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Le barrage des Zardézas (2)

Écrit par Hubert Groud. Associe a la categorie Exploitation de l'Eau

Les Vannes Automatiques

Au sommet du barrage, le déversoir est équipé de cinq portes métalliques qui retiennent encore l'eau du lac sur une hauteur de 4 mètres : ce sont les vannes automatiques. Elles évacuent le surplus des crues de la rivière et des torrents du bassin de réception et peuvent maintenir la hauteur d'eau à un niveau constant
La largeur disponible de l'ensemble des cinq vannes au total est, de 55920 mètres soit
- 3 vannes de 10,20 mètres
- 1 vanne de 12 mètres
- 1 vanne de 12,60 mètres
L'étanchéité est réalisée par la poussée de l'eau sur des joints, en cuir formant clapets sur les surfaces de frottement et sur le sommet du déversoir elle est remarquable pour les dimensions en cause, les fuites sont extrêmement rares et insignifiantes puisque le petit bassin formé par le barrage et le contre-barrage n'est jamais plein.
L'ouverture des vannes dans un mouvement vertical est automatique ou commandée par l'homme, individuelle ou simultanée pour les cinq portes Dans le fonctionnement automatique les vannes s'ouvrent soit individuellement, soit d'un même mouvement actionnées par la poussée hydrostatique sur des flotteurs. Le mouvement vertical des flotteurs est transmis à la porte, dans le même sens, par un système de bras de leviers qui démultiplie et rend le déplacement très doux. Chaque vanne est équipée de deux flotteurs en béton d'un volume de sept mètres cubes ; théoriquement elles sont équilibrées pour une immersion des flotteurs à 50%, ce qui donne pour chacune d'elle une poussée de 7 000 kilogrammes. La chambre des flotteurs reçoit et évacue l'eau par des petites vannes qui débouchent sur les faces amont et aval du barrage. Vannes automatiques fermées, la chambre est vide et les flotteurs reposent sur le fond pour les ouvrir, il suffit d'admettre l'eau dans la chambre des flotteurs, l'ouverture est alors fonction du niveau d'eau admis ; le déplacement de ces flotteurs est guidé dans leur couloir par des montants en bois fixés au mur de béton et servant de glissières
Les cinq vannes permettent un débit de 1400 mètres cubes/seconde à 5 mètres d'ouverture, soit une évacuation rapide des surplus, même pour de très fortes crues ; d'autre part, le système de vases communicants qui agit sur les vannes établit une relation très précise entre le niveau d'eau dans le lac et leur hauteur d'ouverture.
Même lorsque l'eau du lac n'atteint pas le niveau du déversoir ces vannes sont conques pour fonctionner avec le système hydrostatique, ce qui permet des révisions ou réparation en été. Ce fonctionnement peut être obtenu jusqu'à la côte 178, soit pour un niveau situé à 7,75 mètres sous la côte du déversoir.
L'ouverture peut être commandée à la main ; chaque vanne est équipée de deux commandes symétriques, à hauteur des contrepoids et comme pour un palan, deux hommes sur un balcon en contrebas actionnent chaque chaîne il faut exercer une force de 7000 kilogrammes, le mouvement est très démultiplié et pénible: pour ouvrir une vanne de vingt centimètres il faut un travail de près de vingt minutes à quatre hommes. En réalité, cette commande à la main n'est qu'une manoeuvre de secours et n'a pas servi jusqu'alors pour une évacuation de crue.
Enfin, un équipement électrique récent (59-60) permet une ouverture maximum en une heure

LA TOUR DE PRISE D'EAU :

Ce sont les ateliers Neyret, Beylier et Piccard-Pictet dit "NEYRPIC" de GRENOBLE qui usinent et mettent en place l'ensemble des installations conduites forcées, fermetures à l'extrémité de chacune d'elles et leurs appareils de manoeuvre.
Les trois prises d'eau dans le réservoir, vidange, irrigation, alimentation sont commandées depuis la tour.
L'irrigation et l'eau d'alimentation partent de l'intérieur de la tour où le niveau de l'eau est celui du lac. A différents étages des grilles avec vannes sont prévues à cet effet, jouant ainsi un premier rôle de filtre pour les gros débris végétaux et permettant de prendre l'eau plus ou moins près de la surface libre du lac-réservoir , premier bassin de décantation naturelle . Il s'agit de capter à la fois une eau aussi décantée et aussi fraîche que possible.
La conduite de vidange passe sous la tour et prend l'eau à son pied, directement au fond du lac. Une porte métallique dite vanne de garde sur rail , commandée de la tour permet d'ouvrir ou fermer- la prise d'eau de 2,60 mètres sur 2,30 mètres, en général elle est toujours ouverte, seule la vanne papillon en aval est fermée ou règle le débits au cours des lâchers. La porte amont n'est utilisée que par nécessité, réparation et entretien intérieur de la conduite ou du papillon, et ce afin de ne pas détériorer par des manoeuvres trop fréquentes les joints en cuir qui assurent l'étanchéité aux surfaces de frottements. Enfin cette prise directe de vidange permet d'évacuer par des lâchers dits "chasses" une partie des dépôts amenés par les eaux au pied du barrage ; on évalue à I/200 des débits liquides les matières solides amenées par les crues.
Avec les premières chaleurs les culs-blancs viennent nicher dans tous les recoins de la tour et à cette même époque, les barbeaux, très nombreux remontent en surface et rôdent le long des maçonneries ; c'est qu'ils sont à l'affût des détritus et excréments lâchés par les oiseaux ; au moindre " ploc" ils bondissent et se disputent cette pâtée tombée du ciel : le "bromège" est naturel, un poste pour la pêche aussi. Il suffit de se camoufler dans la barque de l'administration et de lancer la ligne amorcée avec une petite sauterelle ; au "ploc" dans l'eau, le poisson se jette dessus et avale sans tergiverser. Cependant les barbeaux comprennent vite la "musique" et il faut changer de place. Quant aux qualités culinaires du roi de nos rivières il paraît souhaitable de les compléter... (!) par l'emploi d'une recette adaptée : bien assaisonné, accompagné d'aromates et délivré de ses arêtes , on peut le déguster.

 

Le barrage équipé des vannes de crête, vue aval depuis la rive droite (Photo H.Groud)

 

LES VANNES DE VIDANGE ET D'IRRIGATION

La vidange et l'irrigation sont assurées par deux conduites forcées sur la rive droite , elles suivent une des galeries percée à cet effet aboutissent au pied du barrage , en aval du contre-barrage, et rejettent l'eau directement dans la rivière.
Ces conduites sont fermées aux deux extrémités amont et aval par des portes qui peuvent être commandées séparément, ce qui par l'aval, permet les visites d'entretien ou les réparations.
Le système de fermeture aval est constitué par des portes circulaires pivotant autour d'un axe horizontal suivant le procédé technique appelé "vanne papillon".
La vanne de vidange a 2,40 mètres de diamètre et permet un débit de 85 mètres cubes/seconde , pour l'irrigation une vanne de 0,80 mètre qui peut débiter 15 mètres cubes/seconde, le barrage à la retenue maxima .
Les vannes de vidange et d'irrigation sont commandées électriquement, un fonctionnement de secours à la main est possible. Pour palier les éventuelles pannes de secteur, un projet prévoyait l'installation d'une turbine sur une conduite forcée, actionnant un alternateur qui aurait pu assurer les besoins en énergie du barrage pour les appareils de manoeuvre et l'éclairage. Le devis établi n'a pas été retenu faute de crédits et le projet n'a jamais été réalisé.

ALIMENTATION EN EAU DE PHILIPPEVILLE ET DES VILLAGES

Après sa sortie de la tour, l'eau subit deux traitements : l'un mécanique, l'autre chimique.
- Le traitement mécanique :
La conduite peut recevoir un débit maxima de 8 000 mètres cubes par 24 heures. Dans la réalité, le débit moyen est de 6000 mètres cubes/24 h. Mais si l'eau passait directement du réservoir dans le tuyau d'alimentation celui-ci sauterait sous l'effet de la pression, ou bien il faudrait équiper toute la distance en conduite forcée. Aussi pour amortir cette pression, l'eau est amenée dès sa sortie du réservoir à la chambre brise-charge. Là, sous l'effet de la pression , l'eau jaillit par un robinet pointeau en un jet continu de 245 millimètres; dans l'axe du jet, sur la paroi opposée du bassin , un pointeau scellé dans la maçonnerie pulvérise ce jet; l'eau bouillonnante est recueillie dans un premier bassin , puis s'écoule par un déversoir dans un second bassin d'où elle s'engage dans une conduite de 500 millimètres à la côte 160,50 pour être dirigée vers la station de filtrage en passant sous le lit de la rivière . Pratiquement, la pression de l'eau n'est donnée alors que par la dénivellation du terrain entre cette altitude et le point considéré
- le traitement chimique
Après un parcours de 500 mètres, la conduite atteint la station de filtrage sur la rive opposée de la rivière.
L'eau passe en premier lieu dans une série de deux bassins dits "bassins de réaction et décantation"; pendant son séjour, elle y subit un traitement chimique au sulfate d'alumine. Ce produit est un coagulant destiné à faire précipiter les boues, un activateur de la décantation. Sous l'effet du sulfate d'alumine, il se forme des flocons blancs ou blanchâtres qui se déposent. L'eau passe alors au filtrage.
Les filtres sont répartis en huit bassins. Dans chaque bassin, un treillis métallique très serré et épais est recouvert d'une couche de sable.

 

Zarde202-photo-barrage
(Photo H.Groud)

 

LE VILLAGE ET SA POPULATION

Pendant les travaux de construction, la population européenne atteint quatre-vingt personnes environ ; communautés d'origines diverses l'image de l'Algérie on y trouve des français de métropole ou d'Algérie, des italiens, des espagnols, des maltais, des autochtones des douars environnants et des marocains installés au lieu dit "le camp marocains" où ils ont montés leurs habitations - Mais à ceux qui habitent le village s'ajoutent les employés du chantier qui résident à El Arrouch. L'institutrice part, on dirait aujourd'hui en week-end, souvent le samedi après la classe pour Constantine ou Philippeville et quelquefois le lundi matin les élèves apprécient une récréation imprévue quand, correspondance manquée ou défaut du taxi à la gare d'El Arrouch elle arrive quelque peu en retard.
Pratiquement nulle après la f'in du chantier, la population européenne variera par la suite et suivant les périodes ; on pourra en compter de dix à vingt de 57 à 62, des fonctionnaires des Eaux et Forêts, du Service de l'hydraulique, de l'Education Nationale, des Services Municipaux et de passage les techniciens des entreprises qui sont engagées dans des travaux.
La population musulmane s'élève à 5000 habitants en 1962, réparties sur tout le territoire communal, en mechtas sur les sommets environnants d'Aïn Jdida, du Kebbous… ou près des sources 400 habitants résident au village ; le peuplement est essentiellement fait du douar Hazabra et quelques éléments des douars environnants (1).
La présence de vestiges atteste une implantation de l'époque romaine : à Zardézas, un cimetière près de la rivière sur la piste d'Aïn Adar, et vers la source d'Aïn Jdida des débris de tuiles, pierres taillées et assez souvent pièces de monnaie.
Les distractions sont rares ; on se déplace à Constantine ou à Philippeville le dimanche quand on dispose des moyens de locomotion. Un terrain de tennis a été installé, on pratique aussi le football ou la partie de boules devant la cantine. La pêche, mais surtout la chasse aux perdreaux et sangliers procurera beaucoup de plaisir aux amateurs dans cette contrée giboyeuse. C'est au cours d'une de ces parties qu'Ali Boujdida employé au barrage depuis ses débuts et qui sera le premier maire de la commune, racontera à mon père sa surprise en voyant débouler un lynx; il ne le tira pas. Avec l'été, quand le lac de retenue fera, miroiter ses premières eaux, quelques courageux s'y baigneront.

En 1939 comme en bien des points du territoire, les préparatifs de la guerre sont visibles; craignait-on déjà un bombardement ? Des tranchées sont creusées et numérotées dans les pentes à l'écart et au-dessus du village et les habitants y reçoivent une affectation. A l'appel de mobilisation les hommes les plus jeunes partiront tandis que d'autres, plus agés assureront souvent la garde des ponts, voies ferrées ou lignes téléphoniques du secteur avec un vieux ''LEBEL" . Et dans la nuit du 2 septembre 1939, jour de l'entrée en guerre, sans docteur ni sage-femme, nous aurons une naissance à Zardézas, avec l'aide des voisins , tandis que le père mobilisé -39 ans et trois enfants- rejoignait la caserne du 3ième Zouaves à Philippeville.
La première école ouvre ses portes en 1931 avec la création d'un poste une classe de 25 à 30 élèves ; elle se maintiendra jusqu'en 1940. A la fin des travaux, l'entreprise Ballot démonte le bâtiment scolaire préfabriqué qui lui appartient : l'école ferme ses portes. Suite au débarquement des anglo-américain en A.F.N. et consécutif aux bombardements de Philippeville et de son port, des familles dont une institutrice se réfugieront à Zardézas ; brève reprise en I342-43, cette enseignante repliée de Tunisie fera fonctionner une classe pendant un an.
Il faudra attendre 1958 pour que l'école ouvre nouveau avec, une première classe de 40 élèves. Pour démarrer, deux bâtiments "Fillod" en tôle de deux classes-préau chacun et deux villas seront progressivement montés. Puis un bâtiment en dur dont la construction avait été arrêtée en 1955 avec les "événements" sera repris et achevé en 1960-61 avec deux classes en rez-de-chaussée et deux appartements à l'étage ; l'ensemble , sur trois niveaux encadre la cour située au niveau intermédiaire de plain-pied avec la rue . Sur sept classes, deux fonctionneront en mi-temps. En 1962, avec sept classes et près de 350 élèves, en des jours sombres et difficiles, l'activités scolaire et pédagogique sera assurée jusqu'au 30 juin après avoir procédé à la distribution des prix .
Nous quitterons le barrage tous ensemble, et Ali Boudjdida qui nous attendait à la sortie du village en nous disant "au revoir" ajoutait "vous reviendrez à la rentrée ?"

 

L'activité ordinaire
et les crues sur le barrage

 

 

 

Après le vacarme journalier des concasseurs, des tirs de mines annoncés par la trompe, des locos et pelles à vapeur , le silence est retombé sur la vallée - Seul s'élève dans le soir la flûte ou le chant d'un berger qui rentre avec ses troupeaux ou encore c'est l'écho d'un appel qui résonne d'une montagne à l'autre.
Avec l'achèvement du chantier, toutes les installations disparaissent des baraquements ne subsistent plus que les socles en béton, seuls se maintiendront les deux bâtiments en dur de l'administration et de l'entreprise qui abritaient les bureaux. Quelques ouvriers permanents assureront la surveillance et l'entretien. Quand il le faudra, un responsable viendra de Philippeville de jour ou de nuit . Les observations en provenance du barrage sont communiquées au bureau du Service de l'Hydraulique de Philippeville qui les enregistre et donne les ordres.
Au cours des crues, les eaux qui ravinent les pentes du bassin versant entraînent dans le lac quantité de détritus et de terre… et pour éviter l'envasement au pied du barrage en aval, on effectue des lâchers successifs par la vanne de vidange. Seule une bien faible partie des dépôts est ainsi évacuée et l'efficacité de la méthode est discutée.
Pâques 1953, le barrage est presque plein, encore quelques centimètres de hauteur d'eau et celle-ci passera par-dessus les vannes automatiques. Avec le beau temps, la crue est très faible, l'eau ne monte que de deux à trois millimètres par heure. Pour évacuer la quantité invraisemblable de détritus végétaux qui s'est accumulée à la surface tout contre les vannes le service laissera l'eau s'écouler par dessus les portes.
En temps normal, l'activité est réduite : entretiens divers en maçonnerie, peinture, mécanique et surveillance des appareils enregistreurs, garde des installations. La station de filtrage de l'eau d'alimentation occupe deux ouvriers pour la surveillance et l'entretien, le nettoyage des filtres et cuves.
Il n'en fut pas de même durant l'hiver 1953 , à la suite de conditions atmosphériques défavorables : pluies importantes pendant plus d'une semaine Le Zeramna dont le confluent avec le Saf Saf se trouve tout près de Philippeville a gonflé démesurément au-delà de ses possibilités d'évacuation . Pour pallier ce danger connu un tunnel a été percé sous la montagne du Skikda. Mais la crue est trop forte, les eaux débordent, rompent les digues, inondant la vallée et les faubourgs de la ville Pour éviter que la catastrophe ne prenne des proportions plus grandes les vannes du barrage des Zardézas sont maintenues fermées malgré la montée du niveau des eaux arrivant du bassin versant, et ce afin de laisser passer au maximum l'onde de crue du Zeramna. Le barrage a servi de tampon et quand l'ordre d'ouverture des vannes a été donné, il passait près de 15 centimètres d'eau par-dessus leurs bords supérieurs.
Autrement plus violente sera la crue de 1957, les 22 et 23 novembre. Pour l'ensemble du périmètre contrôlé soit 115 000 hectares on enregistre une chute de pluie évaluée à 200 millions de mètres cubes.
- bassin de réception 80 millions de m³,
- bassin aval 120 millions de m³,
et la pluviométrie enregistrée au barrage pendant la période septembre - octobre - novembre 1957 atteint 630,8 millimètres.
La situation traduite par les nombres se présente ainsi : le cube de la crue est de 47 704 912 mètres cubes.
Les manoeuvres exécutées sont celles qui habituellement évitent la conjonction des crues Zeramna-Saf Saf à l'embouchure.
Le 22 à 9 heures 17, la côte d'alerte est atteinte et les vannes automatiques entrent en fonctionnement.
- entre 8 et 9 heures : 1 443 874 mètres cubes arrivent dans le lac
- à 9 heures 30 les vannes ouvertes lâchent 1 418 m³/Seconde (1)
La capacité du réservoir étant atteinte, ce débit représente rigoureusement la quantité d'eau qui se déverse dans le lac ; la sensibilité du système de fonctionnement automatique permet cette précision. Une variation de débit qui va atteindre 1m³/s/s dans la rivière entraîne un front de crue très violent, à l'origine des dégâts les plus sévères : inondation la plus importante, érosion, des hectares emportés le long des berges, dépôts limoneux dans les plantations et sur les voies de communications.
Au pied du barrage l'oued déborde de son lit, emporte la moitié de la place du marché et le vieux pont en bois
L'alerte donnée dès le 21 à 9 heures 30, l'inondation des terres débutera le 22 vers 13 heures 30. La submersion durera environ 24 heures. Aux plus hautes eaux, 4 700 hectares sont recouverts et on note 0,80 mètre à 1 mètre d'eau sur l'aérodrome de Valée . La route Philipeville-Constantine est coupée.
Des débits de cette importance, atteignant en pointe 1 400 mètres cubes seconde sont heureusement rares ; c'est le premier enregistré depuis que le barrage est en eau, c'est peut-être ce que l'on appelle "la crue millénaire".
Afin d'éliminer ou de réduire au mieux ce danger des crues brutales des travaux sont entrepris , certains déjà en cours sont accélérés et d'autres mis à l'étude.
Citons :
- le reboisement du bassin versant ; nécessaire mais de longue haleine En parallèle l'aménagement de banquettes de différents types en courbe de niveau et plantations d'arbres , essentiellement eucalyptus, frênes, pins d'alep, cyprès, casuarinas, acacias éburnéa en bordure . La D.R.S. créée par la loi du 2 février 1941 conduit ces travaux ; ses rapports font état pour l'ensemble du territoire de 1 500 hectares entraînés par an à la mer et perdus. Ce qui témoigne de l'urgence de ces travaux.
- protection des berges et talus à vif, disposition de gabions pour briser la force vive du flot, amélioration de la couverture végétale.
- surélévation de l'ouvrage de 10 mètres, pour un meilleur amortissement des crues par augmentation de la capacité du réservoir de 11 millions de mètres cubes. En 1962, l'envasement est tel que les mesures faites permettent de dire que la capacité réelle est passée de 18 ½ millions en 1940 à 11 millions de mètres cubes, le minimum nécessaire pour assurer l'alimentation en eau potable : 2,5 millions de m³ et l'irrigation 7 800 000 m³ . Une capacité de retenue supplémentaire de 11 millions de mètres cubes aurait ramené la crue de 1957 à un lâcher de 380 m³/s.
A l'automne de 1958 le personnel constate, au cours d'une manoeuvre habituelle de contrôle que la vanne de garde ne ferme plus. Tous les essais s'avèrent vains et les vérifications effectuées sur les appareils de commande et de transmission ne révèlent rien d'anormal. L'état-major du S.C.H., de l'ingénieur responsable à Philipeville à l'ingénieur en chef à Constantine en passant par le personnel technique en place participent à des réunions de travail sur le chantier : toutes sortes d'hypothèses sont envisagées, un plongeur avec scaphandre autonome effectue plusieurs plongées de reconnaissance mais l'eau est si trouble qu'il ne parvient pas à identifier la nature de l'incident. Et pourtant, la situation pour des raisons de sécurité ne peut se prolonger indéfiniment. En désespoir de cause une seule hypothèse est retenue sans avoir pu être vérifiée : les tirs de mines de la carrière au-dessus, auraient projeté des pierres de dimensions importantes et celles-ci seraient coincées sous la porte ; les faits et risques encourus avaient d'ailleurs été signalés en son temps aux artificiers et responsable.
Un seul recours pour résoudre le problème : vider le barrage. La décision est prise et la période climatique favorable attendue : crue de la rivière assez faible pour ne pas contrarier la vidange, suffisante pour remettre en eau rapidement et réalimenter la conduite de Philipeville enfin assez tôt pour assurer le remplissage du lac avant l'été.
L'opération est déclenchée le 22 décembre. Elle se déroule sans incident et vérifie l'hypothèse retenue ; les obstacles sont rapidement dégagés, et après une ultime vérification, la remise en eau est engagée le soir même Ce sera l'occasion de constater l'état d'envasement important du réservoir et pour certains de faire une pêche miraculeuse en quantité et taille de barbeaux et anguilles prisonniers de la boue en aval du barrage dans le lit de la rivière .

 

Les transformations et
travaux de 1940 à 1962

 

L'envasement est le fléau qui menace rapidement le barrage, comme tous ceux d'Algérie d'ailleurs ; rappelons que sa capacité de 18 ½millions de m³ est tombée à 10 ½ - 11 millions de m³. , c'est une chute énorme. En 1953, des sondages sont effectués dans le lac pour déterminer l'importance exacte des dépôts ; des échantillons d'eau sont d'autre part prélevés journellement en divers points du lac et à différentes profondeurs, ainsi qu'à la jonction de la rivière avec le lac. Ces prélèvements sont envoyés à Alger pour être étudiés et déterminer la nature et les proportions d'alluvions charriés par la rivière et la forme de cet envasement.
Si les Services des Eaux et Forêts et de la D.R.S. procèdent à des aménagements de banquettes et de reboisements, seuls les terrains d'Etat sont traités en général. Les particuliers peuvent en bénéficier, subventionnés à 80%, mais la demande est pratiquement nulle pour des raisons que l'on devine.
Augmenter la capacité du barrage est un objectif, le projet initial ayant été rabaissé de 10 mètres pour permettre dans le temps une observation sur la solidité des assises et butées ; des études sont donc menées en vue d'une surélévation . Afin de déterminer les mouvements de terrains, s'ils existent, et leur importance, des repères ont été scellés sur le barrage et aux environs immédiats dans un rayon de 200 mètres. Dans la zone d'éboulement rive gauche, les observations sont faites par intersection de repères isolés permettant de suivre les déplacements et de les préciser ; la levée stéréotopographique donne une très grande précision graphique sur l'allure générale d'éventuels mouvements en x,y,z, Les calculs analytiques sont exécutés au 1/10ème de millimètre avec table à 6 ou 8 décimales et le graphique à l'échelle 10/1. La superficie totale de l'éboulement rive gauche à étudier est de un hectare vingt-cinq. Les mesures sont exécutées au théodolite et niveau WILD; le fil à mesurer et la mire sont en métal invar ; la précision en planimétrie est de 1/10ème de millimètre par portée au fil invar sur 100 mètres ; dans la mesure de l'angle de deux directions : 2 secondes centésimales
Ces auscultations périodiques, pour les mouvements altimétriques et latéraux sont effectuées par la Société Française de Stéréographie de Paris pour le Service Central des Etudes Générales et Grands Travaux du Service de la Colonisation et de l'Hydraulique (S.C.H.). Trois séries de mesures sont exécutées en septembre 1952, février 1953, mai 1953 ; de nouvelles mesures sont faites en 1961 .
Rien ne semble s'y opposer, la surélévation est sur les rails, et c'est une nécessité.
L'alimentation en eau potable est aussi un problème qui n'est jamais définitivement résolu avec l'augmentation de la population, donc des besoins Des travaux entrepris depuis 1955 améliorent le débit de la conduite ; des pompes et un bassin relèvent le niveau de départ de 28 mètres ; l'augmentation de pression se traduit par un débit qui passe de 100 l/s. à 140 l/s. ; on est alors à la nouvelle capacité maxima de la conduite, soit environ 11 000 m³/ jour.
La station de filtrage a été transformée suivant le procédé C. Chabal et Cie, ainsi les traitements de l'eau dans leur forme mécanique et chimique d'une part et leur rapidité d'autre part sont améliorés ; le coagulant utilisé pour la décantation est le sulfate ferrique à la dose de 20 g/m³ ; les décanteurs à lit de boue et pulsations sont des plus modernes ; les eaux sont ensuite filtrées par une couche de sable calibré de 0,5 à 1,3 millimètres sous 80 centimètres d'épaisseur. Le traitement chimique est réalisé par une javellisation au chlore gazeux. Mais à l'arrivée aux citernes, les eaux sont traitées une nouvelle fois pour pallier les risques de pollution sur le trajet.
L'irrigation a donné lieu à de nombreuses études : réseau de canalisations enterrées ou à ciel ouvert par seguia distribuant l'eau dans toute la vallée ces différents projets se sont toujours heurtés à un cotât trop élevé. C'est finalement un système intermédiaire qui se met en place. Toujours lâchée depuis le barrage dans la rivière, l'eau est pompée à partir de stations exploitées par l'Administration et menée en tête de chaque propriété. Les autorisations de pompage par les particuliers sont supprimées La station de Saint-Charles est prévue pour entrer en activité fin 1962.

Notes complémentaires

- Situation de la réserve
au 1-9-60 8 528 000 m³
au 1-9-61 3 728 000 m3
au1-9-62 7 32I 000 m3

Les graphiques permettent de constater que :

57-58 représente une année particulièrement pluvieuse
60-61 sécheresse catastrophique pour le bétail et l'agriculture
61-62 hauteur moyenne des précipitations
Stations de Pluviométrie de l'arrondissement de Philipeville
Philipeville
Ecole d'Agriculture
Aérodrome
Saint-Charles
Sidi Mezrich
Conde Smendou
Barrage des Zardézas ; altitude de la station 180 mètres
Bou Snib : un pluviomètre enregistreur.

 

Conclusion

 

Zardézas n'est pas un ouvrage monumental, une oeuvre exceptionnelle que retiendra la postérité, non ; il représente cependant un symbole, celui de la volonté et de la ténacité des hommes enracinés dans ce pays à vaincre toutes les difficultés pour qu'émerge l'Algérie.
Après les pionniers et l'aventure de la conquête, après le temps des bâtisseurs, venait celui de l'ouverture à la modernité, aux techniques de pointe comme on peut le constater aux dernières heures de l'Algérie française avec la construction et la mise en service du barrage de Meffrouch dans l'ouest algérien ; ainsi nous pouvons lire dans "la Dépêche de Constantine" des premières heures de l'indépendance : "Le barrage de Meffrouch, près de Tlemcen, a été mis en eau hier matin. Edifié dans l'ouest algérien à quelques kilomètres de Tlemcen, sous la direction d'ingénieurs français qui ont utilisé un procédé révolutionnaire, la préfabrication, pour la construction d'un barrage de 22 mètres de haut et 530 mètres de long en crête . Unique au monde dans sa conception, il assurera notamment l'alimentation en eau potable de la ville de Tlemcen et de la zone industrielle d'Oran-Arzew: capacité vingt millions de mètres cubes".
Ainsi le peuple Pied-Noir, poussé par le "vent de l'histoire", quittera sa terre natale , abandonnant non pas des vestiges ou des ruines , mais la trace concrète des joies , des souffrances, du travail acharné des hommes sur ce sol fécondé de leur sueur et de leur sang , sur ce sol où ils avaient gagné le droit de vivre.

(1)- Les nombres cités concernant la crue de 1957 sont tirés des notes prises par Serge GROUD sur le barrage alors que dans des conditions de travail particulièrement difficiles abri et éclairage précaires pendant la nuit, sous les averses, il surveillait la montée des eaux et préparait les manoeuvres pour faire face à une situation qui devenait délicate et jamais rencontrée ; (montée des eaux de 4cm - par minute)

in l'Algérianiste n°60 de décembre 1992

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