Imprimer

Les lignes aériennes nord-africaines (L.A.N.A.) avant 1940

Écrit par Pierre Jarrige. Associe a la categorie Histoire des Transports

LE 26 OCTOBRE 1934, la Chambre de Commerce d'Alger avait envoyé au ministre de l'Air le texte d'un vœu émis à la réunion des présidents des chambres de commerce d'Algérie concernant les liaisons aériennes nord-africaines.

Le ministre (le général Denain) répond le 12 décembre: " Par lettre du 2 novembre, vous avez bien voulu me transmettre le texte du vœu émis par la réunion des présidents des chambres de commerce d'Algérie dans sa séance du 26 octobre, relativement à la mise en exploitatation de la ligne Casablanca-Oran-Alger-Constantine-Bône-Tunis. J'ai l'honneur de vous faire connaître que j'attache un grand prix à la création prochaine de cette ligne qui complétera le futur réseau d'intérêt général. Il ne m'a pas été possible de l'ouvrir au trafic en 1934, mais je suis heureux de vous assurer que j'ai pris les mesures nécessaires pour qu'en 1935 cette liaison soit exploitée en régie. "

Le général Denain sous-entendait que l'autorisation d'exploitation de la ligne accordée aux " Lignes Aériennes Nord Africaines " (L.A.N.A.). Les Algériens sont lassés des promesses de liaisons aériennes intérieures et la disparition rapide de la ligne Fez-Oran, après son inauguration en grande pompe pendant l'année du centenaire, a fait comprendre à Henry Germain qu'une solution locale pouvait être envisagée.

La réputation d'Henry Germain dans les milieux aéronautiques, son expérience personnelle comme pilote, ses qualités d'homme d'affaires entreprenant ne peuvent être que des atouts favorables pour la réussite de l'entreprise envisagée: la liaison aérienne Casablanca-Tunis.

Henry Germain crée les L.A.N.A. et entreprend l'exploitation par étapes successives, en mettant en œuvre pour commencer deux monomoteurs 4/5 places.

Le 6 décembre 1934, un Farman 190 inaugure la ligne Alger-Oran, piloté par Georges Descamps ayant comme passagers MM. Laffargue de l'Echo d'Alger, Lombarde de La Presse libre et R. Faouen de La Dépêche Algérienne. Après avoir décollé d'Alger à 7 h 30, le Farman arrive à Oran à 9 h 30. Henry Germain a tenu à donner un certain retentissement à l'inauguration de la ligne en invitant les journalistes des principaux journaux d'Alger (au retour, Storto d'Oran Matin faisait partie du voyage).

M. Pourcher, directeur de la Navigation aérienne assistait au départ, alors que l'avion est attendu à Oran par MM. Henry et Jean Germain, Fouques-Duparc président de l'aéro-club d'Oran, Foguès directeur de l'aérodrome de La Sénia et de nombreuses personnalités civiles et militaires.

Après vin d'honneur, discours et repas au Grand Hôtel, le Farman repart à 13 h 45 pour arriver à Alger à 15 h 45. Le soir même, tous les participants au voyage se retrouvent au Casino Municipal en portant de nombreux toasts à la réussite de la liaison aérienne Alger-Oran-Alger.

La ligne continue à fonctionner les lundis, jeudis et samedis (départ aller à 7 h 30, retour à 14 h 00), avec le Farman 192 (moteur Salmson 9 Ab 230 cv) FALEB et le Farman 190 (moteur Gnome et Rhone 5 Ba 230 cv) F-ALAP (celui-là même avec lequel Moench réalisa des voyages vers Saïgon et Tananarive en 1931). Pour 300 F aller ou 500 F aller-retour, le voyage s'effectue en moyenne en 2 heures avec un retard de 1 h 25 le 1er mars 1935.

A partir du 1er janvier 1935, un avion est mis à la disposition des passagers de l'hydravion Marseille-Alger, voulant gagner Oran dans la journée, les mardis et vendredis (avec préavis de 2 heures et tarif doublé en cas de passager unique). Toujours sans aide officielle, les L.A.N.A. achètent un avion hollandais: le Fokker Vll (moteur Lorraine 450 cv) F-AJUD que Descamps convoie à Alger le 30 mars 1935. Le Fokker, véritable avion de ligne avec deux hommes d'équipage (pilote et radio), 8 passagers et une toilette, donne une dimension nouvelle aux L.A.N.A.

Le 20 avril 1935, la liaison Alger-Bône, avec escale à Constantine, est inaugurée avec les représentants de la presse algéroise et constantinoise (F. Bescher de l'Echo d'Alger, Nicolas de la Presse Libre, Castelet de la Dépêche A/gérienne, Picard la Dépêche de /'Est, Vessis la Dépêche de Constantine et Madeleine Radisse Les Ailes) le steward Louis faisait également partie du voyage.

Piloté par le chef pilote Descamps, le Fokker décolle à 8 h 48 et arrive à Constantine à 10 h 54 accueilli par M. Troussel, secrétaire général de la préfecture, Saincierge, chef de cabinet du préfet, de nombreux membres de l'aéro-club de Constantine et Marty, agent local des L.A.N.A.

A 11 h 18, I'avion repart pour se poser à Bône à 11 h 45 où l'attendent M. et Mme Henry Germain qui avaient précédé le courrier.

Toute la ville de Bône accueille avec enthousiasme le Fokker et c'est dans le hangar fleuri de l'aéro-club que M. Dayre, président des " Ailes Bônoises " et Louis Perrin, sous-préfet, félicitent le promoteur de la ligne. La journée se termine par un grand repas à l'Hôtel d'Orient.

Parmi les spectateurs, se trouve Robert Volmerange, chef-pilote du club qui deviendra rapidement directeur d'exploitation des L.A.N.A. en remplacement de Maillard devenu chef-mécanicien. L'équipe se renforce des pilotes Euterrier et Ferraris et du mécanicien Fraix, ancien de l'aéro-club d'Algérie.

Henry Germain s'active à développer sa ligne car Air Afrique, appuyé officiellement, prospecte dès le 1er avril 1935 le tronçon Alger-Casablanca avec un trimoteur Marcel Bloch piloté par Poulin et Dagnaux.

Les L.A.N.A. s'adaptent avec souplesse à leur clientèle: les voyageurs sont transportés gratuitement au centre ville vers les aérodromes et pour s'harmoniser aux horaires de l'hydravion d'Air France, de nouvelles dispositions sont prises. Sur la ligne Alger-Oran, les lundis et samedis, départ d'Alger (Hôtel Aletti) à 7 h 00, arrivée à Oran (Grand Hôtel) à 10 h 00. Retour de 15hOO à 18hO0.

Sur la ligne Oran-Bône: les mardis et jeudis, départ d'Oran à 5 h 00, Alger à 8 h 00. Départ d'Alger à 14 h 00, Constantine à 16 h 15 et arrivée à Bône à 17 h 45. Les mercredis et vendredis: Départ de Bône à 7 h 30. Constantine à 8 h 45, Alger à 11 h 15 escale jusqu'à 15 h 30 et arrivée à Oran à 18 h 30. Sur le parcours Alger-Oran, des arrêts facultatifs sont prévus à Blida, Affreville, Orléansville, Relizane et Mostaganem.

Entre le 1er décembre 1934 et le 30 octobre 1935 les L.A.N.A. obtiennent 95 % de régularité, résultat très satisfaisant pour une ligne ayant fait ses débuts en plein hiver, 201 000 km ont été parcourus, 1 292 passagers transportés, 395 voyages effectués et 1 122 heures de vol réalisées.

Si les L.A.N.A. sont toujours ignorées du gouvernement qui reporte ses efforts sur Air France et Air Afrique, les Délégations financières d'Algérie apportent leur aide à Henry Germain par des subventions assez faibles qui permettent d'effectuer l'aller-retour Alger-Bône pour 600 F alors que le même trajet coûte 663 F en 1ère classe en chemin de fer et dure 18 heures.

Comme Oran est relié à Casablanca par Air France depuis le 3 juillet 1935 (par des trimoteurs Bréguet 393), Henry Germain dirige ses efforts vers Tunis.

Pour plus de sécurité, compte tenu du relief montagneux survolé et des mauvaises conditions météorologiques fréquemment rencontrées, les Farman sont remplacés par des bimoteurs anglais De Havilland DH 84 " Dragon " (F-AMTR et F-AMUZ).

Ce matériel, bien que déjà ancien, est bien adapté à la ligne et est apprécié par ses qualités d'économie, de vitesse et de confort (7 personnes transportées).

Le 7 novembre 1935, la première liaison aérienne Alger-TUnis est réalisée avec l'autorisation officieuse du Ministère des Affaires étrangères (les L.A.N.A. sortent des frontières pour la 1ere fois).

Parti de Maison-Blanche à 7 h 45, le Dragon piloté par Descamps arrive à Tunis à 12 h 45, après escale à Constantine à 9h45 et à Bône à 10h45. A bord de l'appareil se trouve MM. Volmerange, Fabry, M. et Mme Velettaz et leur enfant, ainsi que le docteur Lebeau, fils du gouverneur général de l'Algérie.

Descamps qui pilote le Dragon, retrouve avec plaisir la Tunisie qu'il avait quittée quelques années auparavant, après avoir effectué pendant plusieurs mois une mission photographique pour le compte de la Compagnie aérienne française.

L'autorisation officielle d'ouverture de la ligne étant arrivée, c'est le 2 décembre 1935 que Ferraris effectue le vol inaugural.

Comme d'habitude, pour donner à ce vol un retentissement populaire, Henry Germain convie à ce voyage des journalistes et des personnalités: François Beuscher, Dournon, Nicolas du Messager, Faouen, Boucher directeur du Réveil Bônois, Roger Piccard de la Dépêche de /'Est et Teddé vice-président de la Chambre de Commerce de Bône.

De nombreuses personnalités attendent l'avion qui dut tourner 25 minutes au dessus de Tunis car, favorisé par un vent propice, le vol avait été plus court que prévu.

Après les allocutions d'usage, les officiels, dont M. Peyrouton, Résident général et le représentant de S.A. Ie Bey décollent dans le deuxième Dragon piloté par Descamps pour un vol au-dessus de Tunis.

Le lendemain, par un temps maussade, les deux Dragons ramènent à Alger leurs passagers auxquels se sont joints Martin Gallini de la " Dépêche Tunisienne " et Pierre Antonini du " Petit Matin ".

Après l'ouverture officielle, la ligne deviendra tri-hebdomadaire avec départ d'Alger les lundis, mercredis et vendredis (Hôtel Aletti 7 h 00, bureau Air France à Tunis 13 h 45) et retour de Tunis les mardis, jeudis et samedis (Tunis 7 h 00, Alger 12 h 45).

Il a souvent été reproché aux L.A.N.A. d'utiliser du matériel étranger. Malheureusement, à cette époque, peu d'avions français répondaient aux besoins des lignes en exploitation et pouvaient être mis en œuvre dans des conditions rentables par une compagnie disposant de très peu de subvenUons.

Les L.A.N.A. essayent pendant un moment un Latécoère 28 qui ne semble pas avoir donné satisfaction et un troisième Dragon doit être mis en service après avoir été baptisé le 28 janvier 1936 (le FANES).

La fin de l'année 1936 voit la situation s'assombrir pour les L.A.N.A.

Air Afrique qui a terminé la mise en place de son réseau vers Brazzaville se tourne résolument vers la transversale Oran-Tunis contre l'avis d'Henry Germain qui reste attaché à une ligne de cabotage qui correspond mieux aux besoins de la clientèle. En effet, il y a peu de relations entre le Maroc et la Tunisie et Air Afrique ne peut que créer une ligne impériale qui coûtera cher au contribuable. Bien que les L.A.N.A. aient fait la preuve de leur efficacité, la subvention du gouvernement général ne leur est pas versée pour le 2e semestre 1936 et, contre l'avis des délégations financières, elle n'est pas reconduite pour 1937. La lutte contre une régie d'Etat est impossible et l'article 86 de la loi de finances du 31 décembre 1936 accorde à Air Afrique la concession de la transversale nord-africaine.

Henry Germain est contraint de faire passer le communiqué suivant: " Les Lignes Aériennes Nord-Africaines s'excusent auprès de leur fidèle clientèle d'être dans l'obligation de suspendre provisoirement les services réguliers entre Oran, Alger, Constantine, Bône et Tunis et remercient les nombreux usagers de la confiance qu'ils ont bien voulu leur accorder au cours de ces deux années d'exploitation ".

Joseph Robert, président des délégations financières adresse, sans succès, le télégramme suivant à tous les parlementaires algériens: " Me faisant interprète délégations financières péniblement surprises par décision loi finances prise à leur insu relativement création Régie Air-Afrique transversale Oran-Tunis contre laquelle elles se sont toujours élevées vous demande en leur nom intervenir énergiquement auprès du gouvernement et lui faire part leur émotion légitime. Stop. Délégations financières restent fidèles à leur délibération unanime réservant transversale aux L.A.N.A. qui ont pris initiative courageuse créer service fonctionnant satisfaction tous. Stop. Elles s'élèvent contre mesure sacrifiant cette entreprise digne d'être respectée non seulement point de vue fonctionnement mais encore point de vue moral. Stop. S'étonnent que leur avis soit resté sans écho. Stop. Comptent sur votre intervention pour que gouvernement mieux informé revienne dans esprit d'équité sur décision lésant intérêts primordiaux Algérie. Stop. Sentiments dévoués ".

Henry Germain s'active maintenant pour que le personnel, le matériel et les installations des L.A.N.A. soient repris par Air Afrique qui ne rouvrira la ligne que le 15 avril 1937.

En plus de 2 ans d'exploitation, les L.A.N.A. ont obtenu avec une régularité remarquable, sans accident de personne ni de matériel, les résultats suivants: kilomètres parcourus: 551 540, passagers: 3110, poste: 353 kg, fret :1 213 kg. En juin 1939, devant l'insuffisance des services rendus par la régie, M. Macé, président de la commission interdélégatoire de l'Assemblée interrégionale, dépose deux amendements qui furent approuvés:

a) Abattement de 800 000 F sur les crédits demandés aux Délégations par l'administration.

b) Inscription au budget d'un crédit de quatre millions permettant d'assurer un service aérien autonome.

Mais la guerre arriva, avec d'autres préoccupations que ce projet qui aurait peut-être débouché sur la création d'une nouvelle compagnie aérienne locale.

Pierre JARRIGE

Site internet: "www.aviation-algerie.com"

  In L'Algérianiste n° 48 de décembre 1989

Vous souhaitez participer ?

La plupart de nos articles sont issus de notre Revue trimestrielle l'Algérianiste, cependant le Centre de Documentation des Français d'Algérie et le réseau des associations du Cercle algérianiste enrichit en permanence ce fonds grâce à vos Dons & Legs, réactions et participations.