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Les cadets pilotes de l'aéronautique navale d'Afrique du Nord 63 ans après

Écrit par Roger Adrien Alajarin. Associe a la categorie La Seconde Guerre Mondiale

 

Deux Oranais : Guy Haudricourt en haut à gauche
et moi (
l’auteur de l’article) le troisième en montant les escaliers
(
coll.. auteur)


EN 1943 des jeunes gens et quelques évadés de France qui avaient goûté aux prisons espagnoles à Miranda, furent recrutés par la Marine en Afrique du Nord (Algérie, Tunisie, Maroc). Je fus parmi ces recrutés. Après un séjour au centre Sirocco à Alger, à la base navale d'Arzew, puis à Casablanca où nous accomplîmes nos classes, nous eûmes la surprise de faire la connaissance de notre chef de chambrée. C'était un jeune boxeur plein d'avenir qui venait de remporter le championnat interallié de boxe catégorie « poids moyen ». Il avait pour nom Marcel Cerdan.

Après avoir terminé tous nos examens, nous attendions notre départ pour les USA.

Nous étions une quarantaine de cadets pilotes, tous engagés volontaires pour la durée de la guerre plus six mois. nous avions 18 ans. Le 16 mai 1944, branle-bas, préparation des affaires et départ pour les USA à bord d'un SkyMaster, quadrimoteur de transport, baptême de l'air. Nous avons l'honneur de traverser l'Atlantique : départ Casablanca, les Açores, Terre-Neuve couverte de neige, une nouveauté pour nous, sur la mer des icebergs.

Après 32 heures de vol nous survolons Manhattan pour nous poser à « La Guardia Field ». Découvrir New York du ciel, la statue de la Liberté, ses gratte-ciel, son quadrillage de rues à angle droit, survoler la ville la plus grande du monde! Nous étions tous collés aux hublots. Nous sommes restés deux jours, découvrant la vie intense américaine et les feux rouges de la circulation, une nouveauté pour nous !

Nous avons rejoint l'université de Chapel-Hill en Caroline du Nord en sleeping-cars ce qui nous a changés des wagons à bestiaux. Nous avons été pris en charge par M.C. Daniel. Notre unité fut baptisée FUS (French Unit). Tous les matins nous étions soumis à un sport intense qui mit quelques camarades sur la touche. L'après-midi des cours de navigation, d'aérologie, d'armurerie, d'aérodynamique et d'initiation à la terminologie américaine : stall, spin, flettner, tab, propeller, take-off, landing, splits, etc.
 

De retour en France, il faudra quelque temps pour que les mots américains soient remplacés par des mots français.

L'officier de marine M.C. Daniel nous initia aux évolutions américaines, beaucoup plus riches en mouvements que la marche française. Nous remportâmes le prix « the special drill exhibition » à la stupeur et à l'envie des cadets américains !

Départ de Chapel-Hill vers la Navy Air Station (NAS) de Memphis, état du Tennessee, Primary School. L'entraînement primaire comprenait les stages A B C D E, chaque stage était clôturé par un check. Si nous avions deux down, nous étions éliminés et bons pour le cours de radio-mitrailleur. L'école se trouvait en face de la base. En stage A, nous avions 10 heures de vol pour être lâchés en tandem sur le N2S Stearman, biplan moteur 250 CV, avion très pointu à l'atterrissage à cause du train très étroit, très sensible au vent de travers, surnommé « le péril jaune », merveilleux petit avion! Piloté par de jeunes cadets, imaginez-vous !



Le N2S Stearman, biplan, "le péril jaune"!


Une centaine d'avions en vol tous les jours,  drôle de  cirque,  sans radio, communication avec le moniteur par cornet acoustique relié par un tuyau. Nous partions  du parking vers la piste. Feu vert de la tour de contrôle. On pénètre sur la piste et décollage immédiat; le cadet derrière était en final. La vraie noria !

J'avais comme moniteur L.V. Anderson, un homme adorable, très relax, en final d'atterrissage il chantait une chanson à la mode et quand il voyait la vitesse du badin baisser il me chantait « No spin me in », c'est-à-dire « Ne décroche pas ».

Après dix heures en double commande je fus lâché. Moment inoubliable ! Regarder la terre s'éloigner! Seul le Mississippi restait majestueux et me murmurait: « Bonne chance petit ». Après les stages de perfectionnement: acrobatie, vol de navigation, formation vol de groupe, vol de nuit, et après le check final, adieu Memphis, cap sur Corpus Christi au Texas, port pétrolier sur le golfe du Mexique à 50 km de la frontière mexicaine. Tous, au moins une fois pendant le séjour, nous avons pris le bus jusqu'à Bronsville, ville frontière. De là, à pied, il suffisait de franchir le pont sur le Rio Grande pour passer au Mexique. En pénétrant dans Matamoras nous nous sentions chez nous. Nous humions avec délices les odeurs d'épices diverses, cela nous rappelait notre Afrique du Nord.

Le « Main Station of thé naval Air Training Center » fut la plus grande base école des USA, avec cinq annexes commandées par un amiral. À Kingsville, base annexe, sur un SNV Vultec BT13, ailes basses, moteur de 450 CV, hélice à pas variable, train fixe, le poste de pilotage équipé en vol sans visibilité (VSV), verrière coulissante (nous n'avons plus la tête en plein-vent!), avion facile à piloter, lâché en solo à 8 heures de double commande, prise en main, vol de groupe, évolution, rase-mottes, navigation, 6 heures de vol de nuit...

Au final de ce stage, nous étions dirigés soit sur le cours de multimoteurs, soit au cours de chasse qui me fut attribué d'emblée par la commission des moniteurs. Nous voici sur SNJ ou T6 pour l'armée de l'air : moteur de 650 CV, train rentrant, train d'atterrissage étroit, des ailes profilées; un avion très sûr qu'il fallait piloter avec doigté. Prise en main : voltige, vol de nuit, vol de formation, vol de navigation, vol de gunnery (tir sur manche). Pour l'entraînement en VSV, les vols de formation commencèrent dès le décollage avec les séances de tirs sur manche à six avions. Nous volions en échelon, en parallèle avec l'avion remorqueur et au signal du leader, nous plongions l'un après l'autre légèrement en amont de son vol jusqu'à ce que la manche disparaisse de notre viseur.



Le SNJ ou T6


Puis nous remontions de l'autre côté de l'avion remorqueur pour une nouvelle passe, tant qu'il restait des munitions à notre mitrailleuse. Nous avions des balles colorées. Au debriefing on nous donnait le résultat de nos tirs grâce à une caméra. On nous initia au dog-fight, le combat aérien. Nous ne plaisantions pas avec cet enseignement car dans un avenir que nous sentions proche, notre survie allait dépendre de la maîtrise de ces exercices : acrobatie et combats aériens étaient notre menu quotidien. « Safety first », « sécurité avant tout » était écrit sur le mur de la salle des pilotes.

Nos activités nous laissaient tout de même du temps pour les loisirs. Nous avions une discothèque où je découvris: « Rhapsody in blue », « Porgy and Bess », « Summer time » de Gershwin. À la bibliothèque, je lus l'œuvre d'Edgar Poe, découvrit Faulkner, Hemingway, les œuvres de Tolstoï, Saint-Exupéry et d'autres auteurs français. Le cinéma était gratuit, à concurrence de trois films par semaine!



Les loisirs des cadets pilotes : lire Edgar Alan Poe, William Faulkner,
Ernest Hemingway... écouter Georges Gershwin


Nous nous permettions aussi certaines distractions non autorisées (comme des gamins que nous étions) : poursuivre des troupeaux de « longues cornes » au grand dam des cow-boys que l'on voyait galoper en tous sens pour rassembler un troupeau effrayé par nos piqués en rase-mottes dans le plus pur style du combat aérien enseigné par l'US Navy. Ce sont peut-être ces entraînements clandestins qui nous permirent de survivre...

Beeville, base annexe, petite bourgade au nord de Corpus Christi, fut la dernière étape de la phase finale de notre entraînement. C'est sur un SBD Dauntless, bombardier en piqué fort célèbre pendant la guerre du Pacifique, surtout lors de la bataille de Midway que nous reprîmes les entraînements; vols en formation, bombardement en piqué, mitraillage au sol, soit vingt heures de vol. Le stage se termina par dix appontages simulés sur piste, qualification de vol aux instruments avec 320 heures de vol.

« I've got wings! »

Nous reçûmes nos ailes de pilote de l'US Navy : « The Golden wings » (les ailes en or) et les ailes françaises. Il y a eu neuf French Unit; la sélection fut très sévère et seuls 280 cadets reçurent leurs ailes sur 450. L'amiral De Gaulle fit partie de la dernière unité. Je pense toujours avec beaucoup d'émotion à mes camarades victimes d'accidents aériens, ils avaient 20 ans : Brancaleoni à Memphis, Bénureau à Corpus, Renucci à Jacksonville, Gilbert Beau, excellent camarade, à Beeville son avion s'écrasa devant moi.

Départ de New York pour la France, à bord du SS Groix où nous fîmes connaissance de la belle-fille du président de la République: Jacqueline Auriol, une femme charmante, très courtoise qui fit une carrière éblouissante dans l'aviation. Après quinze jours de mer et une belle tempête, arrivée à La Palliée en pleine grève des dockers et reprise avec la réalité de notre univers.

Roger Adrien Alajarin

In : »l’Algérianiste » n°113

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