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Quand naissait l'Armée d'Afrique le véritable champ de bataille était l'hôpital

Écrit par Raymond Féry. Associe a la categorie L'Armée d'Afrique

 

« Il est curieux de constater que la plupart des livres sur l'histoire de l'Algérie sont remplis des prouesses de la glorieuse Armée d'Afrique, et que bien peu mettent à sa place la vérité que plus tard a proclamée Lyautey : le principal obstacle qu'ont dû vaincre soldats et colons, c'est la maladie, le paludisme. »

              Ed. et Et. SERGENT. 

    I - ALGER, 1830-1845 

Lorsqu'en juillet 1830, l'armée du général de Bourmont prend pied sur le sol d'Afrique, la Régence d'Alger compte à peine deux millions d'habitants. Ce pays, auquel la France va tant donner, à commencer par son nom — le nom d'Algérie deviendra officiel le 30 juin 1842 —, ce pays était retombé, depuis des siècles, dans la plus désolante barbarie.

Les villes sont sordides et malsaines avec « leurs maisons étroites et croulantes, des ruelles tortueuses et humides, emplies d'immondices » (1). Cette terre, qui fut le grenier de Rome, n'est le plus souvent que jachère ou maquis ; les marécages s'étendent jusqu'aux portes des cités.

Au bout de huit jours, « l'armée est infestée de dysenterie et de fièvres gastro-intestinales » (2). Les Français perdent cinquante hommes par jour du fait de la maladie. Et ce n'est rien encore ! Lorsqu'ils s'aventureront hors d'Alger, toujours plus loin dans la campagne, lorsqu'ils gagneront la Mitidja, qui n'est alors qu'un vaste marécage, les malades et bientôt les morts seront chaque mois plus nombreux, si bien qu'un jour on pourra écrire : « En Afrique le véritable ennemi c'est la maladie ; le véritable champ de bataille c'est l'hôpital. » (3) En 1843, pour 94 hommes tués au combat, plus de 4.600 mourront de maladie et le gouvernement français ne songera rien moins qu'à rappeler l'Armée d'Afrique et à « abandonner l'Algérie, ce domaine de la mort sans gloire, aux chacals et aux bandits ».

Les deux chiffres qui précèdent sont assez éloquents pour que l'on mesure l'ampleur de la tâche dévolue au service de santé militaire. Certes, il y avait aussi des blessés, et, pendant la vingtaine d'années que durera la pacification, les chirurgiens seront constamment sur la brèche. Mais les « services des fiévreux » — comme on désignait alors, à juste titre, les salles des hôpitaux réservés aux malades — sont très souvent complètement débordés.

Les mois les plus funestes sont ceux de juillet et d'août au cours desquels sévissent les fièvres pernicieuses, qui parfois durent jusqu'à l'hiver. Ces fièvres frappent en priorité les troupes cantonnées dans les régions marécageuses, situées dans la plaine à l'est d'Alger, tandis que celles qui sont installées au nord, sur les hauteurs de Bouzaréah, par exemple, demeurent indemnes.

Les médecins du service de santé n'hésitent pas à faire le rapprochement entre l'existence des marais et l'insalubrité qui en résulte. Mais l'ère pastorienne n'est pas encore ouverte, la découverte de micro-organismes responsables de certaines affections de l'homme et des animaux n'arrivera qu'une quarantaine d'années plus tard. Pour l'heure on met au compte des miasmes l'origine des maladies et spécialement celle des fièvres pernicieuses.

Ces miasmes empoisonnent l'atmosphère : l'air est malsain. Le général Bernard, ministre de la Guerre, écrira « L'Algérie n'est qu'un rocher stérile, dans lequel il faut tout apporter excepté l'air ; encore y est-il mauvais. » Ce « mauvais air » détermine des affections semblables dans tout le bassin méditerranéen. Les Italiens n'appellent-ils pas « malaria » les fièvres intermittentes produites par les émanations des terres marécageuses ?

En France, une autre dénomination sera proposée par l'hygiéniste J.-A. Périer. Selon lui, les émanations miasmatiques reconnaissent une origine tellurique ; elles proviennent des terrains marécageux des marais (palus, paludis en latin). Les fièvres qu'elles provoquent sont la traduction de l'infection palustre ou, si l'on veut, de l'impaludation. On les désignera sous le nom de fièvres palustres, d'impaludisme ou, plus simplement, de paludisme (4).

Ces fièvres sévissent en maints endroits de la Régence. Les faits observés aux portes d'Alger, au Hamma, le bien nommé (5) et dans la plaine voisine de la Mitidja, se retrouvent à l'identique en Oranie, au village du Sig, par exemple, et dans la province de Constantine à Bône, à La Calle, à Philippeville, à Bougie.

Deux médecins vont particulièrement s'illustrer dans la lutte contre les fièvres palustres qui déciment les soldats et les premiers colons : François Maillot et Alphonse Laveran. 

  *

 II.- FRANCOIS MAILLOT

  BONE, 1834-1836 

maillot1 François Maillot dessinA Bône, cernée par les marais de la Boudjinah, l'embouchure marécageuse de la Seybouse, la situation est particulièrement dramatique. La ville a été enlevée, abandonnée, puis reprise. Avant de l'évacuer définitivement les troupes du bey de Constantine l'ont dévastée. Les Français se sont installés dans des maisons croulantes, aux terrasses crevées ; les rues ne sont que cloaques jonchés d'immondices.

A l'automne de 1832, a sévi une terrible épidémie de fièvre pernicieuse, alors que les hôpitaux étaient insuffisants et que les médicaments manquaient. Selon Camille Rousset «  un quart des troupes et de la population a péri.» (6) La garnison a été décimée; on a compté un décès pour quatre hommes. En 1833 ç'a été pire encore ; du 15 juin au 15 août, la garnison a enregistré 300 décès, soit plus d'un pour trois hommes !

Pour le traitement des affections fébriles, on utilise la quinine, un alcaloïde extrait du quinquina, que deux pharmaciens français, Pelletier et Caventou, sont arrivés à isoler en 1820, dix ans avant le débarquement de Sidi Ferruch. Antonini, médecin du corps expéditionnaire, puis médecin-chef de l'hôpital militaire d'Alger, a préconisé très tôt son utilisation. Mais le traitement est encore conduit selon des règles imprécises et des méthodes contestables : la quinine est donnée tardivement, à très petites doses ; la diète les purgations et les saignées auxquelles sont soumis les malheureux malades ne sont pas propres à favoriser leur rétablissement.

En février 1834, le médecin-major François Maillot est nommé médecin-chef de l'hôpital de Bône. Précédemment affecté aux hôpitaux d'Ajaccio puis d'Alger, il a eu l'occasion d'observer et de traiter de nombreux fiévreux. Il va établir les bases judicieuses du traitement quinique. Jusqu'ici on utilisait le produit à très faible dose : 4, 6 ou 8 grains par jour — soit entre 0,20 g et 0,40 g. Maillot n'hésite pas à porter ces doses à 24 et jusqu'à 40 grains — soit 1,20 g à 2 g. (7)

D'autre part, il était courant d'attendre le septième accès fébrile avant d'entreprendre la médication. Maillot insiste sur la nécessité de frapper fort, dès le premier accès. Les résultats ne se feront pas attendre. En 1835, on n'enregistrera à l'hôpital de Bône qu'un seul décès pour 27 entrants.

François Maillot est né à Briey, en Lorraine, en 1804. Il avait donc tout juste trente ans lorsqu'il fut placé à la tête de l'hôpital militaire de Bône. L'année suivante il rendit compte de ses travaux et observations dans un mémoire à l'Académie des sciences et publia, peu après un Traité des fièvres intermittente

Malgré le succès de sa méthode — la mortalité dans les hôpitaux est tombée de 11 p. 100 en 1832 et près de 23 p. 100 en 1833 à moins de 5 p.100 en 1835 — les idées de Maillot sont loin d'être admises par tous. Certains les combattent ouvertement ; nombre de médecins s'en tiennent aux anciens procédés thérapeutiques.

Rentré en France en 1837, Maillot est chargé d'enseigner la clinique médicale à l'hôpital d'instruction de Metz, puis au Val-de-Grâce jusqu'en 1851. Il prend part à la campagne d'Italie en 1856, avec le grade de médecin inspecteur et sera atteint par la limite d'âge en 1868.

Mais il vivra encore longtemps, connaîtra la découverte de l'agent du paludisme par Laveran et verra ses mérites personnels enfin reconnus. Il mourra en 1894, à l'âge de quatre-vingt dix ans
 


Inscription commémorative qui se trouvait à l’entrée de la chapelle
de l’hôpital militaire de Bône

 

III. --ALPHONSE LAVERAN

CONSTANTINE, 1880-1884 

Un demi-siècle a passé. Tandis que s'achevait la conquête de l'Algérie et que s'affirmait la vocation coloniale de la France, les changements de régime politique se sont multipliés en métropole, et, pour finir, la guerre franco-allemande de 1870-1871 s'est achevée sur un désastre.

Simultanément les connaissances médicales ont franchi une étape décisive. Pasteur, en fondant la microbiologie a permis à la chirurgie d'accomplir, grâce à Lister, inventeur de l'antiseptie, des progrès considérables et à l'épidémiologie de reconnaître l'origine microbienne de nombreuses maladies et de s'orienter vers leur prévention vaccinale.

Mais le paludisme est loin d'être vaincu. Soldats et colons continuent à payer un lourd tribut à ce fléau. C'est le moment où Alphone Laveran, jeune agrégé du Val-de-Grâce, est affecté — à l'expiration de son temps d'agrégation — aux hôpitaux de la division de Constantine. Il sera l'auteur d'une découverte d'importance considérable et de portée universelle : celle de l'agent du paludisme. Puis il dénoncera son agent vecteur, le moustique.

Laissons Laveran parler lui-même de ses travaux :

« Mes premières recherches remontent à 1878 ; j'étais à ce moment chargé d'un service à l'hôpital de Bône et un grand nombre de mes malades étaient atteints de fièvres palustres. (...)

(...) « J'eus l'occasion de faire l'autopsie de sujets morts de fièvre pernicieuse et d'étudier la mélanémie, c'est-à-dire la formation du pigment noir dans le sang des sujets atteints de fièvre palustre. (...)

« Je cherchai à poursuivre dans le sang des malades l'étude de la formation du pigment... A côté de leucocytes mélanifères (8), des corps sphériques, de volume variable, pigmentés, doués de mouvements (...) et des corps en croissant pigmentés attirèrent mon attention ; je supposai dès lors qu'il s'agissait de parasites.En 1880 à l'hôpital de Constantine, je découvris sur les bords de corps sphériques pigmentés, dans le sang d'un malade atteint de paludisme, des éléments filiformes ressemblant à des flagelles qui s'agitaient avec une grande vivacité. (...) Dès lors je n'eus plus de doute sur la nature des éléments que j'avais trouvés dans le sang palustre. (...)

« En 1882, j'allai en Italie pour rechercher, dans le sang des palustres de la campagne romaine, le parasite que j'avais vu dans le sang des palustres d'Algérie ; j'eus la satisfaction de l'y retrouver. (...)

« Après avoir tenté vainement de déceler le parasite dans l'air ou dans l'eau des localités palustres (...) je suis arrivé à la conviction que le microbe se trouvait, en dehors du corps humain, à l'état parasitaire et très probablement à l'état de parasite des moustiques. J'ai émis cette opinion dès 1884 .dans mon traité des fièvres palustres et j'y suis revenu à plusieurs reprises. » (9)

« Pour atteindre la vérité, il avait suffi à Laveran de quitter les sentiers battus et de rechercher la cause première du paludisme non plus dans l'air, les eaux ou le sol, mais dans l'homme malade. » (10)

Il faut dire qu'avant de servir en Algérie, le jeune agrégé du Val-de-Grâce s'était imprégné des théories pastoriennes, avait étudié les maladies épidémiques et s'était familiarisé avec les techniques de laboratoire auprès du biologiste Ranvier. Sa découverte n'est pas la conséquence du hasard, d'un incident fortuit, mais — comme l'ont écrit Edmond et Etienne Sergent —« le fruit d'un labeur opiniâtre, d'une persévérance obstinée ».

Laveran lui-même date sa découverte du 6 novembre 1880 — c'est en fait celle de sa communication à l'Académie de médecine — et il la situe à l'hôpital de Constantine. Elle est, comme il l'écrit lui-même, le résultat de recherches entreprises à Bône, poursuivies à Biskra et enfin parachevées à Constantine en juillet 1880.

C'est en juillet, en effet, que Laveran acquiert la certitude d'avoir découvert l'agent causal du paludisme en examinant le sang d'un jeune soldat du train des équipages, atteint de paludisme. Ce tringlot était cantonné à la caserne du Bardo, bâtie sur la rive même du Rhumel, l'oued qui ceinture le rocher de l'antique Cirta. Et jusqu'en 1962, l'hôpital militaire de Constantine a conservé pieusement le modeste microscope avec lequel Laveran procédait à ses recherches. Une plaque de marbre noir, apposée dans une salle de malades, commémorait leur couronnement en ces termes : « Dans ce local servant alors de laboratoire, M. Laveran, médecin-major de ler classe, a découvert l'hématozoaire du paludisme en 1880. »

Dès 1884, Laveran avait émis l'opinion que le moustique, qui pullule dans tous les endroits malsains, constitue le vecteur de l'agent du paludisme. L'Anglais Patrick Manson, qui avait découvert le rôle joué par cet insecte dans la transmission de la filariose (11), fut le premier à accepter cette hypothèse, qu'un autre Anglais, le médecin de l'Armée des Indes, Ronald Ross, devait confirmer expérimentalement en 1897. Mais seul le moustique du genre anophèle est capable de transmettre le paludisme humain. C'est ce qu'ont montré les paludologues italiens, Grassi et collaborateurs, en 1898.


Constantine en 1880 ( d’après uns gravure de l’époque )
Au premier plan à gauche, la caserne du Bardo 

 

  PARIS  1884-1922

Alphonse Laveran est né à Paris le 18 juin 1845, il était donc âgé de trente-cinq ans lorsqu'il a effectué sa célèbre découverte. Fils de médecin militaire, il avait déjà passé une partie de son enfance en Algérie. En effet, son père, Louis-Théodore Laveran, y avait été affecté en 1851, alors que lui-même allait avoir six ans. Il devait toujours conserver « un souvenir enchanteur de cette jolie ville de Blida, entourée de collines et dont les champs plantés d'orangers constituaient le but de promenade favori de ses habitants. Là, sans gêne ni contrainte, ayant ses parents pour premiers maîtres, il passa les plus belles années de son enfance. » (12)

La famille Laveran ayant regagné Paris en 1856, Alphonse fut élève du collège Sainte-Barbe puis du lycée Louis-le-Grand. Suivant l'exemple paternel, il entra ensuite à l'Ecole impériale du service de santé militaire de Strasbourg. A sa sortie, il participa, avec le grade de médecin aide-major de classe, à la guerre désastreuse de 1870-1871. En 1873 il fut nommé professeur agrégé du Val-de-Grâce et, au terme de son temps d'agrégation, envoyé en Algérie.

Affecté aux hôpitaux de la division •de Constantine, il exerça successivement à Bône, à Biskra et enfin à l'hôpital militaire du chef-lieu qui un jour portera son nom.

En 1884, il rentre à Paris pour occuper la chaire d'hygiène au Val-de-Grâce. En 1896 — il a un peu plus de cinquante ans — il n'accepte pas une mutation qui l'éloignerait de son laboratoire et entraverait la marche de ses travaux. Il quitte l'armée pour entrer à l'Institut Pasteur, où il collabore avec Félix Mesnil. Dès lors son œuvre déborde le cadre du paludisme ; ses recherches vont rénover la médecine des pays chauds et le conduire à créer la Société de pathologie exotique, dont il sera le président de 1908 à 1920. Il sera admis à l'Académie de médecine en 1893 et à l'Académie des sciences en 1901. Il recevra le Prix Nobel de médecine en 1907.

Alphonse Laveran est mort le 18 mai 1922, à l'âge de soixante-dix-sept ans.

IV. — LE JUGEMENT DE L'HISTOIRE

Il est constant que tout novateur, tout découvreur dérange l'ordre des choses, établi en général sur des idées reçues. L'utilisation de la quinine pour le traitement des fièvres palustres, telle que la préconisait Maillot, la découverte de l'agent du paludisme par Laveran ne dérogèrent pas à la règle et furent, l'une comme l'autre, longtemps controversées et même combattues.

Maillot éprouva les plus grandes difficultés à imposer ses vues. A Bône même, dans son propre hôpital, « on voyait les malades traités dans les services voisins du sien, mais par des méthodes anciennes, se hâter d'abandonner leurs lits pour se disputer ceux que non plus les décès, mais les convalescences et les guérisons laissaient vacants chez M. Maillot. Ils répondaient à ceux qui s'étonnaient de les y trouver sans inscription régulière : « Je viens dans le service où l'on guérit. » (13)

Si certains médecins demeuraient réticents, il n'en allait pas de même dans la troupe et chez les colons. Tous réclamaient le médicament miracle. La quinine se vendait dans les cantines au même titre que les autres consommations. (14) Ce n'est pas solliciter les faits en avançant l'idée que la quinine s'imposa aux médecins à la demande des malades.

Pourtant il faudra attendre encore des années pour que justice soit rendue à François Maillot. Ce sera fait, avec éclat, à l'occasion du congrès de médecine qui se tiendra à Alger en 1881. Le médecin principal Cuignet y présentera un important rapport sur L'œuvre du docteur Maillot en Algérie. On affirmera alors que, grâce à lui, l'Algérie a pu devenir française et le Dr Battarel, médecin des hôpitaux d'Alger, proposera de remplacer la fameuse formule de Bugeaud,

« ense et aratro » par celle de « ense, aratro et quina ».

Le 24 octobre 1881, Alphonse Laveran conclura sa communication à l'Académie des sciences par ces lignes : « Les accidents de l'impaludisme sont produits par l'introduction dans le sang d'éléments parasitaires qui se présentent sous les différents aspects décrits ci-dessus : c'est par ce qu'il tue ces parasites que le sulfate de quinine fait disparaître les accidents de l'impaludisme. » Maillot pouvait-il souhaiter plus élogieuse consécration ?

En 1888 enfin, le Parlement votera une loi allouant une pension annuelle viagère de six mille francs, à titre de récompense nationale à l'ancien médecin inspecteur Maillot, avec ces attendus : L'emploi du sulfate de quinine à haute dose et d'emblée dans le traitement des fièvres intermittentes, pseudo-continues et pernicieuses, autrefois si meurtrières, inauguré à Bône en 1833 par le médecin-major Maillot a sauvé des milliers de soldats et fut le salut de la colonisation. Le nom de F.-C. Maillot doit être placé parmi ceux qui honorent le plus la France et l'Humanité ».

Le nom de Maillot fut donné au village kabyle de Souk-el-Tleta, à des rues dans plusieurs villes d'Algérie et enfin à l'hôpital militaire d'Alger et à l'hôpital civil de Briey, sa ville natale. A Alger, son buste ornait, jusqu'en 1962, la place de la grande poste à l'entrée de la rue •d'Isly.

Laveran connut lui aussi l'incompréhension, la suspicion, voire l'hostilité de ses contemporains. II dut se battre pour défendre sa découverte. Mais celle-ci reçut la confirmation de chercheurs de plus en plus nombreux, tant en France qu'à l'étranger.

Le nom du premier médecin français qui, à son tour, retrouva l'agent du paludisme dans le sang des malades est aujourd'hui bien injustement oublié. Il s'agit du médecin major Eugène Richard, qui traitait les fiévreux à l'hôpital de Philippeville en 1882. Il devait d'ailleurs succéder à Laveran dans la chaire d'hygiène du Val-de-Grâce en 1894.

Il suffit de jeter un coup d'œil sur la carte du paludisme dans le monde pour mesurer l'importance de la découverte de Laveran. « Sur quatre milliards d'habitants du monde, le paludisme en menace un milliard, en affecte cent millions et en tue chaque année un million. » (15) Mais il convient de rappeler que l'œuvre de Laveran ne s'est pas arrêtée en 1880 à Constantine. Rentré en France, il a formé de nombreuses générations de médecins militaires qui ont prolongé sa mission en Algérie et dans les autres possessions françaises outre-mer ; il a été le créateur de la médecine des pays chauds en fondant la Société de pathologie exotique ; il a accompli à l'Institut Pasteur de Paris des travaux d'une portée considérable sur les maladies parasitaires de l'homme et des animaux, transmises par les insectes et autres arthropodes. (16)

Consécration suprême, en 1907, l'Institut royal de Suède a décerné le prix Nobel de physiologie et de médecine au docteur Alphonse Laveran pour l'ensemble de ses travaux. C'est à cette œuvre tout entière que les pastoriens Edmond Sergent, Etienne Sergent et Louis Parrot ont rendu hommage en présentant, dans la « Collection du centenaire de l'Algérie » (Paris, 1930), la plaquette intitulée : La découverte de Laveran. Qu'il suffise de citer ici quelques lignes de leur conclusion :

« La médecine française en Algérie a rendu un service éclatant à l'humanité tout entière. C'est ici, en effet, qu'elle a enrichi le patrimoine commun des nations civilisées d'une acquisition scientifique décisive... Elle a inauguré l'ère scientifique de la pathologie exotique... En moins de quarante ans, grâce à Laveran, la médecine des pays chauds a été transformée, rénovée, la mise en valeur des colonies rendue possible, des milliers d'existences gardées saines et sauves. Et c'est pour l'Algérie un motif de fierté légitime que de si heureuses conséquences aient eu leur origine sur son sol. »

Aux ignorants, si prompts à condamner le « colonialisme », aux sectaires qui travestissent si impudemment l'histoire, il faut rappeler sans cesse que l'ère des grands empires coloniaux, bien loin que d'avoir été celle de l'esclavagisme — Schœlcher et Savorgnan de Brazza en portent témoignage — a été une grandiose épopée, créatrice de progrès, porteuse de civilisation, génératrice d'espérance et de paix. Il n'est pas aventuré d'avancer que, sans de savants médecins comme Laveran et Ronald Ross, il n'y aurait peut-être pas eu d'empire colonial français, ni d'empire britannique.

Raymond FERY. 

                 

 

  1. Récit du médecin-major Antonini, du corps expéditionnaire de 1830.
  2. Rozet, Voyage dans la Régence d'Alger, Paris, 1833.
  3. Desjobert, L'Algérie en 1838, 1844 et 1846.
  4. Périer (J.A.N.), Hygiène de l'Algérie ; exploration scientifique de l'Algérie pendant les années 1840, 1841 et 1842, Paris, 1847.
  5. Hamma, mot arabe signifiant fièvre. Le Hamma sera assaini et cédera la place au magnifique iardin d'essais.
  6. Rousset (Camille), L'Algérie de 1830 à 1837, Paris, 1840.
  7. Le grain valait environ 0,053 g.
  8. Leucocytes mélanifères : globules blancs chargés de pigment noirâtre.
  9. Laveran (A ), Traité du paludisme, 2e édit., 1907.
  10. Sergent (Ed.), Sergent (Et.) et Parrot (L.) La découverte de Laveran, collection du Centenaire de l'Algérie, Paris, 1930.
  11. Filariose : maladie déterminée par la filaire du sang, ver long et fin, vivant dans les tissus de l'homme et des animaux et inoculé par la piqûre du moustique.
  12. Phisalix (Marie), Laveran, sa vie, son oeuvre, Paris, 1923.
  13. Lette du général d'Uzer au ministre de la guerre, datée du 10 mars 1835.
  14. Trumelet (Col.) Boufarik, Alger, 1887.
  15. Blanc (F., J.-P. et B.) Histoire des maladies exotiques, in Histoire de la médecine, de la pharmacie, de l'art dentaire et de l'art vétérinaire, Paris, 1972.
  16. Déjà, en 1879, alors qu'il était affecté à l'hôpital de Biskra, Laveran avait apporté une importante contribution à l'étude du « bouton d'Orient », encore appelé « clou de Biskra « et montré son caractère contagieux par inoculation. Il avait insisté sur le rôle des insectes dans la propagation de l'affection.

 

  In: « l’Algérianiste » n°22 de 1983


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