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Le Débarquement en Provence

Écrit par René Mayer. Associe a la categorie La Seconde Guerre Mondiale

En pleine nuit, aux premières heures du 15 août 1944, le groupe français des commandos d'Afrique neutralise les batteries allemandes à longue portée du Cap Nègre et prend le contrôle de la route du littoral. Au même moment, les forces spéciales américaines se saisissent des îles du Levant et de Port Cros. Dans l'in­térieur des terres, les paras américains sautent sur Draguignan et sur Le Muy, blo­quant ainsi la vallée de l'Argens.

Les commandos alliés ont fait du bon travail! Le périmètre où doit se dérouler le débarquement est désormais verrouillé sur ses trois côtés. Les Allemands auront bien du mal à y acheminer les renforts dont ils vont pourtant avoir le plus urgent besoin!

Au cours de cette même nuit, une flotte alliée qui faisait mine de se diriger vers Gênes a brusquement viré de bord. Au lever du jour, elle surgit devant Saint-Tropez, Sainte-Maxime et Saint-Raphaël. Aussitôt, sous la protection des canons de marine et sous la couverture d'une aviation entièrement maîtresse du ciel, le débarquement com­mence. En un peu plus d'une semaine, il mettra à terre 400000 hommes dont sept divisions françaises, soit sensiblement plus que n'en comptait à ses débuts le corps expéditionnaire français en Italie. Parmi ces dernières figurent à présent deux divi­sions blindées. Tout au long des années 1943, 1944 et 1945, la présence militaire française ne cesse ainsi de s'accroître. Elle représente à présent la moitié des forces conventionnelles engagées.

Deux mille navires et deux mille avions, en majorité américains, les ont transportées et vont les soutenir.

Avec deux divisions blindées, les Français disposent à présent des moyens de manoeuvrer rapidement et d'opérer des ruptures. Ils sont chargés de foncer vers les grandes villes côtières de Toulon et Marseille, et ensuite, passant par Aix et Avignon, de remonter la vallée du Rhône.

Le 12 septembre 1944, moins d'un mois après avoir débarqué dans le Var, trois mois à peine après être entrés dans Rome, les soldats français venus d'Afrique du Nord font à Montbard, en Côte d'Or, leur jonction avec leurs compatriotes placés sous les ordres du général Leclerc de Hautecloque et débarqués en Normandie.

Silence sur un sacrifice

Y a-t-il un Français sur mille - à part ceux qui se sont trouvés directement mêlés à ces événements - pour connaître les épisodes cruciaux de notre histoire que constituent la campagne d'Italie, la percée des lignes « Gustav » et « Hitler », l'entrée dans Rome, le débarquement dans le Var?

Qui sait qu'à de multiples reprises, en Tunisie, en Italie, puis lors du débarquement en Provence et enfin dans les Vosges et au passage du Rhin, le sacrifice de l'armée d'Afrique a permis de rapprocher sensiblement le jour de la Victoire, a raccourci les souffrances de la France occupée, a contribué à lui rendre sa place et son honneur dans le concert des Nations, lui a valu notamment de détenir cette place privilégiée qu'elle occupe au Conseil de sécurité des Nations Unies?

Pour certains, c'est le moment, bien sûr, de soutenir que ce sont les indigènes qu'on a envoyés se faire tuer en première ligne, les Européens restant à l'arrière comme officiers ou pour assurer la logistique. La vérité est assez différente. D'une part, la plupart de ces indigènes étaient volontaires. Ils n'ont pas été expédiés de force. S'ils avaient été contraints de s'engager dans ces tueries, les occasions de déserter auraient été nombreuses. Ils ont répondu à l'appel. La plupart en étaient fiers. Aujourd'hui encore, dans les défilés de Harkis, les survivants arborent avec fierté des Croix de guerre gagnées en Italie, en Provence ou en Alsace.

D'autre part, les taux de pertes en vies humaines n'ont été ni plus ni moins lourds dans les rangs des Français d'origine européenne que dans les rangs des Français musulmans d'Algérie, des Marocains et des Tunisiens. Pour des effectifs équivalents, il y a eu environ 20000 tués européens, et 20000 tués d'origine nord-africaine.

Il est infiniment désagréable d'avoir à tenir une comptabilité aussi macabre. Ou pire encore, face au sacrifice suprême, de paraître vouloir confronter, ce qu'à Dieu ne plaise! les mérites et le courage des uns et des autres. Tous les morts méritent le même respect et la même reconnaissance. Seule l'intolérable mauvaise foi de certaines insi­nuations peut contraindre à surmonter cette répugnance.

Si le courage et l'héroïsme des engagés musulmans ne l'ont en rien cédé à ceux des Européens, en revanche, au niveau des communautés respectives, l'intensité du sacrifice n'a pas été comparable. Dans ses mémoires, le maréchal Juin écrit: « L'effort de mobilisation a été dix fois plus intense chez les Européens que chez les Musulmans ».

La population musulmane de toute l'Afrique du Nord était de 18,5 millions de personnes et celle des Européens de l'ordre de 1,1 million. Le nombre de soldats engagés dans la guerre et le nombre de victimes ont été sensiblement les mêmes. Le coefficient dix avancé par Alphonse juin est donc encore au-dessous de la vérité.

Pour être en mesure de jeter dans la grande mêlée une armée française capable de tenir son rang à côté de celles de nos puissants alliés, il a fallu, dans la population européenne d'Afrique du Nord, recourir à une ponction à laquelle on ne connaît aucun précédent. Au niveau des simples soldats, on a appelé l'ensemble des Français valides de 18 à 45 ans. Les gradés, eux, ont été mobilisés par convocation individuel-le, bien au-delà de la cinquantaine, à un âge variable suivant les besoins et suivant les armes.

Au total, l'armée française de 1943-1945 était composée de la manière suivante:

-173000 Tunisiens, Algériens, Marocains et Noirs Africains (A.O.F. et A.E.F.);

- 168000 Français d'Afrique du Nord;

- 20000 Français de la France continentale, évadés, officiers d'active, fonctionnaires en mission;

- 35000 Français de Corse (à partir de janvier 1944).

La population d'Européens d'Afrique du Nord étant à cette époque de 1076000 personnes, l'effectif sous les drapeaux en représentait donc 15, 6 %, soit une personne sur six ou sept, hommes, femmes, enfants et vieillards compris. Pour prendre conscience de ce qu'a représenté un tel effort de mobilisation (ou d'engagement volontaire), on peut évaluer ce que donnerait ce même pourcentage, s'il était appliqué aujourd'hui à l'ensemble de la population française: 56, 6 millions d'habitants x 15,6/ 100 = 8, 82 millions de soldats.

Jamais, à aucun moment de notre histoire, un tel chiffre n'a été approché. Même aux pires heures de 1917, quand les femmes prenaient en France le relais des hommes dans les usines d'armement le nombre de soldats sous les drapeaux est resté inférieur à huit millions. Or, en plus des métropolitains, il comprenait les effectifs des unités colossales qui débarquaient par cargos entiers dans tous les ports de France.

En 1944 et 1945, en Afrique du Nord, pratiquement tous les Européens en état de porter les armes ont été appelés. Rapidement instruits, équipés par les Etats-Unis, entraînés suivant des méthodes aussi proches que possible du combat réel, « ils subissent un entraînement intensif et rapide avec tirs réels à balles traçantes, attaque de blockhaus, simulation aussi proche que possible du vrai combat ». Cet entraînement fait « de nos divisions un outil de guerre qui ne le cédait en rien à ceux de nos alliés », a écrit cinquante ans plus tard, en mai 1994, le général d'armée François Valentin, à l'époque jeune capitaine, dans la revue mensuelle des anciens élèves de l'École Polytechnique. Dès que leur entraînement est terminé, ils ont été débarqués ou parachutés sur l'autre rive de la Méditerranée afin d'aller libérer la France, leur patrie.

René Mayer

 

(Extrait de Algérie, mémoire déracinée, L'Harmattan, Paris, 1999).

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