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L'histoire revisitée

Écrit par René Mayer . Associe a la categorie Histoire Politique

La France a‑t‑elle installé en Algérie « des fours crématoires identiques à ceux des nazis »? Les Harkis étaient‑ils les « collabos » d'un « occupant» animé « d'intentions génocidaires»?

C'est, au pied de la lettre, ce qui résulterait des déclarations du président algérien Bouteflika, tant celles qu'il a prononcées au colloque organisé à l'université de Sétif le 7 mai 2005 que celles prononcées précédemment en France à la tribune de l'Assemblée nationale.

Face à une telle violence verbale, on peut s'étonner que la France et l'Algérie soient encore d'humeur à négocier un « traité d'amitié »!

Citation du Figaro du 9 mai 2005:

«Les massacres du 8 mai 1945 étaient‑ils la récompense des Algériens pour avoir défendu héroïquement la France, un héroïsme que l'histoire a retenu et que les historiens du colonisateur ont eux‑mêmes reconnu? (...) Qui ne se souvient des fours de la honte installés par l'occupant dans la région de Guelma (...) ? Ces fours étaient identiques aux fours crématoires des nazis», a déclaré le président algérien Bouteflika dans un message lu lors d'un colloque organisé samedi 7 mai à l'université de Sétif (...) ».

Le Figaro commente alors:

«Le président algérien voulait sans doute marquer son exaspération face à la présentation de l'occupation française en Algérie comme une « oeuvre civilisatrice ». La loi du 23 février 2005, adoptée par le Parlement français, et qui tend à « positiver » la colonisation, a été ressentie par nombre d'Algériens comme une provocation» (...). La déclaration d'Abdelaziz Bouteflika est d'abord destinée à rassurer ses compatriotes. A commencer par les islamo‑conservateurs, qui rejettent la réconciliation en cours avec la France (...) et mettent la pression, accusant le chef de l'État « d'attacher le wagon Algérie à la locomotive française ».

Il y a quelques semaines, le président algérien, qui a réhabilité l'usage de la langue française dans la vie publique et son enseignement dès la deuxième année primaire, était contraint de lâcher du lest, en menaçant de fermeture les écoles privées qui refusent d'arabiser leurs programmes ».
Fin de citation du Figaro.

Ces déclarations pour le moins peu amicales reçoivent des renforts inattendus. Les uns proviennent de l'extrême gauche française. Mm, Rey‑Goldzeiger, universitaire communiste, a soutenu sur les ondes de France‑Inter (émission: «Là‑bas si j'y suis ») «qu'elle avait vu les bombardiers français survoler Alger le 8 mai 1945 pour aller bombarder Sétif. Quelques instants plus tard, elle a entendu leurs bombes exploser» (à 200 km de là!).

J'ai entendu cette dame. Et comme il se trouve que le 8 mai 1945, j'étais à la caserne d'Orléans sur les hauteurs d'Alger, j'ai été un peu surpris. Les seuls avions présents, onze « L 24 » de fabrication américaine, étaient des avions d'observation basés à... Am Arnat, près de Sétif!

D'autres soutiens proviennent, plus curieusement, d'interlocuteurs officiels.

Ainsi, pour apporter de l'eau au moulin du président Bouteflika et souligner, comme ce dernier l'avait fait, le contraste entre l'héroïsme des combattants musulmans et le traitement sauvage auquel leurs familles auraient été soumises dans le même temps en Algérie dans les jours qui ont suivi le 8 mai 1945, M. Colin de Verdière, ambassadeur de France en Algérie, a évoqué dans sa déclaration à ce même colloque «les 135 000 tués » algériens du débarquement dans le Var en août 1944.

Or le nombre total des Français musulmans d'Algérie présents dans la 1ère Armée française au moment de ce débarquement était de 134000. Il y aurait donc eu 1000 morts de plus qu'il n'y avait de soldats. M. l'ambassadeur est bien mal informé. Les deux tiers des combattants dont il parle sans trop savoir, étaient des engagés volontaires. Ils se sont d'ailleurs fort bien battus. Mais le plus clair des pertes qu'ils ont subies l'ont été au cours des campagnes de Tunisie et surtout d'Italie, puis durant la dure bataille des Vosges et d'Alsace, et non lors du débarquement dans le Vat lequel (à part la prise de Toulon) n'a pas été trop sanglant.

Mais vérité officielle oblige, qu'elle soit algérienne ou française. Il ne faut parler ni du maréchal Alphonse juin: major de la promotion de Saint‑C yr dont De Gaulle est sorti 14e, il avait le tort d'être Pied‑Noir. Ni de l'effondrement de la ligne Hitler qui couvrait le flanc sud des armées nazies en Europe. Ni des pertes des Européens et Juifs d'Afrique du Nord qui, pour une population dix fois inférieure en nombre, ont subi des pertes égales en valeur absolue à celles des Français musulmans et comparables en pourcentage à celles de la population française durant la guerre de 1914‑1918.

Il ne faut pas dire non plus le rôle essentiel que les uns et les autres ont joué dans la libération du pays et dans l'obtention d'un siège pour la France au Conseil de sécurité. Officiellement, seuls ont eu une conduite héroïque: les résistants, les gaullistes de Londres et peut‑être quelques colonisés, arabes ou noirs.

Mais surtout il ne faut pas dire que les anciens combattants français musulmans, fidèles à leur drapeau, fiers de leurs exploits militaires et de leurs médailles bien mérités, revêtant leurs uniformes français dès que l'occasion s'en présentait, furent les premières victimes du terrorisme F.L.N. et que c'est pour se défendre et défendre leurs familles qu'ils furent si nombreux à devenir Harkis.

Revenons au 8 mai 1945. Les premières victimes en ont été une centaine d'Européens. Dont un de mes cousins par alliance, Deluca, maire de Sétif, un socialiste et libéral, un «ami des Arabes » selon Ferhat Abbas (Autopsie d'une guerre). Une autre victime fut un délégué syndical C.G.T. qui eut les deux mains coupées.

Il est vrai que la répression qui suivit dut être violente. D'autant plus aveugle que les forces de l'ordre manquaient cruellement d'effectifs et se savaient hors d'état d'occuper, face à l'émeute, l'immensité du terrain. En Algérie, le 8 mai 1945, à quelques exceptions près (dont votre serviteur qui venait d'être reçu à l'École interarmes de Cherchel), tous les Européens en âge d'être mobilisables et tous les volontaires français musulmans étaient de l'autre côté du Rhin.

Cette répression a‑t‑elle été excessivement violente? Peut‑être, même si le chiffre avancé par le président Bouteflika (45 000 victimes) est ridiculement exagéré: il représente non pas le chiffre des morts mais celui de l'ensemble des manifestants et des émeutiers de l'Est algérien (50 000).

N'ayant pas participé à cette répression, je ne peux rien dire. Mais si celle‑ci fut excessive et sans discernement, pourquoi ne pas préciser qui était le chef de l'État et le chef des armées le 8 mai 1945? De Gaulle. Celui‑ci n'avait‑il pas donné des ordres au général commandant la région militaire en Algérie? Ne l'aurait‑il pas ensuite félicité pour la bonne exécution des instructions reçues? En retour, le général en question n'aurait‑il pas mis en garde le chef de l'Etat, en écrivant: «j'ai rétabli la paix pour dix ans », sous‑entendu: «pas davantage; dépêchez‑vous d'apporter les réformes politiques qui s'imposent »?

Mon Dieu! Comme la vérité historique a de mal à s'extraire de son puits!
Et la paix à s'étendre sur le monde!



René Mayer
Auteur de Algérie: mémoire déracinée, L'Harmattan, 1999.

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