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L'épopée des Auto-Circuits Nord Africains

Écrit par Charles Offrey. Associe a la categorie Histoire des Transports

Dans la lignée des grands présidents qui se sont succédés à la tête de la Compagnie Générale Transatlantique depuis les frères Péreire jusqu'à Edmond Lanier, en passant par Jules Charles-Roux, le gouverneur général Marcel Olivier, Henri et Jean-Marie Cangardel, la figure du président John Dal Piaz se détache avec un relief particulier, restant associé à ce qui a été sans doute la période la plus prospère et la plus prestigieuse de l'histoire de la Transat : celle des années 1920 à 1930. C'est le temps de la paix retrouvée, caractérisé par un formidable appétit de vivre et de bouger, un intense besoin d'échanges et de découvertes. C'est le temps aussi du prodigieux essor économique des Etats-Unis, du développement considérable des échanges entre l'Europe et l'Amérique, de la multiplication des lignes de navigation transatlantique, de la mise en service de paquebots de plus en plus gros, de plus en plus rapides, de plus en plus luxueux.

Quand il accède à la présidence de la TRANSAT en 1920, John Dal Piaz a derrière lui déjà un passé et une expérience riches de quelque 32 ans au service de la Compagnie.

II y est entré en 1888, à 23 ans. Il a tôt fait de s'y faire remarquer par d'exceptionnelles qualités qui le désignent pour devenir le secrétaire personnel du président Eugène Péreire.

Dix ans plus tard, en 1898, il est promu secrétaire général. II va dès lors jouer un rôle de premier plan, devenant l'adjoint direct et indispensable d'un président vieillissant.

Et quand Jules Charles-Roux succède à Eugène Péreire en 1904, il trouve en Dal Piaz un collaborateur parfaitement préparé et tout désigné pour occuper en 1908 le poste de directeur général.

D'Eugène Péreire d'abord, de Jules Charles-Roux ensuite, John Dal Piaz a hérité une attirance certaine pour le domaine méditerranéen et une véritable prédilection pour tout ce qui touchait à l'Afrique du Nord et à son avenir.

L'aventure nord-africaine commence vraiment pour lui en 1919, avec un triple objectif : participer à l'action pacificatrice et éducatrice entamée par les Lyautey, Galliéni et d'autres, diversifier les activités et accroître la prospérité de la Transat en lui ouvrant de nouveaux débouchés ; ouvrir au tourisme international les merveilleuses ressources découvertes en Afrique du Nord, avec ses populations attachantes, ses villes étonnantes, ses paysages fantastiques depuis la corniche méditerranéenne jusqu'aux sables du Grand Erg.

La réalisation de ce grand dessein repose sur une base d'abord commerciale. Il s'agit pour amorcer la construction, de détourner au bénéfice de l'Afrique du Nord les courants de trafic touristique existants et dont le principal draine en direction de l'Egypte la riche clientèle anglo-saxonne - la mode d'alors était d'hiverner en Egypte - et, en même temps, de créer de nouveaux courants à partir des lignes de la Transat sur le Maroc, l'Algérie et la Tunisie.

Pour cela il faut

1°) Déterminer les meilleurs sites à exploiter, en fonction de leur intérêt archéologique, climatique, exotique, ou simplement de leur pittoresque ;

2°) Rendre leur accès facile à partir des ports de débarquement, têtes de ligne des services Transat : Casablanca, Alger et Tunis ;

3°) Les relier les uns aux autres de telle sorte qu'on puisse les visiter en effectuant des circuits aussi intéressants et sûrs que possible ;

4°) Enfin et surtout, assurer, en complément, des installations confortables aux touristes, car l'hôtellerie moderne était alors inexistante au Maroc, se limitait en Algérie et Tunisie aux seules grandes villes. Quant au Sahara, c'était encore le vrai désert.

Dans les domaines de l'équipement routier et hôtelier tout était donc à créer.

 

 

On mesure l'ampleur du problème! Mais Dal Piaz n'est pas homme à renoncer. Tout au contraire. Les obstacles le stimulent et plus il avance dans sa prospection, plus il découvre de nouveaux trésors et s'enflamme pour de nouveaux projets.

Les sites retenus pour les hôtels ou pour les gîtes d'étape et les tracés des circuits vont couvrir progressivement l'ensemble des territoires marocains, algériens et tunisiens, s'enfonçant dans le sud à travers le Sahara jusqu'aux confins de l'Afrique Noire.

Le développement du réseau hôtelier et touristique

C'est à l'occasion de la première assemblée générale des actionnaires de la Transat, qui suivit la fin de la guerre 14-18, que Dal Piaz expose ses vues et met en place les structures de l'organisation qu'il a entièrement conçue. Il le fait dans ces termes

" Désireux de contribuer à la mise en valeur des territoires de l'Afrique du Nord en notre possession ou sous notre protectorat, nous avons pensé que la meilleure façon de nous y employer était de faire connaître au grand public, non seulement la beauté de ces pays, mais encore le vaste champ d'action qu'ils offrent au commerçant, à l'agriculteur et à l'industriel, et dans ce but nous avons entrepris de créer de grandes lignes touristiques entre l'Algérie et le Maroc.

Nous ne nous dissimulons pas que les difficultés seraient de tous ordres et très grandes ; difficultés naturelles d'abord : insuffisance des voies de communication et nécessité d'approprier, sinon de créer de toutes pièces des installations hôtelières en l'absence de toutes ressources locales au moment même de la crise des transports terrestres.

Cependant nous avons pu établir, en correspondance avec nos courriers de la Méditerranée et du Maroc, une grande artère de tourisme reliant Casablanca et Alger ou vice versa par Rabat, Meknès, Volubilis, Fez, Taza, Oujda, Tlemcen, Oran, Tenès, et Hammam-Righa, au moyen d'excellentes voitures automobiles. Plusieurs caravanes ont déjà parcouru cette artère et les demandes nombreuses que nous recevons démontrent que notre entreprise a conquis la confiance et la faveur des touristes.

Ce circuit principal sera, d'ici quelques mois, complété par des circuits annexes sur les points excentriques intéressants et, plus tard, par des organisations analogues en Tunisie.

Il nous est donc permis d'escompter, en dehors des résultats financiers qui ne seront que la juste récompense de notre initiative et de nos efforts, la légitime satisfaction d'offrir à tous les moyens de se familiariser avec les ressources d'un pays qui possède, avec des sites incomparables, des richesses infinies, encore inexploitées, qu'il s'agisse d'entreprises agricoles, industrielles ou commerciales. "

Le programme de Dal Piaz se matérialise par la création de la " Société des Grands Hôtels Nord-Africains" qui, dès le début, comprend un service hôtelier et un service touristique.

Les premiers hôtels sont achetés au Maroc. Ce sont le Maroc Hôtel à Casablanca, l'Hôtel Doukala à Marrakech qui deviendra la célèbre Mamounia, l'Hôtel de France à Rabat, et le fameux Palais Jamaï à Fez, véritable palais des Mille et Une Nuits qui était la propriété de l'ex-Grand Vizir Mohamed Bel el Arbi el Jamaï, l'oncle du Sultan Moulay Hassan. Cette acquisition un vrai conte arabe fut scellée par un acte signé d'une quarantaine d'héritiers du Grand Vizir et forme un gros rouleau de parchemin enluminé, enfermé dans un coffre de bois précieux, ouvragé et cadenassé ! Mais cela, après d'interminables tractations qui débutèrent en 1923, et de multiples obstacles dont le moindre ne fut pas d'obtenir le départ des femmes qui peuplaient le harem et qui refusaient obstinément d'évacuer le palais. Les cinq derniers héritiers, retranchés dans le maquis inextricable de la procédure marocaine, mirent 4 ans avant d'apposer en 1929 leurs signatures au bas du fameux parchemin.

D'autres hôtels et gîtes d'étape sont aménagés à partir de bâtiments existants, comme à Oujda la gare désaffectée de la draisine, petit chemin de fer à voie étroite construit par les militaires.

A Meknès ce seront des baraquements de bois transportés depuis Bordeaux en pièces détachées par un cargo de la Transat, avec tous les équipements, mobilier et autres, et jusqu'aux vivres destinés au ravitaillement. Une fois débarqué à Casablanca, tout le matériel avait encore 270 km à parcourir. On était alors, dans cette zone, en pleine période d'opérations militaires. La seule voie ferrée existante n'était donc pas utilisable et aucun service de transport routier n'existait encore. On eut alors recours aux seuls véhicules en usage dans le pays : les arabas, tirés chacun par 5 chevaux... ce qui fit une caravane qui déroula ses méandres sur plus de 50 km de long.

Mais le plus souvent les hôtels sont construits de toutes pièces sur place, toujours dans un style ne profanant jamais la poésie des lieux, mettant habilement à profit les ressources de l'artisanat indigène, alliant le décor au souci du confort le plus moderne et cela dans les sites les plus judicieusement choisis et les plus enchanteurs.

En dehors du Maroc, les principaux jalons du réseau imaginé par Dal Piaz se situent d'abord dans la zone du littoral méditerranéen, à proximité des ports. Ce seront les Hôtels de Tlemcen, Ténès, Michelet, Constantine, en Algérie, et les Chênes, en Tunisie.

D'autres, situés à l'intérieur, permettent des incursions dans l'arrière pays, comme à Biskra, Bou-Saada et Tozeur.

Ainsi se dessine la carte des premiers circuits dont l'exploitation est suivie par le service touristique qui prend la dénomination des " Auto-Circuits Nord-Africains ".

A défaut d'un réseau ferré suffisant, l'automobile était en effet le seul moyen de transport possible. Pour cela on a recours à un type de voiture spécialement mis au point pour cet usage : un car Renault à 6 cylindres, de 10/12 places pour les étapes sur route ou sur piste en dur, et une voiture de marque Renault toujours, mais à 6 roues jumelées et double pont arrière, conçue pour le franchissement des dunes de sable.

Les premiers circuits démarrent en 1920. Le premier départ a lieu de Bordeaux le 10 avril, pour Casablanca, Alger et Marseille, et de Marseille le 21 avril, pour Alger, Casablanca et Bordeaux.

Les prospectus disaient : " Pour la première fois, 3 semaines de grand tourisme. 1 700 km dans la même auto de luxe. Hôtels spéciaux. Paquebots. Autos. Prix 3 950 F. Tout compris ! "

L'itinéraire conduisait les touristes d'abord à Alger où ils étaient logés à l'Hôtel Saint George, déjà justement renommé, puis à Tipaza, Hammam-Righa, Cherchell et Ténès où l'on passait la nuit sous la tente, dans un camping très confortable édifié dans un bois de pins, au bord de la mer.

Le lendemain on se rendait à Oran après un déjeuner servi sous la tente. D'Oran on gagnait Tlemcen et on logeait à l'hôtel Transat nouvellement édifié. Puis c'était Oujda, à l'hôtel aménagé dans la gare, et Taza après une traversée du bled " dans un pays impressionnant de désolation ", disaient les prospectus. " Les touristes pourront être surpris par le mirage et ils apercevront peut-être des troupeaux de gazelles ". Taza-la-mystérieuse, disait-on alors ! Et il est de fait que l'occupation de la ville ne datait que de quelques années et qu'aucun Européen n'y avait encore séjourné.

C'était ensuite Fez, le clou du voyage, avec l'installation dans le splendide Palais Jamaï, au milieu de jardins évocateurs de toutes les féeries de l'Orient !

On faisait après étape à Meknès dans l'Hôtel Transat tout neuf. De là, des excursions étaient prévues dans le Moyen Atlas à Azrou, Volubilis ou Moulay-Idriss.

Enfin c'était Rabat où on logeait à l'Hôtel Transat et Casablanca d'où l'on reprenait le paquebot pour Bordeaux, toujours sous le pavillon de la Transat.

La consécration officielle de l'organisation que Dal Piaz venait ainsi de monter de main de maître a lieu en octobre 1920, avec l'inauguration de la route touristique Alger-Casablanca-Marrakech. L'embarquement se fait à Marseille sur le paquebot " Timgad " de la Transat, le 9 octobre. Une brillante réception est donnée le 10 au Palais du gouverneur général à Alger, et le départ a lieu le lendemain pour Casablanca et Marrakech, par Tlemcen, Oujda, et Taza, soit 1 700 km. Une manifestation grandiose attendait les touristes à Fez, où le résident général Lyautey avait tenu à accueillir lui-même les voyageurs conduits par Dal Piaz. " Je fais ça pour vous, lui déclare-t-il, parce que vous avez pigé ! "

Et de Marrakech, dans une lettre datée du 27 octobre 1920, il lui écrit ceci :

"A l'occasion de l'inauguration des Auto-Circuits Nord-Africains et de leur première venue au Maroc, je ne saurais trop féliciter la Compagnie Transatlantique qui, par la perfection de leur organisation, a donné un bel exemple d'initiative privée et a contribué d'une façon décisive à ouvrir au grand tourisme le Maroc qui offre tant de beautés naturelles et exotiques ".

Ce circuit officiel fait grand bruit. C'est un succès, et tous ceux qui y ont participé, officiels, journalistes et touristes se font les plus ardents propagandistes de la formule.

Pour l'année 1920, première année d'exploitation, 7 hôtels sont ouverts qui offrent 131 chambres, 5 autos sont en service qui parcourent plus de 100 000 km.

En mars 1921, on inaugure les circuits Alger-Tunis et Alger-Laghouat pour l'organisation desquels on venait d'aménager les hôtels de Michelet, Constantine, Biskra, Batna, Tunis, Boghar et Laghouat.

D'autres itinéraires s'ouvrent par la suite. D'Oran on peut gagner l'oasis de Figuig, d'Alger celle de Laghouat. De Constantine on peut pénétrer jusqu'à Biskra et Touggourt, de Tunis on peut atteindre Sousse et Kairouan, Sfax et Tozeur.

 

 

En novembre 1921, les Auto-Circuits Nord-Africains lancent les premières excursions de 3 jours au désert à partir de Laghouat, Touggourt et Tozeur.

En novembre 1921 également, à l'occasion de la mise en service de son nouveau paquebot " Lamoricière ", la Transat organise un voyage officiel, conduit par le président Dal Piaz, d'Alger à Constantine par la Kabylie, puis Timgad, Biskra, Touggourt, Bône et Tunis.

 


Jardin de l'Hôtel Transatlantique de Biskra

 

A Alger, les touristes sont reçus par M. Steeg, gouverneur général de l'Algérie, et à Tunis, par M. Saint, le résident général, qui se joint à la caravane pour leur faire visiter lui-même le Sud Tunisien. A partir de décembre 1921, le programme s'enrichit de chasses à la gazelle, aux outardes et aux lièvres, avec faucons et sloughis, organisées grâce au concours des grands chefs arabes locaux. Pour la saison 1921/22, 12 hôtels sont en fonctionnement et pour la saison 1922/23 il y en a 16 offrant 324 chambres ; 23 voitures sont en service qui parcourent 175 000 km.

C'est au début de la saison 1923 que, répondant à la demande du gouvernement, Dal Piaz improvise en quelques jours un ingénieux roulement de fourriers qui rend possible le voyage officiel, du Maroc à la Tunisie, du Président de la République, Alexandre Millerand, et des ministres, parlementaires et journalistes qui l'accompagnaient, en empruntant les voies ouvertes par Dal Piaz. Cette même année les Auto-Circuits lancent un nouveau produit: " La visite des Ruines " qui conduit les touristes de Cherchell à Tipaza, Djemila, Timgad, Lambèse, Hippone, El-Djem et Carthage.

Le succès est maintenant acquis et la mode est lancée : le circuit touristique en Afrique du Nord devient le " must " de la saison d'octobre à mai. Les résultats de la saison 1924/25 traduisent cet essor : 28 hôtels fonctionnent avec une capacité totale de 486 chambres et le parc auto dispose de 155 véhicules qui ont parcouru 597 000 km. L'organisation couvre alors toute l'Afrique du Nord, de l'Atlantique au golfe de Gabès.

La Société des Voyages et Hôtels Nord-Africains.

L'affaire a pris de telles dimensions que Dal Piaz, en mars 1925, décide de refondre services hôteliers et services touristiques en un seul et même organisme à gestion complètement autonome : la Société des Voyages et Hôtels Nord-Africains, constituée au capital de 30 millions de francs, dont 29 souscrits par la Cie Générale Transatlantique.

De nouvelles extensions sont décidées, en direction de l'Est avec la création d'un hôtel à Gabès, et en direction du Sud avec poussées sur le désert suivant deux axes : la verticale Alger-Laghouat, en agrandissant les hôtels de Laghouat et de Bou Saada, et en décidant la construction d'un hôtel à Ghardaïa et d'un autre à Touggourt, et la transversale Oran-Tlemcen-Figuig en lançant un nouveau circuit dit " du Grand Erg". Cette dernière innovation en 1926 est la plus hardie et la plus spectaculaire qui ait été tentée jusqu'ici.

Ce circuit du Grand Erg mérite qu'on s'y attarde pour tout ce qu'il offre de jamais vu et d'avant-garde - Il y a de cela 60 ans, ne l'oublions pas -. Il conduit le touriste d'Oran à Alger en se développant sur 3 000 km, lui permettant d'effectuer la boucle du grand Erg Occidental en neuf étapes totalisant plus de 2 000 km en zones désertiques, à partir d'Oujda jusqu'à Laghouat, avec arrêts à Figuig, Colomb-Béchar, Taghit, Béni-Abbès, Ksabi, Timmimoun, Fort-Mac-Mahon, El-Goléa, et Ghardaïa. C'est un périple étonnant, à travers des paysages extraordinaires où alternent les hauts plateaux marocains, les falaises de l'Atlas, les palmeraies verdoyantes, les vallées des grands fleuves sahariens, les hamadas pierreuses et les sebkhas, parsemées de petits ksars rouges et de bordjs d'une blancheur éclatante, avec pour dominante l'image des immenses dunes dorées du Grand Erg dont la hauteur s'élève parfois jusqu'à 150 mètres.

Aux étapes, les installations mises à la disposition des touristes ne le cèdent en rien en pittoresque et en variété : bâtiment de l'ancien commandement militaire à Figuig, vieux forts désaffectés à Taghit, et Fort-Mac-Mahon, camping sous tentes à Ksabi, constructions neuves des hôtels de Beni-Abbès, de Timmimoum, bâtis à la soudanaise en pisé rouge, d'EI-Goléa et Ghardaïa.

Pour ce voyage exceptionnel, l'attention des touristes est appelée sur son caractère sportif et des recommandations spéciales leur sont fournies dans une notice distribuée avant le départ pour leur équipement et leur comportement. On y lit par exemple

" Le casque n'est pas utile avant le mois de mars. Les lunettes noires sont recommandées en toute saison, ainsi que le chèche et le voile de mousseline contre le sable.

Pour les bagages, la société offre à tout voyageur une valise standard au gabarit de la voiture et dans laquelle les vêtements logés pour une excursion saharienne de 15 jours entrent suffisamment. La population est essentiellement courtoise, les tribus les plus éloignées elles-mêmes accueillent les voyageurs avec respect. Il est recommandé de les traiter avec les mêmes égards et d'éviter de critiquer ostensiblement leurs faits et gestes ". Le caractère absolument inédit de ce circuit du Grand Erg, la vogue qu'il connaît, valent à la S.V.H.N.A. une réputation internationale.

Des noms de clients illustres en témoignent, tels ceux de la grande duchesse du Luxembourg, de son mari le prince de Luxembourg, du prince de Sixte Bourbon Parme, ou encore celui de son Ex.. Myron T. Herrick, ambassadeur des Etats-Unis d'Amérique à Paris, ou d'écrivains en renom comme les frères Tharaud, Louis Forest, Anita Forbes, etc.

Les plus grandes agences de voyage, telles que Cook, Raymond Withcomb, Frank Tourist, prônent le tourisme en Afrique du Nord et incluent régulièrement les circuits dans leurs programmes. La S.V.H.N.A., de son côté, développe sans cesse et perfectionne ses services, en enregistrant d'année en année des résultats de plus en plus brillants. Pour la saison 1926/27 elle dispose de 37 hôtels avec 712 chambres et de 195 véhicules qui parcourent 790 000 km. Pour la saison 1927/28 ces chiffres passent à 41 hôtels, 1 020 chambres, 225 voitures et 1 215 000 km. Elle connaît son apogée en 1928/29 avec 44 hôtels ouverts, disposant de 1 400 chambres, et un parc de 283 voitures qui parcourent 1 450 000 km. Les circuits organisés s'étendent sur une longueur totale de 8 000 km.

Cette saison-là, elle accueille plus de 5 000 touristes dont 70 % d'étrangers. Son chiffre d'affaire s'élève à 55 millions de francs et le bénéfice réalisé est de 3 millions et demi.

 

 

Le déclin et la chute

La chute sera aussi brutale que l'ascension aura été rapide ! Des événements imprévisibles vont cumuler leurs effets et, dans l'espace de quelques mois, mettre gravement en péril l'œuvre édifiée par Dal Piaz. C'est d'abord, le 18 juin 1928, la mort subite de Dal Piaz lui-même, enlevé à 63 ans par une congestion pulmonaire en quelques jours, et sans qu'il ait pu préparer sa succession. C'est ensuite et surtout, à l'automne de 1929, le fameux jeudi noir de Wall Street à New-York, point de départ de la crise économique qui, de l'Amérique déferle bientôt sur l'Europe et, en France, frappe de plein fouet la Cie Gle Transatlantique et sa filiale hôtelière. En juillet 1931, la Transat est au bord de la faillite et ne doit son salut qu'à l'intervention de l'Etat qui en prend le contrôle et la transforme en société d'économie mixte, et à la nomination comme directeur général d'Henri Cangardel qui sera le principal artisan de son redressement.

Dans le rapport établi à la demande du président du Conseil de l'époque, Pierre Laval, M. Germain Martin, ancien ministre des Finances qui a été chargé d'une mission d'étude de la réorganisation de la Transat, est très sévère pour la S.V.H.N.A.

" Cette entreprise dit-il, largement conçue par M. Dal Piaz sans aucune étude des possibilités d'exploitation commerciale saine, a vécu dans un fâcheux désordre financier jusqu'à la fin de la dernière campagne. M. Cangardel, Directeur Général de la Transat, aidé par des techniciens des exploitations touristiques, étudie comment, après aliénation de terrains, fermeture d'hôtels inutiles, parce qu'en surnombre dans la même ville, ou parce que non fréquentés par les touristes, on pourrait organiser une gestion qui ne comporterait qu'un faible déficit d'exploitation. Des raisons de prestige et de mise en valeur de l'Afrique du Nord empêchent de procéder à la liquidation d'une entreprise qui a eu sa raison d'être alors qu'aucun hôtel n'existait dans certaines localités d'Afrique du Nord. Mais aujourd'hui la C.G.T est dans l'obligation d'avoir des conceptions commerciales. Elle ne peut s'offrir le luxe de jouer un rôle désintéressé de pacification ou de mise en valeur d'une nouvelle France, sans aucune considération des résultats comptables et financiers. Si les représentants et défenseurs des intérêts de l'Algérie, du Maroc et de la Tunisie estiment que l'exploitation des auto-circuits et des hôtels de l'A.F.N doit être maintenu dans un intérêt national, il faut qu'ils participent de façon efficace à la réorganisation financière d'une affaire qui n'a qu'un intérêt accessoire pour la C. G. T "

Il est de fait qu'entre la disparition de Dal Piaz en 1928 et la déconfiture de la Transat en 1931, aucun plan rigoureux d'assainissement et de compression n'a été mis en œuvre pour vendre ou fermer les établissements dont la poursuite de l'exploitation ne se justifiait plus avec le développement de l'hôtellerie classique dans les principales villes. D'où la situation désastreuse dans laquelle la S.V.H.N.A. est placée et qui, du fait des avals consentis par la Transat, se répercute très dangereusement sur cette dernière.

C'est bien dans le sens des recommandations gouvernementales que s'oriente dès lors l'avenir de la S.V.H.N.A, à savoir :

- au Maroc, reprise des hôtels par le gouvernement chérifien,
- dans le Sud, reprise des hôtels par le gouvernement général de l'Algérie.
- Enfin, affermage des autres hôtels ou leur mise en vente, la Transat ne conservant plus à son compte que la seule exploitation touristique.

Après de laborieuses tractations, les hôtels de Fès (le fameux Palais Jamaï), de Marrakech (la fameuse Mamounia), de Meknès et de Casablanca sont donc repris, qui par la Cie Paquet, qui par la Cie des Chemins de fer du Maroc.

De même en Algérie, les hôtels et les haltes des Territoires du Sud à Ouargla, Beni-Abbés, El-Goléa, Timmimoun, Fort-Mac-Mahon, Ksabi, Taghit, Figuig et Taza, sont cédés au gouvernement général. D'autres hôtels sont mis en vente à Tunis, Touggourt, Laghouat.

Ainsi assainie et réorganisée, l'exploitation de la S.V.H.N.A. a pu être poursuivie avec des fortunes diverses jusqu'en 1939. En 10 ans elle avait vendu ou abandonné 60 % de ses installations, mais elle conservait encore 14 hôtels en toute propriété et 6 en location. La guerre de 39/40 et la paralysie totale du tourisme qui en découle créent une nouvelle situation à laquelle la Transat s'efforce de faire face de son mieux, cherchant encore à sauver ce qui restait de l'œuvre grandiose entreprise par Dal Piaz. Une nouvelle organisation commerciale et financière intervient en 1941 : 9 hôtels sont maintenus en exploitation sous le régime de la régie intéressée. A partir de 1944, le sort de la S.V.H.N.A. est remis en question par les événements dont l'Algérie devient le théâtre. L'insurrection en 1954 et l'indépendance en 1962 mettent un terme définitif à cette histoire mouvementée. Les hôtels, après avoir connu le régime de la réquisition puis de l'occupation, tous, plus ou moins pillés et dévastés, sont finalement saisis purement et simplement, et sans contrepartie aucune, par le nouveau gouvernement de la République Algérienne. II ne reste plus de tout cet édifice qu'une stèle élevée à El-Goléa dans le jardin de ce qui fut l'hôtel Transatlantique et gravée au nom de John Dal Piaz.

 

 

 Le pittoresque hôtel transat de Roufi (Aurès) creusé dans le roc selon les coutumes du pays.

 

 

 

Avec le recul du temps, si l'on fait la part des circonstances et des événements auxquels toute œuvre humaine, quelle que soit sa grandeur et en raison même de sa hardiesse, est confrontée, on reste confondu par la prouesse qu'a constitué, dans les années 20, la réalisation d'une entreprise de cette envergure ! Un document édité à l'époque glorieuse des Auto-Circuits Nord-Africains traduit très concrètement ce sentiment. II dit ceci :

" Lorsque le touriste arrive à l'étape saharienne et qu'il trouve un lit, de l'eau courante, une maison bien close avec des fenêtres et des portes, une douche réconfortante, un thé avec des toasts et un cocktail, il peut se rendre compte des difficultés énormes que la S.V.H.N.A. a dû surmonter pour arriver à lui donner ce confort dans des solitudes sahariennes comme Ksab, ou Timmimoun, qui sont déjà à 1 500 et 1 700 Km d'Alger ".

Et c'est vrai qu'on a quelque peine aujourd'hui à imaginer quelle somme d'efforts et quels trésors d'ingéniosité il fallut déployer pour construire ce réseau touristique, sans le concours, le plus souvent sur place, d'aucun architecte ou entrepreneur dignes de ce nom, avec la seule main-d'œuvre locale, à partir de plans et de dessins sommaires, en disposant pour tout matériau de la brique de boue séchée au soleil dans des moules en écorce de palmier et, en guise de charpente pour couvrir ces murs de pisé, d'armatures faites de tronçons de palmiers. Tandis que pour tout l'aménagement intérieur, l'équipement, l'ameublement, etc., on restait tributaire des transports qui, à partir d'un certain moment, et pour atteindre les chantiers au-delà du Grand Erg, finissaient forcément par un portage à dos de chameaux, demandant jusqu'à 45 jours de route, ce qui veut dire 45 chargements et 45 déchargements du matériel emporté par chaque animal ! Voilà, ce que le touriste, confortablement transporté et douillettement installé à l'étape, aurait quelque peine à réaliser !

Lorsqu'on lit aujourd'hui les prospectus édités à grand renfort de publicité par les agences de voyage et par certains grands clubs de loisirs qui vantent les charmes du dépaysement et de l'aventure, ou qui vous proposent tel safari sensationnel dans le désert. on se dit que, tout compte fait, ils n'annoncent rien d'autre et rien de plus, peut-être même rien de comparable, car ils vous transportent par avion, ce que les Auto-Circuits Nord Africains, la Société des Voyages et Hôtels Nord-Africains et la Compagni Générale Transatlantique offraient déjà du temps de John Dal Piaz...

CHARLES OFFREY

In l'Algérianiste n° 73 de mars 1996

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