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La bataille de la Sîkak, 6 juillet 1836

Écrit par Michel Sapin-Lignières. Associe a la categorie La Conquête


Le 1er décembre 1835, le prince royal et le maréchal Clauzel attaquent le camp d'Abd el-Kader ;
l'émir fait sortir des montagnes ses partisans et engage une action très vive qui est repoussée.
DE BERNE-BELLECOURT d'après Théodore Jung 1898 • Aquarelle





I - Situation générale en Oranie au début de 1836

Si au début de 1836, la situation générale est partout médiocre, en Oranie, elle est bien moins que favo­rable. Depuis près de six ans, notre allié Mustafa ben Ismaïl, chef des Douairs et des Smélas est bloqué dans le Méchouar de Tlemcen. Depuis le 30 octobre 1835 une petite garnison française occupe l'île de Rachgoun en face de l'embouchure de la Tafna mais n'en peut sortir.
L'échec de la Macta du 28 juin 1835 hante tous les esprits.
Le 8 juillet 1835 le maréchal comte Clauzel est nommé « Gouver­neur général des Possessions Françaises dans le nord de l'Afrique » en remplacement du comte Drouet d'Erlon qui quitte Alger le 8 août, deux jours avant l'arrivée de son successeur. Sans doute, l'arrivée de Clauzel est-elle accueillie avec beaucoup d'espoir mais il reste à transformer cette espérance en certi­tude.

Les renforts qu'il a obtenus du gouvernement (11e et 17e de ligne, 2e léger) et qui arrivent au début de novembre permettent d'envisager ce que Clauzel considère comme essen­tiel tant pour le moral de nos troupes que pour accabler notre adversaire : l'occupation de Mascara, capitale d'Abd el-Kader.
Louis Philippe qui a dû com­prendre combien la cession de la Légion étrangère aux Christinos espagnols a porté un coup grave au moral des armées décide que son fils aîné, le duc d'Orléans va participer à cette expédition qui quitte Oran le 1er décembre. Sans grandes difficultés elle atteint Mascara le 6 décembre mais n'y trouve que ruines, incendies et les cadavres d'une partie de la population qui n'a pas voulu suivre Abd el-Kader dans sa fuite. Aussi n'est-il pas possible de se maintenir dans ces débris et Clauzel donne l'ordre du retour. Le mauvais temps, la pluie, le froid, la neige qui se sont mis de la partie transforment ce retour en une retraite d'autant plus dramatique que les survivants, des juifs de Mascara, accompagnent les Français.
Les officiers des Chasseurs d'Afrique descendent de leurs che­vaux pour y mettre qui un vieillard, qui une femme et son enfant. Même quelques Douaïrs en font autant. Malgré ses efforts et ses sacrifices, l'arrière-garde ne peut empêcher le massacre d'une partie de ces mal­heureux mais aussi celui des traî­nards et le 12 décembre la colonne rentre a Mostaganem et de là à Oran.
L'expédition de Clauzel à Mascara, à cause de sa retraite sans gloire, ne remplit aucun des buts qu'elle s'était fixés et des critiques, certes mal intentionnés n'hésitent pas à parler de « mascarade ». Toutefois, cette médiocre aventure a une consé­quence heureuse. El Hadj el Mzari, le neveu de Mustafa ben Ismaïl, se détache d'Abd el-Kader et rejoint les Français. Le 8 janvier 1836, Clauzel quitte Oran pour secourir Tlemcen qu'il atteint sans coup férir le 13 et, profitant de ce succès facile, fait mar­cher sur le camp d'Abd el-Kader situé près des sources de l'oued Saf-Saf deux brigades escortées de la totalité des goums et des Turcs d'Ibrahim bou Cherak.
Les réguliers d'Abd el-Kader qui protègent la fuite de leur émir sont taillés en pièces par les Douaïrs. Yusuf qui est venu seul d'Alger pour participer à cette affaire, poursuit Abd el-Kader, au grand galop sur plus de vingt kilomètres avec Richepanse et une cinquantaine de Douaïrs.
Plusieurs fois ils sont à deux pas de le prendre, mais celui-ci, mieux monté, réussit à leur échapper lais­sant sur le terrain soixante-dix de ses réguliers décapités par les goumiers. Son toug, emblème de commande­ment, reste entre les mains de Mustafa ben Ismaïl. Clauzel saisit l'occasion de son rapport au ministre pour recommander de n'avoir dans les régiments que « des hommes de bonne volonté et faits au climat ». Cette idée sera reprise par Bugeaud comme d'ailleurs la plupart de celles exprimées par Clauzel. Le maréchal décide de laisser à Tlemcen une gar­nison de quatorze officiers et cinq cent quarante cinq soldats dont il confie le commandement au capitaine Cavaignac.
Après une tentative infructueuse pour relier Tlemcen à Rachgoun le 25 janvier, il quitte Tlemcen le 7 février pour arriver à Oran le 12.
Le 22, dans une lettre au ministre il écrit ces propos prouvant sa connaissance du monde arabe : « Les Arabes nous disent toujours : si vous êtes assez forts, si vous nous protégez contre les cruautés d'Abd el-Kader, nous serons à vous mais si vous ne nous soutenez pas et que vous nous abandonniez à sa volonté et à sa fureur, force nous est de le suivre, de faire ce qu'il veut et de vous attaquer enfin ».

Avant de repartir pour Paris assis­ter à la session du Parlement dont il est député, Clauzel donne ordre au général d'Arlanges d'aller occuper l'embouchure de la Tafna et, de là, communiquer avec Tlemcen. Mais s'il parvient en effet à la Tafna, d'Arlanges n'en peut sortir, bloqué par les troupes d'Abd el-Kader et il est même blessé au cours d'une tentative pour donner de l'air à son camp retranché.
Sa situation devient rapidement critique et le général Rapatel, qui commande à Alger par intérim, doit télégraphiquement demander à Paris un important renfort pour le dégager et débloquer Tlemcen. Le gouverne­ment accepte d'assez mauvaise grâce ce qui lui est demandé mais en donne le commandement au général Bugeaud.




Il - La personnalité du général Bugeaud

Le maréchal de camp (général de brigade) Bugeaud de la Piconnerie, petit hobereau périgourdin qui arrive pour la première fois en Algérie à cin­quante-deux ans est un homme au passé chaotique.
Né le 15 octobre 1784, il s'engage comme vélite aux grenadiers à pied de la Garde impériale le 12 messidor an XII (1er juillet 1804), est présent à la bataille d'Austerlitz et sera officier en 1806. Il aura tout particulièrement à combattre en Espagne où il apprend à lutter contre les guérilleros.
Le général Antoine Noguès (1777-1853) écrit dans ses « Mémoires » : « Je vis le 14e de ligne, Bugeaud en tête, marchant vers Béziers son Aigle décapité et ses ailes enlacées d'un large ruban blanc. Il fut fait colonel. Lorsque Napoléon revint de l'île d'Elbe l'année suivante, Bugeaud s'empresse de jeter le drapeau blanc au feu ».
S'il est vrai que son ralliement aux Bourbons lui vaut le grade de colonel et la croix de Saint Louis, son retour vers Napoléon lui apporte la cravate de la Légion d'honneur. Mis en demi-solde le 11 novembre 1815 il reste à La Durantie, sa propriété jusqu'en 1830 quand, nouvelle volte-face, il proclame son attachement à Louis-Philippe qui le fait maréchal de camp (général de brigade) il est alors élu député de Perigueux. Mais de cela il faut en payer le prix et Bugeaud se voit contraint en 1833 d'accepter de devenir le geôlier de la duchesse de Berry et, puisqu'elle est enceinte, donner à la future naissance toute la publicité voulue pour que la duchesse soit déconsidérée aux yeux des légiti­mistes. Bugeaud réussit si bien dans cette mission que le roi lui accorde une gratification exceptionnelle de vingt mille francs. Un député de l'op­position, Dulong, ayant stigmatisé cette attitude, Bugeaud le provoque en duel et le tue.
En 1834 Bugeaud participe à la répression des émeutes (massacre de la rue Transnonain) et acquiert ainsi la haine des républicains comme il avait su gagner le mépris des légiti­mistes. Dans ses écrits, dans ses pro­pos, dans ses interventions à la Chambre, Bugeaud n'a jamais cessé de se montrer un farouche opposant à la présence de la France en Algérie, tout autant que le gouvernement d'alors et il ne perd pas une occasion de proclamer haut et fort que notre présence au sud de la Méditerranée est « une erreur trop lourde, trop chère et trop nuisible ». Malgré cette constante attitude, il accepte d'emblée la mission de prendre le commande­ment des régiments que le gouverne­ment se décide à envoyer au camp de la Tafna en 1836 pour débloquer cette place étroitement assiégée par les troupes d'Abd el-Kader. C'est alors que dans la vie de cet homme, dont on pouvait attendre le pire, se produisent deux faits remarquables :
-  Le premier, c'est son immédiate adaptation comme chef de guerre en Algérie. C'est en cela que la bataille de la Sikak dont nous faisons le récit a son importance dans l'histoire de l'Algérie. Elle est le début d'une série de phases victorieuses qui conduiront à la totale pacification.
-  Le second; qu'on pourrait appeler « miracle » s'il ne s'était renouvelé pour tous les commandants en chef ou gouverneurs qui se succéderont en Algérie, c'est que Bugeaud, conquis par sa conquête est devenu l'ardent défenseur d'une Algérie qu'il avait tant combattue et qui fera de lui l'un des plus éminents, sinon le premier des chefs civils ou militaires qui seront responsables du destin de l'Algérie jusqu'aux dernières années de son his­toire.

III - Les prémices de la bataille

Le 6 juin 1836 arrivent à la Tafna trois vaisseaux, Le Nestor, Le Scipion et le Ville de Marseille d'où débar­quent le général Bugeaud et trois régiments d'infanterie de ligne à deux bataillons : 23e, 24e, et 62e. Dès le 7, réunissant les chefs de corps, il leur déclare que s'il est nouveau en Afrique, il a l'expérience de la guerre d'Espagne et de la façon de lutter contre un ennemi très semblable à celui qu'il doit affronter aujourd'hui et que, en conséquence, il veut des colonnes sans artillerie, sans bagages inutiles et sans chariots ni charrettes, en allégeant le soldat le plus possible grâce à des animaux de bât. Bugeaud est du type timide-orgueilleux. S'il se montre familier voire même compatissant avec les hommes de troupe, il a avec les offi­ciers une attitude bien différente et ne tolère pas la moindre critique, voire même de simples remarques de la part de ceux dont, au fond, il redoute le jugement. Il ne lui faut que six jours pour réorganiser le camp, l'approvi­sionner en vivres et en munitions et en confier la garde au chef de bataillon du génie Perrault qui dispo­sera du 1er bataillon d'infanterie légè­re d'Afrique et des compagnies d'éclopés ou de malingres prélevées dans chacun des régiments. Il dispo­se donc, outre les trois régiments arri­vant de France, d'un bataillon du 47e de ligne et des deux bataillons du 17e d'infanterie légère.
Six jours pendant lesquels, envi­sageant toutes les hypothèses pos­sibles d'une rencontre qu'il veut décisive avec Abd el-Kader, il décide enfin de marcher d'abord sur Oran, ce qui doit lui permettre de jauger la qua­lité de ses troupes et de compléter sa trop faible cavalerie. Parti de la Tafna le 11 à la nuit, il arrive à Oran le 16 non sans avoir connu quelques diffi­cultés qui éclairent son jugement sur ses troupes et ses adversaires. Abd el-Kader est persuadé que Bugeaud va prendre le chemin de Tlemcen et a en conséquence disposé ses troupes sur un terrain qui lui paraît favorable. Quand il se rend compte de son erreur il lance sa cavalerie à sa pour­suite. Elle le rejoint le 12 juin vers 9 heures du matin mais elle est mise en fuite par une vigoureuse charge de Mustafa ben Ismaïl à la tête de son goum. De ce rude accrochage, Bugeaud rend compte au ministre de la guerre en ces termes :
« Mustafa, chef des auxiliaires, a parfaitement saisi l'occasion et fait une très belle charge. Il m'a rapporté un certain nombre de têtes. Ce spectacle me fait horreur, mais je n'ai pu malgré cela m'empêcher de féliciter ses guerriers pour leur intrépidité et de donner quelque argent aux simples soldats qui avaient abattu des enne­mis. »
Cette marche, si elle avait montré la bravoure de nos troupes avait révé­lé son incapacité à supporter les fatigues. On avait noté des sacs et même des armes abandonnés ainsi que quelques cas de suicide. Bugeaud attribue ces défaillances aux insuffisances des cadres et écrit au ministre de la Guerre : « // faut pour commander les régiments, les bataillons et les escadrons en Afrique, des hommes vigoureuse­ment trempés au physique et au moral. Les colonels et les chefs de bataillon un peu âgés chez qui la vigueur d'esprit et de cœur ne sou­tient pas les forces physiques devraient être rappelés en France, leur présence ici est beaucoup plus nuisible qu'utile »
Le 19 juin Bugeaud repart d'Oran avec un fort convoi de ravitaillement pour Tlemcen. Il a en outre renforcé ses troupes des cinq escadrons du 2e régiment de chasseurs d'Afrique et porté à six cents l'effectif de ses goumiers. Le 24 se livre un combat près des rives de l'oued Saf-Saf, combat de cavalerie dans lequel Mustafa ben Ismaïl a la part belle en chargeant dans le flanc des réguliers d'Abd el-Kader, les obligeant à la fuite et la colonne, sans autre incident, parvient à Tlemcen où l'attend le capitaine Cavaignac isolé dans le Méchouar. Rendant compte de cette phase de sa mission, Bugeaud après s'être plaint une fois encore du manque d'ardeur de la plupart des officiers, surtout ceux du 24e de ligne, ajoute : « quelques jeunes gens se sont dis­tingués en Afrique ; si vous conservez cette fâcheuse conquête, il faut les avancer et leur donner le com­mandement des régiments d'abord, des colonnes plus tard ».

Bugeaud se rend compte que Tlemcen ne dispose d'aucune res­source pour la garnison. Si Cavaignac a pu résister, c'est grâce aux richesses de son imagination et aux habiletés de ses bat'd'Af. Il décide donc de retourner à la Tafna pour apporter à Tlemcen un nouveau convoi de ravitaillement et il repart le 26 après avoir troqué ses éclopés contre les zéphyrs de Cavaignac.
Une fois encore Bugeaud réussit à tromper Abd el-Kader sur ses inten­tions, car au lieu de s'engager dans les gorges de l'oued Isser comme l'avait tenté en vain le maréchal Clauzel, il fait une brusque conversion à droite, grimpe sur le djebel Sbaa Chioukh d'où il descend le 29 juin sur le camp de la Tafna sans rencontrer d'ennemis.
Aussitôt il organise un nouveau convoi pour Tlemcen et remplace par un bataillon du 47e le bataillon d'in­fanterie légère d'Afrique qui va l'ac­compagner. C'est dans cette marche Tafna-Tlemcen que Bugeaud rencon­trera enfin Abd el-Kader mais sur le terrain qu'il a choisi et non pas sur celui de l'adversaire.

IV - La bataille de la Sikak

Abd el-Kader enrage d'avoir été par deux fois berné alors qu'il a une haute opinion de ses talents de tacti­cien. De surcroît il doit se venger de l'affront de Mascara et de sa fuite de Saf-Saf. Des dérobades de Bugeaud il conclut que celui-ci n'a pas confian­ce dans l'issue d'un combat avec lui et qu'il ne veut que ravitailler Tlemcen sans avoir à se mesurer à lui, aussi divise-t-il ses troupes en deux corps qui devront prendre les Français en tête et en queue quand ils seront dans les gorges de l'oued Isser. Et pourtant Bugeaud va le tromper une nouvelle fois en reprenant à l'inverse le même itinéraire que celui qui lui a réussi le 28 juin. Derrière une forte avant-garde que commande le colo­nel Combes, il quitte le camp de la Tafna le 4 juillet au soir en suivant la rive droite de la Tafna mais, après une vingtaine de kilomètres, il oblique brusquement à gauche sous le lieu-dit la « Pierre du Chat », grimpe sur le djebel Sbaa Chioukh par une forte pente qui en quelques kilomètres va des cotes 50 à 575, atteint le col et descend sur l'oued Isser où il va cam­per le 5 au soir, à environ trois kilo­mètres à l'est du confluent de l'oued Isser qui coule sensiblement nord-est sud-ouest avec l'oued Sikak qui, au contraire, venant des environs de Tlemcen, (où il porte le nom d'oued Safsaf) coule sud-est nord-ouest. Les rives de ces deux oueds sont bor­dées de falaises abruptes qu'on ne peut franchir que par de rares cou­pures et par des gués.
Ce même soir du 5 juillet, Abd el-Kader campe sur la rive gauche de l'oued Isser cependant qu'un fort parti de cavalerie sous les ordres de Ben Nouna campe aussi sur la rive gauche de l'oued Isser mais à quatre kilomètres à l'est du camp de Bugeaud qui comprend la manœuvre dirigée contre sa colonne. Elle sera attaquée de flanc par les réguliers de l'Emir et sur ses arrières par la cava­lerie de Ben Nouna. Il peut donc à son tour monter sa propre manœuvre d'où découle l'ordre du jour qu'il fait lire à la troupe : « Vous serez atta­qués demain dans votre marche. Vous saurez un temps souffrir des insultes de l'ennemi et vous vous bor­nerez à le contenir mais dès que je pourrai jeter le convoi dans Tlemcen, vous prendrez votre revanche, vous marcherez à lui et vous le précipiterez dans les ravins de l'Isser, de la Sikak ou de la Tafna ».
Le 6, à trois heures du matin, la colonne Bugeaud s'ébranle pour venir passer la Sikak à gué mais avant que cette opération ne soit terminée elle voit apparaître sur ses arrières la cavalerie de Ben Nouna. Contre elle Bugeaud détache les Douaïrs de Mustafa ben Ismaïl, un escadron de chasseurs d'Afrique et un bataillon du 24e de ligne avec pour mission de contenir cette cavalerie si possible à l'est de la coupure du Chabet Slimane puis, derrière cette flanc-garde et sur la rive droite de la Sikak il place le bataillon d'Afrique et un bataillon du 24e de ligne avec les quatre esca­drons de chasseurs d'Afrique.
Le convoi progresse encadré à l'avant-garde par deux bataillons du 23e, à l'arrière-garde par deux bataillons du 62e, à droite par deux bataillons du 17e et un du 47e et enfin à gauche par les Coulouglis de Tlemcen.
A peine le convoi a-t-il achevé sa traversée de l'oued Sikak que l'on voit apparaître sur le plateau, à l'ouest de l'oued Timehaït la cavalerie d'Abd el-Kader flanquée à sa gauche d'un fort contingent de fantassins kabyles der­rière lesquels s'avancent les réguliers de l'émir. Bugeaud modifie en consé­quence son dispositif, rappelle sur la rive gauche son arrière-garde, fait encadrer le convoi par deux lignes obliques d'infanterie, à droite deux bataillons du 23e et un demi-bataillon de bat'd'Af, à gauche deux bataillons du 62e, deux du 24e et l'autre demi-bataillon de l'infanterie légère d'Afrique. Le convoi est en outre sous la protection du capitaine Cavaignac et de ses Coulouglis.
A l'ouest de cette formation en triangle il place deux bataillons du 17e et un du 42e avec entre eux les cinq escadrons de chasseurs d'Afrique en colonne d'escadrons. Ils s'avancent et, s'ouvrant en éventail, font une pre­mière charge à fond qui ébranle la cavalerie d'Abd el-Kader mais tirés de flanc par les fantassins kabyles, ils doivent rétrograder et se reformer derrière les deux obusiers de mon­tagne.
Voici les Français parvenus  à la phase ultime de cette bataille. Soutenus par deux bataillons, les chasseurs d'Afrique chargent à nou­veau, enfoncent les cavaliers d'Abd el- Kader et les obligent à une fuite sans gloire. Les fantassins kabyles abordés par un bataillon du 17e, un escadron de chasseurs d'Afrique et une partie des Douaïrs rendus furieux par la blessure de leur chef qui vient d'avoir le poignet brisé par une balle, sont dispersés vers les falaises de l'oued Isser. Restent les réguliers, environ mille cinq cents hommes qui, canonnés par les deux obusiers, atta­qués de face à la baïonnette par deux bataillons (un du 17e et un du 47e) et sabrés sur leur flanc droit par les Douaïrs ne peuvent que s'enfuir vers les falaises de l'oued Isser et là n'ont d'autre ressource que de se jeter en as des falaises ou de tomber sous les yatagans des Douaïrs.
Le général Bugeaud réussit à arrêter le massacre et à sauver la vie à 130 réguliers qui seront transférés en France comme prisonniers.
Témoins de l'issue du combat, les cavaliers de Ben Nouna n'essayent que très faiblement de traverser la Sikak dont la rive gauche reste tenue par deux bataillons du 62e et le demi-bataillon de zéphyrs. A 8 heures le combat est terminé. Cette bataille qui coûte aux Français environ quinze tués et trente cinq blessés est pour Abd el-Kader une catastrophe. Près de mille de ses partisans restent sur le terrain avec sept cents fusils et six drapeaux. Pour bien montrer qu'il est le vainqueur, Bugeaud décide de camper sur le terrain. Le lendemain seulement il conduit sa colonne à Tlemcen où il est accueilli par des cris de joie et des salves d'honneur. Reprenant la route d'Oran, Bugeaud y arrive le 19. Il transmet le commande­ment au général Létang qui a rempla­cé le général d'Arlanges et embarque pour Alger d'abord, puis pour la France avec la troisième étoile que lui vaut cette brillante victoire.

Michel SAPIN-LIGNIÈRES

In « l’Algérianiste » N° 58

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