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Le 13e Régiment de Tirailleurs Algériens : "Les Hirondelles de la Mort"

Écrit par Francis Magne de la croix. Associe a la categorie L'Armée d'Afrique


Durant les cent trente-deux années de présence française en Afrique du Nord, l'armée française a mis sur pied avec les res­sortissants des trois pays du Maghreb de nombreux régiments qui se sont illustrés au combat, tant en Europe, lors des deux conflits mondiaux, qu'en Afrique et en Asie, partout où flottait le drapeau de notre pays.

En 1939, au début de la Deuxième Guerre mondiale, 32 régi­ments de tirailleurs algériens et tunisiens et 10 de tirailleurs marocains figuraient sur les contrôles de l'armée française.


Le 13e R.T.A. a été l'une de ces brillantes unités aujourd'hui dispa­rue, dont il ne reste que le souvenir, et un drapeau aux Invalides. A partir de I960, des jours sombres sont arrivés dans l'Histoire de notre pays, amenant l'abandon des territoires de l'Afrique du Nord qui faisaient partie de notre patri­moine national ou qui s'étaient trouvés sous notre protection. Les tirailleurs nord-africains qui ont rassemblé au sein de leurs unités les meilleurs éléments de nos départements d'Algérie (jusqu'à quinze) ainsi que du Maroc et de la Tunisie, remarquablement enca­drés par des officiers et sous-offi­ciers, tant Français qu'originaires de ces trois pays et formés dans nos écoles, certaines créées sur place, ont donné des dizaines de milliers des leurs pour la défense d'un empire commun aujourd'hui dis­paru.


Tirailleurs algériens

 

Les combats de "la Grande Guerre" fin septembre 1914, l'Infanterie française ayant subi de lourdes pertes, on se mit à "gratter les fonds de tiroirs" et des renforts arrivèrent d'Afrique du Nord. Au Maroc, le général Lyautey qui, dès l'ouverture des hostilités, avait pris le risque de "vider la langous­te mais de garder la carapace", expédia ses derniers bataillons dis­ponibles, le IIIe bataillon du 4e Zouaves, les III/3e et l/9e Tirailleurs.

Débarqués à Sète, ces bataillons formeront, sous le commandement du colonel Cornu, le 2e R.M.Z.T. (Régiment Mixte de Zouaves Tirailleurs) affectés d'abord à la VIe Armée au nord de Paris, puis en février 1915 à la 48e D.I. Le régi­ment va suivre, pendant quatre ans le destin de la 48e D.I. ; il sera enga­gé dans beaucoup de ces lieux aujourd'hui chargés d'histoire militaire. Ce fut d'abord la Champagne : le 29 avril 1915 le colo­nel Cornu est tué dans la tranchée de Calonne et remplacé par le colo­nel Lamiable ; puis la Somme et de nouveau la Champagne devant Souain, butte de sinistre mémoire. Et, bien sûr, Verdun en 1916 : Fort de Souville, Fleury, Bois de la Caillette. Et de nouveau la Somme, les tran­chées devant Bouchavesne et encore la Champagne et Verdun. L'effectif du régiment avait dû être totalement renouvelé, son bataillon de zouaves remplacé par des tirailleurs.


Tirailleurs  marocains

 

En 1918, le régiment qui comprenait alors les bataillons III/5, IV/9 et XI/9 prit la dénomination de 13e Tirailleurs de Marche (13e R.M.T.A.) et reçut son drapeau. Sous les ordres du colonel Marty, il se battit sur le Matz, sur L'Ailette. Il refoula les Allemands au nord de Vouziers et le 11 novembre, atteignait Sedan. Le plus bel hommage qu'il reçut vient des Allemands qui lui décer­nèrent le titre des "Hirondelles de la Mort"; dans un poème trouvé sur un officier ennemi, il était recom­mandé de prendre des précautions particulières devant le 2e R.M.Z.T., véritables hirondelles annoncia­trices d'hécatombes futures. Le général Capdepont, comman­dant la 48e D.I., entérina la distinc­tion dans un ordre du jour et le régi­ment adopta un insigne représen­tant une hirondelle tenant deux tibias dans son bec et entourée du croissant algérien. A la suite d'une quatrième citation à l'ordre de l'Armée signée Mangin,

"Régiment d'élite qui a fait preuve, toutes les fois qu'il a été engagé, des plus belles qualités d'entrain et de dévouement", le drapeau fut décoré de la Croix de guerre avec quatre palmes, et reçu la fourragère aux couleurs de la Médaille militaire.

Le Maroc 1919-1935 Le 13e R.T.A. "débarqua" au Maroc fin mars 1919, sous les ordres du colonel Morin. Il devait rester dans ce pays jusqu'en 1936 avec ses frères, les 14e et 15e R.T.A. qui, comme lui, avait perdu leur déno­mination de "régiment de marche".

Le tiers du Maroc était alors "Bled Siba" zone rebelle au pouvoir cen­tral, le maghzen.

Un énorme travail de pacification attendait les 53 bataillons de tirailleurs dont les 3 du 13e R.T.A.

Après quatre années de guerre de tranchées, caractérisée par la notion de front continu, le régiment dut s'adapter à une nouvelle forme de guerre totalement différente : recherche et destruction d'un adver­saire dispersé, mobile, capable sou­vent de se regrouper et d'attaquer en force, autrement dit la "guérilla" avec de temps à autre, des opéra­tions classiques contre un adversai­re retranché dans la montagne qu'il fallait réduire par l'artillerie et un assaut frontal souvent coûteux. Aussi à peine arrivé sur place, le colonel Morin jugea-t-il bon de "mettre au parfum" tout l'encadre­ment du régiment, en rédigeant des directives appropriées détaillant l'organisation et le fonctionnement d'un "groupe mobile" de 4 à 5 bataillons tant en déplacements qu'au combat.

Quatre-vingts ans auparavant, lors de la conquête de l'Algérie, Bugeaud avait dû rédiger des ins­tructions très semblables, le terrain et l'adversaire étant identiques.

Les bataillons du régiment furent donc incorporés à des groupes mobiles (G.M.) qui commencèrent par réduire les taches de dissidence des Beni-Ouarain et des Zaians ; il fallait se battre durement, l'infante­rie appuyée par l'artillerie et des auto-mitrailleuses.

En 1922 et 1923, on s'efforça de réduire la tache de Taza et, en 1924, ce fut l'attaque riffaine. Pour la contenir, à nouveau, des groupes mobiles furent constitués pour cou­vrir Fez et Meknès. Le III /13 fut incorporé au G.M. Cambay, le 11/13 au G.M. Colombat, célèbre dans les troupes du Maroc, sur l'Ouergha. Contre un adversaire muni de maté­riel moderne, ce fut la guerre, tantôt de mouvement, tantôt de position, le long d'un front de 300 kilomètres. Les renforts venus de France et d'Algérie avaient permis de consti­tuer cinq divisions sous les ordres du général Naulin. Le 13e R.T.A. (colonel Michelin) fut incorporé à la 35e D.I. qui tint le sec­teur ouest du front jusqu'en mai 1926, date de reddition d'Abd-el-Krim et en 1927, le régiment liquida la dernière poche riffaine dans la région d'Ouezzane. De 1928 à 1934, date des derniers combats dans le Djebel Sagho où périt le capitaine de Bournazel, le régiment sous les ordres successive­ment des colonels Caillaux, Legrand et Halna du Fretay, fut basé à Kasbah-Tadla sur l'Oum-er-Rebia, détachant ses bataillons pour la pacification du Haut-Atlas, et l'oc­cupation de postes construits par la Légion.


Tirailleurs algériens après la seconde guerre mondiale à la parade

 

Le régiment fut ramené progressi­vement à Fez et à Meknès en 1935 et l'année suivante, les Allemands étaient rentrés en Rhénanie, de même que les 14e et 15e R.T.A., fut transféré en France, avec un dra­peau décoré du Mérite militaire chérifien au titre des 5 citations décernées à ses bataillons pendant les 17 années passées au Maroc. La campagne de France - mai juin

1940

De 1936 à 1939 ce furent des années fastes en Lorraine, le régiment com­mandé par le colonel de Juvigny était caserne à Metz avec un bataillon à Thionville. La garnison de Metz comprenait aussi le 151e R.I. (colonel de Lattre de Tassigny) et de 507e R.C.C. (colonel De Gaulle). Le gouverneur militaire était le général Giraud, vieil Africain qui connaissait bien le régi­ment dont la nouba et le bélier enchantaient les Messins lors de chaque cérémonie militaire. A la déclaration de guerre, le régi­ment faisait partie de la 2e D.I.N.A. (13e et 22e R.T.A., IIe Zouaves, 40e et 240e RANA) et était commandé par le colonel Sevez qui, fait prison­nier en 1940, eut la chance, comme le général Juin commandant le 15e DIM et capturé à Lille, d'être libéré ; le général Sevez commanda avec distinction la 4e D.M.M. (division marocaine de montagne) en Italie en 1943/1944 et devint l'adjoint du général Juin à l'état-major de la Défense nationale à la Libération.

L'encadrement du régiment était le suivant :

- Chef de corps : colonel Sevez

- Chef d'état-major : capitaine Lasfargue puis capitaine Guillaume,

- 1er bataillon : chef de bataillon Leblond,

- 2e bataillon : capitaine Alagiraude,

- 3e bataillon : chef de bataillon Gardies.

Durant la "drôle de guerre", la 2e DINA occupa successivement les secteurs de Marville et de Boulay en Lorraine, puis passa l'hiver dans la région de Valenciennes. Le 10 mai 1940, elle entra en Belgique envahie par les Allemands, et du 14 au 16 mai, résista sur la Dyle à toutes les attaques ennemies. La petite ville de Limai garde fidèlement aujourd'hui le souvenir du 13e RTA et des durs combats qu'il mena. De repli en repli durant cette mal­heureuse campagne de France, la 2e DINA se trouva encerclée dans les faubourgs de Lille. Le 13e R.T.A. défendit farouchement Haubourdin pendant trois jours et à court de munitions dut cesser le combat le 1er juin.

Sur les 6 divisions encerclées à Lille, 3 étaient nord-Africaines (le D.M., 2e et 5e DINA). La résistance de ces troupes fut si forte que les Allemands de la VIe Armée leur accordèrent les hon­neurs de la guerre (le précédent remontait à la reddition du fort de Vaux en 1916). Une compagnie en armes formée de tirailleurs du 13e défila sur la grande place de Lille, devant le général Waeger (27e korps) et de son état major, au garde-à-vous et qui saluaient et une compagnie d'honneur allemande qui présentait les armes (1). Les photos prises ce jour-là des sol­dats de "l'armée du sacrifice" sont pieusement conservées par les anciens. Le drapeau avait été inciné­ré. Le général Dame, qui comman­dait la division, mourut deux mois plus tard, en captivité, faute de soins...

Deux cent cinquante hommes du régiment purent s'échapper par Dunkerque. Ils furent regroupés autour de Bernay en Normandie et furent tous capturés dans la région de Briouze entre le 18 et le 21 juin, lors de la percée foudroyante de la 7e panzer de Rommel vers Cherbourg.

Tel fut en 1940 "le chemin de croix" du 13e tirailleurs... et de tant d'autres régiments de l'armée fran­çaise.

Cette bataille de mai-juin 1940, ces "soixante jours qui ébranlaient l'Occident" est la plus grande défai­te militaire de notre Histoire et est aujourd'hui complètement occultée, vu l'ampleur du désastre et parce qu'elle a eu comme conséquences tragiques les événements qui se sont ensuite déroulés pendant 4 ans dans notre pays occupé par l'enne­mi. Comme l'a justement écrit le colonel Louis Garros, sur le plan strictement militaire, les douze divi­sions nord-africaines engagées dans cette bataille " composées d'excel­lentes troupes et disposant d'un armement complet ont été sacrifiées sans le moindre profit. Elles ont été bousculées, morcelées, capturées par une armée blindée très mobile, fonçant à travers des colonnes démoralisées prises sous le feu de l'aviation... ; l'armée française a perrdu avec elles quelque 36 régi­ments qui représentaient le meilleur de nos unités des troupes d' Afrique".

Treize ans plus tard, en 1953, le 13e RTA. fut reconstitué en Allemagne, à Landau, dans le cadre de l'accroissement des forces françaises inté­grées à l'OTAN face à la menace soviétique en Europe, pendant toute la période de la guer­re d'Algérie, le 13e R.T. fut maintenu en Allemagne. Il venait souvent défiler à Paris, le 14 juillet, entraî­nant derrière sa nouba qui avait toujours un grand succès, des groupes de harkis ou d'anciens cornbattants...

Et en 1964, venu le temps de la honte, suite à l'abandon vulgaire de 1962, le 13e RTA fut dissous, cette fois définitivement. Le colonel Berque, dernier chef de corps, alla déposer le drapeau aux Invalides, ce drapeau portant four­ragère aux couleurs de la Médaille militaire, décoré de la croix de guerre 1914-1918 et du Mérite militaire chérifien, et qui portait dans ses plis les inscriptions : .

- Le Matz l918,

- Soissonnais 1918,

- L'Ailette 1918,

- Somme-Py 1918,

- Maroc 1919-1953

- Flandres 1940

Fin de l'épopée ; il reste le souvenir, l'amertume, la tristesse, et quand même la fierté.

"La gloire est comme un cercle au milieu des ondes; il cherche à s'agrandir et ne cesse de s'étendre que pour disparaître dans le néant". (Shakespeare).


Francis Magne de la croix


(1) - Voir Claude Paillât, le Désastre de 1940 - la guerre Éclair (Laffont 1985), pages 426 à 434 et la photo pages 430, 431. Sources
- G
énéral Hure, général de La Barre de Nanteuil - L'Armée d'Afrique 1830-1962, Lavauzelle 1977.
- Service Historique
/État-Major de l'Armée de Terre : guerre 1939-1945, Les Grandes Unités Françaises - histo­riques succincts. - Imprimerie Nationale 1967 - Consulter le tome II page 871 à 881 sur la 2e DINA.
-
Historama - hors série n° 10 - Les Africains - 1970 - textes du colonel Louis Garros.
- Commandant Guillaume -
Le 13e RTA - Campagne de Belgique et des Flandres - 10 mai au 13 juin 1940 (texte dactylographié 1941).
- G
énéral de La Laurencie. Les opéra­tions du 3e Corps d'Armée, 1939-1940
-
Lavauzelle 1948.
- Bulletin de liaison de l'Amicale des anciens du 13e RTA.

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