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Le port d’ALGER après la Deuxième Guerre Mondiale

Écrit par Edgar Scotti. Associe a la categorie Histoire des Transports


A partir de 1950, le port d'Alger doit faire face à la conjoncture et procéder à de profondes modifications.
Avec le développement des liaisons aériennes commerciales et l'ouverture au tourisme de nouvelles contrées, Océanie, Antilles, Californie, etc., Alger n'est plus fréquenté par les « liners » ces grands paquebots des lignes des Indes et de l'Atlantique.
Après la crise de Suez, les pilotes accueillent et font appareiller des navires de plus en plus importants, notamment des pétroliers ou « tankers ».
Un bateau pilote du port d'Alger portera le nom d'André Urbani, décédé le 7 août 1943 des suites de ses blessures. (1)
Dans l'activité de relâche, le charbon cède la première place aux hydrocarbures, dont les dépôts se multiplient.
Les installations de la Compagnie Venture-weir s'alignent sur la jetée de l'est dans l'ancien port, celles de la Société Algérienne des Pétroles Mory sont situées au bord du bassin de Mustapha et la Société Méditerranéenne de combustibles, d'affrètement et de transit, s'établit sur le terre-plein de raccordement des bassins de Mustapha et de l'Agha.
Ces entreprises possèdent cinq navires citernes dont les deux barges déjà citées (**) appartenant à la Société Algérienne des pétroles Mory.
La mise en service de nombreuses grues s'accompagne d'un développement considérable de l'électrification.
Sous les directives de responsables dynamiques et prévoyants, les investissements sont adaptés aux nouveaux besoins d'un grand port, notamment dans le domaine du fret en « conteneurs » qui tend à se généraliser.

Les installations frigorifiques

Devant l'accroissement rapide et simultané de la production et de l'exportation des fruits et légumes de la Mitidja, le port d'Alger doit s'équiper pour le transport et le stockage sous froid, conformément aux exigences des expéditeurs et des transitaires.
La progression des exportations qui passent de 37 906 tonnes en 1931 à 153 101 tonnes en 1941, est interrompue par l'armistice et le débarquement des alliés en Afrique du Nord mais dès la libération l'activité économique reprend de plus belle et les exportations de fruits et légumes atteignent :
240 000 tonnes en 1944
380 000 tonnes en 1945
400 000 tonnes en 1950
En 1949, les agrumes viennent en tête avec 93 732 tonnes, tandis que, sur les marchés métropolitains, s'offre un débouché croissant pour les légumes primeurs d'Algérie dont la précocité est hors de portée des productions nationales les plus hâtives.


La pilotine
«  Pilote André Urbani »


Sur le port d'Alger, les camions des entreprises Bertino de Zéralda, Buonano de Staouéli, André Bahu-Coudray, Jean Fédélich de Birkadem, Mayol, Knudsen-Renou, Serres et Pilaire, Sintès, amènent à quai pour embarquement immédiat :
pommes de terre.........70 414 tonnes
tomates......................22 183 tonnes
carottes, navets......... 16 133 tonnes
raisins........................ 4 743 tonnes
fruits divers, prunes,
abricots...................... 1 765 tonnes
Yves Laye, note qu'« en 1950, les exportateurs de légumes frais ont augmenté de 35 % par rapport à celles de 1949 (celles de pommes de terre se sont accrues de
19 197 tonnes) et portent sur les primeurs à destination des marchés des grandes villes métropolitaines et britanniques» (2).
La valeur marchande jointe à la fragilité de produits tels que les artichauts, haricots verts, petits pois, raisins, tomates, nécessite leur transport sous régime du froid. Selon Mlle Greliche « Dès 1950, l'Algérie possédait des installations et des moyens de transport permettant de traiter les produits par le froid, mais il manquait à ces éléments d'être coordonnés en une chaîne ininterrompue »(3).
Par la suite, les entrepôts frigorifiques installés dans le hangar n°1 de la Chambre de commerce, seront équipés de 16 chambres froides de 108 à 203 m3 et d'une capacité totale de 2 000 m3. Ces installations seront complétées en amont par 57 wagons, dont 12 isothermes et 45 réfrigérants, et en aval par une flotte de navires frigorifiques battant pavillon de la Compagnie Générale Transatlantique, de la Compagnie de Navigation Mixte, de la Société Générale des Transports Maritimes à Vapeur, de la Compagnie Charles Le Borgne, de la Société des Cargos Algériens, et de la Société de Navigation pour l'Afrique du Nord.

Les manufactures d'emballages

Le développement de la chaîne du froid entraîne la création, sur le port ou dans ses environs immédiats, de manufactures de caisses et conditionnements divers, telles la Société Mussy, la manufacture Zermati, rue de Dole, et l'entreprise A. Ben Ouenniche et fils à Hussein-Dey. Ces fabricants mettent à la disposition des
expéditeurs, différents types d'emballages adaptés aux produits exportés : agrumes, tubercules, fruits, etc.


Le «Ville d’Alger » de la Compagnie Générale Transatlantique, vue de l’Amirauté
(Collection Georges Bosc)

Le conditionnement et la standardisation des fruits

Le contrôle de la qualité des produits exportés est assuré dans les ateliers d'emballage et de conditionnement, ainsi que sur le port, par l'Office Algérien d'Action Economique et Touristique (OFALAC). Aucun envoi n'est embarqué s'il ne satisfait aux normes de standardisation.

Le port : haut lieu du monde sportif et pépinière de champions

Alger et son port furent aussi un haut lieu du nautisme, (aviron, voile ou moteur) et surtout de la natation.
Les yoles de mer du Rowing Club Algérois glissaient sur le plan d'eau le dimanche et par les calmes fins de journées ensoleillées, en toutes saisons.
Les voiliers du Yachting Club Algérois et du Sport Nautique, embossés sur le clair miroir de la darse de Kheir-ed-Dine, en occupaient la majeure partie. Tous ces bateaux se retrouvaient le dimanche en mer pour des régates âprement disputées entre le musoir nord et La Pérouse. Le soir, les équipages revenaient joyeux, comblés par la mer et le soleil.
Aux beaux jours, les Bains Sportifs et le Club Nautique Algérois attiraient dès midi, étudiants, ouvriers et petites secrétaires, en fraîches robes de vichy à carreaux. Ce petit monde savait se contenter d'un frugal sandwich pour le plaisir simple de plonger du damier blanc et rouge d'un coffre d'amarrage dans l'eau claire et rafraîchissante.
Les Bains Sportifs d'Alger ont engendré bien des champions. Les entraîneurs du Racing Universitaire Algérois (le célèbre RUA d'Albert Camus ) et de l'Association Sportive Montpensier, Maurice Bariod notamment, ont dans les années 1936-37, formé aux rudes disciplines de la natation sportive, Yves Vincent, Sully Lebell, René Kovacs et tant d'autres qui brillèrent longtemps au palmarès national avant d'être happés par le cinéma et « les choses de la vie ». Plus tard Héda Frost et Pascal Curtillet établirent à Alger leurs premiers records avant de faire triompher les couleurs françaises à travers le monde.


« Le Kairouan » le paquebot d’une nuit.


Les Bains Sportifs se sont également illustrés par cette inscription mémorable « Un seul but la Victoire Giraud », étalée en lettres gigantesques à la vue des algérois. Il y a seulement quelques années, l'œil réminiscent du natif d'Alger, n'avait aucune peine à retrouver les vestiges de ce slogan sur les blocs de la jetée Pierre-Henry Watier. La qualité supérieure de la peinture et la haute technicité des peintres de 1943 avaient résisté aux assauts des vagues et à l'usure du temps.

La piscine du Racing Universitaire Algérois

Un arrêté du gouverneur général, en date du 18 octobre 1949, accordait au R.U.A., l'autorisation d'aménager une piscine dans le port. Concédé par la Chambre de commerce, l'emplacement connu sous le nom de « môle cassé », était situé à l'intersection de la jetée de l'Est et de la jetée de l'Agha. Les dirigeants de l'association envisagent aussitôt de construire, un quai d'accostage, un garage à bateaux, un bâtiment à l'usage du club et un logement pour le gardien. Ils demandent et obtiennent la suppression de l'épi de 20 mètres environ qui, à l'époque, délimitait le vieux port. Mesure qui a pour double avantage de faciliter le passage d'un bassin à l'autre aux navires de gros tonnage et, surtout, de faciliter la circulation de l'eau, évitant ainsi l'accumulation du mazout et des déchets au fond de la petite anse où accoste la barque du passeur.

Clochemerle au « môle cassé »

Dans les années 1946-47, ce sympathique passeur que les jeunes Algérois du moment ne sauraient oublier, est traduit devant le Tribunal, après un avertissement de mise en conformité de la sécurité de son embarcation non suivi d'effet. Un savoureux dialogue s'établit alors entre le passeur et son juge :

le président  « Avez-vous une autorisation de transport ? »
le passeur — « Non M'siou le brésident »
le président — « Vous faites payer vos clients ? »
le passeur — « Non M'siou le brésident».
le président — « Avez-vous au moins à bord des gilets de sauvetage ? »
le passeur — « Non M'siou le brésident».
le président — « Et si la barque coule   ? »
le passeur — « ça fait rien, M'siou le brésident, c'est tous des amis ».

EI-Djézaïr : son port aujourd'hui

En 1985, le port d'EI-Djézaïr (Les Ilots) recevait 5 740 navires, en 1987, 4 204 seulement.
Que reste t-il aujourd'hui des relations entre EI-Djézaïr et Marseille, après la dénonciation en août 1987 de l'accord maritime qui liait depuis 1967 la France et l'Algérie ?
Les inscrits maritimes du grand port phocéen se souviennent-ils encore du temps où ils embarquaient, sur des navires construits dans les Chantiers Navals de la Méditerranée, les marchandises destinées aux ports nord-africains ? Ces braves gens dont l'accent sympathique résonnait dans les coursives des paquebots, se doutent-ils que le premier port pour les exportations de France vers l'Algérie, n'est plus Marseille, mais Anvers ?

Les effets négatifs du vent de l'Histoire

Marseille dont Desjobert, évoquant ses liens naturels avec l'Algérie dénonçait dès 1834, « la rente historique et géographique » a , tout comme Rouen d'ailleurs, perdu sa place au profit d'Anvers, signataire d'une convention de coopération et d'amitié avec Alger, ainsi que de Barcelone, Gênes et Livourne. Ces deux derniers ports recouvrant l'importance qu'ils avaient avant 1830, avec des chargeurs renommés tels que Lumbroso, Valensi et Costa.
La Compagnie Générale Transatlantique, fondée par Arlès-Dufour à Granville, le 2 mars 1855, sous le nom de Compagnie Générale Maritime, a repris son appellation d'origine.
Cet armement, le premier de France, qui exploitait dans l'hémisphère occidental 18 lignes de paquebots et de cargos, inaugurait le 16 août 1879 ses services postaux avec Alger.
Cent trente-cinq ans après sa création, la Compagnie Générale Maritime ne fréquente plus Alger qu'avec quelques ferries de type « roll-on-roll-off », l'escale à Alger du « Liberté » quai d'Antibes, est aujourd'hui, aussi brève que possible.
Quand à la Compagnie de Navigation Mixte, dont on conserve un souvenir ému du
« Kairouan », le bateau d'une nuit, elle ne navigue plus que par l'intermédiaire des thoniers de sa filiale Saupiquet.
Et que sont devenus les Chargeurs Réunis, les Cargos Algériens, la Société Delmas-Vieljeux etc.

Du Sport Nautique et de la piscine du R.U.A. que reste t-il ?
Quai d'Auray, les « Furet » numérotés ont été remplacés par les « Chélif » également numérotés, construits dans un port de la Baltique. Chaque tour de leurs
hélices remonte à la surface des volutes de boues jaunâtres.
Le souvenir de ce port magnifique, qui refuse de se souvenir de la France et des Français, n'est plus qu'un mirage. Un mirage dont il ne reste plus qu'une image...
la dernière

Edgar SCOTTI


Photo : André Ballofet


* Voir l'Algérianiste n° 51, 52 et 53.
** Voir l'Algérianiste n° 53, p. 49,50.

In : « l’Algérianiste » n°54

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