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La prise de la Smalah

Écrit par Anonyme. Associe a la categorie La Conquête

LA PRISE DE LA SMALAH

 

Taguine, février 1959

Dans la région de Taguine il existe plusieurs versions, venant de traditions orales, mais qui ne s’étayent sur aucune base solide, la plupart du temps d’ailleurs, très déformées par l’imagination des conteurs. Certains font même voir la tranchée des Français, alors qu’il est prouvé que le Duc d’Aumale a attaqué séance tenante. Bien sûr, aucune tradition orale n’est complètement fausse, et il est certain que Taguine, ayant été une étape lors des expéditions de Laghouat de mai 1844 et des suivantes, des troupes ont entouré leur bivouac d’une tranchée, le vieux fort turc sommairement réparé n’abritant que la garnison fixe.

De plus les méganis avaient fui à l’approche de la Smalah que tous redoutaient.

Il faut donc se reporter aux manuscrits de l’époque pour avoir un récit exact, et une Notice sur l’expédition, Notice très rare, puisque déjà en 1915 M. Limbourg écrivait dans « LE DUC D’AUMALE ET SA TROISIEME CAMPAGNE D’AFRIQUE  » : «  Cette notice est aujourd’hui très rare; c’est un petit in-octavo de dix-neuf pages, imprimé chez Vinchon, imprimeur des musées royaux intitulé :
- Notice sur l’expédition qui s’est terminée par la prise de la Smalah d’Abd El Kader le 16 mai 1843. C’est assurément la relation la plus exacte, la plus complète de l’expédition. »

D’après les croquis inclus dans cette notice, le Bordj actuel de la S.A.S. doit se trouver sensiblement à l’emplacement de l’ancien Fort Turc, et le Village occupe une partie de l’emplacement de la Smalah. 

COPIE SUR UN VIEUX LIVRE D’EPOQUE,

EXEMPLAIRE AYANT APPARTENU AU GENERAL LECHESNE,

alors Sous-Lieutenant à l’expédition de LAGHOUAT.

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Première page : EXPEDITION DE LAGHOUAT

Dirigée en mai 1844 par le Général MAREY

Commandant la Subdivision de TITTERI. 

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ALGER, Typographe Bastide, Place Royale , 1845

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Inséré dans le livre : 

NOTICE SUR L’EXPEDITION QUI S’EST TERMINEE PAR LA

PRISE DE LA SMALAH D’Abd El Kader LE 16 MAI 1843.

Prix 25 centimes VINCHON, Imprimeur
des Musées Royaux.
Rue J.J. Rousseau, 8.

smalahL’hiver de 1842-1843 avait été activement et utilement employé par l’Armée d’Afrique. L’insurrection qui, six mois après la soumission générale, avait éclaté dans la province l’Oran et dans tout l’Ouest de la province d’Alger, était comprimée par l’habileté du chef, l’énergie de nos troupes et la rapidité de nos mouvements. Au printemps, le Gouverneur Général était en mesure de reprendre contre l’émir et les tribus restées fidèles à sa cause, une offensive large et décisive.

Pour arriver à éteindre les derniers foyers de l’hostilité à la FRANCE, il fallait donner aux opérations que l’on allait entreprendre deux formes bien distinctes: Il fallait disputer pied à pied d’âpres montagnes aux intrépides et farouches Kabyles; il fallait poursuivre dans les plaines immenses des tribus nomades qui se groupaient autour du douar d’Abd El Kader. Ténès occupé, Orléansville fondé, permettaient d’agir avec persévérance dans l’Ouaransenis et le Dahra. La création des postes de Boghar, Teniet el Had et Tiaret, donnait une excellente base d’opérations aux colonnes qui devaient sillonner le petit désert.

Cette dernière mission avait été donnée aux troupes parties de Mascara, sous les ordres du Lieutenant-Général de Lamoricière, et de Médéa, sous les ordres de S.A.R. le Duc d’Aumale, Maréchal de Camp.

Le prince était rentré à Médéa le premier mai, après avoir parcouru la province du Titteri, où régnait une tranquillité absolue. Il y avait trouvé des renforts et des instructions.

Les troupes mises à sa disposition se composaient, déduction faite des détachements laissés à Médéa et à Boghar de :

Infanterie

1300 Baïonnettes aux ordres du Lieutenant-Colonel Chadeyssou, du 64ème.

1 Bataillon du 33ème de ligne : Commandant de Monet

1 Bataillon du 64ème de ligne : Commandant d’Aurelle

1 Bataillon de Zouaves : Commandant de Garderens, Lieutenant-Colonel de Chasseloup.

Cavalerie

600 chevaux aux ordres du colonel Yusuf des Spahis

Aux ordres du Lieutenant-Colonel Morris du 4ème Chasseurs :

1 détachement de Gendarmes

1 détachement du 1er Chasseurs d’Afrique

2 escadrons du 4ème Chasseurs d’Afrique

aux ordres du Chef d’Escadrons d’Allonville : 3 escadrons de Spahis.

Artillerie

Une section de montagne : deux bouches à feu.

Le 10 mai, la colonne ainsi composée, quittait Boghar. Des approvision-nements considérables avaient été concentrés sur ce point et la parfaite soumission de la province avait permis d’y réunir, sur réquisition, huit cents chameaux et mulets qui portaient vingt jours de vivres et vingt jours d’orge. Cette dernière précaution était essentielle pour assurer le succès de l’opération. Chaque bête de somme portait en sus de sa charge, deux outres qui devaient servir au besoin au transport de l’eau.

Voici maintenant quel était le sens des instructions adressées au Prince par le Lieutenant-Général Changarnier, Commandant la Division.

Il devait commencer le cinq mai une opération dont le but principal était la poursuite et la prise de la smalah d’Abd El Kader. Sa colonne et celle partant de Mascara, sous les ordres de Mr le Général de Lamoricière, devaient seules concourir à l’opération. La plus grande prudence lui était recommandée. Amar Ben Ferrath, Agha des Ouled Aïad, était mis à sa disposition.

Mais par une seconde dépêche, il avait été informé qu’Abd El Kader venait de faire une invasion dans les environs de Mascara, pendant que le Général de Lamoricière était vers Tiaret, et qu’il avait enlevé les Hachems-Garabas; qu’en conséquence, le Général de Lamoricière ne devait plus coopérer à la poursuite de la Smalah.

La même dépêche prescrivait au prince d’agir pour son propre compte et le plus tôt possible. Il n’était plus limité à la date du cinq mai, mais il devait considérer, outre le but principal, son mouvement comme une diversion favorable au Général de Lamoricière.

Ainsi, le duc d’Aumale ne devait plus compter sur le concours de la division d’Oran ; la colonne sous ses ordres devait agir seule dans les vastes plaines de Ser-Sous. Elle ne devait y trouver que des ennemis, car les démarches faites pour sonder les dispositions des nomades, ou les rallier à notre cause, n’avaient pas eu de résultat. La plupart des tribus étaient franchement hostiles ; quelques-unes attendaient l’événement pour se prononcer, mais l’effroi que causait la présence d’Abd El Kader n’aurait permis à aucune de refuser le passage à son immense Smalah.

Nous n’avions pour nous renseigner, que l’Agha des Ouled Aïad, Amar ben Ferrath, homme brave, dévoué, mais pauvre et partant, mal servi, quelques cavaliers qui le suivaient et une trentaine de Bou-Aïch, gens peu sûrs, vrais forbans du désert, mais pourtant assez compromis dans notre cause parce qu’ils avaient pris part à quelques-unes de nos razzias. Les autres cavaliers irréguliers qui accompagnaient la colonne connaissaient fort peu le pays. Du reste, pendant toute la campagne, tout notre goum fut d’accord pour tâcher de nous faire éviter toute rencontre avec la terrible Smalah et pour nous entraîner à des razzias, tantôt sur les Ouled Naïls, tantôt sur les Ouled Bessen, Ben Naïda, etc.. Mais le prince résista toujours à leurs insinuations. Il ne voulut pas, par des opérations secondaires, fatiguer les chevaux et réveiller encore l’inquiète vigilance de l’ennemi. Il se réservait, s’il manquait le but principal, de tenter ces coups de main au retour, lorsque les mêmes précautions ne seraient plus nécessaires.

Voilà ce qu’il avait appris sur la position de l’ennemi et le plan de campagne qu’il avait adopté.

Gousilah est à peu près au centre d’un pâté de montagnes boisées où il y a de l’eau et quelques cultures. C’est là que la Smalah avait passé l’hiver, se fractionnant, changeant souvent de place, mais ne s’écartant jamais que fort peu du Ksar où Abd El Kader avait fait un dépôt d’armes et de grain. C’est encore dans ces mêmes parages que les derniers renseignements situaient la Smalah. Mais il était probable qu’elle allait le quitter. Quelle direction prendrait-elle dans sa fuite ? La première de nos colonnes dans l’Ouaransenis ne permettait pas de croire qu’elle chercherait refuge de ce côté; vers l’Ouest, elle pouvait s’enfoncer dans le pays des Harars ; au côté du Sud elle pouvait gagner le Djebel Amour; au côté de l’Est, le pays des Ouled Naïls.

Lorsqu’il semblait positif que la division de Mascara devait poursuivre le même but que la colonne de Médéa, le Prince avait eu le projet de se diriger immédiatement sur Taguine. Là en effet, il fermait à la Smalah la route de l’Est et il était en mesure de la poursuivre si elle s’enfonçait dans le Sud. Mais ayant été prévenu que la défection des Hachems retiendrait sans doute le Général de Lamoricière dans le Tell, et qu’il devait se considérer comme seul chargé d’opérer dans le désert, son plan dût changer et il en adopta un fort simple, qui seul paraissait avoir quelques chances de succès.

Atteindre Gousilah le plus promptement possible, en évitant les lieux momentanément occupés par les tribus, et en tâchant de dérober à l’ennemi la direction de notre marche. Arrivés là, se procurer des renseignements, suivre la trace de la Smalah qui ne pouvait pas avoir beaucoup d’avance, et tâcher de gagner de vitesse.

Nous partîmes donc le 10. Le Duc d’Aumale était décidé à tout faire pour atteindre le but qui lui était proposé. Mais peu d’entre nous pensaient qu’il pût y réussir. La Smalah nous semblait une sorte de mythe, un fantôme insaisissable. Cependant nous espérions. Au moins comptions-nous faire une diversion utile, une expédition avantageuse.

Le 13, nous vînmes nous établir à Roucheiga, sur un joli cours d’eau, à l’abri d’une montagne boisée qui nous masquait complètement. Une petite vallée étroite, constamment encaissée et comme enterrée dans ces plaines arides nous y avait conduits.

Au fond de ce ravin coule un petit ruisseau, l’Oued Belboda, et cette eau précieuse y entretient une herbe abondante qui ne permettait pas à l’ennemi d’apercevoir, sur nos traces ces tourbillons de poussière si perfides dans les marches qui veulent être secrètes.

Toutes les mesures étaient prises pour dérouter l’espionnage et tromper l’ennemi sur le but de la mission qui avait été confiée à la colonne de Médéa.

Après une marche de nuit de neuf heures, le 14 à la pointe du jour, nous arrivions au pied d’une montagne pierreuse et escarpée que domine le petit village de Gousilah. Deux compagnies de Zouaves le surprirent facilement et nous ramenèrent quelques habitants. L’Oukil d’Abd El Kader était venu la veille de la Smalah. Il l’avait laissée à Oussek ou Rekaïa, à environ quinze lieues dans le Sud-Ouest.

C’est dans cette dernière direction que la colonne se remit en route dans la nuit du 14 au 15, et une heure après midi, nous étions arrivés à l’extrémité sud du groupe de montagnes boisées qui entoure Gousilah, et à la dernière source, Aïn El Gueltyn. Avant de quitter cette eau si précieuse, il convenait d’avoir des renseignements. Les éclaireurs arabes repartirent ( le seul service que nous ait rendu le Goum, étant celui de ménager notre cavalerie et de lui épargner les reconnaissances ) et ils ne tardèrent pas à nous ramener un petit nègre qu’ils avaient trouvé dans le bois.

Cet enfant appartenait à la tribu des Harars. Il avait été pris avec son père dans une razzia de l’émir et venait de s’échapper de la smalah. Il s’exprimait avec une lucidité si remarquable et répondait avec tant de suite dans toutes les questions qu’on lui adressait, sans se troubler, sans se couper, que le prince fut bientôt convaincu de sa sincérité. Quant à son père, nous ne pûmes tirer de lui que ces paroles :  «  Ah! Oh! vous pouvez vous en aller! ».

Du reste, voici ce que disait l’enfant :

« Après sa pointe dans la plaine d’Egris, Abd El Kader était venu à la smalah, chercher son  bataillon régulier et son canon afin d’empêcher les Harars de se joindre à Monsieur de Lamoricière. Il était arrivé trop tard. Une partie des Harars s’était enfoncée dans l’Ouest, l’autre avait fait sa soumission. Il ramena son infanterie à son douar, et donna l’ordre à sa smalah de gagner le Djebel-Amour, afin d’y manger les grains déjà mûrs dans cette saison, que renferme cette montagne; enfin surtout d’échapper à la poursuite de la division de Mascara. C’était le 14 au soir que le camp ennemi avait quitté Oussek ou Rekaïa, se dirigeant vers la source de Taguine où l’on devait se reposer. L’émir était resté avec vingt-cinq chevaux pour observer les mouvements de Monsieur de Lamoricière, la plus grande partie de sa cavalerie étant occupée ailleurs. Ben-Allah était dans l’Ouransenis avec son bataillon régulier et quelques cavaliers des Hachems. »

D’un autre côté, nos éclaireurs avaient aperçu la Division de Monsieur de Lamoricière dans la direction du Sud-Ouest. Ce renseignement confirmait le récit de l’enfant. La Division de Mascara avait donc pu quitter le Tell, et sa présence avait décidé ce brusque mouvement de la Smalah qui ne nous craignait plus et nous croyait rentrés à Boghar. Le Prince n’avait qu’un parti à prendre : C’était de gagner aussitôt Taguine, soit pour y atteindre la Smalah si elle y était encore, soit pour lui fermer la route de l’Est et la rejeter forcément sur le Djebel Amour où, prise entre les deux colonnes de Mascara et de Médéa, il lui aurait été difficile de s’échapper; car dans ces vastes plaines où l’eau est si rare, les routes sont toutes tracées par les sources si précieuses qu’on y rencontre de loin en loin.

Ce plan était simple mais pour oser l’adopter il fallait une grande confiance dans le dévouement des officiers et des soldats. Il fallait franchir d’une seule traite un espace de plus de vingt lieues où l’on ne rencontrait pas une goutte d’eau. Le Prince compta sur l’énergie des troupes. L’épreuve qu’il en a faite a montré qu’il ne s’était pas trompé.

Il subdivisa la colonne en deux, l’une essentiellement mobile composée de la Cavalerie, de l’Artillerie et des Zouaves auxquels il avait attaché cent cinquante mulets pour porter les sacs et les hommes fatigués, l’autre composée de deux bataillons d’Infanterie et de cinquante chevaux devait escorter le convoi sous les ordres du Lieutenant-Colonel Chadeyssou.

Après une halte de trois heures, les deux colonnes partirent ensemble, conduites chacune par des guides sûrs. Le rendez-vous était à Ras El Aïn Mta Taguin.

La nuit fut pénible ; le vent du désert, le terrible simoun soufflant avec violence, soulevait une poussière épaisse qui rendait encore plus cruelle la privation de l’eau. L’inquiétude doublait nos fatigues. Les fantassins surtout souffrirent beaucoup et avec un courage admirable. On ne sait vraiment ce qu’on peut exiger de pareils hommes qu’après l’avoir obtenu.

Le Duc d’Aumale était parti avec la colonne légère. Le 16, au point du jour, on vint le prévenir que la smalah était fort près de lui. On assurait avoir vu ses feux. Comme il se croyait fort près de Taguine, et que ces renseignements étaient donnés avec beaucoup d’assurance, le Prince partit au trot avec la cavalerie, laissant en arrière le Lieutenant-Colonel Chasseloup avec les zouaves et l’artillerie. Des guides devaient les conduire au rendez-vous commun.

Après deux ou trois heures de marche rapide, au trot et au pas, le Prince s’aperçut qu’on nous avait entraînés tout à fait en dehors de la direction. Effectivement, nous allions à l’Oued Beda, dont nous étions encore fort loin, et nous étions conduits par deux traînards de l’Infanterie régulière. On sut depuis, qu’effectivement l’agha Abd El Bakir était là avec une vingtaine de douars. Mais quand bien même toute la smalah y eut été, le Prince ne pouvait, sans une grave imprudence, s’éloigner du rendez-vous indiqué et s’engager dans une poursuite qui pouvait être longue, avant d’avoir réuni toute la colonne. Il reprit donc la direction de Taguine.

C’est entre dix et onze heures du matin, lorsqu’il avait déjà perdu l’espoir de rencontrer l’ennemi, lorsqu’il était uniquement préoccupé d’arriver à cette source de Taguine qui semblait fuir devant nous, que l’agha des Ouled-Aïad, Ahmar ben Ferrath, vint l’informer de la présence inattendue de la smalah sur cette même source dont la possession ne devait pas être le moindre prix de la victoire.

Amar et ses cavaliers, effrayés de notre petit nombre et de la grande masse de nos ennemis, se jettent alors aux genoux du Duc d’Aumale et le supplient d’attendre son infanterie, lui représentant que malgré leur énergie, les zouaves ne pouvaient pas arriver avant deux heures. Cependant une demi-heure de retard aurait suffi pour que les femmes et les troupeaux fussent hors de notre portée et pour que les nombreux combattants de cette ville de tentes eussent eu le temps de se rallier et de s’entendre. Alors tout eût été compromis. Aussi le Prince n’hésita pas un instant : « Jamais, s’écria-t-il, jamais personne de ma race n’a reculé ! » et immédiatement il prit ses dispositions pour l’attaque.

Un mot sur l’ennemi que nous avions devant nous :

Lorsque qu’Abd El Kader avait vu tous ses établissements fixes successivement envahis et détruits par nos soldats, pressé entre le désert et nos colonnes, il avait compris que pour sauver les plus précieux débris de sa puissance, il ne lui restait plus qu’un moyen : C’était de les rendre mobiles, comme les tribus les plus mobiles, et de dérober à nos armes par la fuite ce qu’il ne pouvait leur disputer par le combat.

Il organisa donc la smalah. Ce n’était pas seulement la réunion de quelques serviteurs fidèles autour de la famille et des trésors d’un Chef ; c’était une capitale ambulante, un centre d’où partaient tous les ordres, où se traitaient toutes les affaires importantes, où toutes les grandes familles trouvaient un refuge sans pouvoir échapper ensuite à l’inquiète surveillance qui les y retenait. Et autour de ces grandes familles se regroupaient des populations immenses qui les entouraient comme d’un rempart vivant, des tribus du désert qui les guidaient et les protégeaient au milieu de ces vastes plaines. Incapables d’agir seuls, ces éléments hétérogènes obéissant à une seule impulsion, présentaient dans leur ensemble une masse compacte et imposante à tous les yeux. Une fois incorporées à cette immense émigration, les tribus ne pouvaient guère la quitter et constituaient elles-mêmes, pour ainsi dire, la force qui les maintenait dans l’obéissance. La solution de ce problème n’était pas une des moindres oeuvres du génie de notre infatigable ennemi.

Le campement de cette population nomade en fait connaître parfaitement l’organisation : Il était toujours le même, toujours régulier - sauf les obstacles invincibles opposés par le terrain - et se composait de quatre enceintes circulaires et concentriques où chaque douar, chaque famille, chaque individu avait sa place fixe et marquée, suivant son rang, son utilité, ses fonctions ou la confiance qu’il inspirait.

La smalah arrivant à son gite, la tente de l’émir se dressait au centre du terrain que le camp devait couvrir. Elle était immédiatement entourée des tentes des serviteurs intimes et des principaux parents d’Abd El Kader qui composaient la première enceinte...........................................................................................................5 douars

La seconde comprenait les douars du Kalifa Ben Allal et de ses parents, ceux de l’Infanterie régulière et de quelques chefs importants...................................10 douars

La troisième était absolument formée par les Hachems Cherragas et par les Hachems Carabas qui dans les premiers temps, se trouvaient peu nombreux, mais qui au moment de la prise de la smalah l’étaient beaucoup plus, parce que l’émir venait de les enlever à peu près tous dans la plaine d’Eghrias..................207 douars

La quatrième enceinte, plus ou moins rapprochée des enceintes principales, suivant les difficultés du terrain, l’eau, les bois ou les pâturages était formée par sept tribus nomades qui, nous l’avons déjà dit, servaient à la smalah de guides et de protection dans le désert..............................................................................................146 douars

TOTAL : 368 douars de quinze à vingt tentes chacun.

On peut évaluer à vingt mille âmes la population de cette ville errante et à cinq mille , le nombre de combattants armés de fusils, dont cinq cents fantassins réguliers et deux mille cavaliers.

Les renseignements que nous avions recueillis étaient exacts. Abd El Kader était absent ainsi que ses principaux lieutenants, mais leurs familles étaient là. Les richesses, les affections de tous les grands ennemis de notre domination étaient dans la smalah. Celle-ci était arrivée le 15 au soir à Taguine. Ses chefs la croyaient en sûreté et ne se doutaient pas de la marche secrète et rapide de la colonne de Médéa. Le 16 au matin, la tente d’Abd El Kader s’était dressée, et cet exemple avait été suivi par toutes les autres. C’est au moment où cette opération s’achevait, au moment où les hommes menaient les troupeaux pâturer dans le marais, qu’un cri terrible retentit dans le camp : « Er Roumi! Er Roumi! »

Notre cavalerie venait d’apparaître et se déployait sur un mamelon pierreux qui domine la source de Taguine.

Le Duc d’Aumale avait à peine eu le temps de reconnaître la position. Mais comme nous l’avons dit, il s’était immédiatement décidé à attaquer, sans laisser à l’ennemi le temps de se remettre du trouble causé par notre brusque apparition. Notre petite troupe se forme rapidement. Un premier échelon, composé des Spahis et du Goum, et commandé par le colonel YUSUF, s ’ébranle au trot. Un Fort turc en ruines, qui domine la source autour de laquelle est campée la smalah, lui a été donné pour point de direction. Le Prince le suit avec les Chasseurs et Gendarmes ( Détachement règlementaire de 30 gendarmes à l’époque) dont il a formé sa réserve. Mais un mouvement de terrain nous laisse voir l’immensité de la ville de tentes et cette fourmilière d’hommes qui courent aux armes. Nos irréguliers épouvantés se débandent; les spahis étonnés s’arrêtent ; jamais nos troupes indigènes régulières n’avaient été mises à une pareille épreuve.

Le Duc d’Aumale le comprend. Il voit que la lâcheté du Goum va devenir contagieuse si les Spahis ne sont pas soutenus. Il faut engager tout le monde et l’audace seule peut décider du succès. Le Prince fait donc obliquer à droite avec le deuxième échelon et dépasse le premier. L’impétuosité française se communique à nos Spahis. Leurs intrépides officiers les haranguent, les entraînent, et bientôt le douar d’Abd El Kader est atteint.

En vain les fantassins réguliers s’élancent hors de leurs tentes, et par leur feu nourri essaient de repousser la charge. Ils sont sabrés, pris ou dispersés. Le combat a bientôt cessé sur ce point, mais les officiers et sous-officiers français continuant au loin la poursuite, donnent à leurs soldats indigènes un nouvel et brillant exemple de notre valeur nationale.

Cependant les Chasseurs avaient pénétré dans le camp sous une vive fusillade avec le sang-froid du vrai courage. Ils conservent dans l’émotion du combat cet ordre, cet ensemble qui double leur force. Leurs rangfs qui s’ouvrent pour laisser passer des vieillards craintifs et des femmes éplorées se resserrent pour renverser tout ce qui essaie de combattre. Mais la résistance s’organise. La brillante cavalerie des Hachems, tous parents de l’émir, veut arracher aux chrétiens les familles et les richesses des plus fermes défenseurs de l’Islam. Tandis que de rapides dromadaires entraînent les femmes, que l’on enlève des tentes tout ce qu’elles contiennent de plus précieux, les hommes de guerre saisissent leurs fusils, se jettent sur leurs chevaux, se rallient, se lancent au combat.

Le Prince doit faire face à un ennemi bien supérieur en nombre. Il détache sur la gauche un peloton commandé par le sous-Lieutenant Delage. Mais cette troupe se déployant en tirailleurs, engage un combat de mousquetterie et perd ainsi tout l’avantage que notre cavalerie tire en Afrique de l’emploi de l’arme blanche. Le cheval du brave Delage est tué. Plusieurs de ses chasseurs tombent, frappés à mort. Ils vont être entourés lorsque le Sous-Lieutenant de Canclaux, envoyé à leur aide, les dégage par une charge brillante.

A droite, le Capitaine d’Espinay culbute avec son escadron tout ce qu’il a devant lui et va arrêter au loin la tête des fuyards.

Enfin, au centre, le Lieutenant-Colonel Morris se jette avec trois pelotons, sur le gros de l’ennemi, communique à ceux qui le suivent son irrésistible élan et, par son intelligente audace, assure le succès de la journée.

Une heure et demie après le commencement de l’affaire, le Prince ralliait nos escadrons victorieux. Déjà autour de lui, se groupaient des populations considérables qui, pendant l’action même avaient imploré la clémence française. Tout ce qui demandait grâce et ne combattait pas avait été épargné. Cependant l’ennemi laissa près de trois cents cadavres sur le terrain. Quant à nous, nos pertes se montaient à : 9 hommes de tués, 12 blessés ; 12 chevaux tués, 12 blessés.

La mère et la femme de l’émir, qui avaient été un instant prisonnières, mais que l’on n’avait pu reconnaître dans le premier tumulte, furent sauvées par un esclave fidèle et s’échappèrent sur un mulet que nos chevaux épuisés ne puirent rejoindre.

Le soir, l’Infanterie commandée par les Lieutenants-Colonels Chasseloup et Chadeyssou, arriva après une marche admirable ( trente lieues en trente six heures), fatiguée mais en bon ordre, et n’ayant d’autre regret que celui de n’avoir pu prendre part à l’action.

La journée du lendemain fut consacrée à ramasser un immense butin et à détruire ce qu’on ne pouvait enlever. Les trophées du combat étaient :

- Quatre drapeaux

- Un canon avec deux affûts,

- Des munitions de guerre, poudre etc...

- Les caisses des tambours, les armes des fantassins réguliers, les décorations et les insignes de leurs officiers,

- La propre tente de l’émir, ses armes de prix, ses effets précieux, etc...

Ses trésors avaient été pillés et composaient une partie notable du butin fait par nos Spahis et notre Goum . Il est tel cavalier qui a changé pour dix huit mille francs de douros le lendemain de son arrivée à Médéa.

Il en est d’autres qui ont rapporté des sacs pleins d’onces d’Espagne. « Bien des gens sont sortis pauvres de leur tente, disait l’agha, qui compteront désormais parmi les riches des plus riches. » Outre les sommes considérables d’argent , on prit encore tous les burnous rouges qui devaient investir des aghas ou des Caïds, les gandouras destinées aux gens de loi, des armes de prix en grand nombre, de riches vêtements, des manuscrits précieux, des bijoux, etc... Nos arabes enlevèrent une foule d’esclaves noirs des deux sexes, plusieurs milliers d’âmes, quelques centaines de chameaux, des chevaux, des juments, des troupeaux considérables, sans compter ceux qui avaient été réservés à l’administration et qui se montaient à vingt mille têtes de bétail.

On s’occupa encore, le 17 mai, de mettre quelque ordre parmi les populations prisonnières, dont le nombre était si supérieur au nôtre. « Quand, après la reddition, disait un des captifs, nous pûmes reconnaître la faiblesse numérique de ce vainqueur, le rouge de la honte couvrit nos visages: car si chaque homme de la smalah avait voulu combattre, ne fut-ce qu’avec un bâton, le vainqueur eusse été le vaincu. Mais les décrets de Dieu ont dû s’accomplir. »

Les vaincus s’y soumirent avec la résignation musulmane, et une fois le combat terminé, ne cherchèrent plus à s’échapper. Etrangers au pays, arrachés à leurs plaines fertiles par la politique d’Abd El Kader, ou leur dévouement à sa cause, la plupart n’aurait su que devenir au milieu de cet aride désert. Ceux qui avaient fui pendant l’action eurent un triste sort. Les uns furent enlevés, le 19, par le Général de Lamoricière sur l’Oued Reda, d’autres furent dépouillés par les nomades et périrent de faim et de misère.

Notre colonne se remit en marche le 18 et arriva le 25 à Médéa. Les populations qu’elle ramenait prisonnières presque toutes originaires de la Province d’Oran y furent renvoyées par ordre de Monsieur le Gouverneur-Général. Les principaux captifs furent conservés à ALGER pour être déportés en France ou pour faciliter d’importantes négociations. On remarquait parmi eux :

- Plusieurs parents d’Abd El Kader.

- Des employés de sa maison et officiers des troupes régulières.

- La famille entière de Si-Mohamed-Ben-Allal-Ould-Si-Embarek, le plus brave et le plus éminent des Khalifas de l’émir, tué depuis dans une rencontre avec nos troupes.

- La fille de Miloud-ben-Arratch, conseiller d’Abd El Kader, et son ancien ambassadeur à Paris.

- La famille de Mohamed-Bel-Kharoubi, premier secrétaire de l’émir, qui depuis a fait sa soumission.

- Si-El-Aradj, marabout très vénéré des Hachems, et plusieurs des principaux chefs de cette tribu.

Il est remarquable que pendant cette pénible marche de sept jours, notre petite colonne, encombrée de butin et de prisonniers, n’eût pas à brûler une seule amorce. Abd El Kader était uniquement préoccupé de mettre sa famille à l’abri et de reconstituer la déïrah qui ne fut jamais que l’ombre de la célèbre smalah (Les deux mots sont presque synonymes). Quinze jours après, il fit une razzia sur les Bou-Aïch (au sud de Thaza) qui avaient servi de guides dans notre expédition. Mais ce fut dans cette région son dernier coup de main. Son prestige était détruit. Après le combat de Taguine, toutes les grandes tribus nomades établies sur les hauts-plateaux, au fond de Médéa et de Miliana, avaient fait leur soumission, et en même temps d’éclatants succès forçaient les montagnards de l’Ouaransenis et du Dahra à mettre bas les armes.

Tout ce pays à peine soumis, était parcouru par de nouvelles colonnes et recevait une organisation forte et judicieuse qui rendait à peu près impossible le retour d’Abd El Kader. Rejeté définitivement hors de la province d’Alger, celui-ci essaya de résister quelque temps encore dans le sud de la province d’Oran. Mais là, de continuels échecs le forcèrent à chercher un refuge dans l’empire du Maroc où ses nouveaux alliés apprirent bientôt, à leurs dépens, ce que peut la puissance de la France et la valeur de nos armées.

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EXTRAIT DU RAPPORT DE S.A.R. Le Duc d’Aumale

en date du 20 mai 1843.

« Vous connaissez, Mon Général, le Colonel Yusuf et le Lieutenant-Colonel Morris. Vous connaissez leur brillant courage et leur intelligence militaire, mais je n’hésiterai pas à vous dire qu’ils se sont montrés en ce jour au dessus de leur réputation. Après eux, je vous citerai, dans l’Etat-Major, le Commandant Jamin, mon aide de camp, les Capitaine de Beaufort, Durrieu et de Maeguenat, l’interprète de 1ère classe Urbain ; dans le 33ème, le Capitaine Dupin, de l’Etat-Major. Dans la Gendarmerie, M.M. Gros-Jean, Lieutenant, le Maréchal-des-Logis Chamber, le Brigadier Hurel, le Gendarme Formeau, blessé ; dans le 1er Chasseurs, le Lieutenant Litchtlin, blessé, les Maréchaux-des-Logis d’Orvinsy et Pobéguin; dans le 4ème Chasseurs, les Capitaines d’Epinay, Grand Vallet et Cadic, le Lieutenant Paulze d’Ivoy, les Sous-Lieutenants Marchand, Dreue, Cancalux et Delage; les Maréchaux-des-Logis Dreux, Carelles, Laroche, Cambriel, Mouphoux; les Brigadiers Masson, Bertrand, Boisnet, Briout; les Chasseurs Maguin, Morel, Delacour, Peray, Lemoine et Desprès; le trompette Hardoin.

« Dans les Spahis : Le Chef d’Escadrons d’Allonville; les Capitaines Offroy et Piat, les Lieutenants Fleury, Jacquier Lambert, Frontville et Legrand; les Sous-Lieutenants Dubarail, Gantrot, Breaute de Breteuil, Piat et Saïd, blessé grièvement; l’Adjudant Olivier; les Maréchaux-des-Logis Mesiner, de Chamits, Yousouf-ben-Morcelli, Abderrahmann-ben-Sidi-Ali, Kadda-El-Aboudi; les Brigadiers Garnier, Ben Kasnadji, Hussein-ben-Bachir, Elmodani; les Cavaliers Bouricha, Ouali-Assam, Ben-Aïssa, Ben-Kassem, Ouled-El-Bey, Abderrahmann-bou-Noua, Mourad-bel-hadji-Moustapha et Ben-Kassem-ben-Omar; »

PRISE DE LA SMALAH DE L’EMIR ABD EL KADER

Extrait des Annales Algériennes, tome troisième

par Pellissier de Reynaud

Edité en octobre 1854.

Le Duc d’Aumale reçut l’ordre d’occuper Boghar et de se servir ensuite de ce point comme base d’opération pour manoeuvrer vers le Haut Chélif, de manière à surprendre, s’il était possible, la smalah d’Abd El Kader, que l’on savait être dans les parages. La vigueur avec laquelle ce jeune prince accomplit cette mission en fit le plus intéressant épisode de la campagne de 1843.

Après s’être assuré de la position de Boghar où il établit un dépôt considérable de munitions de guerre et de bouche et où il laissa une garnison de 250 hommes, le Duc d’Aumale partit de ce poste le 10 mai avec 1300 fantassins, 600 chevaux et un convoi de près de 800 chameaux et mulets, portant un approvisionnement de 20 jours de vivres. D’après des renseignements qui lui furent donnés par le Kaïd des Oulad-Aïad, il dut croire que la Smalah était dans les parages de Godjilah . Il se porta donc sur cette petite ville où il arriva le 14 au matin, après une marche de nuit. Là, il sut que la smalah était à Oussek-ou-Rekaï à 15 lieues au sud-ouest. Le Prince dirigea sur ce point mais il apprit en route qu’elle avait levé le camp la veille au soir et s’était portée sur Taguine avec l’intention de se rendre dans le Djebel Amour. Abd El Kader, disait-on, observait avec 25 cavaliers seulement, les mouvements du Général de Lamoricière et paraissait ne rien craindre de la colonne du Prince qu’il croyait arrêtée à Boghar. La précisions de ces indications semblait en garantir l’exactitude. D’ailleurs dans ces contrées brûlées, une source est nécessairement un lieu d’étape. Le Prince avait donc quelques chances de rencontrer à Taguine ceux qu’il cherchait. Prenant aussitôt son parti, il forma deux subdivisions de sa colonne; l’une à la tête de laquelle il se mit, fut composée de la cavalerie, des Zouaves et de l’artillerie de Montagne, l’autre composée de deux bataillons d’infanterie et de 50 chevaux devait escorter le convoi sous les ordres du Lieutenant-Colonel Chadeyssou.

Après une halte de quelques heures, les colonnes partirent ensemble. La première eut bientôt gagné les devants. Le 16, à la pointe du jour, on saisit quelques traînards de la smalah. Trompé par les indications qu’ils donnèrent, le prince fit avec la cavalerie une reconnaissance vers le sud. Voyant qu’il ne découvrait rien dans cette direction, il reprit celle de Taguine; mais ce mouvement l’éloigna considérablement des zouaves et de l’artillerie. Vers onze heures le Kaïd des Aïad, envoyé en avant pour reconnaître l’emplacement de l’eau, revint au galop annonçant que la smalah toute entière était établie à la source même de Taguine. Un repli de terrain la cachait à notre petite colonne mais on n’en était pas à plus d’un kilomètre. La smalah était composée de 300 douars présentant une population de plus de 20 000 âmes, dont 500 guerriers. L’attaquer avec 500 cavaliers sans le secours des Zouaves et de l’Artillerie qui ne pouvaient pas arriver avant deux heures, était téméraire sans doute; mais attendre ou battre en retraite était peut-être plus périlleux encore, car les guerriers de la smalah n’auraient pas manqué de se réunir et ils auraient pu mettre nos gens dans une position très critique. Le plus sûr paraissait donc être de profiter du premier moment de surprise et de fondre tête baissée sur l’ennemi. C’était aussi le parti le plus honorable. Le Duc d’Aumale n’hésita pas un instant à le prendre. Le Lieutenant-Colonel Morris chargea à droite avec les Chasseurs, le Colonel Yusuf à gauche avec les Spahis et le Prince se porta sur le centre avec une petite réserve.

On aurait de la peine à se faire une juste idée de la confusion qui régna pendant une heure au milieu de cette foule surprise ainsi au sein de la plus profonde sécurité. Les guerriers ennemis n’ayant pas eu le temps de se réunir furent réduits à se défendre individuellement dans l’intérieur même du camp. Les cris des femmes, les pleurs des enfants, le bruit des armes de tant de combats individuels remplissait l’air d’un horrible fracas au milieu duquel se perdait la voix des chefs. Enfin, les assaillants étant trop peu nombreux pour tout prendre, firent une coupure dans cette ville ambulante, chassèrent devant eux la partie qu’ils avaient séparée de la masse et laissèrent fuir le reste. 300 guerriers arabes furent tués. 3000 prisonniers, hommes, femmes et enfants, quatre drapeaux, un canon et un immense butin furent les trophées de la victoire.

La mère et la femme d’Abd El Kader se sauvèrent sur un mulet, escortées par quelques cavaliers. La première avait tenu pendant quelques instants en suppliant, l’étrier du Colonel Yusuf qui, après l’avoir rassurée sans la connaître, la perdit de vue. A quatre heures l’Infanterie arriva. Elle avait fait 30 lieues en trente six heures.

Le 17, le Prince séjourna à Taguine pour donner un peu de repos à la colonne. Les tentes et le butin qu’on ne put transporter furent brûlés. Le Duc d’Aumale se replia ensuite sur Boghar et de la sur Médéa, d’où sa prise fut conduite à Alger. Parmi les prisonniers se trouvaient la famille entière de Mohamed-Ben-Allal-Ben-Embarek, celle d’El-Kharoubi, premier secrétaire de l’Emir et celles de plusieurs autres chefs influents.

L’affaire de Taguine avait porté le plus gros coup à l’Emir Abd El Kader.

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