comme ils s'y attendaient, mais plutôt désabusé. II songe même à se retirer. Dans les cafés du centre d'Alger, on trinque à la chute de Darlan. « L'amiral à la flotte ! » crient les conjurés, ouvertement. Ce soir-là, l'abbé Cordier a remis à Fernand Bonnier 2000 dollars et des papiers pour faciliter son évasion en Amérique du Sud, en l'assurant qu'il trouverait ouverte la fenêtre du bureau de Darlan pour s'échapper dès qu'il aurait abattu l'amiral.
Le 24 décembre, le temps est merveilleux comme toujours en Méditerranée au moment du solstice d'hiver. Tôt le matin, Cordier confesse Bonnier, puis il le mène dans une 302 Peugeot au Palais d'été, résidence du Haut Commissaire. Bonnier dit s'ap­peler Morand et demande à voir Monsieur de la Tour du Pin. Ce dernier est absent pour toute la journée. Ça commence mal. Bonnier redes­cend, désabusé. A l'heure du déjeu­ner, il rencontre ses amis au restaurant Le Paris. Bientôt, Mario Faivre et Rosfelder l'emmènent en voiture avec un nouveau plan. Dans un champ, ils lui proposent d'essayer son revolver ; il ne met que deux coups sur trois dans la cible. On lui change son arme contre un 7,65. Cette fois-ci, il tire bien. Ses deux compères le mènent jusqu'au Palais d'été ; il demande à voir Monsieur Joxe. On lui dit qu'il va bientôt être là. II attend.
A 15 heures 35, Darlan arrive avec son officier d'ordonnance, le capitaine de frégate Hourcade. Chacun se dirige vers son bureau. En entrant dans le sien, Darlan entend des pas derrière lui, reçoit un coup de feu, se retourne, en reçoit plusieurs dans le ventre. Hourcade qui a enten­du le vacarme s'est précipité. Fernand Bonnier tire sur lui, le blesse à la cuisse. Corps à corps. Bonnier se libère. La fenêtre est providentiellement ouverte. II l'enjambe. Mais des gardes le saisissent à ce moment-là. « Ne me tuez pas » supplie-t-il. L'amiral Darlan est à terre, sans connaissance. Le foie, les intestins ont été perforés. Il mourra en arrivant à l'Hôpital Maillot.

L'assassinat de Bonnier

C'est le soir du réveillon. Mais on dirait que la justice est pressée. Au palais d'Eté, sans attendre, le com­missaire Esquerré interroge Bonnier. Qui avoue facilement avoir tiré sur Darlan, mais affirme avoir agi seul. Encore un illuminé ! pense Esquerré. Ce qui ne satisfait pas son collègue Garidacci qui, dans la nuit, au com­missariat, reprend l'interrogatoire. Cette fois, Fernand Bonnier s'ef­fondre. II avoue. Oui, il avait des com­plices. Il raconte les Corps Francs, parle de Cordier. Mais ce deuxième interrogatoire reste secret. Garidacci espère l'utiliser plus tard, si le besoin s'en fait sentir.
Ce jour de Noël, le comte de Paris croit encore en son destin. II pense toujours être le seul à pouvoir rassembler les monarchistes et les gaul­listes qui se regardent en chiens de faïence. Rigault l'a désapprouvé, car la France, dit-il, n'admettra pas le coup de force. Murphy, qu'il ren­contre, partage cet avis. L'Amérique ne peut pas cautionner l'assassinat de Darlan. En ce jour de recueillement, le Prince va-t-il au fond des choses et mesure-t-il enfin sa solitude ?
Celle de Fernand Bonnier est évi­dente. II a pu faire passer un messa­ge à ses amis « Agissez vite. J'ai pleinement confiance en vous ». C'est un enfant naïf, qui croit aux promesses. Ne lui a-t-on pas fait miroiter qu'un commando se chargerait vite de le délivrer ? mais la prison Barberousse où il a été transféré est infranchissable. Ne l'a-t-on pas assu­ré qu'une intervention illustre allait survenir ? Mais les heures passent et il ne voit rien venir de Londres. Quant au comte de Paris, il interviendra trop tard, après sa mort.
En fait, la Cour martiale ne délibè­re que 11 minutes, le jour de Noël à 18 heures.
« C'est un procès bâclé » proteste Maître Sansonnetti, en vain. Avant même que le procès ait com­mencé, un de ses avocats a reçu un papier lui demandant d'assister à l'exécution de Bonnier, le lendemain ! Ce qui veut dire que le procès n'était qu'un simulacre. A 7 heures 30 du matin, le 26 décembre, Fernand Bonnier est exécuté sur le polygone d'Hussein-Dey, seulement 13 heures 30 après la réunion de la Cour Martiale. La Justice française, si lente à l'ordinaire, vient de battre tous les records de vitesse. Et d'infamie.
Tout va très vite. Ce même 26 décembre, le général Giraud a été nommé, par le Conseil d'Empire réuni de toute urgence, Haut Commissaire en Afrique du Nord. En janvier 1943, devant le malaise qui persiste à Alger, Giraud pense qu'il est nécessaire de reprendre l'instruction de ce procès bâclé. Pour cette tâche difficile, il choisit un juge militaire intègre, venu de Casablanca, Jean Voituriez. Celui-ci va interroger longuement les com­ploteurs qui ont été pour la plupart arrêtés et internés à Laghouat. Parmi eux, Achiary, chef des Rensei­gnements généraux raconte les coulisses du complot et accuse formellement le comte de Paris et les trois monarchistes Pose, Cordier et Henri d'Astier. Bien renseigné par la Sécurité Militaire, Voituriez interroge ensuite le commissaire Garidacci qui met en cause Cordier et d'Astier. (11)
L'abbé Cordier est arrêté. II ne craint pas de faire l'apologie des assassins de Darlan, qui n'était, après tout, qu'un usurpateur. Mais lorsqu'on lui demande de citer des noms, il rap­pelle qu'il est prêtre et tenu par le secret de la confession. Quant à Henri d'Astier, il a pris la fuite. C'est en perquisitionnant chez lui rue Lafayette qu'on découvre la maquette d'un journal qui devait être publié le jour de la prise de pouvoir par le comte de Paris. La première page contenait une proclamation du prince à la population d'Alger pour le premier jour de la Restauration. De Gaulle devenait ministre d'Etat et Giraud ministre de la Guerre !
Dès lors, Voituriez envisage d'aller plus loin. Il s'en ouvre au Haut Commissaire. II veut interroger le comte de Paris ! Giraud le calme d'une phrase « Pas de zèle, Voitu­riez ! » Alors, le juge fait connaître son intention d'inculper au moins Alfred Pose, le commissaire aux Finances. « Vous n'y pensez pas, répond Giraud. Je ne puis me passer de lui ». Et Giraud révèle à Voituriez qu'il se prépare à partir pour Casablanca où il doit rencontrer Roosevelt, Churchill et de Gaulle à une conférence que l'histoire retien­dra sous le nom de « Accords d'Anfa ». Voilà pourquoi l'instruction avait tourné court. Giraud avait invo­qué une fois de plus la toute puissan­te raison d'Etat.

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Cette page d'histoire qui s'est déroulée à Alger, pendant les deux derniers mois de l'année 1942 a lais­sé dans nos mémoires un goût amer et gardé un petit air d'improvisation.
Un goût amer, car l'assassinat de Darlan comme l'exécution de Bonnier ont débouché sur un non-lieu. Sur leurs deux tombes, on retrouve la même inscription devenue dérisoire « Mort pour la France ».
Une atmosphère d'improvisation. Que se serait-il passé, en effet, si Alain Darlan n'était pas tombé mala­de ? Sa poliomyélite est venue bouleverser l'échiquier algérien et nous fait toucher du doigt l'importance du hasard dans les événements histo­riques. Dans l'imbroglio qui s'ensuit, tout semble se jouer désormais au coup par coup. On dirait que l'histoire improvise. « L'impromptu » d'Alger aura été cependant très court. II n'a duré qu'un seul automne.

Fernand DESTAING



(1)     Pour affirmer sa continuité avec Weygand, Juin avait pourtant employé une formule sans équivoque « Messieurs, la séance continue ». A sa rencontre avec le maréchal Goering le 20 décembre 1941, il n'avait rien cédé. B. Pujo. Juin, maréchal de France, Albin Michel 1988
(2)G. Mast. Histoire d'une rebellion. Pion. Infection virale aujourd'hui presque disparue grâce à la vaccination, la poliomyélite était encore, au milieu du XXe siècle, une terrible maladie qui se compliquait de paralysies ascen­dantes, atteignant d'abord les jambes, mais parfois les muscles respiratoires et les centres bulbaires, ce qui nécessitait alors le recours à un poumon d'acier pour suppléer aux paralysies respiratoires. F. Destaing Ces maladies qui ont changé le monde. Presses de la Cité, 1978.
(3)J. Moreau. Les derniers jours de Darlan.
(4)A. Juin. Mémoires, tomes 1 et 2. Fayard, 1959 et 1960.
(5)R Ordioni. Le secret de Darlan. 1940-1942. Editions Albatros, 1974.
(6)A. Decaux. Alain Decaux raconte. Tome 2. Librairie Académique Perrin.
(7)R Ragueneau. Historama n° 23.
(8)Comte de Paris. Mémoires.
(9)M. Faivre. Nous avons tué Darlan. La Table Ronde 1975.
(10)A. J. Voituriez. L'Affaire Darlan. L'instruction judiciaire. J. CI. Lattés 1980.



In : « l’Algérianiste » n°49

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