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Histoire des douanes en Algérie

Écrit par Jean Clinquart . Associe a la categorie Histoire Politique

Résumé.

L'histoire de la douane française en Algérie entre 1830 et 1962 est à la fois celle de la politique douanière menée par la France dans sa possession d'Afrique du Nord et celle de l'administrationchargée de l'appliquer. L'une et l'autre de ces deux approches présentent d'intéressantes singularités.

La politique douanière appliquée à l'Algérie a été marquée, jusqu'en 1884, par des hésitations qui l'ont rendue fluctuante. Le principeDouane de l'assimilation douanière à la Métropole a ensuite prévalu.

Chargée d'appliquer cette politique, l'administration de douanes , présente sur le territoire algérien, sous une forme modeste, dès 1830-1831, a connu un développement constant au fur et à mesure que l'emprise française se consolidait et que se développaient des échanges commerciaux avec l'extérieur. Bâtie sur le modèle métropolitain par des fonctionnaires détachés de la Métropole, elle a néanmoins développé un certain particularisme en relation avec divers facteurs : dépendance hiérarchique spécifique à l'Algérie, recrutement local d'une grande partie du personnel d'exécution, situation géographique, etc… Elle offre ainsi une physionomie à la fois familière et singulière.

 

INTRODUCTION.

Cette histoire n'a fait l'objet d'aucune étude depuis la publication à Alger, en1907, d'un ouvrage intitulé Les douanes en Algérie. Son auteur, Paul Moucheront, né au milieu du XIXè siècle, occupait, depuis 1902, le poste de directeur des douanes à Alger et il devait le rester durant 22 ans jusqu'à sa retraite, en 1924 (avec le titre d'administrateur honoraire), établissant ainsi le record de longévité dans cet emploi.

On doit regretter que Moucheront n'ait pas trouvé de successeur en tant qu'historien de la douane d'Algérie, car celle-ci présente des singularités par rapport à la douane métropolitaine, mais aussi par rapport aux douanes des autres territoires d'outre-mer sur lesquels s'est exercé la souveraineté française aux XIXe et XXe siècles.

Cette originalité tient :

- d'une part, aux missions de ce service,
- d'autre part, à son organisation .

Ces deux thèmes s'interpénètrent et, on les abordera ici en parallèle, dans le cadre d'une démarche chronologique.

Les notions de missions et d'organisation appellent un bref commentaire.

La douane remplit traditionnellement deux missions principales :

- appliquer la politique commerciale définie par l'Etat en mettant en oeuvre les mesures qui en découlent : perception des droits de douane, application des prohibitions intéressant l'économie, la santé, l'ordre public, etc.
- contribuer aux recettes de l'Etat en percevant les diverses taxes recouvrables à l'occasion des mouvements transfrontaliers de personnes et de biens.

Ces missions s'exercent dans un cadre territorial qui peut ne pas correspondre à l'intégralité du territoire ou des territoires sur lesquels un Etat exerce sa souveraineté. Il est des cas où un territoire donné n'a pas besoin de la douane parce qu'il n'existe pas de mission douanière à y exercer. Telle a été la situation des ports francs sous l'Ancien Régime, des zones franches du pays de Gex et de la Haute-Savoie, mais aussi de certaines colonies françaises pendant des périodes de durée variable, dans le Pacifique par exemple.

Plus fréquemment cependant, on observe une différence dans la nature des missions incombant à la douane dans tel ou tel territoire. Ce fut le cas de la Corse, pour le territoire métropolitain et aussi celui de l'Algérie. Celle-ci a connu, pendant toute la période qui nous intéresse, des régimes douanier et fiscal qui, dans une mesure variable selon les époques, se sont différenciés des régimes applicables en Métropole ou en d'autres territoires de l'Empire.

Si l'organisation des services douaniers dépend de facteurs d'ordre topographique, elle est aussi en étroit rapport avec leurs missions. Topographie et missions déterminent les moyens à mettre en oeuvre : structures, effectifs, méthodes, moyens matériels. Cette observation de bon sens trouve son illustration dans l'histoire des douanes d'Algérie.

Cette histoire peut être divisée en quatre périodes :

  • La Monarchie de Juillet (1830-1848);
  • La Seconde République,
  • Le Second Empire et les premières années de la IIIe République (1848-1884);
  • La période allant de 1884 à la Grande Guerre;
  • La période postérieure.

I - 1830 à 1848.

On sait que le conflit franco-algérien qui aboutit à la prise d'Alger, en 1830, trouve son origine immédiate dans un différend d'ordre commercial qui datait de la Révolution (de l'époque du Directoire, plus précisément), et s'est exacerbé à la fin de la Restauration, tous les protagonistes de l'époque (depuis des négociants juifs de Marseille et Alger jusqu'au Dey et au Consul de France) brillant par la mauvaise foi.

On sait aussi que le gouvernement français de l'époque, avant tout soucieux de prestige militaire, ne savait pas ce qu'il ferait de sa victoire sur les troupes du Dey, si la France installerait sur la côte d'Afrique plus que des bases militaires, etc.

Il convient, en tout cas, de se remémorer qu'à l'époque, la France appliquait une politique ultra-protectionniste aussi bien dans le domaine agricole que dans le domaine industriel. Dans les milieux protectionnistes, il ne pouvait être question que le succès de l'expédition d'Alger ait pour effet de permettre à des produits importés de la Régence d'entrer librement sur le territoire métropolitain. Il convenait donc, selon ces milieux, de continuer à considérer l'Algérie comme territoire étranger en matière douanière.

En revanche, le monde du négoce et de l'armement entendait bien obtenir des avantages dans les relations commerciales avec l'Algérie.

D'où une succession de situations qui révèlent un défaut de clarté dans les options.

1 - Immédiatement après 1830, on laisse au commandement militaire le soin de fixer les mesures douanières et fiscales qui lui sembleront opportunes, le territoire contrôlé par les forces françaises étant, au plan douanier, réputé étranger à la France. Un arrêté du 8 septembre 1830 du général en chef édicte un tarif douanier embryonnaire, cependant qu'est prévue la mise en oeuvre dans les ports de mesures d'ordre sanitaire.

Comme l'application de ces dispositions requiert des fonctionnaires compétents, très vite deux ou trois fonctionnaires des douanes appartenant au service des bureaux et une vingtaine d'employés des brigades sont dépêchés à Alger. Ces fonctionnaires sont d'abord placés sous l'autorité directe du général en chef. Cependant, on estime à Paris que l'organisation mise en place par le commandement est peu efficace. A l'initiative de Casimir Périer, président du conseil des ministres, une ordonnance royale du 1er décembre 1831, place l'administration (donc les douanes) sous l'autorité d'un intendant civil qui dépend directement du gouvernement. Cette formule débouche sur un conflit ouvert et le commandant en chef obtient, dès l'année suivante que l'intendant civil soit placé sous son autorité (12 mai 1832).

Entre temps, l'occupation de Bône et d'Oran conduit à y établir des échelons des douanes que la situation militaire fluctuante et les difficultés de communication entre nos diverses bases conduit à rendre autonomes.

En 1832, la douane d'Alger est dirigée par un inspecteur et les deux autres douanes par des sous-inspecteurs, tous venu de la métropole. L'organisation des services publics ne gagne pas à la réunion des pouvoirs entre les mains du commandant en chef.

2 - En 1833, la situation s'est dégradée au point que le roi, harcelé par l'opposition parlementaire, décide (7-07-1833) l'envoi d'une commission d'enquête.

A cette même époque, le ministre des finances charge un inspecteur général des finances, Magnier de Maisonneuve, d'organiser rationnellement les services financiers de l'Algérie. Magnier de Maisonneuve appartient à une famille qui a servi la douane après avoir servi la Ferme Générale. Il a lui-même été inspecteur général des douanes jusqu'à la suppression de cette fonction, en 1831. Affecté alors à l'inspection générale des finances, il devait occuper successivement, à partir de 1835, les fonctions de directeur des douanes à Marseille, puis de sous-directeur à l'administration centrale des douanes et enfin de directeur du commerce extérieur au ministère du Commerce et de l'Industrie. Magnier de Maisonneuve amène avec lui une nouvelle équipe de fonctionnaires des douanes.

Au fur et à mesure de la conquête, des douanes s'implantent à Bougie, Mostaganem, Philippeville, Tenez, Cherchell, Dellys, etc.

3 - 1834 . L'enquête de 1833 débouche sur une réorganisation des services administratifs de l'Algérie. L'ordonnance du 22 juillet 1834 place "commandement général et haute administration" sous l'autorité d'un gouverneur général dépendant du ministre de la Guerre. Une Direction des Finances est simultanément créée; la douane en dépend.

4 - 1835. Le régime douanier de l'Algérie n'avait pas été clairement défini jusqu'alors. Le gouvernement de la Monarchie de Juillet va le fixer par une ordonnance du 11-11-35. Les milieux protectionnistes y trouvent l'application de leurs exigences : l'Algérie ne fait pas partie du territoire douanier français. En conséquence, les importations en provenance d'Algérie sont considérées comme étrangères et traitées comme telles sur le plan tarifaire.

Cependant, armement et négoce français tirent aussi leur épingle du jeu :

- le "pavillon français" bénéficie du monopole des transports entre la France et l'Algérie
- les navires étrangers sont soumis à un droit de tonnage dans les ports algériens;
- si les négociants français ne bénéficient pour leurs ventes en Algérie d'aucun traitement douanier de faveur, du moins le tarif algérien est-il modéré.

La question du monopole de pavillon est toutefois remise en question deux ans plus tard. Comment justifier ce monopole, en effet, alors qu'on répute l'Algérie territoire douanier étranger ? Mais, par ailleurs, comment faire admettre par les armateurs français que la concurrence des pavillons étrangers leur enlève la plus grosse part des transports?

D'où, à quelques années d'intervalle, deux décisions contradictoires :

- suppression en 1837 (Ordonnance du 23 février 1837) du monopole de pavillon, - - rétablissement de celui-ci en 1841 (Ordonnance du 7-12-1841).

5 - 1843 .(Ordonnance du 16-12-1843)

Sous la pression du négoce français, une réforme du régime douanieralgérien de 1835 intervient : L'Algérie reste en dehors du territoire douanier français.

En revanche :

- l'exemption des droits ou un régime préférentiel sont prévus, à l'entrée en Algérie, pour les produits importés par navires français;
- certains produits d'origine française son admis en franchise en Algérie;
- l'exemption des droits perçus à la sortie d'Algérie bénéficie à certaines exportations produits vers la France;
- a contrario, on surtaxe les produits importés de l'étranger en Algérie sous pavillon étranger;
- enfin, le commerce international par voie terrestre est interdit en Algérie, sauf dérogations résultant d'arrêtés du G.G.

En résumé, au cours de cette période, sous la pression des milieux protectionnistes, l'Algérie est considérée avant tout comme un débouché commercial pour l'économie française.

6 - 1844 .

Pour financer les finances locales l'octroi de mer, droit indirect déjà en vigueur aux Antilles, est introduit en Algérie. Il frappe importations et exportations, quelle que soit l'origine des marchandises selon des taux variant en fonction des produits. Sa perception est confiée à la douane.

7 - L'organisation administrative n'est toutefois pas encore stable, tout au moins au niveau le plus élevé.

Ainsi a-t-on de la peine à faire la distinction entre Direction des Finances (équivalent local des directions générales métropolitaines) et services extérieurs des diverses administrations financières : entre 1843 et 1846, l'inspecteur des douanes est considéré comme le chef d'un département de la Direction des Finances. La question serait sans grande importance si elle n'impliquait pas l'immixion du service central dans la marche quotidienne des services, donc une centralisation nocive dans la conjoncture algérienne.

Il faudra attendre 1846 (ordonnance du 2 janvier 1846) pour qu'on revienne à une conception plus saine des choses.

Dès 1847 cependant (ordonnance du 1er septembre 1847), une nouvelle réforme intervient :

- la direction des Finances est supprimée ;
- une direction des affaires civiles est créée dans chacune des provinces d'Alger, Oran et Constantine; les services extérieurs des administrations financières en dépendent.

Il existe donc alors, dans les douanes, trois chefs de service ayant des prérogatives de directeurs départementaux.

8 - Entre 1830 et 1848

Le développement des douanes d'Algérie peut être mesuré en se référant au montant des dépenses qu'il engendre :

- en 1831, moins de 30 000 francs,
- en 1847, environ 600 000 francs, soit 20 fois plus.

Selon Victor Barbier, auteur, à la fin du siècle dernier, d'une monographie consacrée à l'historique des diverses directions des douanes, le service des douanes d'Algérie aurait compté vers 1835, environ 120 agents : 4 employés supérieurs, 4 comptables, une vingtaine d'autres employés des bureaux et 90 agents des brigades dont 4 officiers. Si les cadres viennent tous de France, il est vraisemblable qu'une partie des employés subalternes des brigades a été recrutée sur place parmi les militaires.

En 1847, l'effectif atteint 300 agents dont 3 inspecteurs, chefs de service, 6 sous-inspecteurs et 3 receveurs principaux.

II - De 1848 à 1884.

1 - 1848.

Si la Monarchie de Juillet avait décidé de conserver l'Algérie à la France, elle n'avait pas, en revanche, défini la nature des liens qui uniraient l'une à l'autre. Serait-ce un lien colonial classique? Serait-ce ce qu'on allait appeler l'assimilation ?

L'idée de l'assimilation (c'est-à-dire de l'intégration du territoire algérien dans le territoire français ou, si l'on veut, de l'annexion du territoire algérien, au sens classique du terme) a commencé à se faire jour, mais elle est loin de faire l'unanimité.

Elle implique, en effet, dans l'opinion de ses partisans, diverses conséquences dont deux nous intéressent ici :

- la substitution du régime civil au régime militaire, orientation à laquelle l'armée est hostile;
- la libre circulation des marchandises entre la métropole et l'Algérie, c'est-à-dire l'intégration de l'Algérie dans le territoire douanier français, orientation à laquelle s'opposent les milieux protectionnistes.

La IIème République paraît opter pour l'assimilation puisqu'elle proclame que l'Algérie fait partie intégrante du territoire français. Toutefois, elle ne tire les conséquences de cette décision ni dans l'un, ni dans l'autre des deux domaines ci-dessus:

Le régime militaire est maintenu et le régime douanier de l'Algérie reste inchangé.

Pour des considérations plus techniques que politiques, le Gouvernement provisoire décide (Arrêté du 12 octobre 1848)

- que les douanes d'Algérie, soustraites à l'autorité du gouverneur général, dépendront directement désormais du ministère des Finances et donc de la direction générale des douanes,
- et que la législation douanière métropolitaine, sauf en matière tarifaire, sera applicable en Algérie.

Conséquence logique de ces décisions, la douane algérienne reçoit les mêmes structures de commandement que la douane métropolitaine(Arrêté du 26 décembre 1848) :

- un directeur est nommé à Alger, en la personne de Fouquesolle, déjà inspecteur à cette résidence, que remplacera dès l'année suivante François Di Pietro, ami de Jacques Boucher de Perthes, autre directeur des douanes et "Père de la préhistoire", figures intéressantes, l'un et l'autre, de la douane de la première moitié du XIXe s.
- trois "Divisions" (Alger, Bône, Oran) dirigées par 3 inspecteurs, placés sous l'autorité du directeur et assistés par 4 sous-inspecteurs (dont l'un est installé à Philippeville), puis 5 (dont un à Tlemcen).
- des recettes principales, notamment chargées de centraliser les recettes des bureaux dits subordonnés sont implantées à Alger, Bône et Oran, puis à Tlemcen (après avoir d'abord été installée à Guelma).

Autre conséquence du rattachement de la douane d'Algérie à la douane métropolitaine:les règles métropolitaines en matière de gestion du personnel (en particulier pour l'admission dans les cadres et l'avancement) s'appliquent aux agents des douanes servant en Algérie,

Jusqu'alors les agents d'encadrement servant en Algérie étaient "détachés", "position qui, pour la plupart d'entre eux n'était acceptée qu'à la condition d'un avancement souvent supérieur de plusieurs degrés à celui auquel ils auraient pu prétendre en France, d'après les règlements généraux"; aussi avait-on exigé qu'ils servent dans la colonie au moins 5 ans. Il est mis fin à ce système (Arrêté du 27 juin 1849.

3 - Avec l'arrivée au pouvoir de Louis-Napoléon Bonaparte, la politique douanière relative à l'Algérie va évoluer.

1851 (Loi du 11-01). Louis-Napoléon est d'opinion libre-échangiste et les idées libérales venues de Grande-Bretagne font leur chemin. On fait une concession aux partisans de l'assimilation : certains produits algériens sont considérés comme français et peuvent donc entrer en France en franchise. La circulaire administrative qui commente ce texte présente l'Algérie comme "une sorte d'annexe commerciale de la France". Des décrets postérieurs élargissent ces mesures.

1853. Il est procédé à la création de bureaux sur les frontières terrestres algéro-tunisienne et algéro-marocaine pour tenir compte des nombreuses dérogations à la prohibition du commerce par voie de terre édictée en 1843.

1860. Le décret du 11-02-1860 franchit une étape importante. Il pose le "principe de l'assimilation de l'Algérie à la France au point de vue de la législation et des tarifs de douane".

"Le cercle des échanges entre la colonie et la métropole a été élargi au grand avantage de l'une et de l'autre. Eclairé par cette expérience et eu égard d'ailleurs aux progrès réalisés dans la colonisation et dans les diverses branches de production en Algérie", il paraît opportun "d'entrer plus largement encore dans la voie ainsi tracée".

Cette déclaration de principe corrobore les orientations prises depuis 1851, mais elle n'est pas intégralement appliquée avant que Napoléon III ne s'engage dans la voie du libéralisme, voire du libre-échange, par voie conventionnelle, en signant le traité de commerce franco-anglais de 1860 (le célèbre "coup-d'Etat douanier", selon l'économiste Allix), . Ce traité ayant été suivi d'autres accords de même inspiration (notamment avec la Belgique), on se rend compte que certains produits algériens risquent de connaître, à l'entrée en Métropole, un traitement moins favorable que leurs similaires anglais ou belges. Un décret du 2 septembre 1863 pallie la situation.

Cependant, l'Empereur a, sur le gouvernement de l'Algérie et l'avenir de cette colonie, des idées qui vont à contre-courant de l'opinion dominante.

Napoléon III est hostile à l'assimilation. Selon lui, l'Algérie n'est pas la France, mais un Royaume arabe soumis à la France. Il estime que développement économique de ce territoire appelle une libéralisation de son régime douanier.

1863, l'Empereur envoie à Alger Forcade La Roquette (demi-frère du maréchal de Saint-Arnaud), alors vice-président du Sénat, après avoir occupé le poste de directeur général des douanes (1860), puis divers postes ministériels . Il lui confie une enquête portant notamment sur les questions économiques. Forcade La Roquette qui est libre-échangiste va conforter l'Empereur dans son opinion sur l'avenir de l'Algérie.

Dans sa lettre au Gouvernement de juin 1865, Napoléon écrit : "L'Algérie aurait dû être ouverte à tous les produits du globe sans barrière de douane".

1866 - 1867 (Loi du 19 mai 1866 sur la marine marchande et loi du 17 juillet 1867 sur le régime commercial de l'Algérie), on s'oriente dans cette voie:

- la liberté de navigation entre la France et l'Algérie est instaurée,
- on généralise l'admission en franchise des produits algériens (avec une exception notable qui concerne les textiles),
- on allège encore les restrictions sur le trafic terrestre : les produits tunisiens et marocains sont admis en franchise, un tarif modéré frappe les produits d'autres origines.

Cependant, on ne va pas jusqu'à supprimer les barrières douanières à l'entrée en Algérie; on se contente d'augmenter le nombre des marchandises exemptes de droits.

Jusqu'en 1884, la IIIe République va conserver cet héritage du Second Empire qui sera, comme le reste de la politique commerciale du défunt régime, de plus en plus critiquée par une opinion protectionniste bien représentée au Parlement.

III - De 1884 à 1914.

Le protectionnisme revient en force, mais, à l'encontre de leurs prédécesseurs de la première moitié du siècle, ses partisans veulent privilégier la protection du marché algérien au bénéfice de l'économie nationale, d'où leur adhésion à la politique douanière de l'assimilation.

1 - 1884 - 1885.

Les lois de finances des 29-12-1884 et 28-12-1895 prononcent l'assimilation douanière de l'Algérie à la France métropolitaine : le tarif douanier métropolitain est applicable aux produits étrangers introduits en Algérie, sauf quelques exceptions (denrées coloniales), cependant que les produits algériens entrent en franchise en Métropole.

Il s'agit d'une application de la doctrine Méline : "Les produits étrangers doivent être des produits étrangers dans nos colonies comme chez nous et soumis aux mêmes droits. Il faut que nos colonies offrent aux produits français des débouchés de plus en plus larges; sans cela la politique coloniale serait radicalement condamnée".

On ne reviendra plus par la suite sur l'assimilation douanière, mais le principe ne sera pas appliqué en matière de fiscalité indirecte, le régime métropolitain des tabacs et des alcools, par exemple, n'étant pas étendu au territoire algérien.

2 - 1890. La Tunisie et a fortiori le Maroc étant territoires étrangers, et le tarif métropolitain s'appliquant désormais (sauf dérogations) aux échanges de l'Algérie avec ces pays, une nouvelle organisation douanière doit être mise en place sur les frontières terrestres en vue d'une "protection plus efficace" de celles-ci et pour "régulariser et faciliter les rapports commerciaux (de l'Algérie) avec ses voisins".

3 - Les effectifs de la douane algérienne et le nombre des postes croissent régulièrement.

Au début de la IIIème République, ce service compte environ 640 agents, soit deux fois plus qu'en 1848. Le personnel des bureaux (chargé du dédouanement et des perceptions) compte 90 fonctionnaires et celui des brigades (chargé de la surveillance armée des frontières maritimes et terrestres ainsi que des lieux de dédouanement) 550 dont 15 officiers.

Les 20 bureaux que compte le territoire se répartissent entre des recettes principales (Alger, Bône, Philippeville et Oran) et des recettes subordonnées (Tenez, Cherchell, Dellys, La Calle, Soukaras, Tebessa, Constantine, Stora, Bougie, Collo, Biskra, Mers-el-Kebir, Mostaganem, Arzew, Nemours, Lala-Maghnia).

A partir de 1891, 10 bureaux supplémentaires sont créés sur les frontières terrestres : 7 à la frontière algéro-tunisienne et 3 à la frontière algéro-marocaine.

La gare de Ghardimaou, à la frontière tunisienne inaugure une formule de gare douanière internationale (avec contrôles nationaux juxtaposés) qui sera appelée à connaître un grand développement, en France et à l'étranger, au cours du XXe siècle.

Au sud du territoire algérien s'étendent des "régions situées hors du régime des douanes et de l'octroi de mer". Leurs limites sont précisées ou rappelées en 1890 (décret du 24 juillet) et en 1898 (décret du 2 août). Par ailleurs, des agents des douanes sont installés dans le sud pour surveiller les caravanes qui transitent dans ces zones, notamment pour acheminer des marchandises à destination des Oasis et du Maroc.

4 - 1901 Une mesure qui va affecter profondément l'organisation de la douane d'Algérie et son fonctionnement jusqu'à la fin de la souveraineté française intervient : cette administration est à nouveau placée sous l'autorité du gouverneur général.

Le décret du 23 août 1898 relatif au Gouvernement et à la haute administration de l'Algérie avait placé les administrations sous l'autorité du gouverneur général. Toutefois, certains services (dont les douanes) avaient été maintenus sous tutelle directe des ministères parisiens.

Le décret du 20 juillet 1901 qui intervient dans un contexte d'abandon, pour des raisons d'efficacité, du système des "rattachements" des affaires algériennes aux administrations centrales de la Métropole, replace la douane dans la situation qui était la sienne avant 1848. Le gouverneur général exerce à son égard les prérogatives du directeur général en Métropole : l'organisation du service, la gestion du personnel lui incombent. Ce personnel, s'il est statutairement à la nomination du ministre des Finances (c'est le cas des agents des bureaux et des officiers des brigades) est mis à sa disposition. Dans le cas contraire (c'est-à-dire, celui des agents subalternes des brigades : préposés et matelots, sous-brigadiers et sous-patrons, brigadiers et patrons qui, en métropole, sont à la nomination des directeurs régionaux), les agents forment un cadre local.

5 - Les caractéristiques durables de la douane d'Algérie à partir de 1901 :

- Elle prend une importance qui est à la mesure du développement des échanges commerciaux et de l'évolution de la politique douanière et fiscale. Au début du XXe siècle, ses frais de fonctionnement ont triplé par rapport à 1848 (1 million 1/2 de fr.), ce qui correspond à une croissance comparable de ses effectifs : 850 agents dont 140 des bureaux.
- Son encadrement supérieur est d'origine métropolitaine. Peu de directeurs et d'inspecteurs ont une expérience extra-métropolitaine avant leur affectation en Algérie, mais, en général, cet encadrement est stable. Le nombre des directeurs qui se succèdent à Alger jusqu'à la veille de la seconde guerre mondiale est sensiblement plus faible que dans les circonscriptions métropolitaines. Deux de ces directeurs (Moucheront et André) couvrent même, à eux seuls, les années 1901 à 1938.
- Le service des bureaux est proche de celui de la métropole sur des points essentiels : il applique les mêmes procédures de dédouanement, les mêmes règles comptables, le même contentieux; son organisation hiérarchique est identique; il relève du même statut, les modifications intervenant dans le texte organique qui régit les services extérieurs étant rendues systématiquement applicables à l'Algérie; il partage, en ce qui concerne la défense de ses intérêts corporatifs, les préoccupations des métropolitains, comme en témoigne le fait que les deux tiers de ce personnel adhèrent, en 1908, à l'Union générale du service sédentaire des douanes, organisation pré-syndicale. Il marque néanmoins sa différence car l'isolement relatif dans lequel il opère induit une évolution spécifique d'autant plus marquée que ce personnel est stable, et rapidement intégré à la population européenne d'Algérie, s'il ne lui appartient pas déjà .
- Le service des brigades présente une spécificité plus marquée.
- Comme on l'a vu, son recrutement est nécessairementlocal, même s'il procède du contingent des "emplois réservés";
- Si les officiers peuvent être des métropolitains "mis à la disposition du gouverneur général", ce sont souvent des ex-sous-officiers du cadre local lauréats du concours (national) d'accès au grade d'officier.
- Parmi le personnel subalterne, on trouve des "indigènes" formant un corps distinct d'auxiliaires (moins bien rétribués que les nationaux français). Il s'agit surtout de "cavaliers" servant dans les nombreuses brigades à cheval que comptent les services algériens, alors que dans la métropole il n'en existe plus depuis longtemps déjà.
- Les agents vivent en casernes dans les principaux centres, comme c'est le cas dans la Métropole à la même époque. D'un confort souvent médiocre, soumis à une discipline assez stricte, ces immeubles collectifs ne rallient pas les suffrages de la majorité du personnel, mais leur existence contribue à l'homogénéité du corps.
- Les brigades métropolitaines formaient, depuis 1831, un corps militaire spécial, chargé de participer, en cas d'invasion, à la défense des places fortes (bataillons de forteresse) et aux activités des troupes de ligne (compagnies de guides). Ce corps militaire avait été mis en activité en 1870 et il avait combattu et subi des pertes.

Les brigades d'Algérie n'étaient pas concernées par ce statut particulier avant la réorganisation de l'armée à laquelle il avait été procédé après la défaite de 1870-1871 (loi de 1875). Il n'en est pas moins certain que les brigades d'Algérie avaient été appelées à prendre part à des opérations de type militaire chaque fois que la tranquillité de la colonie avait été troublée par des insurrections. Ce fut notamment le cas en 1871. Barbier dont la Monographie des directions des douanes a déjà été citée, relate que le village de Novi fut sauvé grâce à l'intervention d'une péniche armée de la brigade des douanes de Cherchell. Sans doute ces précédents n'ont-ils pas été étrangers à la signature du décret du 23-10-1876 qui étend à la douane d'Algérie l'application des dispositions relatives au corps militaire des douanes. Quatre compagnies sont prévues : 2 à Alger, 1 à Oran et 1 à Constantine, les deux dernières étant renforcées par des pelotons de cavalerie.

En 1890 (décret du 15 mars 1890), on précise cependant que, contrairement à celles de la Métropole, les unités ainsi constituées ne seront pas affectées aux forteresses, mais "à la surveillance du littoral et à la défense du pays" Implicitement, on envisageait le maintien de l'ordre.

1904 (décret du 5-5-1904) : Cette dernière préoccupation est clairement exprimée. Le statut militaire des brigades d'Algérie diffère alors de celui des brigades métropolitaines sur trois points essentiels :

- Ce n'est pas l'invasion du territoire qui est exclusivement envisagée, mais l'ordre public"en cas de troubles"
- Les brigades peuvent être amenées à participer directement à des opérations militaires de caractère offensif ("seconder les opérations des colonnes mobiles")
- La mise en activité peut être décidée en dehors de la mobilisation générale, sur simple décision du ministre de la guerre, voire des autorités militaires locales.

Dans le cadre des assimilations de grade auxquelles on procède dans le cadre des unités de douaniers militarisées, les simples préposés "français" sont soldats de première classe, alors que leurs homologues "indigènes" sont soldats de seconde classe.

IV - A partir de 1914.

1 - La Grande Guerre.

Le corps militaire des douanes est mobilisé en Algérie, mais, comme dans le sud de la Métropole, il n'est pas "mis en activité". Les agents poursuivent donc leurs missions du temps de paix, sauf s'ils sont appelés, du fait de leur classe de mobilisation ou de leur grade militaire, à rejoindre les corps de troupe. (La douane d'Algérie, personnel sédentaire comme personnel actif, a payé son tribut sur les différents fronts. Le monument aux morts qui faisait face à la caserne des douanes à Alger en témoignait)

2 - Entre deux guerres.

Les effectifs en poste en Algérie croissent : de 874 en 1914, ils passent à 1103 en 1939.

Il ne s'agit pas d'une progression régulière. On note les effets des politiques contrastées menées par les gouvernements successifs, mais les variations affectent beaucoup moins la douane d'Algérie que la douane métropolitaine. Si, en 1926, les effectifs reviennent au niveau de 1914 après avoir dépassé les 930 agents, ils croissent ensuite régulièrement.

1914-1939,

On observe les progressions suivantes :

- + 60 % en ce qui concerne les agents des bureaux,
- + 16 % en ce qui concerne les agents des brigades.

La croissance importante du nombre des agents des bureaux (phénomène également constaté en métropole, mais moins spectaculaire) a pour origine :

- un important développement du trafic maritime,
- l'apparition du trafic aérien,
- le développement des échanges avec les protectorats voisins,
- la complexité croissante de la réglementation au cours d'une période marquée par l'apparition du contingentement, du contrôle des changes, etc.

En ce qui concerne les brigades, l'augmentation des effectifs répond aux mêmes causes, mais une certaine évolution des méthodes de travail et des moyens matériels explique la différence d'échelle. La motorisation apparaît dans ce service. Des vedettes garde-côtes sont mises en service.

3 - De 1940 à la fin de la souveraineté française.

Cette période pourrait à elle seule fournir le thème d'une conférence.

On se bornera ici à en énumérer les caractéristiques essentielles.

La douane d'Algérie a continué, à partir de mai 1940, à fonctionner dans des conditions beaucoup plus proches de celles du temps de paix que la douane métropolitaine, même si les commissions d'armistice germano-italiennes exerçaient un droit de regard sur le trafic commercial international.

Après avoir été évincée de son théâtre habituel d'activité pendant les opérations militaires liées au débarquement des Alliés en Afrique du Nord, elle a repris ensuite ses missions traditionnelles.

Une partie de son personnel a été mobilisé dans le cadre de la mise sur pied du corps expéditionnaire français.

Après la guerre, les échanges ont repris et se sont accrus, à telle enseigne que l'activité de ce service a été plus importante qu'à aucun autre moment de son histoire. Cette situation a conduit à modifier l'organisation.

- Un administrateur des douanes jouant le même rôle que le directeur général en métropole a été placé auprès du Gouverneur général.
- Des directions des douanes ont été créées à Oran et Constantine en plus de la direction d'Alger, ainsi qu'à Laghouat, en 1959 avec compétence sur le Sahara;
- La formation professionnelle du personnel, comme sans la Métropole, a fait l'objet de soins particuliers. Les agents des bureaux ainsi que les officiers servant en Algérie et recrutés dans le cadre de concours externes et internes nationaux ont été formés, en même temps que leurs collègues servant en Métropole, à l'Ecole nationale des douanes de Neuilly. Quant aux agents d'exécution des brigades ils ont été formés, à partir de 1949, dans une école ouverte à Cherchell, dans la caserne des douanes de cette localité. 750 agents ont été formés dans cette école jusqu'au changement de souveraineté.

Si les brigades continuent à comporter principalement du personnel recruté localement (au sein duquel les Français musulmans occupent une place plus importante que par le passé), le phénomène inverse s'observe au sein des bureaux, en particulier en ce qui concerne les fonctionnaires de catégorie A, du simple fait de l'entrée en vigueur de statuts particuliers dérivés du statut général des fonctionnaires. A la fin des années cinquante, les affectations d'office, en Algérie, de jeunes fonctionnaires de catégorie A, généralement comme premier poste ont été nombreuses.

Bien entendu, les événements militaires qui ont marqué les dernières années de la souveraineté française ont eu des effets sur le fonctionnement du service des douanes au sein duquel coexistaient des fonctionnaires appartenant aux deux communautés.

Les événements de 1961 ont finalement entraîné le rapatriement quasi général des fonctionnaires en activité. Leur intégration automatique au sein des douanes métropolitaines a assuré aux intéressés une sécurité dont d'autres n'ont pas bénéficié, mais elle ne pouvait, bien entendu, et en dépit de la solidarité dont la corporation fit preuve en l'occurrence, suffire à rendre la situation indolore.

L'histoire de la douane d'Algérie a pris fin avec cet exode.

CONCLUSION.

Deux observations générales peuvent être dégagées de ce panorama rapide.

C'est avec difficulté que la Métropole a défini la politique douanière qu'elle entendaitmener en Algérie.

Sauf au cours du bref épisode libre-échangiste du Second Empire, la politique commerciale pratiquée a été marquée par un protectionnisme partagé par les milieux économiques les plus influents sur les deux bords de la Méditerranée. Le développement harmonieux de l'Algérie n'y a pas gagné et c'est tardivement que sont apparus les méfaits de cette politique.

Dans ce contexte, une douane s'est constituée dont les caractéristiques mêlent à de fortes influences du modèle administratif métropolitain des singularités dans les domaines statutaire et organisationnel, singularités qui lui assurent une intéressante originalité.

SOURCES.

Comme il a été indiqué dans l'introduction, les sources bibliographiques relatives à l'histoire des douanes en Algérie sont trop anciennes pour être exploitables aujourd'hui.

En attendant l'éventuelle parution d'une étude contemporaine, il est possible de se référer aux ouvrages suivants qui ne sont pas spécifiques à la douane d'Algérie, mais y font allusion :

Jean Clinquart :

- L'administration des douanes en France sous la Restauration et la Monarchie de Juillet,
- L'administration des douanes en France de la révolution de 1848 à la Commune,
- L'administration des douanes en France sous la IIIe République (1871-1914)

Ouvrages publiés par l'Association pour l'histoire de l'administration des douanes, Ecole Nationale des douanes, 74, boulevard Bourdon, 92201, Neuilly-sur-Seine.

Ainsi que du même auteur :

- La Douane et les douaniers, Editions Tallandier, Paris, 1990.

Jean Clinquart
(Ancien directeur interrégional des douanes).

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