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Opération « Torch » - Le débarquement anglo-américain en Algérie du 8 novembre 1942

Écrit par François Vernet. Associe a la categorie La Seconde Guerre Mondiale



Alger

Dans la nuit du 7 au 8 novembre 1942 je fus réveillé par le bruit d'une canonnade et de mon balcon je vis au loin des éclairs illuminer le ciel. Je pensai à un combat naval. C'était l'opération « Torch » qui commençait. Au matin, j'aperçus une colonne de prisonniers anglais et américains qui remontait la rue Berthézène, encadrée par des soldats français. On les dirigeait vraisemblablement vers la caserne d'Orléans.
A peu près au même moment un sous-marin français quittait le port et je le vis plonger sitôt la passe franchie alors que deux ou trois appareils britanniques Fairey-Swordfish (1) lâchaient un chapelet de bombes sur son sillage. Je devais apprendre plus tard que ce submersible avait rejoint Toulon.

 
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Débarquement à Alger de canons légers et de vivres (coll. part.)

Mon père, employé des PTT, était, cette nuit du 7 au 8, affecté aux communications avec la métropole et, en plein travail, il s'était trouvé avec le canon menaçant d'un fusil sous le nez et était allé rejoindre ses collègues ahuris alignés contre le mur. Voilà résumé en quelques lignes ce qu'a été le 8 novembre. À l'époque, j'avais seize ans et, pour être franc, j'étais presque ravi que des événements inattendus viennent rompre la monotonie de ma vie de lycéen.

La situation

Dès l'entrée en guerre des USA les chefs militaires britanniques et américains avaient décidé d'abattre l'Allemagne avant le Japon. Des divergences profondes ne tardèrent pas à se manifester entre les états-majors (2).
Rommel menaçait le canal de Suez. Aussi le principe d'une intervention en Afrique du Nord fut décidé dans les hautes sphères fin juin 1942.
Le 14 août le général Eisenhower fut nommé commandant en chef des forces terrestres, navales et aériennes de la coalition. Les ordres étaient d'établir de solides têtes de pont au Maroc français et entre Oran et la Tunisie, sans toutefois s'avancer trop vers l'est. Aussi fut-il décidé de ne pas dépasser Alger dans un premier temps.

Les Alliés entreprenaient cet assaut avec de graves appréhensions. Il fallait tenir compte de l'élément politique ; les forces terrestres alliées étaient considérées comme faibles, le mauvais temps risquait de tout retarder. Comment réagirait la flotte française de Toulon? En fait les forces françaises n'étaient guère à redouter: peu d'armement, pas de radar, pas de carburant, pas ou très peu d'aviation.

Organisation des convois

L'expédition fut divisée en trois groupes:

- La Task Force 34, entièrement américaine: une trentaine de transports avec 35000 hommes de troupe, escortée par trois cuirassés, six croiseurs, cinq porte-avions, une quarantaine de torpilleurs et divers autres navires. Cette Task Force, partant des Etats-Unis, devait opérer au Maroc sous les ordres du général Patton et de l'amiral Hewitt.

-  La Central Task Force : 39000 soldats américains embarqués en Grande-Bretagne. Les forces navales de l'amiral Troubridge comprenaient: le Largos bâtiment d'état-major, le cuirassé Rodney, les porte-avions Furious, Biter et Dasher, le croiseur antiaérien Delhi, treize destroyers, six corvettes, huit dragueurs de mines, etc. Cette Task Force était chargée de l'attaque d'Oran.

-  L' Eastem  Task Force :  23000 soldats britanniques et  10000 Américains commandés par le général Ryder et embarqués en Grande-Bretagne.  L'amiral  Burrough commandait les forces navales: un bâtiment d'état-major, le Buloh, trois croiseurs britanniques Sheffield, Scylla, Chaiybdya ; deux porte-avions, Argus et Avenger; trois navires antiaériens, Palomares, Pozarica, Tynwald; un monitor Roberts; treize destroyers, trois sloops, sept corvettes; des navires auxiliaires et les transports.

Tous ces convois étaient protégés au large par une force de couverture (Covering Forœ); les cuirassés Nelson et Duke-of-York, le croiseur de bataille Renown, les porte-avions Victorious et Formidable, les croiseurs légers Bermuda, Argonaut, Sinus, Phoebe, dix-sept destroyers. Tous ces navires étaient britanniques. Ce ne fut pas une mince affaire pour tous ces convois, partis de ports différents et naviguant à des vitesses différentes, de se concentrer !

L'attaque d'Alger

Trois débarquements étaient prévus:

- Le groupe « Charlie » devait débarquer à l'est du cap Matifou, sur les magnifiques plages d'Aïn-Taya et de Surcouf.
- Le groupe « Beer » entre Sidi-Ferruch et le cap Caxine.
- Le groupe « Apple » à l'est de Castiglione.

Deux torpilleurs britanniques, Broke et Malcolm, devaient entrer dans le port d'Alger et débarquer une équipe américaine chargée de prévenir le sabotage des navires et des installations du port. Le convoi arriva en vue des sous-marins postés en jalons qui indiquaient les lieux d'atterrissage. Les débarquements s'effectuèrent dans la nuit avec un peu de retard et dans un certain désordre. La batterie du cap Matifou esquissa une résistance symbolique. Le groupe « Charlie » s'empara bien vite de l'aérodrome de Maison-Blanche. À Castiglione il n'y eut aucune opposition et les troupes filèrent vers Blida, rencontrant une résistance sporadique. A Sidi-Ferruch il n'y eut pas de lutte.

 
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Le torpilleur britanique Broke (coll. part.)

Quant aux Broke et Malcolm, ils furent saisis dans les faisceaux des projecteurs, après avoir manqué l'entrée du port. Alors qu'ils renouvelaient leur tentative, ils furent canonnés. Le Malcolm fut atteint dans ses chaudières et se retira. Le Broke força l'entrée, débarqua ses soldats, qui furent entourés et capturés (3). Puis, manœuvrant avec habileté, il sortit du port et, endommagé, il fut pris en remorque par le torpilleur Zetland. Il coula le 10 novembre au large, toujours en remorque. Le 8 à midi, l'amiral Darlan, qui se trouvait fortuitement à Alger, donnait l'ordre de cesser le feu.

L'attaque d'Oran

Trois débarquements étaient prévus:

- Le groupe « Z » devait débarquer à Arzew, se saisir du port et marcher sur Oran par Saint-Cloud.
- Le groupe « Y » débarquerait dans la baie des Andalouses et attaquerait Mers el-Kébir.
- Le groupe « X » débarquerait à Mersa-bou-Zedjar et s'emparerait, avec les parachutistes, des aérodromes de Tafaraoui et de La Sénia.

Deux corvettes britanniques, Hartiand et Walney entreraient dans le port d'Oran et débarqueraient des commandos. À Arzew la surprise fut complète. Les feux du port étaient allumés, comme d'ailleurs sur toute la côte algérienne. Les navires pénétrèrent dans le port et les commandos saisirent la ville pendant que le débarquement s'effectuait sans encombre. Peu de résistance aux Andalouses, ni à Mersa-bou-Zedjar, sauf sur la route de Lourmel où il y eut un engagement assez vif. Soudain, aux Andalouses, la colonne débarquée fut arrêtée par des tirs des forts de Mers el-Kébir et le cuirassé britannique ouvrit le feu.

 

La corvette Hartland (en haut) et la corvette Walney
(tableaux de Guy Chapelet)


À Oran les corvettes Hartland et Walney furent coulées par le tir des navires français et les commandos furent pris. Les torpilleurs français firent une tentative de sortie; mais furent engagés par les croiseurs britanniques qui coulèrent la Tramontane, la Surprise et la Tornade le 8 ; l’Épervier et le Typhon le 9.

Au Maroc, la lutte avait été plus chaude.

L'opération  « Torch »  était, dans l'ensemble, un succès: pertes faibles et gains considérables. Une révision de la technique du débarquement s'imposait cependant: péniches mal chargées, d'autres échouées, certaines noyées pour cause de porte ouverte, d'autres enfin égarées.

Les réactions de l'Axe

Les germano-italiens avaient eu connaissance des préparatifs dès août 1942. Supermarina (état-major de la marine italienne) demanda dès lors que l'occupation de la Tunisie fut préparée sans toutefois indisposer les Français.

Le 4 novembre la force anglo-américaine apparut en Méditerranée et Supermarina pensa à un convoi de ravitaillement pour Malte. Mais le 6 le convoi, d'une importance inhabituelle, fit comprendre qu'une tentative d'invasion était proche.

L'Italie avait une flotte de guerre magnifique mais qui était indisponible pour ce qui concernait les navires de ligne par manque de combustible. Les petites unités et l'aviation protégeaient les convois de ravitaillement vers l'Afrique. Tous les navires italiens avaient une artillerie antiaérienne insuffisante.

La flotte sous-marine de l'Axe avait été renforcée par une trentaine de submersibles allemands qui avaient déjà obtenu de beaux succès (destruction du porte-avions Eagle par le U.73 devant Alger le 8 août 1942, faisant suite au torpillage de l’Ark Royal à l'est de Gibraltar). Supermarina fit descendre de La Spezia les cuirassés Littorio, Vittorio-Veneto, Roma. Des mines furent mouillées dans le détroit de Sicile. Mais ces opérations étaient insuffisantes pour stopper l'armada des anglo-américains. La marine italienne, consciente de ses insuffisances techniques (manque de radar, d'artillerie antiaérienne, de combustible, de couverture aérienne) n'avait pas un moral de vainqueur. Elle avait subi une défaite au cap Matapan les 28 et 29 mars 1941, se trouvant dans la situation d'un aveugle qui combat un adversaire aux yeux ouverts. La défaite de Matapan faisait suite à celles de Punta Stilo, du cap Spada, du cap Teulada. Ajoutons l'attaque de la flotte italienne par l'aviation embarquée britannique (deux vagues de douze Swordfish venus des porte-avions Illustrious et Eagle) le 11 novembre 1940. Les Anglais y perdent deux avions et coulent les cuirassés Cavour et Littorio; le cuirassé Duilio est gravement endommagé par une torpille. Et tout cela en rade! En conclusion, disons que les Alliés avaient la maîtrise totale aéronavale en Méditerranée occidentale.

Le 11 novembre 1942 les Allemands envahirent en France la zone libre. Les Italiens occupèrent la Corse et Nice. Mais dès le 8 novembre des Junkers 88 et des Heinkel 111 allemands attaquaient les transports à Matifou et coulaient le Leedstown et avariaient quelques navires.

 

Les GI débarquent à Surcouf (coll. part.)

Le 9, des troupes aéroportées de la Luftwaffe occupaient l'aérodrome d'El-Aouina à Tunis, suivies par les Italiens le 13 et des renforts allemands, pendant que les Français se repliaient vers l'ouest. Le même jour, un convoi britannique de vingt-huit navires se formait à Alger, et le 11 il déposa les troupes à Bougie sans ennuis; mais il fallut employer les parachutistes pour prendre Djidjelli, à cause de la mer très forte. Ce même 11 novembre le croiseur antiaérien Tynwald fut coulé. Le 12 Bône fut occupé.
Pour expulser l'Axe de Tunisie il faudra cinq mois de batailles. Alger fut défendue par une DCA formidable et des ballons captifs qui rendaient les bombardements en piqué très hasardeux. Le courage des jeunes aviateurs allemands doit être salué car ils plongeaient de nuit dans un véritable « chaudron de sorcière »(4), La colonne Bailloud, élevée en 1912 près du Fort l'Empereur, fut détruite parce que, paraît-il, elle servait de repère aux avions allemands.

 

Accueil des Alliés à Alger en novembre 1942 (Keystone)


Signalons l'exploit du sous-marin italien Ambra qui réussit à franchir les filets de la rade d'Alger le 11 décembre 1942. Il transportait trois torpilles pilotées et des plongeurs qui coulèrent un navire et en endommagèrent trois autres, dont deux s'échouèrent.

François Vernet


1 - Biplans lents de la Royal Navy, embarqués sur des porte-avions et utilises comme bombardiers ou comme torpilleurs.
2- IRVINC (David), La guerre entre les généraux, éd. Belfond.
3 - Ce sont ceux que j'ai vu passer rue Berthézène.
4 - J'en parle en témoin et victime puisqu'un chapelet de bombes détruisit une aile du Gouvernement généra! et l'appartement de mes parents en janvier 1943.

In : «  l’Algérianiste » n° 111


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