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Des Vosges au Rhin

Écrit par Georges Bosc. Associe a la categorie La Seconde Guerre Mondiale

DES VOSGES AU RHIN

 

L'Armée d'Afrique dans le doute

Origines et composition de l'armée française

Sans la contribution massive de l'Armée d'Afrique, il eût été impossible de lever les huit divisions qui, après les dures campagnes de Tunisie et d'ltalie libéreront la mère Patrie, franchiront le Rhin et porteront le fer au cœur du " Reich ", arrachant pour la France, au prix de mille sacrifices, le droit d'assister à Berlin, avec les Alliés, à la capitulation allemande.

Au seuil de l'automne 1944, alors que, profitant des rigueurs du climat l"ennemi se fige dans une défensive acharnée aux approches du Rhin, il est indispensable d'inventorier de manière précise la composition et les origines des forces terrestres françaises engagées dans la bataille.

L'armée française, Ire armée et 2e D.B. réunies, dénombre alors 280 000 hommes. Cet effectif se répartit de façon à peu près symétrique entre 135 000 Européens (48 %) et 145 000 " Indigènes " (52 %).

Quant aux origines et proportionnellement à l'effectif total, on peut estimer à 110 0OO (39 %), les 25 000 autres se partageant entre les Français libres et les évadés de France. En ce qui concerne les indigènes, 120 000 %) appartiennent à l'Afrique du Nord, 25 000 (9 %) à l'ensemble Afrique occidentale et Afrique équatoriale françaises
Par ailleurs;  tous les territoires de l'Empire ont le mérite d'être représentés, mais de manière numériquement peu significative.

Mieux que de longs commentaires ces chiffres démontrent que l'Armée d'Afrique a supporté l'essentiel du poids de la guerre. Si bien qu'à la veille des combats décisifs de l'automne et de l'hiver 1944, elle alignera 255 000 hommes sur les 280 000 qui constituent alors l'effectif total des forces terrestres françaises, soit une proportion de 91%.

Dans cet ensemble, avec ses 230 000 combattants européens et indigènes, I'Afrique du Nord intervient à elle seule pour 82 %.

Mais plus encore que par le nombre, c'est par sa haute valeur morale et ses qualités guerrières exceptionnelles que cette armée française d'Afrique restituera au Pays son honneur et sa liberté.

La France idéalisée

Contrairement à la plupart des armées coloniales étrangères qui usent de méthodes ségrégatives, I'Armée d'Afrique mêle étroitement aux Européens des combattants de toutes origines ethniques. Ce brassage s'effectue dans des proportions variables suivant les origines territoriales, les armes et les unités concernées, mais il constitue une règle systématique. C'est ainsi que la 1re D.B. compte 63 % d'Européens pour 37 % d'indigènes, à I'inverse de la 2e D.l.M. où les proportions sont respectivement de 44 % pour les premiers et de 56 % pour les seconds. En ce qui concerne le secteur délicat de l'encadrement, trop longtemps exclusif, si les Européens y prédominent encore largement, il convient néanmoins de souligner l'encouragement sensible à la formation d'officiers et de sous-officiers maghrébins.

Au sein des troupes d'Afrique du Nord, après plus d'un siècle de compagnonnage sur tous les champs de bataille où la France a dû défendre son honneur et sa liberté, un code relationnel très élaboré s'est institué. Entre Européens et musulmans, incontestablement, le courant passe. La discipline est rigoureuse mais équitable, le langage, où le bilinguisme s'impose, est simple et direct, les rapports humains sont basés sur l'estime mutuelle, la tolérance religieuse, le respect des traditions. Les grands courants politiques et idéologiques n'ont pas encore abordé les rivages nord-africains. Ici, le prestige de l'uniforme est unanime. L'expression ." servir la France " n'implique nullement un état de dépendance mais un don de soi. En ce sens à tous les échelons de la société, la fonction militaire est considérée comme valorisante et, chez les plus humbles, elle est ressentie comme un facteur d'émancipation sociale.

Egaux sous l'uniforme, égaux dans la souffrance, égaux face à la mort, ces soldats de toutes races se reconnaissent fraternellement unis sous les plis du drapeau tricolore. Tous ces hommes, qui idéalisent jusqu'à l'exaltation l'image d'une France mythique violentée par des hordes barbares, sont prêts au suprême sacrifice pour la délivrer et lui restituer sa grandeur. Courageux, tenaces, disciplinés, ils forment une communauté d'armes et de cœur intimement soudée, corroyée au feu des ardentes campagnes où ils n'ont cessé de triompher.

Un sentiment d'abandon

A partir de la mi-septembre 1944, voilà que la résistance allemande s'intensifie aux portes du " Reich ". L'ennemi, qui considère l'Alsace comme une partie intégrante de son territoire national, est résolu à s'engager dans la guerre totale. Des unités spéciales, acheminées en renfort d'outre-Rhin, répandent la terreur et multiplient les exactions. Des milliers de civils ont été évacués de leur village ." manu militari ", pendant que d'autres, par centaines, ont été sommés de participer aux travaux de terrassement de la ." Winter linie "* Alors que se manifestent les prémices d'un hiver boréal, I'Armée d'Afrique s'apprête à livrer l'une des plus redoutables et des plus glorieuses batailles de son histoire.

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Différents visages de la résistance: Maquis de Provence

L'épreuve se révèle chaque jour plus implacable. C'est maintenant la traîtrise des combats de forêt, les mines innombrables, les " snipers ", la pluie, la boue, la première neige. Cloués au sol face à Belfort et à la " Iigne bleue des Vosges ", les hommes sont usés par les assauts. Les pertes ne sont pas comblées, les unités ne sont pas relevées, le matériel n'est pas remplacé. Pire que cela, des territoires qu'ils viennent de libérer parviennent aux combattants les échos d'une vie facile et d'une agitation insouciante. Après tant de souffrances et à la veille de l'attaque décisive, à l'heure même où l'anxiété atteint au paroxysme, la Ire armée française se sent soudain abandonnée par le pays. Pour la première fois, elle est en proie au doute.

Mais la versatilité des populations libérées n'est pas le seul sujet de désenchantement des libérateurs qui sont confondus par l'accoutrement l'insolence et les agissements de certains résistants, ceux notamment qu'ils ont surnommés avec humour et mépris les ." coiffeurs pour dames ". Comme en témoigne le général Gras: " Les soldats de la 1re D.M.I. sont surpris par le spectacle insolite qu'offrent les F.F.I. On en voit partout déguisés en militaires, mais toujours en armes, comme si le danger était encore au coin de la rue circulant en voiture à toute vitesse, debout sur les marchepieds ou couchés sur les ailes dans des postures de combat, comme on a pu le voir dans certains films de la révolution russe. Ils contrôlent sans ménagement l'identité des habitants aux terrasses des cafés, poussent devant eux, dans les clameurs de la populace, des femmes tondues et des hommes au visage ensanglanté... leurs prétentions à jouer les justiciers et leur chasse aux sorcières indignent les vrais combattants.."*

L'épreuve se révèle chaque jour plus implacable. C'est maintenant la traîtrise des combats de forêt, les mines innombrables, les " snipers ", la pluie, la boue, la première neige. Cloués au sol face à Belfort et à la " Iigne bleue des Vosges ", les hommes sont usés par les assauts. Les pertes ne sont pas comblées, les unités ne sont pas relevées, le matériel n'est pas remplacé. Pire que cela, desterritoires qu'ils viennent de libérer parviennent aux combattants les échos d'une vie facile et d'une agitation insouciante. Après tant de souffrances et à la veille de l'attaque décisive, à l'heure même où l'anxiété atteint au paroxysme, la Ire armée française se sent soudain abandonnée par le pays. Pour la première fois, elle est en proie au doute.

Mais la versatilité des populations libérées n'est pas le seul sujet de désenchantement des libérateurs qui sont confondus par l'accoutrement l'insolence et les agissements de certains résistants, ceux notamment qu'ils ont surnommés avec humour et mépris les ." coiffeurs pour dames ".

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Différents visages de la Résistance: Maquis d'Auvergne

Comme en témoigne le général Gras: " Les soldats de la 1re D.M.I. sont surpris par le spectacle insolite qu'offrent les F.F.I. On en voit partout déguisés en militaires, mais toujours en armes, comme si le danger était encore au coin de la rue circulant en voiture à toute vitesse, debout sur les marchepieds ou couchés sur les ailes dans des postures de combat, comme on a pu le voir dans certains films de la révolution russe. Ils contrôlent sans ménagement l'identité des habitants aux terrasses des cafés, poussent devant eux, dans les clameurs de la populace, des femmes tondues et des hommes au visage ensanglanté... leurs prétentions à jouer les justiciers et leur chasse aux sorcières indignent les vrais combattants.."*Mais la versatilité des populations libérées n'est pas le seul sujet de désenchantement des libérateurs qui sont confondus par l'accoutrement l'insolence et les agissements de certains résistants, ceux notamment qu'ils ont surnommés avec humour et mépris les ." coiffeurs pour dames ". Comme en témoigne le général Gras: " Les soldats de la 1re D.M.I. sont surpris par le spectacle insolite qu'offrent les F.F.I. On en voit partout déguisés en militaires, mais toujours en armes, comme si le danger était encore au coin de la rue circulant en voiture à toute vitesse, debout sur les marchepieds ou couchés sur les ailes dans des postures de combat, comme on a pu le voir dans certains films de la révolution russe. Ils contrôlent sans ménagement l'identité des habitants aux terrasses des cafés, poussent devant eux, dans les clameurs de la populace, des femmes tondues et des hommes au visage ensanglanté... leurs prétentions à jouer les justiciers et leur chasse aux sorcières indignent les vrais combattants."*

Par ailleurs, des mesures vexatoires aberrantes sont instaurées par l'autorité militaire et provoquent la légitime colère des hommes. C'est le cas de la retenue sur solde du nouvel impôt cédulaire. Certains rapports de la lre D.M.I. sur le sujet sont édifiants: ." La diminution de la solde, à l'heure où les combats sont devenus les plus durs, demeure une énigme (2e brigade)... Ce n'est pas le moment de semer la perturbation en plein combat. Non seulement ce sont toujours les mêmes qui sont sur la brèche, mais certains pensent déjà qu'un de ces prochains mois, ils devront payer pour se battre (transmissions). "

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Différents visages de la Résistance: Maquis de Bourgogne

Et que dire du mercantilisme sordide dont les combattants sont fréquemment victimes ? Comme l'écrit l'un d'entre eux: ." Non contents d'avoir fait de gros bénéfices avec les Allemands, certains Français continuent à opérer de la même manière avec leurs libérateurs. Les vignerons, par exemple, dont les cuves sont pleines, pratiquent des prix exorbitants. Des mesures énergiques de réquisition seraient souhaitables. "

Enfin, comme le souligne Jacques Frémeaux, l'Armée d'Afrique, profondément meurtrie et déçue, souffre d'un sentiment aigu de frustration: ." Les contingents issus de l'Armée d'Afrique souffrent du silence excessif fait sur eux et leurs sacrifices comparativement aux éloges des F.F.I. Le ressentiment des cadres envers l'avancement jugé immérité des chefs F.F.I. n'est pas sans effet sur les hommes. A partir du moment où la quasi-tota1ité du territoire national est libérée, ceux-ci s'étonnent du petit nombre de métropolitains qui viennent les renforcer. "*

Parfaitement au fait de la crise vécue par ses hommes et conscient des difficultés inhérentes à pareille situation, surtout à la veille des ultimes assauts, le général de Lattre parviendra à " amalgamer " deux divisions métropolitaines à son armée, la 10e D.I. en décembre 1944 et la 14e D.I. en mars 1945.

Mais c'est surtout grâce à la compréhension du général Devers et à la participation généreuse à ses côtés des troupes américaines, lors de la bataille d'Alsace, que la Ire armée française pourra recouvrer la plénitude de ses vertus guerrières et poursuivre sans faiblir jusqu'à la victoire finale.

L'amalgame

La France face à ses devoirs

 A l'automne 1944, le territoire national étant en grande majorité libéré, se pose tout naturellement la question de la rentrée en guerre aux côtés des Alliés d'une armée métropolitaine française N'est-ce pas là pour la France l'occasion de laver l'affront de l'armistice et partant, de réintégrer son rang de grande nation au sein du Monde libre ?

L'exemple édifiant de l'Afrique du Nord décrétant la mobilisation générale au lendemain du débarquement anglo-américain du 8 novembre 1942, après une discutable opposition de façade, et affrontant la " Wehrmacht " dix jours plus tard en Tunisie, ne doit-il pas être suivi?

Tel ne sera pas le cas pour la France. Il n'y aura pas de mobilisation et les engagements seront limités. Mais si de manière globale la participation militaire de la métropole apparaît numériquement décevante, elle est variable suivant les régions et les qualités morales de ceux qui combattront ne sont pas en cause.

Il serait d'ailleurs malhonnête d'imputer au seul incivisme un comportement dont les causes sont multiples. Dans la France d'octobre 1944, tant pour des raisons matérielles et psychologiques que politiques, la situation n'est guère comparable à celle de l'Afrique du Nord de novembre 1942. Ces quatre terribles années d'occupation par l'ennemi ont profondément marqué la nation et ces quatre mois de guerre libératrice ont cruellement meurtri le pays. Pis que destruction, tout ici n'est que désordre. Dans ces conditions, faut-il encore donner priorité à la guerre ou privilégier au contraire la reconstruction, la réorganisation et la réconciliation nationales?

De Gaulle, ménageant le prestige militaire de la France tout en s'imposant comme chef de l'Etat, choisira le moyen terme: opposé à la création d'une armée populaire de 500 000 hommes prônée par le parti communiste, prétextant l'incapacité fort vraisemblable de les armer, il demandera à de Lattre d'intégrer une centaine de milliers de F.F.I. et F.T.P., et de canaliser au sein de la Ire armée " le tempérament de ces jeunes gens remuants " débarrassant du même coup la province de groupes francs incontrôlés. Ainsi, jusqu'à la fin des combats, le poids de la guerre et l'honneur des armes françaises continueront à reposer essentiellement sur les épaules de l'Armée d'Afrique.

Les péripéties de l'amalgame

L'intégration soudaine, dans une troupe rompue à la pratique de la guerre, d'unités disparates, mal équipées, mal entraînées et empreintes d'une mentalité différente, en plein cœur de la bataille, semblait une gageure. Cette mission épineuse, à laquelle le général de Lattre avait naguère prépare ses hommes et dont il s'acquittera avec talent, porte le nom d'" amalgame ".

La tâche de l'amalgame s'avère immense, car, au-delà de sa réalisation pratique, elle risque, de part et d autre, de créer des tensions psychologiques et de compromettre l'esprit de corps. Plutôt que de disperser les maquisards dans les unités régulières, de Lattre préfère les regrouper dans des unités nouvelles, selon leurs affinités provinciales et leur vécu commun dans la Résistance. Il s'en explique ainsi dans les colonnes du " Patriote de Lyon " en septembre 1944: " Jamais nous ne ferons une absorption pure et simple des F.F.I. Il est indispensable de conserver leur nom, leur mystique et la fierté de leurs groupements... A aucun prix nous ne laisserons s'éteindre cette flamme admirable... Par conséquent, tout de suite ces garçons peuvent former des unités supplétives venant au combat avec notre armée régulière."

Malgré ces mesures, les heurts sont fréquents. Couverts de galons, les officiers résistants entendent être maintenus dans leur grade avec la solde qui s'y rattache. Nombre d'entre eux considèrent ouvertement leurs homologues de l'Armée d'Afrique comme des " réactionnaires ". Cette hostilité est particulièrement vive parmi les F.T.P. qui affichent un antimilitarisme virulent à l'encontre de l'armée de métier; sentiment fondé sur la défaite de 1940 et amplifié par la propagande. D'obédience communiste, les F.T.P. sont dépités de voir la reprise en main de leur organisation par l'armée régulière. Certains iront jusqu'à refuser de compléter des unités décimées pour ne pas être mêlés aux troupes indigènes.

Les péripéties de l'amalgame viennent encore assombrir le moral de la Iere armée durement éprouvée par la rigueur du climat, les carences de l'approvisionnement et l'épuisement général. Elles pèsent également pour une large part sur la décision prise par de Lattre de marquer un sérieux temps d'arrêt avant de relancer l'offensive. Les archives militaires de l'époque reflètent fidèlement l'état d'esprit des unités régulières, comme en témoignent les lignes suivantes, extraites de rapports de la lre D.M.I.: " Les F.F:I. ont posé depuis 1e début du débarquement et continuent de poser des problèmes dont la solution est très grave et très urgente, non seulement pour l'efficacité actuelle de l'armée française mais encore et surtout pour la reconstruction et l'avenir du pays... Actuellement, un certain nombre de F:F:I. sont venus, en volontaires, grossir nos rangs. Quelques uns ont signé un engagement volontaire à la division. Ceux-ci sont trop peu nombreux: il est remarquable que dans une ville comme Lyon, la division, qui presque seule a recruté, n'ait pu trouver que 140 volontaires... Beaucoup plus douteux est le renforcement que la division a pu tirer des groupes F.F.I. venus en unités organisées avec leurs propres cadres. Une 3e brigade a été formée avec ces éléments. De graves désillusions n'ont pas tardé à se faire jour... La responsabilité des chefs F.F.l. est gravement engagée dans cette crise du moral. Beaucoup ont gagné ou gardé leurs grades en raison seulement du nombre de leurs recrues et du volume de la troupe qu'ils avaient réussi à regrouper. D'où une tendance quasi féodale à considérer leur groupe comme leur chose: réclamations intrigues, jeu entre les diverses fractions et les dires échelons du commandement, tout cela est utilisé pour garder et grossir leur troupe sans aucune considération de l'intérêt général (une unité, le lendemain du jour où la division, non sans sacrifice, était parvenue à l'équiper, est ainsi parvenue à se faire renvoyer sur l'arrière) ... Pourquoi beaucoup se sont évanouis au premier engagement, tandis que des ." Tartarins " armés jusqu'aux dents terrorisent les populations des villes libérées ? " Des critiques non moins acerbes concernent les discriminations qui ont pu s'opérer au niveau vestimentaire point de friction d'autant plus sensible que les anciens combattent dans la neige avec leurs tenues d'été du débarquement: ." Les anciens ne comprennent pas qu'ils doivent aller au combat sans chaussures, sans vêtements, alors que des éléments noueux, n'ayant jamais été engagés ou engagés sur des fronts passifs, soient vêtus de vêtements américains que ne peuvent obtenir ceux qui se battent. "*

Au prix de mille difficultés, grâce à la diplomatie des uns et à la bonne volonté des autres, mais aussi sous la pression des événements, I'amalgame se poursuit. Les pertes et le degré d'épuisement de certaines unités, la 9e D.I.C. notamment où les troupes d'Afrique noire sont paralysées par le froid, vont bon gré mal gré, déclencher leur relève par des groupes résistants. Ces opérations, dites de " blanchiment ", affecteront également divers régiments nord-africains décimés, tels le 151e R.I. et le 49e R.I., relevés respectivement par la colonne Fabien et le corps-franc Pommiès. La valeur de l'exemple et le sens de l'humain de plusieurs chefs .. réguliers " ainsi que le patriotisme indéniable des vrais résistants finiront pas créer une dynamique de l'amalgame, aboutissant à la formation de deux nouvelles unités divisionnaires, la 10e D.I. du général Billotte, en décembre 1944, et la 14e D.I. du général Salan en mars 1945.

Après avoir frôlé l'échec, I'amalgame sera considéré comme un succès par de Lattre qui estime à 137 000 le nombre des résistants venus rejoindre la Ire armée française. Unis dans leur destin à leurs glorieux aînés de l'Armée d'Afrique et des Forces françaises libres, dont ils partageront sur la fin la souffrance et l'honneur, ils seront avec eux, malgré leur effectif modeste, les dignes représentants de la France renaissante au jour de la victoire.

Si, hélas, dans la Résistance, le pire a parfois côtoyé le sublime, un hommage sans limite doit être rendu à celles et à ceux qui ont bravé la torture, la déportation et la mort tout au long de I'occupation. Il s'agit en particulier des réseaux de renseignements et des groupes de sabotage. Figuraient dans leurs rangs de magnifiques jeunes gens d'Algérie, filles et garçons, épatants de jeunesse et de santé morale. Parachutés de nuit dans des conditions extrêmes, à cent mètres d'altitude, ils se sont fondus dans les réseaux locaux et ont rendu des services inestimables lors de la préparation des débarquements de Normandie et de Provence: parmi eux le sous-lieutenant Mario Faivre, fils de l'écrivain algérois Marcello Fabri, et le sous-lieutenant Pierrette Louin, d'Oran, fusillée à Ravensbruck le 18 janvier 1945.

 

La bataille des Vosges

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Le 25 septembre 1944, le lle corps d'armée de Monsabert passe à l'offensive dans les Vosges. Ainsi, de Lattre caresse-t-il l'espoir de créer la rupture par l'ouest. II escompte refouler la XlXe armée allemande dans la plaine d'Alsace pour la prendre ensuite en tenaille entre le lle corps et le ler, de Béthouart, prêt à s'élancer au sud par la trouée de Belfort.

Malheureusement, le transfert progressif de la VlIe armée américaine vers le nord, dans le secteur d'Epinal, pour jouxter l'armée Patton, isole la Ire armée française et impose un étirement du lle corps. Afin de le renforcer, de Lattre adjoint à Monsabert la 3e D.I.A. de Guillaume.De la sorte, du secteur de Lure, au sud, à celui de Remiremont, au nord, s'étagent la lre D.M.I., la lre D.B. et la 3e D.I.A. C'est à cette dernière, elle-même considérablement renforcée, qu'incombe l'effort principal, et, si possible, l'effet de rupture.

Hélas ! La 3e D.l.A. se heurte d'emblée à un adversaire intraitable. La " 338 I.D. " allemande commandée par le général l'Homme de Courbières, chef me sera considéré comme un succès par de Lattre qui estime à 137000 le nombre des résistants venus rejoindre la Ire armée française. Unis dans leur destin à leurs glorieux aînés de l'Armée d'Afrique et des Forces françaises libres, dont ils partageront sur la fin la souffrance et l'honneur, ils seront avec eux, malgré leur effectif modeste, les dianes représentants de la France renaissante au jour de la victoire.habile et déterminé, se défend avec des moyens matériels et des ressources morales insoupçonnés. De manière générale, sur toute la longueur du front des Vosges, la solidité du dispositif défensif ennemi, conforté par des troupes de montagne et des unités d'élite dépêchées d'Allemagne, a été largement sous-estimée. Après dix jours d'assauts ininterrompus rappelant étrangement les meurtrières et vaines opérations vosgiennes de l'hiver 19141915, Guillaume se fixe le 5 octobre sur une ligne de crêtes profondément encastrée dans la " Winter linie ", mais sans parvenir à la rompre.

La 1ère D.B., dans son offensive contre le Thillot, doit auparavant reconquérir le terrain cédé par le " 7 th infantry regiment " américain qui a décroché, sans avertir les Français, pour rallier sa nouvelle affectation dans le secteur de Remiremont. Par la suite, du Vigier devra se contenter de gains modestes, le relief accidenté et l'épaisse couverture forestière se prêtant mal à l'emploi des blindés.

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La 9éme D.I.C. au pied des Vosges

Malgré sa résolution, la lre D.M.I. ne connaîtra guère plus de succès et devra limiter ses ambitions à fixer ses maigres acquis.

"Toutes ces attaques me rappellent trop les coûteuses illusions de la fin de 1914 et je crains qu'il n'y ait encore là qu'un nouveau mirage... Le 17 octobre à midi, je fais donc savoir au général de Monsabert que l'opération " Vosges " n'ayant pas abouti au résultat escompté, j'ai pris la résolution de suspendre l'offensive et de retirer au lle corps une partie des moyens mis à sa disposition. "*, écrira de Lattre, qui enjoint cependant à Monsabert d'exercer sur l'ennemi une pression incessante afin de l'inciter à renforcer au maximum ses défenses sur son front ouest et à dégarnir d'autant son front sud. On estime à 55 000 hommes le total des renforts allemands ainsi attirés dans les Vosges au détriment du secteur clé de Belfort qui commande l'accès de la Haute-Alsace.

Dans le massif vosgien, à partir du 5 novembre, les Français occupent sur les crêtes une ligne stratégique de 70 kilomètres, suivant un axe nord-sud, partant du Tholy, près de Gérardmer, jusqu'à Lamontot, en passant par Menaurupt, Rochesson, le Haut du Faing, Cornimont, le Haut du Tonteux, les abords du Thillot, le col de Chevétroye, Ronchamp et Frédéric-Fontaine.

L'ingrate mais efficace mission de harcèlement et de diversion assignée au lle corps se poursuivra jusqu'à la mi-novembre, date de l'offensive lancée par le ler corps.

 

La bataille d'Alsace

Les combats de Haute-Alsace

Le 24 octobre, de Lattre expose à son état-major son intention de concentrer l'effort de la Ire armée sur le front sud tenu par le ler corps de Béthouart Son projet vise à enfoncer les défenses ennemies par surprise dans la boucle du Doubs, à hauteur de Montbéliard et, le cas échéant, d'exploiter son avantage au nord, vers Belfort, et à l'est vers le Rhin. En cas de succès, la seconde phase de l'opération consisterait dans une manœuvre d'encerclement englobant Mulhouse, menée conjointement avec le lle corps. 

­Belfort­Le plan de manœuvre communiqué aux deux commandants de corps d'armée est le suivant : 
"Le ler corps du général Béthouart reçoit pour mission de rompre le dispositif ennemi au nord du Doubs, de libérer Montbéliard et Héricourt, et, simultanément, de pousser entre le Doubs et la frontière suisse. 

A sa gauche, le lle corps du général de Monsabert devra continuer à aspirer les réserves ennemies dans les Vosges en maintenant ses attaques. Sitôt l'offensive du ler corps déclenchée, il devra déborder par le nord les défenses de Belfort et faire l'impossible pour pénétrer en Alsace par les vallées vosgiennes."*

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3éme D.I.A. en pleine tempête de neige, à Menaurupt

De Lattre a pris des dispositions sans précédent afin de protéger le secret de l'opération. Ainsi, la date de l'offensive ne sera même pas révélée à Churchill et de Gaulle lors de leur visite à la Ire armée le 13 novembre. Une véritable opération d'" intoxication ~ est montée pour leurrer l'ennemi: instructions " bidon " égarées " par hasard " dans les services de renseignements allemands, mouvements de troupes voyants vers les Vosges et retours discrets en pleine nuit, fausses permissions, etc.

Par ailleurs, le ler corps est puissamment renforcé. A ses quatre divisions habituelles, 2e D.M.M., 4e D.l.M., 5e D.B. et 9e D.l.C. en cours de " blanchiment ", viennent s'ajouter la lre D.B., complétée par le 6e R.T.M., le bataillon de choc, les commandos d'Afrique, le 2e dragons, le corps-franc Pommiès et la brigade Malraux. Le 14 novembre à 11 heures 20 l'offensive est déclenchée en pleine tempête de neige. Elle débute par une violente préparation d'artillerie de 40 minutes, mettant en œuvre 400 pièces. A midi, la 2e D.l.M., qui constitue le fer de lance du dispositif, part à l'attaque sur un front réduit à huit kilomètres, pour accentuer le coup de bélier. Chez l'Allemand, la surprise est totale, I'excellent général Wiese lui-même croit à un piège et marque un temps de retard pour réagir. Erreur fatale, ses défenses sont aussitôt enfoncées sur une largeur de quinze kilomètres. Le 16, les chars de la 5e D.B interviennent massivement et la progression s'accentue. Dans la journée du 17, Héricourt et Montbéliard sont enlevés par la 2e D.l.M., la Lisaine est franchie, la route de Belfort est ouverte. Au sud du canal du Rhône au Rhin, la 9e D.l.C. a également enregistré des gains appréciables.Dès le soir du 17, de Lattre considère que la rupture est faite et ordonne à la lre D.B. de foncer sur Dannemarie, Delle et Seppois, en vue de poursuivre sur le Rhin et Mulhouse.

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 Photo souvenir: de Lattre, Devers, Béthouart et de Monsaber
au pied du Lion de Belfort

 Simultanément est engagée la conquête de Belfort. Entre Vosges et Alsace, la trouée de Belfort offre un étroit passage dont le seuil est barré par une chaîne de dix-huit forts. Ceux-ci seront réduits un à un par les formations spécialisées du bataillon de choc et des commandos d'Afrique, appuyés accessoirement par les chars et l'infanterie. Tandis que le fort du mont Vaudois résiste farouchement, les premiers éléments de la 2e D.l.M. pénètrent dans la citadelle de Belfort pendant la nuit du 19 au 20. Le fort Salbert est enlevé par surprise à l'aube, mais le Château oppose une défense opiniâtre. Il faudra deux jours pour réduire au silence les derniers foyers de résistance.

Belfort est entièrement libéré le 22 novembre. Cependant, quelques batteries périphériques tiendront encore la ville sous leur feu durant trois jours.

 

- Premiers sur le Rhin - La course au Rhin s'engage à l'aube du 18 novembre et va se développer le long de la frontière suisse. Elle constitue l'amorce de la seconde phase de l'exploitation qui doit se poursuivre par la prise de Mulhouse et l'entrée en action du lle corps. La mission en est confiée, pour l'infanterie, à la 9e D.l.C. et, pour la cavalerie, à la lre D.B.

Une nouvelle fois, I'ennemi est surpris. Dès le premier jour, Delle tombe en quelques heures et, à l'orée du crépuscule, la progression atteint trente kilomètres. 

Le 19, pendant que le " C.C.2 ", tirant au plus court vers Mulhouse s'enferre sur le bouchon de Morvillars et que le " C.C.I. ", poursuivant le même objectif, butte sur Altkirch, le " C.C.3 ", axé sur le Rhin, connaîtra la gloire. Ce dernier est scindé en trois: le groupement nord et le groupement sud, dirigés respectivement vers Kembs et Huningue, seront retardés par des escarmouches. Par contre, le groupement central du commandant Gardy, qui a mis le cap sur Rosenau, accomplira un parcours idéal. A 14 heures, il traverse Seppois, premier village d'Alsace libéré, où le R.l.C.M.* lui a brillamment ouvert la voie. De là il fonce sur Visel, puis Waldighoffen. L'lll est franchi à 16 heures et le groupement atteint Jettingen à 17 heures. La suite est ainsi décrite par de Lattre: " Alors, c'est la charge. A toute vitesse, un détachement commandé par le lieutenant de Loisy et comprenant un peloton de " Sherman" et une section du ler zouaues fonce uers l'est. HelJranzkirch, Kappelen, Bartenheim... Quelques rafales de mitrailleuses sur des isolés. Encore six kilomètres, Rosenau. Quinze prisonniers stupéfaits. Encore cinq cents mètres. Un rideau d'arbres... Le Rhin ! "* Nous sommes le 19 novembre 1944 à 18 heures. Le temps d'une extase, les chars de Gardy signent leur prouesse d'une bordée rageuse, par delà le fleuve, qui retentit en terre allemande comme le glas de la chimère nazie. 

Les exploits les plus exaltants sont souvent ceux auxquels souscrit la providence et qui semblent déterminés par une loi immanente de morale et de justice. La charge étincelante qui, le 19 novembre 1944, porta en quelques heures la Ire armée française, première de toutes les armées alliées, sur la berge mythique du Rhin, rejoint dans la légende les plus glorieux faits d'arrnes de la seconde guerre mondiale. Cette geste méconnue est l'œuvre d'une poignée de héros qui, dans l'instant, lavèrent définitivement la France de sa défaite et de sa honte. 

- Mulhouse - Après avoir atteint le Rhin, les blindés du " C.C.3 " poussent immédiatement au nord, tous phares allumés, en direction de Kembs, la forêt de la Harth et Mulhouse. Dans la matinée du 20, I'unité se regroupe aux portes de la grande cité minière. Elle s'ébranle en début d'après-midi, contourne la ville et pénètre dans celle-ci par le nord, à l'lle Napoléon.

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    Le "C.C.3" sur la frontière suisse, près de Réchésy.

 

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Le groupement Gardy trempe son fanion dans les eaux du Rhin

L'ennemi, décontenancé, se ressaisit le 21 et oppose une résistance farouche qui va progressivement se circonscrire au quartier des casernes. Au cours des combats du 22, le lieutenant de Loisy, héros de la charge sur le Rhin, périra à bord du char " Austerlitz ", frappé par deux " Panzerfaust ".

Pendant que les combats de ruepoursuivent à Mulhouse, Wiese passe a la contre-attaque à Seppois et Réchésy avec une division " SS " et une brigade de chars " Panther " et " Jagdpanther " flambant neufs. Son intention est de franchir l'isthme étroit qui le sépare au sud de la frontière suisse, afin d'isoler la lre D.B., de lui couper les vivres et de l'acculer au Rhin. Du 22 au 26 novembre se livre un combat sans merci dont la 9e D.l.C. renforcée par la 5e D.B. sortiront victorieuses.

Désormais, les Français sont largement établis sur le Rhin, ainsi qu'à Mulhouse où le " C.C.2 ", après avoir conquis Altkirch le 21, se porte le 22 en appui du " C.C.3 ". La caserne Lefèbvre, dernier îlot de résistance tient jusqu'au 24, date à laquelle Mulhouse est déhnitivement libéré.

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Le 21/11/44, la bataille fait rage dans le quartier
des casernes à Mulhouse
Dans Mulhouse libéré, le sourire de l'Alsace retrouvé

 

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La 3éme D.I.A. progresse dans le secteur de Gérardmer

- La manoeuvre de Burnhaupt - Réduit à la lre D.M.I. et à la 3e D.l.A. Ie lle corps d'armée passe à l'offensive le 17 novembre. A la faveur de l'affaiblissement du dispositif défensif ennemi dans les Vosges, dépouillé de ses reserves pour parer à l'offensive du ler corps, de Monsabert entame sa progression. La 3e D.l.A. délivre Gérardmer le 19 et le Thillot le 26. La lre D.M.I. Iibère Giromagny le 22 s'empare du Ballon d'Alsace le 23 prend Masevaux et opère progressivement sa jonction avec la 2e D.l.M. au nord de Belfort. La journée du 20 novembre est endeuillée par la mort accidentelle du général Brosset au volant de sa " jeep ". Le colonel Garbay prendra sa suite le lendemain au commandement de la 1re D.M.I. Le même jour, la 2e D.l.M. est affectée au lle corps et passe sous le commandement de Monsabert.

 

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La 1ère D.B. en action à Burnhaupt

Le 23, de Lattre décide de tenter I'encerclement de la XlXe armée allemande. L'opération, connue sous le nom de"manoeuvre de Burnhaupt ", débute dès le 24. Hélas ! la lre D.M.I., appelée à combattre sur le front de I'Atlantique, sera progressivement regroupée sur Vesoul à partir du même jour, tandis que Garbay recoit ses étoiles de général. L'offensive, malgré un handicap certain, se poursuivra avec la plus grande détermination. La 2e D.l.M par l'ouest, les lre et 5e D.B. par I'est convergent vers Burnhaupt au prix de pertes sévères. La 9e D.l.C. et la 4e D.M.M entament leur progression par le nord et le nord-est. Le champ de bataille est truffé de nids de résistance implantéS dans des " blockhaus ", datant de la Grande Guerre, qu'il faudra réduire un par un. Quant à la 3e D.l.A., elle verra sa progression contrariée; bloquée au col de la Schlucht, elle ne pourra atteindre l'objectif de Colmar qu'elle s'était assignée. 

Au dernier assaut, Wiese, avec une habileté remarquable, parvient à sauver la XIXe armée allemande du désastre et à soustraire la majeure partie de ses troupes à l'encerclement dans la nuit du 27. Enhn, c'est à la 5e D.B. qu'échoit l'honneur de refermer la pince sur l'arrière garde du VXllle corps d'armée ennemi. Ainsi, le 28 novembre 1944, s'achève la bataille de la Haute-Alsace.

Après deux semaines de combats rageurs et obstinés, la Ire armée a chèrement payé sa victoire: 1 300 tués, 140 disparus, 4 500 blessés et 4 515 évacués pour gelures ou maladies.

Les pertes allemandes sont encore plus lourdes avec 10 000 tués et 17 000 prisonniers.

La prise et la garde de Strasbourg

En novembre 1944, le XVe corps d'armée américain, opérant sous les ordres du général Patton au sein de la llle armée américaine, rejoint la Vlle armée du général Patch et relève donc, au même titre que la Ire armée française, du Vle groupe d'armées commandé par le général Devers. Par voie de conséquence, la 2e D.B., qui dépend du XVe corps, va se trouver engagée en Basse-Alsace et Leclerc, associé à de Lattre sur le même théâtre.

- Strasbourg libéré - Le 13 novembre, le XVe corps passe à l'offensive dans la trouée de Saveme. La 79e D.l. perce la première ligne ennemie à Ancerviller et la 2e D.B., exploitant l'avantage, s'assure de Badonviller le 17 et de Cirey, le 19. Les allemands, débordés, se replient sur Phalsbourg, mais les blindés français les harcèlent et  s'emparent de Saverne le 22. Le 23, tandis que les Américains enlèvent Phalsbourg, avec des éléments français, Leclerc déploie sa division qui s'élance au petit matin en direction de Strasbourg. Le groupement Rouvillois, qui opère au nord, prohte d'une faille dans la ceinture défensive et débouche à 10 heures 30 dans la ville, totalement inoccupée, pour se porter aussitôt au pont de Kehl. La bataille des forts se poursuivra jusqu'au surlendemain et s'achèvera le 25, au fort Ney, par la capitulation du général von Vaterrodt, gouverneur militaire de la place.

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A strasbourg, place Kléber, deux enfants jouent à la guerre avec une mitrailleuse allemande abandonnée

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La libération de Strasbourg par la 2e D.B., qui coïncidait avec celle de Mulhouse par la Ire armée, portait un coup très dur à la " Wehrmacht ". Pour la seconde fois en quatre jours, des soldats français abordaient le Rhin. La ." charge de Strasbourg ", exaltée par la presse nationale, déclenchera un véritable hourvari médiatique dont les échos perdurent un demi siècle après. Alors que le panégyrique des Forces françaises libres se perpétue, les exploits de l'Armée d'Afrique, anormalement occultés à l'époque et depuis, dorment dans la paix des cimetières du Kef, de Venafro et de Sigolsheim.

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Le clocher de la Cathédrale de Strasbourg épargné

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  Chassé par l'aigle germanique, Hansi reprend du service à l'appel du coq gaulois

 - La poche de Colmar - A l'issue de la manœuvre victorieuse de Burnhaupt la Ire armée française campe sur ses positions. La progression du " C.C.3 le long du Rhin est interrompue à Ottmarsheim, tandis que le gros du ler corps s'établit le long de la Doller. Quant au lle corps, il se fixe en lisière est des Vosges. 

Pourquoi de Lattre n'a-t-il pas poussé au maximum ses avantages Pourquoi a-t-il subitement coupé l'élan de Béthouart qui s'apprêtait à fonce vers le nord pour barrer la retraite de I'ennemi sur le Rhin et rejoindre Leclerc, déjà rendu à Sélestat Pourquoi ne pas avoir porté l'estocade à la XIXe armée décimée, exsangue alors qu'elle amorçait son rapatriement vers l'Allemagne ?

Nombre d'officiers et d'experts s'interrogent encore sur cette attitude, estimant que l'Alsace pouvait être entièrement libérée dès fin novembre 1944 et, partant, que la formation de la poche de Colmar aurait été évitée. Leclerc et de Vernejoul se sont montrés particulièrement critiques envers de Lattre, alors que du Vigier et Gambiez estimeront que l'ennemi était encore trop solide pour permettre à la 1re armée de poursuivre au nord de la Doller et d'emporter rapidement la décision.

Selon une autre hypothèse, la prétendue évacuation de la XlXe armée pouvait être un piège. En effet, Himmler en personne viendra haranguer ses troupes et prendra le 6 décembre le commandement du secteur de Colmar. Dès lors, des renforts considérables vont être acheminés et la " Wehrmacht ", refusant l'affront d'être boutée hors d'Alsace par l'armée française, s'accrochera au terrain avec l'énergie du désespoir.

Le 15 décembre, Monsabert tente néanmoins une attaque sur Colmar. Privé de la lre D.M.I., provisoirement affectée au front de l'Atlantique, le lle corps, pratiquement réduit à la 3e D.l.A., s'est vu renforcer le 2 décembre par la 2e D.B. et la 36e D.l. américaines du général Dahlqvist. Pour la première fois depuis la Grande Guerre, une division américaine est placée sous commandement français. Dans le saillant d'Orbey, la tentative de Monsabert sera enrayée à six kilomètres de Colmar. Elle lui donnera cependant Kaysersberg, Ammerschwihr et Sigolsheim.

Alors que l'année 1944 touche à sa fin, I'activité opérationnelle consistera en d'incessantes missions de harcèlement sèchement repoussés, confirmant la formation, dans le périmètre de Belfort, d'une poche de résistance excessivement coriace.

- Strasbourg sauvegardé - A l'orée de l'année 1945, le terrible offensive de l'Ardenne semble définitivement contenue, mais elle a considérablement affaibli l'aile droite du front allié. Le Vle groupe de Devers, qui tient la Lorraine et l'Alsace, se trouve ainsi directement menacé dans l'éventualité d'une nouvelle initiative allemande. Inspiré par des impératifs strictement militaires et sans autre état d'âme, Eisenhower décide de faire évacuer Strasbourg dans la nuit du 4 au 5 janvier et ordonne aux unités du Bas-Rhin de se replier au pied des Vosges.

desvosgesaurhin P27Avisé tardivement, de Lattre est résolu à défendre Strasbourg coûte que coûte avec les moyens strictement français de la Ire armée. Il demeure cependant attentif à ne point rompre avec le haut commandement allié et entend agir, autant que faire se peut, en accord avec lui.

De Gaulle est tout aussi déterminé sinon plus, à sauvegarder la capitale de l'Alsace qui, outre l'aspect sentimental, représente pour la France un symbole historique et une dimension politique indéniables. Sans souci des formes, il menace, en représaille, d'interdire aux Anglo-Américains l'accès des ports et l'usage des chemins de fer français si l'ordre d'évacuation de Strasbourg n'est pas rapporté.

Le 2 janvier, Juin, qui connaît bien Eisenhower, se rend au siège du S.H.A.E.F., à Versailles, où il plaide magistralement et avec une grande fermeté le thèse stratégique. " Ike " qui tient en réelle estime le chef d'état-major général français, est ébranlé.

Averti à Londres de la " gaffe " américaine, Churchill décide sur le champ de rencontrer le chef suprême des forces alliées en Europe afin de le dissuader de mettre son plan en pratique. Parfaitement averti de la symbolique de Strasbourg, ancien de 14-18 par surcroît, le " Premier " britannique épouse étroitement la cause française. Alliant sa démarche psychologique anglo-saxonne et sa conception européenne du sujet, Churchill finit par convaincre Eisenhower et l'ordre d'évacuer Strasbourg est annulé.

Mais Strasbourg sauvé diplomatiquement doit encore l'être militairement. L'insigne honneur de garder Strasbourg à la France incombera à la 3e D.l.A. 

Cependant, averti du faux pas américain, I'Allemand se rue déjà à l'attaque. Sur ordre exprès du " Führer ". la "Wehrmacht " doit reprendre Strasbourg par tous les moyens. Déclenchée le 5 janvier, I'offensive ennemie est d'une rare violence et la Vlle armée américaine ploie momentanément sous le choc. Elle se voit contrainte de se replier au nord, le long de la frontière française, entre Bitche et Lauterbourg, ainsi qu'à l'est, sur la rive gauche du Rhin, entre Lauterbourg et Gambsheim.

La 3e D.l.A. se porte immédiatement en soutien et brise l'attaque ennemie dans le saillant de Gambsheim. Le 15 janvier, elle bloque définitivement la percée allemande vers Strasbourg sur le front de Kilstett à Weyersheim. Les troupes de Guillaume atteindront ce jour-là au sublime. Pour sa part, le Vle corps américain est refoulé au sud de la forêt de Haguenau, mais il parvient à se fixer sur la rive droite de la Moder, entre Wingen et Bischwiller, à partir du 20 janvier. Dès lors, il ne cédera plus un pouce de terrain et apportera sa valeureuse contribution à la défense de Strasbourg. Les assauts se multiplieront de part et d'autre avec un acharnement indescriptible jusqu'au 30 janvier. Alors que la pression française s'intensifie dans la poche de Colmar, I'ennemi finit par lâcher prise sur Gambsheim et sur la Moder.

Strasbourg, définitivement hors d'atteinte, est à jamais restitué à la France.

La victoire de Colmar

Avant même que s'achève la défense de Strasbourg, de Lattre décide de s'attaquer à la poche de Colmar. Il monte deux opérations convergentes, I'une partant du flanc sud (ler corps d'armée) et l'autre du flanc nord (lle corps d'armée) dont la jonction doit s'opérer à Neuf-Brisach. Un dispositif intermédiaire est chargé de fixer l'ennemi dans les Vosges et de talonner ses arrières en cas de repli. Aux Allemands qui disposent de huit divisions d'infanterie et d'une division blindée, de Lattre oppose initialement les six divisions d'infanterie et les trois divisions blindées de la Ire armée française, renforcées par deux divisions d'infanterie américaines. L'attaque sud précédera de trois jours celle du nord.

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Dans les rues d'Obernai, libéré par la 2ème D.B.
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Le "C.C.4", regroupé à Thann, s'apprète a combattre à Colmar

En décembre, plusieurs modifications sont intervenues dans le commandement français. Le ler corps de Béthouart comprend trois divisions d'infanterie et une division blindée: la 2e D.l.M. (Carpentier), la 4e D.M.M. (de Hesdin), la 9e D.l.C. (Morlière) et la Ire D.B. (Sudre). Sa mission est d'attaquer entre les Vosges et Mulhouse, sur l'axe Cernay-Ensisheim. Il doit s'emparer des passages de l'lll, d'Ensisheim à Meyenheim, afin d'ouvrir des débouchés aux blindés en direction de NeufBrisach.

Le lle corps de Monsabert se compose de quatre divisions d'infanterie et d'une division blindée: la Ire D.M.I. (Garbay), la 3e D.l.A. (Guillaume) la 3e D.l.U.S. (O'Daniel), la 28e D.I.U.S. (Cota) et la 5e D.B. (de Vernejoul). Il a pour mission de rompre la défense ennemie de part et d'autre de la forêt communale de Colmar suivant les deux directions de Guémar-Marckolsheim et Ostheim-Jebsheim, puis de poursuivre sur Neuf-Brisach. 

Entre le ler et le lle corps, le dispositif central est constitué par la 10e D.l. (Billotte). 
Dans la dernière phase de la bataille les 75e D.l.U.S. (Porter) et 12e D.B.U.S. (Allen) viendront s'ajouter aux 3e et 28e D.l.U.S. pour former le XXle C.A.U.S. (Milburn), intercalé entre le lle corps et la 10e D.l.

Le 20 janvier 1945, peu avant 8 heures, le ler corps débouche sur un front de trente kilomètres entre Mulhouse et les Vosges, précédé par une violente préparation d'artillerie. Au milieu des bourrasques de neige, l'infanterie française bouscule la première ligne ennemie au prix de sacrifices inouïs. Le lendemain, la température descend à 20 degrés au-dessous de zéro et les hommes endurent un véritable martyre. Des combats acharnés se déroulent dans le secteur des mines de potasse où l'ennemi est solidement retranché. Pendant dix jours, attaques et contre-attaques se succèdent sans discontinuer et le 1er corps demeure doué sur place.

Le 23 janvier, le lle corps passe à son tour à l'offensive. Il développe son attaque sur un couloir de seize kilomètres de large. entre la forêt de I'lllwald et Colmar. Jebsheim est pris le 28 janvier, le canal de Colmar est franchi le lendemain et Marckolsheim tombe le ler février. Hélas ! le lle corps, totalement épuisé, ne pourra passer à l'exploitation et sera relevé par le XXle C.A.U.S. et la 2e D.B. Dans la nuit du ler février, la 28e D.l.U.S. et la 5e D.B. attaquent conjointement Colmar. L'assaut débute le 2 à 7 heures et, après avoir contourné la caserne Lacarre, le "C.C.4" pénètre dans la ville. A 11 heures, il débouche sur la place Rapp. A 18 heures 30, Colmar est libre.

Tandis que l'évacuation ennemie commence, le ler corps reprend sa progression. Il libère Wittelsheim le 3 février, Cemay et Guebwiller le 4. Le 5 à Rouffach, la 4e D.M.M. et la 12e D.B.U.S. font leur jonction. La 3e D.l.U.S. s'empare de Neuf-Brisach le 6 et le 7, la Ire et la 2e-D.B. vont se rejoindre à Fessenheim. 
Le 9 février, enfin, le ler corps atteint le Rhin à Chalampé, sur les talons de l'ennemi qui vient de faire sauter le pont.

Epilogue

L'Alsace était restituée à la France par son armée, avec l'appui fraternel de l'armée américaine. Ainsi prenait fin l'une des plus grandes batailles de la Libération. De Lattre y devait tenir le plus brillant commandement de sa carrière. Avec sous ses ordres l'ensemble des forces terrestres françaises, Ire armée et 2e D.B. réunies, ainsi que le XXle corps d'armée américain, c'est une formidable machine de guerre de 400 000 hommes qu'il avait dirigée au combat et conduite à la victoire.

Hélas ! la bataille de Colmar avait été meurtrière. Pour 2 137 des nôtres, le sacrifice avait été total et il y avait eu 11 253 blessés. Mais les Allemands dénombraient dans leurs rangs des pertes autrement considérables: plus de 6 000 tués et 20 000 prisonniers. Leur XlXe armée était anéantie.

Au matin du 10 février 1945, le général de Lattre pouvait proclamer: " Au 21e jour d'une âpre bataille, au cours de laquelle les troupes américaines et françaises ont rivalisé d'ardeur et de ténacité, I'ennemi a été chassé de la plaine d'Alsace et a dû repasser le Rhin. Les forces alliées de la lre armée française bordent le fleuve sur toute l'étendue de leur secteur. Elles ont tenu la parole de Turenne: Il ne doit pas y avoir d'hommes de guerre au repos tant qu'il reste un Allemand en deça du Rhin."*

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La nouba de la 2ème D.I.M. défile dans Mulhouse

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Le "Half-track" Magenta veille toujours devant Cernay Unis dans la mort pour que vive la France

 

 

Georges BOSC

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