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Les Goums marocains 1908-1956

Écrit par Colonel Henry Alby. Associe a la categorie L'Armée d'Afrique


La salle du musée de l’Infanterie ( rue du 56e RA, 34000 Monpellier)


Jusqu'au débarquement des troupes françaises et alliées, le 15 août 1944 en Provence, peu de Français en métropole connaissaient alors l'existence des Goums et Tabors marocains.
Ils avaient pourtant, depuis leur création en 1908, tout au long de la pacification du Maroc et plus récemment en Tunisie, Sicile, Corse, Italie et Ile d'Elbe, déjà forgé l'essentiel d'une typique geste franco-marocaine.
Celle-ci justifiait leur présence parmi les unités de l'Armée d'Afrique, fer de lance de la 1re Armée française du général de Lattre de Tassigny où ils allaient confirmer leur réputation par de nouveaux exploits.
Troupe naturellement ardente et guerrière, les Goums marocains avaient en effet subi depuis 1940 de profonds changements structurels et d'emploi afin d'être en mesure de participer à un conflit mondial.
Ces mesures avaient été, pour l'essentiel, mises en œuvre par la volonté du colonel Guillaume, ancien commandant de goum, ancien chef d'état-major du général de Loustal, pacificateur de l'Atlas Central, futur directeur-adjoint des Affaires politiques à Rabat, qui, tout en respectant les qualités foncières des goumiers, fit en sorte de les adapter aux réalités de la guerre moderne en les initiant à des formes nouvelles de combat faisant appel à des moyens matériels plus performants. Véritable gageure qui se révélera une parfaite réussite, cette transformation avait reçu le plein accord du général Noguès, résident général de France au Maroc et commandant du théâtre d'opérations d'Afrique du Nord, dont l'appui efficace et la « complicité tacite » furent déterminants durant la difficile période de juin 1940 à novembre 1942.
Pour cette opération de débarquement, huit mille goumiers environ, en général des montagnards et en totalité des volontaires, étaient engagés. Répartis dans quarante-huit Goums (compagnie), groupés en douze Tabors (bataillon) et quatre groupements de Tabors (G.T.M. / régiment), ils constituaient l'équivalent - d'une forte brigade d'infanterie légère sous l'appellation de « Commandement des Goums Marocains » (C.G.M.) aux ordres du général Guillaume, futur président de Rhin et Danube.
Lorsque ce dernier succédera au général de Montsabert au commandement de la 3e Division d'Infanterie Algérienne, le C.G.M. restera sous son autorité, garantissant ainsi le maintien de la spécificité des goums et de leurs conditions particulières d'emploi.
Toulon libéré, une exploitation rapide par le massif de la Sainte-Baume et chaîne de l'Etoile, permit aux 1er, 2e et 3e G.T.M. de participer de façon déterminante à la libération de Marseille.
Par la suite, les Alpes, Belfort, les Vosges, l'Alsace, la ligne Siegfried au travers de laquelle le 3e Tabor Abescat réussit une infiltration remarquable, le Rhin, la Forêt Noire, le Danube, Stuttgart et le Vorarlberg, jalonnèrent la progression dispersée du 3e G.T.M. auquel était venu se joindre début 1945, le 4e G.T.M. jusqu'à la reddition de l'armée allemande le 8 mai 1945, cosignée à Berlin par le général de Lattre de Tassigny - maoun d'honneur au 4e G.T.M. (caporal d'honneur).
Toujours en tête dans les opérations décisives et meurtrières du rigoureux hiver 1944 et du victorieux printemps 1945, les goumiers remportèrent de francs succès mais malheureusement au prix du sacrifice de beaucoup d'entre eux. Durement engagés en Indochine de 1948 à 1954, leur rôle en Algérie fut délicat mais souvent déterminant avant leur retour définitif au Maroc. Là, en 1956, l’indépendance amène la dissolution des Goums marocains et leur intégration par transfert dans les Forces Armées Royales marocaines, mettant ainsi fin à une fraternité d'armes exemplaire et à une exceptionnelle épopée franco-marocaine d'un demi-siècle.
De ce passé qui entrait, dans l'histoire, ceux qui y avaient participé, en mettant dans leurs actes cette « parcelle d'amour » si chère au maréchal Lyautey, en conserveront, confiant en l’avenir, un attachant et fidèle souvenir.

Le Maroc ancien

À l'approche de l'an 2000, avec un recul de quarante ans, l’évocation de l'origine des goums, maintenant légendaires, « guerriers à la djellaba de laine », permet, tout en sacrifiant au devoir de mémoire, de rappeler qu'avant de participer avec panache et sacrifice aux conflits mondiaux, ils furent les combattants ardents et valeureux de la pacification et de l'unité marocaine. Mais retracer le rôle de ces Goums depuis leur création nécessite de faire le point de la situation intérieure du Maroc et de tracer les grande lignes de l'action de la France dans ce pays au début du siècle.
En 1907, le sultan Abd-El-Aziz de la dynastie alouite régnante depuis 1664, réside à Fez où il a été intronisé en 1894. Depuis l'époque du sultan Moulay Er Rachid, contemporain du roi Louis XIV, seules les tribus « guich » d'origine arabe et de la plaine fournissent au sultan des contingents de troupes levés selon les besoins, en particulier pour la collecte de l'impôt.
Malgré un essai, en cours depuis quelques années à Fez, de modernisation des Mehallas chérifiennes par des cadres et instructeurs étrangers, le pays soumis à l'autorité du sultan reste toujours réduit à la zone non montagneuse. Ce dernier s'efforce avant tout de maintenir les liaisons vitales pour l'exercice du pouvoir entre les villes impériales de Fez, Meknès, Rabat et Marrakech, la ville de Tanger bénéficiant de liaisons spéciales adaptées aux besoins politiques.
En dissidence contre le pouvoir central le « Jbel » appartient aux tribus berbères et constitue pour sa grande part le « bled siba ». Des chefs s'imposent dans chaque tribu, équipent leurs gens, la contrebande des armes étant florissante, luttent entre eux mais se regroupent, quand besoin est, pour s'opposer au makhzen ou à toutes ingérences extérieures et étrangères.
Dans la réalité, le pays vit en état d'anarchie et, malgré la domination de chefs locaux, chacun ne compte plus que sur sa défense personnelle, tout homme étant armé pour assurer sa survie. De plus, face à la carence d'autorité, des prétendants au trône se révèlent et recrutent des partisans.

Débarquement à Casablanca

Début juillet 1907, l'insécurité étant quasi générale et de graves incidents s'étant produits au port de Casablanca, la France, à qui le traité d'Algésiras (1906) permet d'intervenir au Maroc pour restaurer la sécurité, met à terre dans ce port difficile d'accès, un « corps de débarquement » sous les ordres du général Drude.
D'une importance moyenne, ce corps d'intervention qui, par mesure de sécurité des troupes engagées, étendra rapidement son emprise territoriale au-delà du périmètre urbain jusqu'à Médiouna, comprend entre autres éléments des « Goums algériens ». Ces unités « d'auxiliaires indigènes » de l'importance d'un escadron étaient commandées par des officiers des Affaires indigènes d'Algérie et groupaient des cavaliers alertes, dévoués à leurs chefs, aptes aussi bien aux escarmouches qu'aux razzias mais toujours au plus près des populations pour y remplir leur mission principale de recherche du renseignement militaire.
Pouvant rester éloignés de leurs familles durant plusieurs mois, ils n'avaient pas d'uniformes mais portaient enroulée autour de leur coiffure, une pièce d'étoffe écarlate pour les distinguer des autochtones.
Le commandement, en n'écartant pas la possibilité d'un élargissement de la zone de débarquement, avait en effet, jugé nécessaire la présence de cette troupe, pour aider à la prise de contact avec la population marocaine, pour lui montrer l'exemple de relations pacifiques et confiantes nouées en Algérie entre la France et des populations musulmanes arabes et berbères, ainsi que pour préserver et conforter par la suite, l'autorité des chefs marocains locaux acceptant une action commune avec nous pour établir la paix.



Les goums


Création des goums mixtes marocains (1908)

En janvier 1908, le général Drude est remplacé par le général d'Amade qui décide rapidement, pour consolider la pacification en cours, de parfaire le contrôle de l'ensemble de la Chaouïa vers Settat.
Des effectifs spécialisés se révèlent nécessaires afin de pouvoir recueillir un maximum de renseignements utiles à la connaissance du pays et à la poursuite des opérations. Une encourageante expérience d'un « goum marocain provisoire » ayant été faite, le général d'Amade crée le 1er novembre 1908, les six premiers « goums mixtes marocains », dits plus tard de la Chaouïa. Comprenant chacun cent cinquante goumiers à pied et cinquante à cheval, ces goumiers seront recrutés sur place, bien instruits et fortement encadrés par des officiers et sous-officiers français de toutes armes, certains d'origine algérienne, soit un capitaine, trois lieutenants, un officier interprète, un médecin, sept sous-officiers et huit caporaux ou brigadiers français et algériens.
Conçus comme des unités supplétives légères, ils sont immédiatement implantés en des points névralgiques, leur mission principale étant de renseigner le commandement en combattant, sans excès ni faiblesse, un ennemi mordant, fanatique et bien armé. Ils doivent également être en mesure d'appuyer les mouvements et les colonnes de troupes régulières en opérations par des actions de découverte de protection des arrières ou des flancs et de poursuite pouvant aller jusqu'à l'occupation d'un objectif et la défense d'un poste.
Chaque goum forme corps. L'officier qui le commande en dispose selon les nécessités. Le goumier pourvoit à sa nourriture et à celle de sa monture qui lui appartient. Armé de fusil 1874 à baïonnette, son habillement et son équipement seront des plus simples : une djellaba pour les fantassins, un burnous pour les cavaliers.
Engagé pour un an, la prime d'engagement, modeste, lui est payée par moitié au début et à la libération, un prêt journalier modeste lui aussi, mais plus élevé pour le cavalier lui étant alloué.
En opération, le goum vit sous la tente; à chaque arrêt, il détache des sentinelles. Au bivouac, comme toutes les troupes en campagne en Afrique du Nord, il se protège immédiatement par une murette de pierres, des guetteurs surveillant les alentours.
Lorsque le goum doit tenir un poste, il construit sa « kechla » protégée elle aussi par un mur. La, le goumier peut vivre s'il le veut en famille. Un emplacement distinct est, par contre, réservé aux célibataires, l'un d'eux assurant la cuisson de la nourriture sur un « kanoun » au charbon de bois. En déplacement, chacun devra emmener trois ou quatre jours de nourriture. Moutons et denrées sont achetés au souk. Le commandant de goum est seul responsable de la gestion et des finances du goum, le sous-officier comptable tenant le registre d'engagement et celui de la paye.

Les goums de la Chaouïa (1908-1912)

De 1907 à 1912, la situation générale a sensiblement évolué au Maroc : - d'un côté, le « corps d'intervention » du général d'Amade a, partant de Casablanca et après souvent de durs combats où se sont distingués les goums, occupé et pacifié le territoire de la Chaouïa, élargi à ceux des Zaers et du Tadla, se donnant ainsi la possibilité en juin 1910, de couper la route de Fez au cheikh Ma Elainin soutenu de façon occulte par le caïd berbère Zaian, Moha ou Hammou.
Ce succès éclatant auquel participèrent brillamment les 3e et 4e goums, aura un écho retentissant en bled siba et influencera de façon radicale le cours des événements à venir. Ma Elainin, en effet, cheikh rebelle, notre vieil ennemi de Mauritanie, après avoir soulevé des tribus du sud marocain, se dirigeait vers le nord pour, de Fez la capitale, proclamer la guerre sainte contre l'infidèle et ceux qui s'y sont ralliés. Battu et blessé, il devra s'enfuir après cet échec, vers la montagne la plus proche pour éviter d'être capturé.


Le sultan Moulay Hafid (1908-1912)
(Archives du Maroc)


- de l'autre, l'empire chérifien où le sultan Moulay Abd-El-Aziz a été évincé du trône dès janvier 1908 par son frère Moulay Hafid dont les méhallas chérifiennes insuffisamment réorganisées ne parviennent plus à rompre l'étau que les Berbères de la montagne de plus en plus agressifs resserrent autour de Fez.
Acculé, Moulay Hafid se résoud le 15 avril 1911 à demander officiellement l'aide des troupes françaises. Ce sera le prélude à la signature quelques mois plus tard du traité de Protectorat entre la France et le Maroc, libérant notre pays des entraves du traité d'Algésiras. Durant ces cinq années, les six goums de la Chaouïa se sont fait connaître, conquérant sur le terrain leurs lettres de noblesse.
Bien intégrés aux côtés des troupes régulières d'intervention, la façon de les utiliser s'est cependant petit à petit modifiée. Armés maintenant du fusil 1886, aguerris par d'incessants combats, ils ont acquis un esprit de cohésion qui les rend aptes à tenir seuls des positions et même des postes au contact de la dissidence après le départ du gros des forces. Ayant prouvé leur valeur, considérés déjà comme des unités d'élite, ils ont mérité l'admiration du commandement et gagné citations et témoignages de satisfaction pour leur bravoure, leur entrain, leur endurance mais aussi leur esprit de sacrifice. Leur efficacité maintenant reconnue a justifié le doublement de leurs effectifs par le recrutement progressif et clandestin de six
« goums bis » en attente de reconnaissance officielle pour ne pas attirer les observations de certains signataires du traité d'Algésiras, comme l'Allemagne peu satisfaite de la progression de notre action pacificatrice et qui cherche à la gêner en soutenant des oppositions internes.

Multiplication des goums

Le traité de protectorat franco-marocain du 30 mars 1912 - dit traité de Fez- donne à notre action une nouvelle dimension que la révolte des méhallas chérifiennes de Fez ainsi que les émeutes sanglantes qui se produiront dans la ville à partir du 17 avril suivant, vont mettre en évidence.
Réaction immédiate du gouvernement français : le général Lyautey est nommé, fin avril, résident général de France au Maroc avec pleins pouvoirs. Il arrive le 12 mai dans la ville assiégée, escorté depuis Casablanca par une troupe légère aux ordres du colonel Giraud et prend immédiatement la situation en main.
Le 17 septembre, le sultan Moulay Hafid abdique, son frère Moulay Youssef étant désigné par les oulemas pour lui succéder. Peu de temps après, en accord avec le général Lyautey, il décidera de retransférer le gouvernement chérifien à Rabat afin de faciliter la mise en place et l'organisation d'une administration mieux adaptée au futur développement du pays. Dès lors, le rôle des goums associés sans réserve au progrès de l'unité marocaine, devient primordial et va s'amplifier avec la poursuite vigoureuse de la pacification et de la mise en valeur du Maroc voulue par le résident général.


Le sultan Moulay Youssef et le général Lyautay en 1925
(Archives du Maroc)


La prompte reconnaissance des six « goums bis » porte le nombre de goums à douze; ce chiffre ne devant cesser d'augmenter au fur et à mesure des besoins nés de la soumission de nouvelles tribus et des conséquences des événements mondiaux (guerre de 1914-1918 et du Rif) sur les effectifs des troupes régulières.
La mission de ces goums restera donc toujours :- militaire, avec l'appui des troupes en campagne, la mise en place du quadrillage territorial pour assurer la sécurité du pays pacifié et la protection des axes de communications vitaux pour l'économie et les services de santé,- mais aussi politique, car, aux ordres des officiers des A.I. (Affaires Indigènes), les goums devront demeurer au contact des tribus déjà soumises ou en voie de ralliement à l'autorité « maghzen ».

Le goumier berbère

En 1912, les goums qui viennent de magnifiquement œuvrer à la pacification de la Chaouïa et de la zone de communication reliant Casablanca à Fez, vont devoir maintenant, pour faire face à leur nouvelle tâche en direction de la montagne et du Sud, modifier leur recrutement.
Les Arabes de la plaine, moins bien adaptés au « Jbel », y seront progressivement remplacés par des Berbères issus des tribus montagnardes et belliqueuses du « bled siba » au fur et à mesure de la pacification. Et plus tard, ce seront ces tribus qui formeront le "réservoir" où se recruteront les goumiers des Tabors marocains, devenus légendaires, des campagnes 1939-1945. Le commandant Saulay, historien des goums, a remarqué « qu'il s'est en effet passé dans ce pays un phénomène peut-être unique dans les annales coloniales françaises. Les populations berbères des trois Atlas et du Rif se sont littéralement données au conquérant français après lui avoir opposé une fanatique et farouche résistance. C'est là, dans ces montagnes où jamais une méhalla chérifienne n'avait osé s'aventurer, que nous recruterons nos meilleurs auxiliaires. Ceux-ci s'attacheront à leurs chefs français, officiers et sous-officiers, exemplaires meneurs d'hommes dans un climat de totale et réciproque amitié, les suivant fidèlement sur tous les sentiers de la guerre au Maroc d'abord, puis dans tous les combats extérieurs où s'illustra l'armée française d'Afrique ».
De tout temps, la vie des Berbères, qui se veulent des « hommes libres » et qui ne conçoivent pas d'autre genre d'existence, a été marquée par des luttes meurtrières entre tribus. Chacun garde le souvenir exaltant du baroud, de l'ivresse de la victoire ou du lourd prix de la défaite avec la mort, l'exil ou bien encore la demande de « l'aman » (paix). Il a mené de toutes ses forces le combat contre la pacification mais il en constate chaque jour l'inexorable progression.

Vaincu par un ennemi aussi valeureux que lui, à l'écrasante supériorité en armes, il a été dans l’obligation de demander l'aman. Son vainqueur s'est montré respectueux de sa langue et de sa coutume. Sincère et sans réserve est son ralliement qui ne déroge pas dans l'esprit à la tradition des « hommes libres ».
... Et puis, par hérédité et atavisme musulmans, peut-être d'origine orientale, sait-il qu'il lui a fallu craindre et respecter avant d'aimer. Rien n'empêche donc, comme le veut également la tradition, que pour prouver sa loyauté, sa tribu fournisse maintenant un chef et des partisans qui iront comme un essaim d'abeilles prendre contact ou combattre d'autres tribus insoumises... Ce qui lui permettra peut-être aussi d'assouvir cet ancestral et incoercible appétit de pillage et de razzia, justes compensations au prix de la guerre qui sommeille toujours dans l'inconscient berbère.
Comme l'a noté le commandant Montagne, historien et sociologue, « à une guerre sainte initialement conduite contre l'infidèle succède alors, dans une volonté commune franco-marocaine de paix et de développement du pays, une guerre de pacification retournée contre la dissidence où un bloc de plus en plus puissant de tribus ralliées, fera pression successivement dans le Moyen-Atlas, le Rif, l'Atlas Central, le Sagho et les "confins mauritaniens", sur les insoumis ».
Vivier des futurs goumiers, les partisans resteront « l'outil de choix » et l'auxiliaire très efficace du commandant de goum ou de l'officier des A.I. à l'origine souvent de leur ralliement.

Lien précieux entre le « hakem au képi bleu » et les tribus nouvellement ralliées, ils l'aideront durant l'hiver dans sa recherche de renseignements et dans sa volonté de renouer ou de créer de nouveaux contacts avec les ressortissants du « bled siba » sur les souks et au dispensaire du goum qui leur est largement ouvert. Chaque année à la belle saison, lors des opérations militaires lancées par le commandement, le goum recomplété par de nouvelles recrues et maintenant doté de quatre fusils-mitrailleurs et d'un groupe de deux mitrailleuses, reprendra sa place auprès des troupes régulières pour concrétiser l'indispensable travail politique réalisé pendant l'hiver.
Par bonds successifs, le contrôle du Makhzen s'étendra ainsi aux tribus encore en dissidence qui viendront demander "l'aman" et sacrifieront au rite de la targuiba (égorgement d'un taureau).
Les goumiers auront, comme le voulait le traité de protectorat, servi depuis 1912 le Maroc en l'aidant à redresser la situation intérieure du pays et à s'ouvrir sur le monde moderne.

Vingt-cinq ans plus tard

Courant 1933, la soumission du Makhzen est quasi générale à l'exception de la tache de l'Atlas Central, mais surtout celle du bel Sagho au sud du grand Atlas et en bordure du désert.
Là, dans ce massif montagneux, escarpé et aride, se sont regroupés derrière Asso ou Baselham, « amghar » (chef) de la Confédération des Aït Atta, les derniers dissidents rejoints également « pas mal de vrais bandits », qui furent encerclés et réduits après d'ultimes combats particulièrement acharnés et meurtriers au cours desquels fut tué, héros mythique, le capitaine de Bournazel.
Pour les goumiers d'origine berbère, indépendants de nature et devenus par l'enchaînement des événements les artisans valeureux mais souvent inconscients de l'unité marocaine pour la première fois réalisée, un monde basculait avec la perspective de la fin d'une existence sans doute risquée mais conforme à leurs goûts et à leurs traditions tribales.
Depuis plus de vingt ans, ils avaient fait la guerre avec nous et beaucoup se rendaient compte maintenant parmi eux, avoir vécu durant cette période leurs derniers combats « d'hommes libres ».
Pour certains des plus anciens, la vie n'aurait plus d'intérêt ni de sel et ils n'auraient désormais, leur semblait-il, plus rien à faire tout au long des jours sinon de compter les enfants qui naîtraient d'eux et qui ne seraient plus des hommes à leur image.
Plein de nostalgie pour ce passé, ils ne pouvaient encore prévoir les perspectives qui allaient s'ouvrir avec eux avec le deuxième conflit mondial en Afrique française du Nord, en Europe et plus tard en Indochine.
De plus jeunes qu'eux d'ailleurs, une nouvelle génération, s'engageaient déjà naturellement à leur tour dans les goums pour rejoindre un parent ou ami, gagner un peu d'argent mais aussi par esprit d'aventure.
En 1934, 10 000 goumiers figureront sur les effectifs de 51 goums répartis sur l'ensemble du pays, en montagne, dans le sud, de l'Atlantique à l’Algérie, du Rif au Sahara, chaque étape de la pacification ayant rendu nécessaire la création de nouvelles unités.
En effet, au cours de ce long par-cours de plus d'un quart de siècle, qui leur a fait vivre de la Chaouïa aux frontières de l'Empire, une incomparable geste militaire, les goums, par de progressives transformations, se sont adaptés à des situations et conditions matérielles nouvelles.

Les cadres français des goums

À l'origine, l'appellation « goums mixtes » en 1908, correspondait uniquement à une unité légère de fantassins et de cavaliers. Elle prit par la suite un sens plus élargi avec la création de goums méharistes, motorisés, à skis, et bien plus tard, parachutistes.
Répondant à un besoin perçu dans une situation analogue lors de la conquête de l'Algérie mais s'opposant à tous projets néfastes ou fantaisistes, les goums mixtes marocains avaient été conçus par le général d'Amade pour favoriser toutes les initiatives heureuses tenant compte des formes et de l'environnement particulier du combat en zone d'insécurité.
En se révélant d'une grande souplesse d'emploi et par la suite, parfaitement adaptés à la mentalité berbère, ils auront constitué la troupe la plus économique qu'il soit et la plus conforme aux besoins du commandement. Chaque goum, malgré la diversité voulue de son recrutement tribal pour éviter la formation de clans rivaux, est un tout, et son capitaine (ou lieutenant ancien) le chef d'une « grande tribu ». Le rôle de cet officier est primordial. Il est conscient d'avoir le plus beau des commandements et de détenir une autorité passionnante à base de liberté, d'initiative et de responsabilité. Vivant à longueur de temps la même existence et supportant les mêmes servitudes que ses hommes à l'esprit d'indépendance marquée, il s'ingénie avec fermeté à fortifier en eux l'esprit de cohésion indispensable aussi bien au combat que dans la vie courante de l'unité. Mais ayant forgé l'outil dont il aura besoin, il sait qu'en retour au combat, le goumier, son
« sahab », son homme lige, qui apprécie en lui courage et esprit justice et qui, spontanément, au hasard du baroud, se sacrifie ou donnera sa vie, aura les yeux fixés sur lui.
Une poignée de sous-officiers français, chefs de sections exceptionnels, le seconde admirablement dans l'accomplissement de sa mission.
Ceux-ci, originaires de toutes armes, sont soudés autour de lui et animés du même état d'esprit. Ils constitueront une élite, certains d'entre eux méritant, après avoir gagné au feu, citations, médaille militaire et épaulette d'officier, de se voir élever jusqu'au grade de colonel et de commandeur de l'Ordre national de la Légion d'honneur.
Il est en fait difficile aujourd'hui de se rendre compte de la nature des liens qui s'étaient établis entre cadres français et goumiers marocains dans une ambiance parfaite de loyauté et de confiance.

Souvenir du djebel

À la différence des tirailleurs des troupes régulières, le goumier, engagé pour un an seulement ou la durée d'une campagne, aime à revenir, au terme de son engagement, dans sa tribu pour retrouver famille et enfants mais aussi son douar afin de se donner à nouveau l'impression de vivre en homme libre (« amazigh ») et d'être à son tour un chef.
Des souvenirs de son passé de berger, de laboureur, de coureur de djebel à l'époque de la dissidence et aussi de soldat lui reviennent en mémoire.
Il évoque, se rappelant les pénibles journées de pluie, de froid et de neige, les longues soirées d'hiver en famille dans une atmosphère enfumée autour d'un maigre feu ou d'un « canoun ».
Il se souvient des rudes pistes de la montagne où, djellaba retroussée, un bâton derrière la nuque pour reposer ses deux bras, il trottinait des heures durant avec, pour apaiser sa faim et étancher sa soif, quelques dattes ou figues sèches ou morceau de « kessra » (pain) et une gorgée d'eau de source ou un verre de thé roboratif.
Il se revoit tapi dans un coin rocheux, observant et surveillant par curiosité naturelle ou comme guetteur de tout ce qui bouge, hommes et bêtes.
II se voit aussi, égorgeant d'une main solide avec son couteau toujours aiguisé et pointu, une brebis ou lançant avec vigueur et habileté une pierre pour ramener une bête égarée du troupeau.
Mais surtout, il n'a pas oublié, souvenir peut-être d'amours anciennes, la mystérieuse et vivante activité nocturne à la belle saison, du crépuscule à l'aube avec le déplacement d'une tente à l'autre ou de village à village.
Repensant à sa vie de goumier, il garde, avec satisfaction, mémoire de la découverte d'un armement moderne dont il rêvait quand il était enfant, de l'entraînement au combat, aisé par une recrue ayant ses qualités naturelles, et de l'exaltation du baroud, correspondant à son tempérament, lors des combats.
L'aventure lui a plu et il a su s'adapter. Il voit l'avenir avec confiance et souvent, après un hiver ou deux, il rengage.



Le général Giraud décore un mokkadem du IVe Tabor
qui a eu l'honneur d'être la seule unité de l'armée française engagée en Sicile


La pause : 1934-1939

La pacification est allée de pair avec la mise en valeur progressive du pays.
Le goumier y a tenu un rôle prépondérant quand il ne combattait pas en travaillant à la reconstruction des pistes, bâtissant les postes, ancrant des radiers dans les oueds, creusant des séguïas pour l'irrigation et aménageant des points d'eau.
Ses enfants vont maintenant à l'école du poste, tenue souvent par l'épouse du capitaine ou d'un sous-officier.
Il cultive le jardin du goum dont les légumes sont distribués à tous, entretient la pépinière et surveille le troupeau.
Régulièrement, il s'entraîne au tir, assure la sécurité des déplacements du « harem » et participe aux tournées en tribu pour rappeler la présence de l'autorité.
Un encadrement spécifiquement goum a par ailleurs été mis en place rapidement avec la création des grades de « maoun » (caporal ou brigadier) et de « mokkadem » (sergent ou maréchal des logis) pour reconnaître la bravoure au feu et l'ascendant naturel de certains goumiers sur leurs camarades. Ceux-ci seront alors nommés chefs de groupe ou adjoints de section auprès des sous-officiers et gradés français. Plus tard, les grades de « maoun aouel » (caporal-chef) et « mokkadem aouel » (sergent- chef) et même « mlazen » (adjudant) compléteront cette hiérarchie pour récompenser les plus méritants. Nombreux parmi ces remarquables cadres et goumiers marocains ayant aussi mérité citations, Croix de guerre et Médaille militaire, seront par la suite recrutés comme « chaouch » ou « mokhaznis » dans les
« bureaux d'affaires indigènes » (poste, annexe, circonscription, cercle, territoire) ou au siège des régions et même dans les services de l'administration du protectorat.

Frontière lybienne et camouflage au Maroc 1940-1942

En 1939, une centaine de goums existeront au total et seront implantés en quadrillage de sûreté sur l’ensemble du pays. Des charges nouvelles de sécurité leur ont été, en effet, confiées au Maghreb par suite de l'évolution de la situation en Europe qui a rendu nécessaire le transfert d'unités opérationnelles du Maroc en France après l'Anschulss et la « Conférence de Munich » en 1938. Dès la déclaration de guerre, au mois d'août 1939, Sa Majesté Mohammed V, sur le trône depuis 1927, appela sans hésiter toutes les forces du pays à se mettre aux côtés de la France.
Dès 1940, le 1er Groupe de Supplétifs Marocains comprenant quatre groupements de chacun quatre goums, soit seize goums, aux ordres du commandant Leblanc, est dirigé sur la frontière sud de la Tunisie.
Après quelques escarmouches vigoureuses contre les Italiens en territoire lybien, il sera dissous à la suite de l'armistice de juin 1940 à son retour au Maroc. Cette utilisation des goums venait de constituer une « première ».
Pour la première fois en effet, plusieurs goums de souveraineté avaient été regroupés organiquement dans des unités de la valeur d'un bataillon d'infanterie, embryon des futurs Tabors.
Malgré la grande tristesse ambiante succédant à la terrible défaite de 1940, c'est à cette époque qu'une politique audacieuse, qui ouvrira aux Goums marocains un nouvel avenir, va être mise en œuvre dans la clandestinité.


Un goumier

Sans attendre et avant même que les commissions d'armistice italo-allemandes ne se présentent au Maroc, une vaste opération de camouflage d'hommes et de matériels sera organisée durant plus de deux ans, rendant les contrôles ultérieurs de ces organismes parfois assez pittoresques.
De nombreuses armes individuelles et automatiques, des mortiers, des canons, des chars même, divers gros matériels roulants ainsi que des quantités de munitions, seront cachés en montagne, dans des endroits difficiles d'accès comme chez des propriétaires ruraux et dans les alentours de chaque poste ou bureau des affaires indigènes dont les officiers maintenant coiffés d'une casquette comme les contrôleurs civils dans leurs zones administratives, assureront la surveillance avec la plus grande vigilance.
La dissimulation des effectifs sera plus délicate. Pour ne pas donner  l'éveil, des goumiers deviendront des travailleurs agricoles et certains goums des fabricants de charbon de bois indispensable à la vie économique du pays ou des gardes-voies. L'ensemble de cette opération clandestine dont la réalisation n'aurait pu être menée à bien sans la « bénédiction » tacite du général Noguès et sans la totale bonne volonté de tous : Marocains et Français, fonctionnaires, militaires, caïds et chefs indigènes, colons, pasteurs, agriculteurs, transporteurs, commerçants..., se révélera être un succès; aucune dénonciation n'étant enregistrée auprès des commissions de contrôle ennemies.
Celles-ci ne furent jamais dupes cependant, mais pensaient « que les dissimulations concernant les goums n'avaient pas grande importance, ces unités n'ayant aucune valeur militaire! ».

Campagnes : Tunisie, Europe, Indochine, Algérie

En mars 1941, lors des discussions serrées au siège de la « Commission d'armistice » de Wiesbaden en Allemagne, le colonel Guillaume, ancien de l'état-major du général Noguès, devenu directeur-adjoint des affaires politiques à Rabat, obtiendra après un difficile dialogue avec l'état-major général allemand que les effectifs concédés aux goums soient maintenus à
16 000 hommes et ne rentrent pas dans le décompte de ceux de « l'armée d'armistice » au motif que ces troupes de souveraineté se révélaient encore indispensables au maintien de l'ordre dans des zones dites d'insécurité dont la pacification était récente.

Jusqu'au débarquement américain au Maroc en novembre 1942, l'entraînement des unités de goums n'était pas pour autant négligé et se poursuivait intensément avec une solide instruction du combattant et des séances de tir en montagne à l'occasion de longues marches de nuit et de manœuvres.
La plus importante se déroula en mai 1942 et regroupa trente-huit goums dans la région d'Aguelmous-Oulmès, qui défilèrent devant le général Noguès avant de se disperser et de rejoindre dès la nuit venue leur zone normale d'emploi ou de stationnement. Ainsi dès l'hiver 1942-1943, après le débarquement allié, deux groupements de Tabors - nouvelle formule - le premier du commandant Leblanc et le second celui du commandant de Latour, furent constitués, suivant un plan d'emploi déjà envisagé lors des opérations sur le front lybien en 1940, et rapidement envoyés sur le front tunisien où ils seront rejoints au printemps 1943 par le 3e Tabor.
Ces deux G.T.M. étaient articulés, comme déjà mentionné, chacun en trois tabors de quatre goums dont les hommes, tous rengagés et volontaires pour la durée des hostilités, conservaient la tenue traditionnelle avec « rezza et djellaba » et étaient dotés de l'armement camouflé à l'armistice.


Le périple des goums (tabors) entre 1942 et 1945

Ces moyens dérisoires comparés à ceux des forces de l'Axe ou des troupes alliées, leur permirent cependant sous la conduite de cadres particulièrement braves et ardents, de faire preuve d'un brio et d'un mordant remarquable.
Ils joueront de décembre 1942 à juin 1943 un rôle déterminant au sein des divisions françaises et alliées, faisant près de 10 000 prisonniers et affirmant de façon éclatante par des coups de main audacieux, des embuscades et des patrouilles profondes en zone ennemie, leur supériorité due à la rapidité de leur action en montagne et de nuit.
Les mulets, dont il convient de rappeler la présence dans ces opérations, se révélèrent comme des auxiliaires indispensables en permettant d'assurer les ravitaillements en vivres et munitions ainsi que les évacuations au travers des massifs montagneux ou en dehors des axes de communication. Les pertes sévères en animaux subies par bombardements, témoignent de leur engagement sur le terrain. Qualifiés de « Royale brêle force », ils furent des artisans précieux de la victoire, surtout plus tard en Italie où le général Juin sut utiliser au maximum les possibilités des goums dans la poursuite sur Rome.
Le général U.S. Bradley ne cachera pas son admiration pour ces goums « à l'allure guerrière pleine de pittoresque » dont les soldats, fiers de leurs traditions d'hommes libres, savaient se montrer stoïques dans la souffrance et dignes devant la mort. Le général U.S. Patton qui vient d'apprécier leur comportement n'hésitera pas et demandera que le 4e Tabor, qu'il a lui-même désigné, participe sous ses ordres à la libération de la Sicile.
Première unité française à être employée en dehors du théâtre d'A.F.N. dans l'étape préliminaire de la reconquête de l'Europe, le 4e Tabor du commandant Verlet dans une suite d'actions habiles et hardies par la montagne et en dehors des axes, y prouvera à nouveau l'allant et l'efficacité des Goums, arrachant en même temps l'estime des régiments de l'U.S. Army engagés à ses côtés. Ces exploits répétés en Tunisie et en Sicile, emportèrent la conviction des Américains sur l'intérêt et l'opportunité d'utiliser cette troupe atypique pour le reste de la campagne en Europe. Aussi accueilleront-ils favorablement la demande du général Giraud sollicitant l'armement et l'équipement de quatre groupements de Tabors, les 1er, 2e, 3e et 4e G.T.M. pour la poursuite des opérations sur le continent européen.
C'est cette décision qui va alors donner aux Goums Marocains la possibilité non seulement de mieux se faire connaître mais surtout de poursuivre durant plus de dix années leur extraordinaire épopée déjà évoquée qui, par les champs de bataille européens et l'Indochine, les ramèneront par l'Algérie au Maroc où l'indépendance venue, ils seront transférés aux Forces Armées Royales Marocaines.
Face à l'histoire, ils auront été l'un des plus beaux fleurons de l'armée française d'Afrique.


Bastia : les goumiers patrouillent


« Qu'en dira-t-on » et Fidélité

Durant les opérations en Europe, les goumiers, s'ils ne laissèrent indifférents aucune des populations rencontrées, furent diversement jugés par elles. Craints ou accueillis en libérateurs, ils furent reconnus pour des preux ou accusés parfois des sévices les plus graves.
Il est certes compréhensible à cet égard que de pauvres populations, terrées dans des grottes et après des journées de bombardements d'artillerie ou d'aviation, aient ressenti une peur panique à la vue imprévisible de ces « moines barbus » couverts de poussière, armés jusqu'aux dents avec poignard au côté, surgissant pour les libérer.
Mais il faut tout autant affirmer que dans la réalité l'attitude et le comportement de ces hommes à la naturelle noblesse de sentiments, furent pratiquement toujours marqués par une exigeante discipline voulue et imposée par leurs cadres; tout manquement ou flagrant délit sur les personnes étant sanctionné avec la dernière rigueur.
Les populations chez qui ils ont le plus longuement séjourné, en particulier alsacienne et vosgienne, purent rapidement apprécier leurs qualités et se souviennent encore de leur présence, de leur gentillesse vis-à-vis des enfants, mais aussi du sacrifice de beaucoup d'entre eux.
Le monument érigé à la Croix des Moinats, au cœur du massif montagneux des Vosges, témoigne fidèlement de leur reconnaissance.

Témoignage aussi de fidélité à tous les morts des diverses campagnes, ceux des goums ont été regroupés avec leurs camarades des autres armes dans les cimetières militaires français de Takrouna et Gamarth en Tunisie, de Saint-Florent en Corse, de Venatro et Rome sur le Monte Mario en Italie, ainsi qu'en France aux Milles près de Marseille et dans la nécropole de Sigolsheim en Alsace et plus tard après l'Indochine dans celle de Fréjus.


29 août 1944, quai des Belges à Marseille : le colonel Massiet du Biest
défile à la tête du 3e groupe de tabor marocain


Le dernier acte : « Adieu aux Armes »

La question s'est posée de savoir, après les prestigieuses mais dures campagnes menées par les goums en Europe et en Indochine, comment les goumiers libérés entre 1945 et 1956, allaient revivre en tribu dans l'inconfort de la tente ou de la « metcha » après avoir connu la « douceur pernicieuse » de ce que nous appelons la civilisation. Il n'y eut apparemment pas de problèmes. On revit assez couramment l'ancien goumier devenu plus riche grâce aux quelques moutons achetés avec son pécule de libération, paraissant vivre heureux, certains après quelques moissons repartant s'engager pour retrouver un ancien patron, son « hakem » ou quelque camarade ou parent de tribu. En 1956, à l'approche de l'indépendance, il n'y eut ni révoltes ni assassinats de cadres dans les Goums, à l'exception d'un ou deux cas singuliers, des rapports confiants entre eux et les goumiers s'étant généralement maintenus. Petit à petit cependant, les mokkadmins avaient fait admettre à leurs officiers et sous-officiers que, dans cette période de transition inéluctable, ils ne commanderaient progressivement plus mais qu'eux-mêmes conscients de leurs nouvelles responsabilités assureraient à leur tour leur protection, celle des armes ainsi que la vie courante des unités.
Le 9 mai 1956 à N'Kheila pour la dernière fois, tous les Goums représentés par leurs fanions et sa garde, défilèrent avec le 1er Tabor marocain devant leur drapeau et le colonel Aunis, commandant les Goums marocains, en présence des représentants du nouveau gouvernement marocain : le général Kettani, ancien du 2e G.T.M. et général de l'armée française ainsi que Si Aherdane, futur ministre de la Défense et ancien capitaine de tirailleurs de l'armée française.

Le 11 mai 1956, « une page était tournée », les Goums marocains se voyant officiellement dissous après quarante-huit années d'existence, par décision du général Bourgund, commandant supérieur des troupes françaises du Maroc et les unités transférées aux Forces Armées Royales, certains cadres français restant en fonction pour assurer la transition.
Une geste française et originale de presque un demi-siècle se terminait ainsi, fruit du travail et de l'action généreuse de militaires et de civils mais aussi du sacrifice de beaucoup d'entre eux.

Le 14 mai 1956, « une autre page débutait », à n'en pas douter, tout aussi prometteuse pour l'avenir, avec à Rabat la présentation par le prince héritier Moulay Hassan, chef d'état-major général à Sa Majesté le roi Mohammed V de la première prise d'armes des Forces Armées Royales où la tenue traditionnelle des Goums ne figurait plus.

Le 9 juin 1956, dernier épisode émouvant dans la cour des Invalides, le drapeau des Goums marocains qui leur avait été remis le 14 juillet 1945 à Paris par le général De Gaulle et avait été décoré de la Légion d'honneur le 11 mai 1953 au Tizi N'Tretten par le maréchal Juin, était déposé au Musée de l'Armée où il rejoignait d'autres glorieux emblèmes du riche passé militaire de la France.

Fierté et ferveur communes

Si les Goums marocains ont ainsi servi loyalement et... avec quel panache... la France, ils ont tout d'abord et toujours servi leur pays au Maroc.
Ayant largement participé à sa pacification et au parachèvement de son unité, ils ont aussi oeuvré à la mise en place d'un makzen rénové ouvert sur le monde moderne.
Conscients de leur originalité et de leur renommée guerrière qui les ont fait sortir de leur anonymat, ils conservent la fierté de la place qu'ils tiennent dans le « Panthéon » des unités de l'Armée française d'Afrique.
Le Maroc, quant à lui, est fier aussi du prestige de ses soldats et de la gloire qu'ils ont glanée sur de nombreux champs de bataille au Maroc et dans le monde et qui rejoint celle d'autres périodes glorieuses de son illustre passé.
Sa Majesté Hassan II en a fait un devoir de mémoire et de reconnaissance en affirmant à maintes reprises qu'un pays ne peut assumer sa grandeur sans connaître et honorer son histoire. Dans une admirable et fervente « Prière pour nos frères Marocains », écrite par le général Hubert, ancien commandant du 15e Tabor, « il est demandé au Seigneur, s'il nous fait un jour la grâce de sa béatitude éternelle, de permettre aux durs guerriers musulmans de Berbérie de se tenir auprès de nous, épaule contre épaule comme naguère sur la ligne de bataille afin qu'ils sachent combien nous les avons aimés ».
Que ce vœu fervent, donnant l'image des liens qui ont uni dans les Goums, Français et Marocains, se perpétue en nous rappelant toujours le devoir qui nous incombe de savoir exprimer notre infinie gratitude à ceux qui sont tombés au cours des combats pour que vivent libres et côte à côte nos deux pays.

Retour au Maroc

Au printemps de 1993, lors de l'assemblée générale de la Koumia (association des anciens des Goums marocains et des A.I. en France), le représentant de l'ambassadeur du Maroc à Paris ayant invité la Koumia à venir tenir une de ses prochaines assemblées générales au Maroc, il fut décidé d'y organiser celle de 1995 qui commémorait également le 50e anniversaire de la Victoire du 8 mai 1945.
À l'automne 1994, le « Centre Jean-Moulin » de Bordeaux demanda aussi la participation de la Koumia à une exposition sur les « Guerriers du Maroc » qui devait être inaugurée le 10 novembre par M. Berrada, nouvel ambassadeur à Paris.
Le haut-commissaire aux Anciens résistants et Anciens combattants du royaume du Maroc, présent à cette manifestation, fit alors part du désir du roi Hassan II de voir cette exposition transférée au Maroc.
L'occasion était ainsi offerte à la Koumia de faire coïncider la présentation de l'exposition des « Guerriers du Maroc » avec son assemblée générale prévue à Marrakech le 29 mai 1995. Une plaquette éditée par le S.I.R.P.A. a retracé les différents événements mémorables qui ont accompagné ce retour au Maroc.
Pour les anciens cadres français des Goums et des A.I. du Maroc, c'était en effet la première fois depuis leur départ en 1956 qu'ils avaient la possibilité officiellement invités, de revenir au Maroc et d'y revoir d'anciens goumiers marocains, leurs camarades jamais oubliés.
Ils furent « royalement accueillis » à Rabat par Sa Majesté Hassan II, venu à leur rencontre dans la cour du palais et par les généraux en activité et en retraite des Forces Armées Royales.
Le Maroc, par son monarque, marquait ainsi sa volonté d'honorer l'action des troupes marocaines au service de l'armée française depuis 1912 suivant la volonté clairement exprimée d'abord par le sultan Moulay Youssef, son grand-père, puis par l'engagement solennel de son père le sultan Mohammed V en 1939 et après.
Il s'agissait également pour le roi Hassan II d'honorer son armée, les Forces Armées Royales dont la plupart des généraux servirent dans les rangs de l'armée française et d'affirmer que la gloire et les sacrifices de ses troupes avaient mérité l'indépendance du pays.
Enfin, à cette manifestation, s'ajoutait la volonté du roi de reconnaître l'action du maréchal Lyautey et de tous ceux qui permirent au Maroc, après l'avoir pacifié, de devenir ce pays moderne dont la voix compte maintenant dans le concert des nations.
A la réception donnée en l'honneur de la Koumia, le roi, en témoignage d'estime et de reconnaissance, remit à son président, le général Le Diberder, une magnifique koumia (poignard marocain, insigne de l'association), plaquée or et incrustée de pierres précieuses, marquant ainsi l'importance qu'il voulait donner à l'événement de notre présence.


Mai 1945 :
le général Guillaume, commandant la 3e DIA
et les goums en Allemagne

Le devoir de mémoire

Conscient de la nécessité pour un peuple d'une culture historique, Sa Majesté Hassan II créa le 22 octobre 1996, la « Commission marocaine d'histoire militaire » affiliée en 1997 à la « Commission internationale d'histoire militaire » qui permit désormais une étroite collaboration entre les historiens de l'armée et des facultés marocaines avec ceux de France au sein de la « Commission d'histoire militaire française », présidée par le général Delmas et sous l'impulsion des professeurs Miège et Martel.
En novembre 1996, un premier et très important colloque fut organisé au Maroc, sous la présidence du général Ben Slimane, commandant la gendarmerie marocaine, pour lancer travaux et études, un deuxième colloque venant de se tenir au mois de juin 1999, dans le cadre de « l'Année du Maroc » en France, à l'Ecole d'Application de l'Infanterie (E.A.I.) de Montpellier avec la participation du général Arroub, président de la Commission d'histoire militaire marocaine.
Le 19 mai 1999, le musée de l'Infanterie agrandi et rénové a été également inauguré à Montpellier. Au sein de ce musée, les collections des Goums marocains et des A.I. du Maroc qui étaient antérieurement conservées au « Musée des Goums » au château de Montsoreau, près de Chinon, y ont été transférées après avoir été remises au Musée de l'Armée à Paris.
Dans un vaste hall élargi par un escalier à double révolution et dans une grande salle d'exposition, les souvenirs et objets de prix des Goums y sont maintenant installés et mis en valeur selon les normes pédagogiques actuellement exigées dans les musées modernes.
De plus, la stèle des « Six Goums Mixte de la Chaouïa » érigée initialement à Bouznika et ramenée en France ainsi que le Mémorial des cadres français des Goums et des A.I. morts au combat au Maroc, ont été à nouveau dressés dans les jardins du musée.

Symbiose franco-marocaine

Avec les « retrouvailles émouvantes » de 1995 au Maroc, s'est refermée la « parenthèse » d'un demi-siècle de la geste franco-marocaine des Goums marocains dissous officiellement quarante années auparavant.
La tenue de colloques, dans le cadre des « Commissions d'histoire militaire franco-marocaines », coïncidant avec l'implantation définitive du musée des Goums et des A.I. du Maroc à Montpellier, permet par contre une ouverture sur l'histoire en instaurant une fructueuse coopération riche de promesses sur l'existence du passé et des relations entre les deux pays.
La difficulté est sans doute grande pour les jeunes générations, maintenant que deux d'entre elles ont déjà vu le jour depuis l'indépendance du Maroc, d'imaginer avec réalisme ce que furent les Goums marocains.
Leur rappeler le parcours de ces troupes atypiques dépendant du makzen chérifien (gouvernement), aux ordres de cadres français et d'officiers des Affaires indigènes, est donc nécessaire pour leur permettre de mieux comprendre le Maroc d'aujourd'hui.
C'est en effet avec ses officiers chargés du contact et des relations avec les tribus insoumises ainsi que du contrôle des chefs marocains ralliés et de la justice coutumière, que les Goums marocains ont ardemment et efficacement participé à l'unification, à la pacification et à la modernisation du pays... avant de se couvrir de gloire sur les champs de bataille extérieurs... et de rentrer dans la légende.
A cet égard et à chaque occasion s'y prêtant, les cadres français des Goums et des A.I. ne manquent pas cependant de préciser que, s'ils restent plus que jamais particulièrement fiers de cette épopée guerrière auréolant les Goums et de la part spécifique et originale qu'ils ont pris dans les combats où ils ont été engagés, ils reconnaissent dans le plus sincère esprit de camaraderie que la gloire des troupes marocaines revient d'abord aux troupes régulières : tirailleurs, spahis, artilleurs, chasseurs, trainglots, génie, transmissions...

Souvenons-nous à jamais

Les Goums marocains ne sauraient être victimes de l'oubli.
Ils se comptent en effet parmi les anciens de la Première Armée française marqués à jamais du sceau de « Rhin et Danube », le général de Lattre ayant toujours témoigné de leur valeur guerrière et du rôle exceptionnel qu'ils ont tenu au cours de la chevauchée prestigieuse pour la libération de la France et en Indochine. Mais ils laissent aussi un "patrimoine" devenu légendaire, preuve d'une bravoure et d'une générosité rares aux ordres de chefs valeureux et au service de la France et du Maroc, que font revivre dans le respect du devoir de mémoire et en hommage au passé :

- le Musée des Goums et des A.I., gardien de leurs fanions, de leurs prises de guerre, de la koumia royale et de souvenirs se rapportant à la pacification du Maroc ainsi qu'aux combats d'A.F.N., d'Europe et d'Indochine.

- l'Histoire des Goums marocains et des A.I., écrite par quatre des leurs relatant vie, actions et engagements militaires des différents Goums.

- le « Chant des Tabors », exaltant témoignage célébrant victoires et sacrifices.

- la « Prière à nos frères marocains », ardente invocation à la béatitude éternelle pour nos camarades de combat chrétiens et musulmans ainsi que pour nos frères disparus.

Ils souhaitent enfin pour que perdure cette légende des « guerriers à la djellaba de laine » que soit rappelé leur « cri de guerre » inoubliable pour chacun d'eux, chargé de réminiscences et de souvenirs, incantatoire pour les goumiers au légendaire esprit offensif, digne de figurer dans le vocabulaire mythologique des combats... Ce cri que, depuis les Abruzzes en Italie, « Auroch » (indicatif du général Guillaume) qui les menait à la bataille, lançait par radio à ses goumiers : « Zidou l' gouddam » (« Allez de l'avant »).


Colonel Henry ALBY
ancien des Goums et des Affaires indigènes du Maroc


In: “ l’Algérianiste” n°93 et n° 94

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