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La Tunisie, une campagne oubliée sur la route de Rome à Sienne

Écrit par Edgar Scotti. Associe a la categorie La Seconde Guerre Mondiale

AVANT LE DEBARQUEMENT du 8 novembre 1942, les commissions d'armistice germano-italiennes sont exposées dans les grands hôtels d'Alger aux facéties des lycéens algérois. Les coiffes des bersaglières et leurs plumets sont les principales victimes de cette résistance juvénile.

En Afrique du Nord, l'Armée ne compte plus que 150 000 hommes environ, auxquels s'ajoutent les Chantiers de la Jeunesse et des unités en principe " démilitarisées comme les Méhallas chérifiennes, ou en Algérie les douaïrs et les Groupes mobiles de sécurité, G.M.S.

En Tunisie, il y a le Makhzen, mot voisin de makhasin qui signifie en arabe, lieu de dépôt. Ce mot a fait irruption dans notre langue pour donner magasin.

Et, c'est justement à des tâches de constitution de dépôts d'armes, de munitions et d'appareils radio que sont affectées les unités Makhzen de Tunisie.

Après le 8 novembre 1942, le 4e Chasseurs d'Afrique, le 4e Zouaves, le 4e R.T.T. et le 44e bataillon de Transmissions, ainsi que les unités Makhzen qui y sont rattachées, quittent Tunis pour se concentrer à Medjez el bab, Pont du Fahs et Gafsa afin de barrer la route de l'Algérie aux troupes de l'Axe qui refluent de Lybie.

Avec leur armement français, leurs véhicules Renault ou Citroën, leurs postes S. F. R. ces unités tunisiennes, constituent un des éléments de la résistance française avant l'arrivée de l'armée américaine.

 

Les affectations des jeunes des
Chantiers dans l'Armée

 

Dans les combats de retardement, le 7e R.T.A. de Constantine auquel appartenait le sous-lieutenant Candéla, enlève début décembre 1942, le col du Faïd, entre Sbéitla et Sfax. Ce régiment particulièrement éprouvé, sera par la suite reconstitué cinq fois.

Les uniformes que nous percevons en arrivant début janvier dans nos régiments, sont neufs ou en très bon état.

Par un brumeux dimanche du 24 janvier 1943, un des nombreux trains qui s'arrêtent quelques heures en gare de Maison-Carrée, emporte vers la Tunisie un élément du 4e R.T.T. hâtivement reconstitué en Oranie avec des réservistes. Le profane observe non sans surprise que tous les hommes ont des tenues neuves. Aussitôt engagée dans les monts de Tunisie, cette unité y sera particulièrement éprouvée, l'aspirant Robert Fora rencontré ce froid dimanche du 24 janvier 1943 ne reprendra jamais son poste d'instituteur.

Les pertes considérables subies en janvier 1943, par les régiments marocains, algériens et tunisiens en se repliant vers Tébessa en Algérie seront dès février 1943 comblées avec des renforts en provenance des Chantiers. C'est à bord d'autobus de l'Auto-traction de l'Afrique du Nord (ATAN) que les jeunes rejoignent en Tunisie les " bref forces ". Les régiments reconstitués sont en effet peu ou pas motorisés. Lorsque jeudi 13 mai 1943 à 13 heures, les canons se taisent, sur les 80 000 hommes engagés en Tunisie sous les ordres du général Juin, il y en a, 20 000, hors de combat dont 2156 tués, les autres étant blessés ou disparus.

 

L'entrée dans Tunis

 

Autour du cap Bon et jusqu'à Grombalia, s'accumulent des milliers de camions de marques, O. M., Fiat, Lancia, équipés de moteurs diesel en excellent état. C'est donc à bord de camions allemands ou italiens que notre unité rejoint son cantonnement à la Casbah de Tunis, précipitamment évacuée en novembre 1942.

Au moment où le 44e bataillon de Transmissions se réinstalle dans des locaux sales et envahis par la vermine, nous observons que le 4e R.T.T dont de nombreux officiers, sous-officiers, et soldats sont morts ou disparus, a fusionné avec le 4e Zouaves, pour former le 4e Régiment mixte Zouaves-Tirailleurs, (4e R.M.Z.T).

Bien que complètement occultée, il convient de rappeler cette fusion de deux unités, éprouvées par une campagne dont on a, aujourd'hui oublié le coût très élevé en vies humaines.

 

La renaissance de l'Armée d'Afrique

 

Au prix de pertes effroyables, l'Armée d'Afrique regagne la considération des généraux alliés au cours d'un défilé du jeudi 20 mai 1943. C'est à Tunis que nous rencontrons les combattants de Bir-Hakeim et de Mourzouk auréolés d'un prestige qui ne laisse par indifférents nombre d'entre nous, pressés de troquer leurs bandes molletières, leur Lebel modèle 1886 modifié 93, par des équipements anglais accompagnés de divers avantages.

 


Le 20 mai 1943, défilé de la victoire dans l'avenue Jules Ferry à Tunis.
Des soldats pressés de troquer leurs bandes molletières,
leur Lebel modèle 1886 modifié 1893

 

C'est au cours du grand défilé des troupes sur l'avenue Jules Ferry, que nous prenons conscience de l'existence de deux armées françaises, qui, toutes les deux ambitionnent de libérer la France.

 

Alger : capitale de la France en guerre

 

Embarquant à Tunis, dans des wagons à bestiaux, nous laissons la Casbah, encombrée de prisonniers, hommes et femmes humbles soldats ou célébrités capturés dans la nasse du cap Bon, pour Alger.

En juillet 1943, les quais du port d'Alger sont saturés, des " Liberty " attendent de longs jours en rade avant de débarquer leur cargaison, aussitôt acheminée vers des entrepôts situés en banlieue.

Les alliés ont amené leurs locomotives à vapeur, ainsi que des wagons. Cet intense trafic maritime, ferroviaire et routier, entraînera lui aussi la perte de nombreuses vies humaines. Mercredi 4 août 1943, vers 15 heures, une effroyable explosion retentit, un champignon de fumée jaune monte au dessus de la ville. Tous les regards se portent sur le gazomètre de la compagnie Lebon au Ruisseau, mais c'est du port qu'elle provient. Un cargo chargé de munitions vient d'exploser, l'incendie s'est propagé sur un navire voisin. En fin de journée, une épave en feu, pilotée par Antoine-André Urbani est remorquée hors des jetées, pour être échouée puis coulée, en face du jardin d'Essai.

 


La gare de Maison-Carrée, après l'explosion d'un train de munitions.
PHOTO : SIRPA/ECPA France

 

Parmi les nombreuses victimes, des soldats, de très nombreux prisonniers de guerre allemands et italiens mais aussi des civils d'Alger et d'Hussein-dey qui travaillaient sur les quais. A Belcourt, les appartements du boulevard Thiers n'ont plus de vitres. Quelques jours après, un dimanche, c'est à Maison-Carrée, qu'un train de munitions explose ; les toits des écuries Périllat à un kilomètre, sont éventrés par une pluie d'obus, beaucoup de victimes parmi les employés des C. F. A. et les militaires.

Sur la route, les gendarmes chargés de la circulation seront très éprouvés par des accidents survenus lors du passage des convois de GMC, lancés à vive allure sur des voies qui n'avaient pas été conçues pour un tel trafic.

Enfin, si les villes sont éprouvées par la guerre et par un sévère rationnement, les hautes plaines sont dévastées par des vols de criquets pèlerins.

 

La perception du matériel américain

 

La réception du matériel américain à Casablanca, notamment, ouvre la première phase de la motorisation de la majeure partie de l'Armée d'Afrique et sa modernisation.

C'est sans aucun regret que nous rendons nos vieux uniformes français pour " toucher " de confortables tenues.

En septembre 1943, Casablanca, est une ville de cocagne pour des militaires de 20 ans ; charcuterie et œufs sont abondamment servis au foyer du marin, près de la place de France, où chaque soir nous comblons une faim, laissée par l'ordinaire trop léger, servi à Aïn-Bordja.

Sur les quais de Casablanca, nous chargeons sur nos camions le matériel et l'armement débarqués des " Liberty " américains.

 

 LaTunisie03 Cargo en feux Mercredi 4 août 1943, explosion dans le port d'Alger.
Un cargo en feu piloté au risque de sa vie par
Antoine-André Urbani, est éloigné du môle où brûle un pétrolier.
Grièvement blessé le 4 août 1943, ce pilote du port d'Alger,
animé d'un grand esprit de sacrifice est mort quelques jours après victime du devoir.

PHOTO : SIRPA/ECPA France

 

 

Les livraisons successives portent le sigle " N.A.F.U.S. ", qui aiguise notre curiosité. A notre arrivée il y a NAFUS 9, puis 12, 14, 15. Une tradition qui n'engage que son auteur, laisse supposer que NAFUS signifie " North Africa French Usement Service ".

Les camions italiens récupérés en Tunisie ne servent plus qu'à former de très nombreux chauffeurs surpris dans un premier temps par la puissance du moteur de la " Jeep ".

Tous ces véhicules, Jeep, Dodge, G.M.C., et autres engins plus spécialisés, camions-grues, tarières automobiles K. 43, sont montés à Casablanca. Leur équipement radio est constitué par des postes S.C.R. 177, 197, 299 et 399.

Avec la perception de tanks " destroyers " le 7e R.C.A. régiment de tradition des Chantiers de Jeunesse, comme toute les autres unités se familiarise avec la terminologie américaine.

A Bordj-Cédria-Potinville, près d'Hammam-Lif, avant d'embarquer sur le " Lincoln Steffens " pour l'Italie, nous découvrons pour la première fois l'inscription, devenue courante par la suite de " Purs et Durs ", peinte sur nos véhicules.

 

Débarquement par grutage dans le port de Casablanca.
PHOTO : SIRPA/ECPA France

 

 

 

 

 

L'Italie : un douloureux prologue, une trop courte apothéose

 

Lorsqu'il débarque à Naples, en novembre 1943, le Corps Expéditionnaire Français est intégré dans la 5e Armée Américaine.

Cette 5th U. S. Army, commandée par le général Clark, est de création relativement récente puisque, organisée à Oujda au Maroc le 5/01/1943. Origine symbolisée par le minaret stylisé sur son écusson.

Avec ses deux divisions, le C. E. F devait en être un élément d'appoint dont les unités seraient engagées, en fonction des besoins du commandement américain. Cette situation ne convient pas du tout au général Alphonse Juin qui tient à ce que les forces françaises reprennent leur place dans la guerre comme celles d'un authentique Etat de droit.

 

 

 
écusson de la
5th U.S. Army

 

 


Insigne
C.E.F.I.

 

 

 
La petite victoire ailée
de Constantine
emblème de la 3e D.I.A.

 

 

 
écusson de la 2e
Division d'infanterie
Marocaine

 

 

Par la suite, le C.E.F., contribue avec ses quatre divisions, la 1er D.F.L., la 2e D.I.M., la 3e D.I.A., la 4e D.M.M., à déloger l'ennemi du Monna Casale. Le Rapido, le Gué de San Elia et la région du Belvédère sont le 24 janvier 1944, le théâtre de violents combats où l'on retrouve le 4e R.T.T reconstitué, couvert par deux bataillons du 3e R.T.A. Le 27/01/1944 le 4e R.T.T. perd de nombreux hommes dont le colonel Jacques Roux dans des conditions héroïques. II y a aussi le 7e R.C.A. et ses tanks-destroyers qui appuient le 3e R.T.A. et le 3e spahis, confrontés à des difficultés surhumaines pour s'infiltrer dans l'Olivella et couvrir le Cifalco. Le 31 janvier 1943, dès 7 h 45, le colonel Van Hecke annonce la chute de Colle Marino qui précède la fin de la bataille du Belvédère.

Début mai 1944, la 3e D.I.A. placée au sud-est de la 1er D.F.L. et de. la 4e D.M.M. opère avec la 2e D.I.M. sur l'axe Faïto-Maïo-Calvo-Castellone pour ouvrir la route de Rome et de la Toscane. Tout cela au prix d'efforts surhumains effectués aux limites du possible et de très lourds sacrifices.

Après Rome, Bolsena et Acquapendente, les pluies abondantes ralentissent l'avance des chars vers Radicofani, son château fort, son donjon et sa " maison à arcades ", situés à 896 m sur un éperon rocheux en surplomb de la route de Sienne.

C'est en fin de journée de ce dimanche 18 juin 1944 que la Légion Etrangère appuyée par des T .D. et des tirs de 155, occupe la " maison à arcades ", riche déjà de l'histoire de Radicofani, allié de Sienne dans la bataille contre leur futur maître, Côme de Médicis. Enfin, c'est en repos sur ce piton de Radicofani, que quelques jours plus tard, jeudi 22 juin, trois " spitfire " anglais survolent nos camions et reviennent nous arroser, par erreur de leurs tirs de mitrailleuses.

 

La libération de Sienne

 

Partis de Castiglione del Bosco, nous atteignons Sienne lundi 3 juillet 1944. Fidèle à sa devise, " Sienne t'ouvre mieux son cœur ", les soldats du C.E.F. reçoivent de cette cité médiévale, mystique et douce un inoubliable accueil. Après un tour d'honneur triomphal sous les balcons de la Piazza del Campo, une réception au Palazzo Publico, un défile, nous sortons par une porte moyenâgeuse pour redescendre en toute hâte vers Rome et Naples.

Pour le C.E.F., la campagne d'Italie se termine en apothéose. Avec ses régiments, algériens, marocains, tunisiens, la France a repris sa place parmi ses alliés, et cela dans " une extraordinaire atmosphère d'épopée " dira plus tard le commandant d'Esclaibes.

 


 

 

Une participation féminine
trop peu connue

 

C'est celle de courageuses jeunes femmes engagées volontaires. Les ambulancières allaient par tous les temps, sur les chemins tourmentés de San-Elia, sur les routes en lacets du Monte Amiata, ou d'Acquapendente à Radicofani, chercher les blessés à bord de grosses ambulances Dodge. II faut citer aussi les Auxiliaires Féminines de l'Arme des Transmissions, A.F.A.T, ainsi que bien d'autres unités dont on laisse le souvenir s'enliser dans des brouillards plus denses que ceux de la vallée du Liri ou de San-Lorenzo.

 

Le prix payé par le Corps
Expéditionnaire Français en Italie

 

Depuis son entrée victorieuse dans Tunis, l'Armée d'Afrique est considérée, malgré ses faibles moyens en matériel comme un partenaire apprécié. Après la campagne d'Italie, ses régiments ont démontré leur aptitude à utiliser du matériel moderne et à s'adapter rapidement aux conditions de combats en montagnes comme en plaines.

LaTunisie11 croix ferrailleCependant cette place reprise par la France parmi ses alliés n'a pu l'être qu'au prix de lourds sacrifices. " En sept mois de campagne, les pertes du C.E.F. sont de 6400 tués, de 20 000 blessés, de 4201 disparus, soit plus de 15 % des 200 000 Français engagés en Italie. Sur ces chiffres 80 % relèvent des compagnies de fusiliers-voltigeurs de l'infanterie " selon Paul Devautour.

Or, il convient encore de souligner que ces fusiliers-voltigeurs, appartiennent tous à des régiments marocains (tirailleurs et goumiers), algériens et tunisiens.

De plus, dans tous ces régiments les pertes en officiers et sous-officiers sont particulièrement importantes. Qui se rappelle aujourd'hui, plus de quarante cinq ans après, de ces jeunes hommes sacrifiés sur les champs de batailles de Tunisie et d'Italie ? Les Algériens, Indochinois, Malgaches, Marocains, Sénégalais, Tunisiens, n'étaient pas des mercenaires. Les petites sommes que nous percevions avec quelques paquets de cigarettes, en qualité de rappelés, d'appelés ou d'engagés volontaires pour la durée de la guerre, n'étaient pas des soldes de mercenaires. Et cependant, tous ces jeunes hommes étaient fiers de participer à la libération de leur pays.

Que restera-t-il, dans quelques années, lorsque les derniers rescapés de cette campagne de Tunisie, aujourd'hui complètement oubliée, auront fini de souffrir de leurs blessures ?

R I E N ... Un trou de mémoire !!!

Edgar SCOTTI

Bibliographie

- La victoire sous le signe des trois croissants, Editions Pierre Vrillon, 1946. Alger 4 rue du Maréchal Bosquet.
- L'Armée d'Afrique 1830-1962, Editions Charles Lavauzelle Paris.
- La documentation aimablement mise à notre disposition par M. Théophile Bignand.
- Le renaissance de l'Armée française, témoignage d'un combattant de l'armée d'Afrique, par le colonel Jean Florentin. L'Algérianiste n° 38 de juin 1987.
- Une Armée Française créée clandestinement. (Allocution du colonel G. Mignotte, du 8 novembre 1987 devant le monument aux Morts de Dijon)

in l'Algérianiste n° 47 de septembre 1989

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