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Le début de l'aviation militaire en Algérie et au Sahara

Écrit par Pierre Jarrige. Associe a la categorie Géneralités militaires

Atterrissage à Biskra d’un « Henry-Farman » 50 Chevaux. (Col. Particuliére)

La préparation


Dès la création de l'Aviation militaire (premier achat d'un avion en juillet 1909), son emploi au Sahara est envisagé sérieusement.

Le 3 décembre 1909, Paul Painlevé, de l'Académie des Sciences et futur président du Conseil, demande, devant le groupe sénatorial de l'aviation: « la mise en projet immédiate, en vue dune réalisation prochaine, de transports industriels par aéroplanes, exemple : service de transports légers entre le Sud algérien et Tombouctou ».

En même temps, la Ligue nationale aéronautique (L.N.A.) étudie, en accord avec le ministère de la Guerre, le ministère des travaux publics et le Gouvernement général de l'Algérie : « Les moyens de pénétration par l'aéroplane des régions sud algériennes et sahariennes » . Le 18 juillet 1910, René Quinton, président de la L.N.A., s'adresse au ministre de la Guerre pour solliciter: « le concours des troupes de Terre stationnées dans le Sud algérien, en vue de faciliter les études préliminaires concernant l'organisation d'un service postal par aéroplanesdans le Sahara ». La création d'une "station d'aviation" à Colomb-Béchar est même envisagée pour servir de centre d'entraînement au 19e« l'organisation d'un service militaire en Algérie, en vue de préparer l'aviation saharienne ». Corps d'armée dont le commandant, le général Bailloud, réclame, le 3 octobre 1910:

Sur décision du général Roques, commandant l'Aviation militaire, le lieutenant Max de Lafargue, du 3e régiment de Spahis, est envoyé en école de pilotage en métropole. Avant de quitter l'Algérie, Max de Lafargue expose aux membres de la Société de géographie de l'Algérie et de l'Afrique du Nord, les grandes lignes du réseau algérien qu'il a tracées en accord avec le général Bailloud : « L'installation d'un réseau aérien sera progressive et méthodique. Il comprendra d'abord un réseau sud algérien mettant en communication Biskra, Touggourt, Colomb-Béchar et Béni-Abbés; ensuite, un réseau saharien passant par les vallées de la Sahoura, de l'oued Mla et de l'oued In-Narghar, et permettant d'atteindre les postes les plus éloignés de l'extrême Sud : In-Salah et Timassinine. Plus tard, lorsque ces deux réseaux primitifs fonctionneront, mais à ce moment seulement, on envisagera la création d'un réseau trans-saharien qui reliera In-Salah à Tombouctou d'une part et Tamassimine à Agadès, .le Tchad et l'Afrique Équatoriale d'autre part. À l'heure actuelle, les études préparatoires ont porté surtout sur le réseau sud algérien; les secteurs d'exploitation ont été déterminés et les terrains d'atterrissage fixes et échelonnés entre Biskra, Touggourt et Ouargla., C'est sur les indications judicieuses du général Bailloud que la base de ce réseau a été fixée à Biskra, terminus d'une voie ferrée ».

Il faut rappeler que le massacre de la mission Flatters (février 1881) avait suspendu pour plusieurs années toute tentative de pénétration au Sahara. Le capitaine Cortier, de l'Infanterie coloniale, qui vient de traverser le Sahara avec le capitaine Arnaud en 1909 d'Alger au Niger, est particulièrement qualifié pour parler de ces problèmes et préconise, comme Max de Lafargue, la méthode de prudence; il écrit en octobre 1910 : « L'Aviation a nos colonies comme terre promise, mais il ne faut pas que des catastrophes en arrêtent l'essor. Les aéroplanes, par deux et trois, afin de se porter secours mutuellement, reconnaîtront le pays avoisinant, peu à peu, dans un rayon de plus en plus étendu. Après un an à dix-huit mois de cette marche lente mais progressive et sûre, durée que, sans crainte de se tromper, l'on peut hardiment reporter à cinq ou six années au maximum, les cercles d'aviation de Tombouctou et de l'Algérie tangenteront et la traversée du Sahara sera chose accomplie ».

Une commission interministérielle, présidée par le général Lasserre, est créée pour traiter dans son ensemble de la question de l'envoi d'avions militaires aux colonies. Le Parlement rend la question à son compte et vote, le 16 décembre 1910, un crédit de 400 000 F, pour envoyer six avions à Biskra et créer l'Escadrille saharienne « pour servir a l'étude des graves et attachants problèmes que la traversée ambitionnée du Sahara pose à l'aéronautique ».

Le colonel Hirschauer, futur successeur du Général Roques, et le capitaine Hugoni, commandant l'école de pilotage de Châlons, viennent en Algérie en janvier 1911, afin d'étudier sur place les installations nécessaires à la création du « Centre d'expériences coloniales d'aviation militaire de Biskra ». L'escadrille de Biskra sera rattachée au 3e Groupe de Lyon et dotée d'avions « Henry-Firman 50 ch », puis « Henry-Firman HF 20 de 80 ch ». Le commandant Clolus, du 2e Cuirassier, est appelé à prendre le commandement de l'Aviation en Algérie.


Les premiers vols


Le lieutenant Max de Lafargue revient en Algérie avec le brevet de pilote et réalise son rêve le 17 février 1912, en décollant de Biskra. Ce premier vol sur « Henry-Farman 50 ch »,frappa les imaginations au point que le pilote signale : « l'effet moral considérable produit par cespremiers vols sur les Arabes et, en particulier sur les nomades du Sud, qui se prosternent au passage de l'appareil ».

Commence alors une série de voyages autour de Biskra. Le 22 mars 1912, les lieutenants de Lafargue et Jean Reimbert décollent pour reconnaître la future ligne Biskra-Touggourt-Ouargla, en ayant Touggourt pour but. Assailli par les rafales de vent de sable, 1'équipage est contraint de se poser à plusieurs reprises et ce n'est que le surlendemain que Touggourt est atteint. Au départ de Touggourt les 24, 25 et 26 mars, plusieurs voyages sont effectués vers Temcine, Bled-el-Ahmar et Ain-Ahnefiane. Le 27, c'est le retour vers Biskra.


L’escadrille aérienne de Biskra à l’étape de Tozeur, le 27 février 1913. (Coll. Particuliére)

Le 29 décembre 1912, jean Reimbert, accompagné du caporal mécanicien Émile Dewoitine, retourne à Touggourt et en revient le 2 janvier 1913.

Le 26 février 1913, quatre avions de l'escadrille, pilotés par les lieutenants Reimbert, Cheutin, Jolain et le maréchal des logis Hurars, ayant leurs mécaniciens comme passagers, décollent pour le raid Biskra-Tunis. Le jour même, ils se posent à Tozeur, après un vol de 260 kilomètres; le 27 ils rallient Gabès (180 km), puis Sfax (180 km) le 28. Sousse et Tunis étaient prévus le 1er mars, mais ce jour-là, une tempête disperse les avions et trois équipages, dont Reimbert et Dewoitine, doivent interrompre leur vol à Grombalia quarante kilomètres au sud de Tunis. Ce n'est que le 3 mars que toute l'escadrille est enfin réunie à Kassar-Saïd, l'aérodrome de la banlieue de Tunis. L'escadrille effectue, le 14 mars, un vol de démonstration sur l'itinéraire Tunis-Bizerte-Tunis, puis c'est le retour par chemin de fer des équipages et de leurs avions.

En avril 1913, Jean Reimbert prend le commandement de l'escadrille; le lieutenant de Lafargue devenant chef du Centre aéronautique de Biskra. Le même mois, une escadrille composée des lieutenants Reimbert, Cheutin, Jolain et du maréchal des logis Benoit, accompagne le général Bouttieaux en tournée d'inspection en parcourant le 14 avril, Biskra-Touggourt (220 km), le 15 avril Touggourt-Ouargla (180 km), le 16 avril Ouarg a-Touggourt et le 17 avril Touggourt-Biskra.


Les Aérosables


Le génie mécanique du futur constructeur d'avions Émile Dewoitine, et sans doute les loisirs dont il dispose à Biskra, lui permettent de participer à la construction d'un étrange engin dans le but, téméraire, d'assurer des liaisons rapides au Sahara. Le singulier véhicule, construit avec l'aide des sapeurs Delaunay et Mourier et du caporal Cros, possède un châssis en tubes d'acier

soudés à l'autogène suspendu par sandows sur trois points et articulés dans tous les sens, ce qui permet la déformation complète de la suspension dans les terrains accidentes, et il est monté sur trois essieux portant deux roues jumelées d'avion. La motorisation est assurée par un moteur rotatif « Gnôme 50 ch » attaquant directement une hélice quadripale propulsive. La

marche de ce curieux véhicule de 350 kg consiste en une série de bondissements qui devaient lui permettre de franchir les zones sablonneuses sans s'y enliser et qui lui ont donné son nom:



La «sauterelle», véhicule bizarre imaginé par le futur constructeur d’avion Dewoitine
(Coll particulière)


la Sauterelle. La principale difficulté est de s'arrêter car, en l'absence de ralenti et de frein moteur, le conducteur doit couper le moteur et les passagers s'arc-bouter dans le sable pour stopper l'engin capable d'une vitesse de 60 km/h.

Le succès de la Sauterelle amène de Lafargue à modifier une voiture Brasier dont le moteur

« Clerget 60 ch » entraîne alors une hélice propulsive à six pales. Cet Aérosable parvient à relier Biskra à Touggourt à une vitesse moyenne de 50 km/h. Le général Bailloud lui-même, procède aux essais, piloté par Max de Lafargue, en se faisant transporter sur une cinquantaine de kilomètres. Essayée jusqu' en 1914, l'Aérosable effectue la randonnée Touggourt-Ouargla-El-Oued. Encouragé par ces succès, de Lafargue va jusqu'à étudier un projet de véhicule amphibie dont les roues amovibles pourraient être remplacées par une coque en bois glissant sur la surface des chotts sahariens.

Le général Maurice Bailloud, né le 13 octobre 1847 à Tours, a considérablement appuyé la pénétration du Sahara par la moto, l'automobile et l'avion au cours de sa carrière en Afrique; il mourra le 1er juillet 1921 des suites d'un accident d'avion à Bar-le-Duc. Après avoir mérité la Médaille militaire pendant la guerre, il a continué à défendre l'aviation en présidant la L.N.A. et l'Union des combattants de l'Air.


Le raid Tunisie-Maroc


À la suite du raid Biskra-Tunis, le général Pistou, commandant la division de Tunis, obtient en 1914, l'implantation d'une escadrille à Kassar-Saïd, commandée par Reimbert, et propose au ministère de la Guerre une liaison aérienne de Tunis à Casablanca et retour par Alger, Oran, Oujda, Fez et Meknès. Ce projet magnifique est soumis au général Lyautey, résident général de France au Maroc, qui le rejette vivement avec le commentaire suivant

« Complètement opposé à l'idée d'autoriser en avril prochain une escadrille d'avions à franchir l’ étape M'Coum-Fez. On peut regarder comme certain que, quels que soient les progrès réalisés d'ici à la date du voyage, nous n'occuperons pas encore effectivement les pays de Gliata, T'Soul et Branes, interposés entre M'Coum et Fez. Une panne de moteur dans cette région aurait pour résultat de livrer aux dissidents deux ou plusieurs aviateurs et leurs appareils : têtes promenées dans les douars, perte du prestige des hommes volants, etc... On peut courir ce risque pour une bataille, on ne peut pas le courir pour un raid! ».

On reconnaît bien là le style direct et le sens pratique du futur maréchal, qui est par ailleurs un ardent propagandiste de l'aviation qu'il utilise depuis plusieurs mois dans les opérations du Maroc.

Devant le refus du général, le capitaine Reimbert met sur pied un circuit de 3500 kilomètres de Tunis à Oujda par El-Kef, Aïn-Beïda, M’Sila, Chellala, Le Kreider et El-Aricha. Le retour à Tunis étant prévu par Tendara, Bou-Denib, Colomb-Béchar, Ain-Sefra, Geryville, Laghouat, Biskra, Tozeur et Sfax.

Un convoi automobile, commandé par le lieutenant Jolain, part en précurseur pour assurer le ravitaillement et les dépannages de l'escadrille composée de cinq avions : avion Constantinois - lieutenant Cheutin et soldat Samson; avion Clavenad lieutenant Menard et soldat Tholy ; avion Kabylie - lieutenant Battini et caporal Charles Courtade; avion n° 68 - maréchal des logis Hurars et soldat Lidon; avion n° 100 - maréchal des logis Benoit et soldat Alberola.

Les cinq avions (des « Henry Farman 20 de 80 ch ») décollent de Kassar-Saïd, le 6 mai 1914 en emportant chacun trente kilos d'outillage, d'armes, munitions et de provisions et arrivent le jour même à Aïn-Beïda (287 km) Le 7 mai, étape à M'Sila (200 km), le 8 mai a Chellala (290 km), où l'avion Battini est immobilisé par des avaries. Le 11 mai, Cheutin, Menard et Hur arrivent à Oujda.

Le 29 mai, après quelques vols au Maroc, l'escadrille prend le chemin du retour en faisant Oujda-Tendara-Bou Denib (420 km). Le 30 mai, Bou-Denib-Colomb-Béchar (160 km). À cause du vent, Ain-Sefra ne sera atteint que 4 juin et Géryville le 8 juin par quatre avions seulement. En raison du mauvais temps et de l'état du matériel, l'autorité décide d'arrêter le raid et faire rentrer les « Farman » à Tunis par le chemin de fer.

2870 kilomètres ont été parcourus en 43 heures de vol de groupe, ce qui représente un exploit considérable pour l'époque. Mais les espoirs fondés en 1909 sur l'avion pour explorer le Sahara ont été déçus. Ce raid n a pu être réalisé que grâce au convoi automobile qui le précédait en préparant escales. Les cellules étaient trop fragiles et les moteurs trop peu fiables pour envisager de s'aventurer à grande distance au-dessus d'un territoire inconnu.


La guerre


Le 4 août 1914, le conflit débute en Algérie avec le bombardement de Philippeville par le croiseur allemand « Gœben », et de Bône par le « Breslau » Cette action de guerre met en évidence le désir des Allemands de montrer leur puissance et de fomenter des troubles parmi les populations d'Afrique du Nord. Par ailleurs, l'entrée en guerre de la Turquie au côté l'Allemagne, amène la puissante confrérie sénoussite à prendre position faveur du sultan de Constantinople. Dès lors, des agitateurs libyens parcoureront les confins algéro-tunisiens pour pousser les Musulmans à la révolte En décembre 1914, les tribus libyennes, menées par Khalifa Ben Asked, entre prennent de se libérer de la tutelle italienne, massacrent les garnisons de Mourzouk et Oubari, mettent en fuite la garnison de Ghat qui se réfugie en territoire français et certaines tribus Ajjer entrent en dissidence. Le 2 octobre 1915, c'est l'attaque du poste d'Oum-Souigh dans le Sud tunisien 19 novembre, celle de Dehibat par des Sénoussites vraisemblablement encadrés par des officiers allemands. La situation devient grave tout au long la frontière tripolitaine et la métropole peut difficilement venir en aide aux troupes locales dont la plus grande partie des meilleurs cadres se trouve au front, où la bataille de Verdun fait rage. Le 27 mars 1916, les survivants de la garnison de Djanet sont contraints de se rendre (Djanet sera repris le 16 mai) L'assassinat du père de Foucauld, 1erdécembre 1916 à Tamanrasset supprime le dernier lien moral retenant le chef du Hoggar, Moussa ag Amastane contre les sollicitations de nos ennemis. La situation est critique au seuil de l'année 1917; toutes les tribus Ajjer sont soulevées, les tribus du Hoggar sont sur le point de faire défection, la mehalla de Kaoussen bloque Agadès.


Le général Laperrine


La situation administrative complique singulièrement le travail de pacification; en effet, le Sahara algérien, sous le nom de Territoire du Sud, dépend du gouverneur général de l'Algérie qui, lui-même, agit sur délégation du ministère de l'Intérieur. En Afrique occidentale, le Sahara dépend du gouverneur de l'A.O.F. qui relève du ministère des Colonies. À l'est et à 1 ouest, le Sahara passe sous obédience des résidents généraux de Tunisie et du Maroc qui dépendent du ministère des Affaires étrangères.

Le général Lyautey, ministre de la Guerre, connaît bien la situation et décide de donner le commandement unique du Sahara au général Laperrine, saharien par excellence, et de supprimer toutes les frontières administratives, plus résistantes que les frontières naturelles.

Le général Laperrine, pacificateur du Sahara où il était resté de juillet 1901 à novembre 1910, est rappelé du front où il commandait la 46e brigade d'Infanterie, pour ramener l'ordre au Sahara qu'il rejoint le 2 février 1917 à Ouargla. Il y trouve un adjoint efficace en la personne du colonel Octave Meynier, commandant le Territoire des Oasis. Son domaine englobe tout le Sahara algérien et les régions de Gao, Agadès et Bilma.

Le général Laperrine avait, au cours de son commandement en métropole, appréciè l'apparition, dans la guerre moderne, de l'automobile et de l'avion et avait compris qu' il fallait les utiliser au Sahara pour combattre efficacement les rebelles. Sous son impulsion et sous celle du gouverneur général Lutaud, les pistes s'enfoncent dans le Sahara et, à peine tracées, utilisées par les automobiles qui atteignent déjà In-Salah et son phare fin 1917. Le but à

atteindre, en voiture ou en avion, est Tombouctou, le général Laperrine impose de diriger le tracé vers le Hoggar pour rejoindre ensuite Tombouctou par le Niger, alors -qu'il aurait été plus aisé de procéder directement vers le Tilemsi pour rejoindre l’A.O.F., en économisant un détour de six cents kilomètres. II faut voir dans le choix du général, son attachement au peuple targui et les liens qu'il avait tissés avec lui au cours de son précédent séjour.

Sans anticiper, nous verrons que ce choix sera lourd de conséquences pour le général.


Drame dans le Sud tunisien


Il n'y a, en Algérie, que l'escadrille F547 (ancienne 306), et en Tunisie, en septembre 1916, que les escadrilles F541 (ancienne 301) et F542 (ancienne 308), auxquelles se joindront, en 1917, les escadrilles 543 et 544, toujours commandées par le commandant de Lafargue et toujours équipées de leurs antiques « Henry Farman ».

Le 15 septembre 1916, le lieutenant-colonel Le Bœuf directeur des Affaires indigènes en Tunisie, prend place dans l'avion du sous-lieutenant de Chattenay et décolle de Foum-Tatahouine pour aller bombarder Nalout, à la frontière tripolitaine, avec un « Farman »de l’escadrille 541. L'appareil n'est retrouvé que le 10 janvier 1917 par le brigadier Matteï, sur les renseignements d'un informateur, dans la région de Zemla-Oum-Soumaa (Grand Erg Oriental). L'avion s'est posé normalement, sans doute à bout d'essence, à la suite d'une erreur de navigation qui l'a fait se diriger vers le sud après le bombardement, et a été pillé. Aucune trace de ses occupants n'est visible. Le 5 janvier 1918, le lieutenant Bonnesœur, commandant le Groupe mobile de Ghoraffa, retrouve les restes dispersés du lieutenant-colonel Le Bœuf à une vingtaine de kilomètres de l’épave. Une année s'écoulera encore avant de retrouver, le 7 février 1919, cinq kilomètres plus loin, la dépouille du lieutenant de Chattenay. À la suite de ce drame, Bir-Kecira s'appellera Bordj Le-Bœuf.



Campagne 1915-17. Départ d’un aéroplane dans le désert de l’extrême sud Tunisien.
(Coll particulière)


L'Aviation militaire tunisienne possède, fin 1917, un parc et une base de ravitaillement à Gabès et se subdivise en quatre secteurs : le premier et le deuxième, à Sfax et Monastir, sont chargés de la défense côtière (escadrilles 543 et 544); et le troisième et le quatrième, à Foum-Tatahouine et Zarzis, ont pour missions la lutte contre la rébellion sénoussite et l'établissement de la cartographie.


L'infrastructure


Avant de pouvoir s'aventurer au Sahara en voiture ou en avion, il est nécessaire d'aménager des routes au long desquelles seront installés des aérodromes ou, tout au moins, des terrains de secours. La France est alors à un de moments les plus critiques de la guerre et le gouvernement a bien d'autres soucis que d'équiper le Sahara en voies carrossables. Le général Lyautey, qui avait placé le général Laperrine à tête des Territoires sahariens, est cependant bien obligé de lui fournir les moyens nécessaires pour remplir sa mission. Des crédits arrivent qui permettent d'entreprendre le grand projet de la voie impériale reliant l'Algérie au Niger. Avant l'arrivée du général Laperrine, une piste à peu près carrossable avait été aménagée, dans le prolongement de la voie ferrée qui arrive à Touggourt, entre Ouargla et In-Salah et, au mois d'août 1916, le lieutenant Des Isnards avait réussi une première liaison automobile à travers le Sahara par Gerrara, Ouargla et Inifel. En septembre 1917, le capitaine Sigonney atteint In-Salah en cinq jours avec dix camionnettes et se porte à 270 kilomètres plus au sud, dans la région de Tadimout.


La route Algérie-Niger: Trois hommes vont unir leurs efforts pour établir une piste carrossable de 2000 kilomètres entre Touggourt et Tin-Zaouten, en passant par Hassi-Inifel, In-Salah, Arak et Tamanrasset: - le capitaine Sollié, du Service géographique des armées, qui a relevé le meilleur tracé, qui doit également servir a l'établissement du futur chemin de fer transsaharien; - le lieutenant de l'aéronautique Grandperrin, du Service topographique algérien, que est chargé de reconnaître et de baliser les emplacements des futurs terrains d'atterrissage;le sergent Chapuis de la Compagnies saharienne du Tidikelt qui, à lui tout seul, jouera le rôle d'agent voyer, d'entrepreneur de travaux publics et de cantonnier. C'est lui qui, avec des moyens rudimentaires et au prix d'un effort considérable, rendra praticable cette voie de 2 000 kilomètres, amorce de la fameuse route transsaharienne.

Le lieutenant Fenouil et l'adjudant Poivre mettront ensuite en place, dans des conditions difficiles, le carburant et les pièces de rechange nécessaires aux autos et aux avions dans les postes prévus tout au long du trajet.

Les escadrilles en action

Missions de guerre dans l'Aurès:

Fin 1916, l'Aurès s'agite pour éviter la conscription et l'enrôlement forcé, des dissidents gagnent la foret de Béni-Melloul. En 1917, les escadrilles 543, 544 et 546 viennent renforcer leurs devancières dans l'accompagnement des convois de ravitaillement, la protection des colonnes et les missions photographiques.

Le 4 février-1917, une escadrille quitte Aïn-M'Lila pour Biskra d'où elle effectue des opérations contre les groupes rebelles dans les montagnes. Trois avions sont perdus accidentellement, mais leurs équipages sont retrouvés sains et saufs. Les missions consistent a lancer des tracts et des bombes à proximité des campements. Des postes de ravitaillement sont créés en de nombreux endroits et approvisionnés par caravanes de chameaux si l'accès en automobile est impossible. Tout l'Aurès est survolé de façon intensive au départ de Biskra et des aérodromes de campagne de Batna, Timgad et Zeribet-el-Oued.

Le 3 mars 1917, une escadrille de trois avions venant de Biskra par Touggourt survole toutes les oasis, du Souf jusqu'à El-Oued, puis regagne Biskra. Le capitaine Perdiaux, chef de l'annexe d’'El-Oued, atteste l'impression profonde causée par cette visite aérienne sur la population locale.

En avril 1917, cinq avions de l'escadrille 546, pilotés par le capitaine Laurent (fonctionnaire algérien dans le civil), le lieutenant Simian (agriculteur né à Alger), les lieutenants Robin et Audit, le sous-lieutenant Jaquet et les maréchaux des logis Peché et Trépeau (pilotes venus du front métropolitain), vont de Biskra à Laghouat en suivant le tracé de l'oued Djedi, après escale à Oued-Djellal. L'escadrille se dirige ensuite vers Ghardaïa, qui reçoit sa premiere visite d'avions. Le retour vers Biskra est effectué par Guerrara - Touggourt.

Le raid de l'escadrille 546

Du 4 juin au 16 septembre 1917, l'escadrille 546 effectue une campagne remarquable à travers toute l'Algérie. Au départ de Biskra, elle atterri à Boufarik en s'arrêtant à M'Sila, rayonne autour de Boufarik vers Ténès, Duperré, Médéa et Berrouaghia, puis rejoint Tlemcen en passant par Orleansville et Mascara. De Tlemcen, elle effectue un aller et retour à Oran rayonne ensuite autour de Tlemcen jusqu' à Méchéria au sud, Nemours au nord et survole à plusieurs reprises 1a frontière marocaine. Elle revient vers l'est par Sidi-Bel-Abbès, Relizane et Blida, stationne ensuite à Bouira d'ou elle effectue une série de vols vers Bougie, Aumale et Aïn-Boucif, survole à plusieurs reprises la Kabylie avant de se diriger vers Sétif et Aïn-M'Lila. Elle poursuit jusqu'à Guelma d'où elle rayonne vers Bône et Souk-Ahras en survolant longuement le Nord-Constantinois. Elle revient enfin à Biskra par Ain-Beïda et Batna.

Ce raid, véritable croisière impériale, consacre l'aviation militaire en Algérie et au Nord Sahara. Avec des avions vétustes, abandonnés depuis longtemps pour les opérations sur le front, l'escadrille a parcouru un chemin cousidérable en survolant les massifs montagneux et en affrontant des températures extrêmes. Elle a créé de nombreux aérodromes, ramené une moisson de photographies aériennes et mis en évidence les possibilités énormes offertes par l’aviation comme moyen de reconnaissance et comme force de dissuasion. aucune perte n'est due au fait de l'ennemi, les accidents sont fréquents et quelquefois mortels; le 12 octobre 1917, le pilote Armand Escourrou se tue à l’atterrissage à Biskra.

Le guet-avens d'Ain-Guettara

Au mois d’août 1917, l'escadrille 547 est à Ouargla et doit prévoir et aménager des terrains d'atterrissage avec ateliers de réparations et dépôts de carburant à Inifel et In-Salah, afin


Jarrige5b Escadrille546 Biskra L’escadrille 546 à Biskra. (Coll particuliére)


d'installer à In-Salah une nouvelle escadrille. Le 28 janvier 1918, le lieutenant aviateur Fondet, de la 547, part pour accomplir cette mission avec deux tracteurs d'aviation « Brasier » et un détachement composé du lieutenant Chandès (radio) et des sous-officiers et solats suivants: Hours, Demart, Mugnier, Benevret, Tierce, Barlat, Lacoste et Roussel, ainsi qu'un guide chaambi. Le 1erfévrier, à environ deux cents kilomètres au nord d’In-Salah, après avoir quitté Inifel, le convoi tombe dans une embuscade en franchissant les gorges d'Ain-Guettara. Les dix Français et leur gu ide sont massacrés par des Touaregs Ajjers, de même que huit gardes chaamba qui protégeaient le puits oû le convoi devait faire ;escale.

Les gorges d'Ain-Guettara, sinistre défilé qui mène du Tiddikelt au Tadémait par une dénivellation de sept cents mètres sur quelques kilomètres de distance, sont signalées à leurs entrées par le fameux « Signal bosquet », pyramide blanche bâtie à l'endroit où est mort de soif le sergent Bosquet après s'être égaré. Dans ces gorges, à cent cinquante ou deux cents kilomètres d'Inifel ou d'In-Salah, le sergent Chapuis a construit une authenque route à l'aide de ses chaamba et de quelques outils primitifs amenés à dos de chameaux.


Le raid Ouargla / In-Salah / Ouargla


Le 14 mars 1918, quarante-cinq jours seulement après le drame d'Aïn~Guettara, le raid Ouargla /In-Salah/Ouargla, des vieux « Farman » préfigure le raid sur Tombouctou en accord avec le ministère des P.T.T. qui étudie un projet de ligne aérienne Paris / Marseille / Alger / In-Salah / Tombouctou.

Des postes de ravitaillement sont installés à Hassi-el-Hadjar, Berkane, Hassi-Inifel et Ain-Guettara. L'escadrille de Biskra, commandée par le lieutenant Simian, rejoint à Ouargla, l'escadrille 547 commandée par le lieutenant Alexandre Bernard. Le capitaine Laurent, devenu unijambiste à la suite d’un accident à Biskra, le capitaine Sigonney (passager de Bernard), le lieutenant Lemaitre, l'adjudant Audit, le sergent Trépeau et son passager, Léon Souguenet, occupent les trois « Farman » du raid.

Après une escale à Berkane où les attendent deux camions ravitailleurs, les avions continuent, à 80 km/ h de moyenne, vers Hassi-Inifel. Aïn-Guettara est atteint à 16 heures. Bien que pressés par le temps, les aviateurs vont se recueillir sur les tombes de leurs camarades assassinés et redécollent à 7h30 pour In-Salah, atteint à la tombée de la nuit.

Le trajet d'Ouargla à In-Salah a été effectué dans la journée, 600 kilomètres ont été parcourus, contre un vent défavorable, en 7 heures et 22 minutes de vol (le trajet demande une quinzaine de jours à dos de chameau). Le retour commence le 25 mars par l'étape In-Salah-Ain-Guettara. Le 26 mars, l'escadrille arrive en un temps record, car le vent est maintenant favorable, à Berkane après une escale à Hassi-Inifel.. Ouargla est atteint le 27 mars au matin.

Le raid Ouargla-In-Salah-Ouargla, premier vol au Sahara avec du courrier postal, repousse encore la limite de 1a pénétration aérienne, au prix des victimes de l'attentat d'Ain-Guettara. La citation à l'ordre de l'Armée d'Afrique attribuée aux équipages, qualifie ce raid d'un « exploit qui a eu dans tout le Sahara un retentissement immense ». Le retentissement reste, bien sûr, limité au Sahara, la guerre en Europe n’ est pas encore terminée et la « Grosse Bertha » bombarde Paris.

Le 18 avril 1918, le général Laperrine reçoit sa troisième étoile, il est alors à Ouargla, de retour de Tombouctou. Le général Nivelle, en tournée d'inspection, l'avait rejoint à In-Salah en voiture (le général Robert Nivelle, ancien commandant de la 2e Armée à Verdun en 1916, puis commandant en chef du 16 décembre 1916 au 15 mai 1917, avait été nommé à Alger par le ministre de la Guerre, Paul Painlevé, à la suite de l'échec de l’offensive meurtrière du Chemin des Dames). Le 24 avril 1918, trois « Farman » partent à la rencontre du général Nivelle et le ramènent d'Ouargla à Biskra.

À partir du 17 mai, les escadrilles de Biskra et Ouargla, avec des avions à bout de souffle et manquants de rechange, de carburant et d'huile sont contraintes de cesser leurs activités et remontent à Alger.

De la guerre à la paix

Dès son retour au Sahara, le général Laperrine avait obtenu des résultats spectaculaires et, en juillet 1919, il pouvait circuler de nouveau sur son territoire entièrement pacifié, il avait donné, une deuxième fois, le Sahara à la France. Muté à la tête de la division d'Alger, il quittait le Sahara le 2 octobre 1919 et ne devait y revenir, en avion, que pour y trouver la mort.

La guerre est terminée et elle a fait faire des progrès énormes à l'aviation. Avec des équipages valeureux qui ont su compenser la médiocrité du matériel, les escadrilles d'Algérie ont mené leur mission à bien. Les vols et les raids exceptionnels réalisés au Sahara sont passés inaperçus dans un monde en guerre. La conquête aérienne du Sahara, entamée en silence, se poursuivra dans la paix et l'avion sera utilisé dans la pleine mesure de ses possibilités.

Les antiques « Farman » poussent leur chant du cygne en janvier 1919. L'état-major organise alors une reconnaissance mixte composée d'autos et d'avions qui partent le même jour d'Ouargla pour revenir, en un voyage ambitieux, à leur point de départ, après avoir survolé Colomb-Béchar, Ksabi, Aoulef, In-Salah et Inifel.

Le périple, de plus de 2000 kilomètres, est effectué en vingt-sept jours et les autos ne sont de retour qu'un jour après les avions. Sur les cinq avions de la mission, deux seulement parviennent a boucler le circuit, il est grand temps que les valeureux « Farman » soient relevés par les « Breguet 14 » !


Pierre Jarrige

In: «l’Algérianiste» n° 95 de septembre 2001

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