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Scaphandriers en Algérie

Écrit par Joseph Palomba et Edgar Scotti. Associe a la categorie Histoire Industrielle


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Une équipe de scaphandriers d'Alger au travail sur la jetée nord, à proximité de l'escorteur "Dague".
(coll. Edgar Scotti)


De Port-Say à l'ouest, à La Calle à l'est, le littoral d'Algérie s'étend sur un millier de kilomètres. Il ne dispose à l'exception de Mers-el-Kébir d'au­cun abri naturel.

Les navigateurs qui fréquentèrent ces côtes inhospitalières, notam­ment les Romains, ne voyageaient que dans la journée et, le soir venu, tiraient leurs galères à terre. Jusqu'en 1830 et même après en certains points comme Bou-Haroun, Chiffalo, Castiglione, Courbet-Marine, Dellys, Stora, les pêcheurs venus des bords de la Méditerranée ne disposaient d'au­cun abri. De retour de pêche, ils devaient, sur le sable de quelques criques, hâler leurs embarcations chargées du matériel de pêche. Au départ dans la nuit ou très tôt, même dans l'eau froide de l'hiver, elles étaient repoussées au large. Longtemps, ces précaires refuges n'offrirent aucune sécurité.


Les réalisations françaises


À l'arrivée des Français, l'Algérie manquait donc cruellement de ports, de jetées protectrices et de quais. Tous les mouvements entre les navires et la terre imposaient de délicats transbordements par cha­loupes ou sur des pontons consti­tués de trains de chalands. A Alger même, la darse aménagée par Kheireddine ne correspondait plus aux dimensions des navires qui assuraient la liaison avec la France. Sur les plans de l'ingénieur Lieussou, une digue du large sera construite, qui portera le nom de jetée Pierre Emile Watier et sera incurvée au fur et à mesure de l'avancement des travaux.

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En 1904, Barthélémy Zagamé, entouré de ses 
aides Antoine Rando tenant la lucarne et Gaétan Ficone s'apprêtant à visser le casque muni de son tuyau d'alimentation en air propulsé par la pompe,
(coll. Edouard Rando).

 

D'importants travaux portuaires étaient également nécessaires à Oran, Mostaganem, Alger, Bône, Bougie, Philippe ville. Dans leurs baies, largement ouvertes aux vents dominants, tout au long de la pré­sence française, de nombreuses jetées furent construites, dans un premier temps pour protéger des « bafagnes » d'Est ou de Nord-Ouest, et même d'un ressac parfois violent.

Des ports modernes y seront créés, partout, de toutes pièces.

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Durant les travaux de construction du port de Bou-Haroun, 
M. Dimitri Volonakis remonte d'une plongée,
(coll. Volonakis-Lucido).

 

Ces réalisations nécessiteront des techniques et des matériels spéci­fiques, souvent nouveaux et conçus pour la circonstance. Leur mise en œuvre utilisera des hommes quali­fiés et rompus aux travaux sous-marins. Oran et d'Alger devinrent alors de véritables pépinières de scaphan­driers.


Des missions variées


À la fin du XIXe siècle cependant, Alger ne dispose que de deux entre­prises de scaphandriers, tra­vailleurs du fond de la mer, dont le souvenir est maintenant enfoui dans la vase opaque de l'oubli le plus profond. Une de ces sociétés appartient à M. R. Gaduon, 23 rue d'Orléans; l'autre est dirigée par M. Augustin Gherardy au n° 2 de la première impasse Philippe. Par la suite, des artisans qualifiés travaillèrent à façon ou à la journée pour le compte des service des Ponts et Chaussées, de la Chambre de commerce ou d'entreprises adjudicataires ou prestataires de services comme la Société Schneider.

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Le ponton-mâture « Atlas » au cours d'une   opération   de   renflouement.
Outre sa poulie de  grutage il était équipé d'un dispositif d'accrochage,
de levage et de dépôt sur le fond de blocs de béton de 450 tonnes.
Ce pon­ton fait partie du matériel spéciale­ment mis au point dans les années 1920
pour la construction des jetées
des ports d'Algérie.
(coll. Dr René Bérard).

C'est aux scaphandriers que l'on doit la mise en place très précise de lourds blocs de béton de 450 tonnes. Ces matériaux coulés direc­tement sur le port, étaient munis d'un « trou de louve », pour les délicates manœuvres de dépôt sur le fond, par le ponton-mâture Atlas du service des Ponts et Chaussées ou par celui de la société Schneider. L'activité des scaphandriers ne s'est pas limitée à la construction des ports. Elle s'étendait aussi à Alger par exemple à la vérification du bon déroulement de la rentrée des navires en bassin de radoub ou sur l'un des deux docks flottants, amarrés près des hangars-abris de la Chambre de commerce. C'était aux scaphandriers que revenait la délicate tâche de s'assurer que la sole du navire reposait bien sur les tins, pièces de bois fixées au fond du bassin de radoub ou du dock flottant.


Durant la
Seconde Guerre mondia­le, les scaphandriers d'Alger et d'Oran furent, nous dit M. René Zagamé, massivement engagés dans le renflouement des nom­breuses épaves coulées dans les ports de Casablanca, Oran, Alger, Bougie, Bône, Bizerte, Tunis, Sousse et Sfax. Sans compter par exemple les dangereuses opéra­tions de récupération des lingots d'or des navires Egypte et Artiglïo parmi les tôles déchirées des coques éventrées.


Une technique de travail et un équipement très spécifiques

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Pompe d'alimentation en air du scaphandrier (Système Gorrnan and C°, London), avec ses deux volants, ses manomètres et son filtre à air.
(coll. Volonakis-Luddo).


Ces « pieds-lourds », revêtus d'un lourd scaphandre dont le casque était minutieusement vissé par leur aide (en général un membre de la famille ayant toute la confiance du plongeur), utilisaient des tech­niques de travail et un équipement très spécifiques.

L'ajustement du lourd scaphandre exigeait un mode opératoire très strict, garant de la sécurité du plon­geur. L'homme était assis au milieu de la chaloupe. Le « bosco », après avoir vissé le petit hublot du l'asque, ordonnait aux matelots d’actionner les deux volants de la pompe à air se trouvant sur l'em­barcation. Ensuite, lentement et gauchement en raison de la lourdeur de son équipement, l'homme, par une échelle, s'enfonçait dans l'eau. Il disparaissait alors à la vue des rares habitués du port, toujours fascinés par les bulles qui venaient mourir à la surface de l'eau. Le déroulement du tuyau d'alimenta­tion permettait de suivre le chemi­nement de l'homme dans le fond. Le travail commençait; la commu­nication entre le scaphandrier et son aide se faisait par pression sur une corde de chanvre selon un code bien précis, seulement connu des intéressés.

Les scaphandriers des familles Argento, Pétrocino, Picone, Rando et Zagamé par exemple utilisèrent pendant longtemps de lourds équi­pements mis en œuvre à partir d'embarcations trapues équipées d'un bossoir. Ces chaloupes que l'on pouvait voir amarrées près du môle de pêche, étaient dotées d'une pompe d'alimentation en air. Ces travailleurs du fond de la mer dis­posaient à Alger d'un magasin situé à proximité immédiate de la future halle de la pêcherie, sous les voûtes du quai Nord. Ils y entreposaient leurs lourds scaphandres qu'ils sus­pendaient au plafond afin de les faire sécher.

La pompe d'alimentation en air du plongeur était au cœur du dispositif soigneusement entretenue, ses deux volants tournaient silencieu­sement. Celui de droite était manœuvré par l'aide qui surveillait aussi les deux manomètres indica­teurs de pression.


Une condition sociale modeste, un métier dangereux


Venus avec des pêcheurs d'épongés des îles grecques ou de celles de la côte sud de l'Italie, les scaphan­driers, comme beaucoup d'immi­grés, parlaient le plus souvent, non pas l'italien, mais des idiomes déri­vés du napolitain. Maîtrisant mal la langue française, enfermés dans ce vocable de « néos » qui leur était attribué, beaucoup s'étaient repliés sur eux-mêmes, sans hostilité ni acrimonie.

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Une chaloupe de scaphandriers en action dans le port d'Alger.
(coll. Dr Georges Duboucher).

 

Pour ces scaphandriers, seul leur métier comptait.

Réputée dangereuse, cette activité leur conférait une respectabilité qui leur suffisait. La profession était très recherchée, au moment où se dessinaient les grands projets de création ou d'agrandissement des ports. Elle leur permettait aussi de faire vivre des familles qui comp­taient de nombreux enfants et de vieux parents.

À Oran, le quartier des scaphan­driers englobait celui de la Marine. À Alger, ils habitaient dans les rues situées autour de l'Archevêché, rue Scipion, rue Boutin, rue Bruce et tout autour de l'ancienne préfectu­re.

Le dimanche, en costume sombre et chemise blanche, ils se retrouvaient dans quelques cafés comme celui de l'Alliance au 26 de la rue d'Orléans, ou au Café portugais quai Nord, ou à celui des Quatre chemins sur la toute petite place Soult-Befg. Plus tard, on les retrouvera dans les cafés et brasseries autour de la place du Gouvernement, comme La Bourse.

Les familiers des ports d'Algérie conservent le souvenir de ces hommes humbles et mal payés. Lorsqu'ils travaillaient par exemple à Alger le long de la jetée Nord, près des dizaines de chalands char­gés de charbon ou à l'aplomb du quai de Dunkerque, de celui de Boulogne, le long des postes d'amarrage des navires anglais qui déchargeaient leur cargaison du Cardiff, les scaphandriers plon­gent avec un couffin d'alfa lesté. Ce couffin leur permettait de récupérer briquettes et morceaux de charbon tombés des chalands ou échappés des bennes des grues qui déchargeaient les cargos. Sur le quai, un jeune garçon, à l'aide d'une cordelette, ramenait le couffin rempli du précieux combustible. Durant les violentes tempêtes ou lorsque les travaux sous-marins étaient rendus impossibles par la turbidité de l'eau, les jours d'inacti­vité n'étant pas payés, aucun salai­re ne rentrait à la maison.

Il convient aussi d'évoquer les risques inhérents à la plongée, au travail dans l'eau froide, aux accidents causés par une trop longue immersion, hémorragies du nez, des oreilles, phlébites. Ces tra­vailleurs du fond n'avaient alors pas de couverture sociale. L'emploi sous-marin d'explosifs, nécessaire souvent à l'arasement des rochers qui affleuraient, était particulièrement périlleux. La moindre imprudence avait des conséquences fatales pour l'homme immergé et de nombreux accidents furent à déplorer.


Hommage aux scaphandriers


À partir de 1830, des hommes venus de toute l'Europe et des rives de la Méditerranée ont incrusté des ports tout au long du littoral, créant des lieux de rencontres et d'échanges. Ces ports existent tou­jours et abritent des populations qui perpétuent les liens entre les activités de la terre et celles de la mer.

Les auteurs ont voulu ici rendre à ces hommes humbles et courageux, l'hommage qui leur est dû et ravi­ver le souvenir de leurs travaux.


Joseph Palomba et Edgar Scotti

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Scaphandre au séchage, avec son hublot,
son tube d'alimentation en air et ses gants.
Les chaussures lestées de plomb pèsent
chacune de 6 à 8 kg (coll. Volonakis-Lucido).

 

Remerciements :

Les auteurs expriment à toutes les personnes qui ont bien voulu les aider dans la recherche de souvenirs ou de documents de l'époque, leurs sentiments de bien vive gratitude et plus particulièrement à : MM. Georges Duboucher pour ses souvenirs et son iconographie; René Bérard pour ses photographies; Edouard Rando pour ses souvenirs; Jean de Thoisy pour ses photos; et M. et Mme Lucido pour leur icono­graphie. Ils ont une pensée particulière pour M. René Zagamé qui nous a quittés en 1996.


In « l’Algérianiste » n° 93


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