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Petite histoire du vignoble en Algérie 1830-1962

Écrit par Edgar Scotti. Associe a la categorie Histoire Agricole

Petite histoire du vignoble en Algérie
1830-1962

Une politique de développement d'un pays passe en priorité par la mise en valeur de ses surfaces agricoles. Valable pour l'Europe, cette affirmation l'était également pour l'Algérie après 1830.

Les premières exploitations des terres remontent à 1836 et ont pris un développement important de 1850 à 1880. C'est le maréchal Clauzel qui le premier en 1836 devait décider la création d'un centre de colonisation à côté du camp de Boufarik. L'ancien soldat, ou le nouveau colon, recevait le terrain sans en acquitter le prix, mais demeurait débiteur d'une redevance de deux francs par hectare. Cette redevance qui constituait déjà un premier essai de crédit à l'agriculteur permettait à l'Etat de se couvrir de ses investissements. Malheureusement, cette tentative devait être ruinée par l'insurrection de 1839.

 

I. - BUGEAUD ET L'AMENAGEMENT RURAL

 

A son arrivée à Alger, le 22 février 1841, Bugeaud proclamait aussitôt " je serai colonisateur ardent car j'attends moins de gloire à vaincre dans les combats qu'à fonder quelque chose d'utilement durable pour la France".

Les premiers colons consacraient leur temps à lutter contre l'insécurité et l'insalubrité. Ne disposant que de moyens très limités, ils s'orientent dans un premier temps vers la culture des céréales qui assurait des revenus presque immédiats avec un minimum de frais.

Le maréchal Bugeaud était opposé à la grande colonisation, il voulait en priorité peupler le sol de petits exploitants qui sauraient l'assainir et le mettre en culture.

Le vin était importé de Métropole et d'Espagne. En raison des aléas du voyage et des conditions climatiques, à l'arrivée la qualité était médiocre.

 

Le maréchal Bugeaud et la vigne

 

Dans une lettre à Leroy de Béthune, publiée en 1850, le maréchal Bugeaud écrivait qu'elle ne devrait être autorisée " que pour l'usage de la table et pour produire comme objet commercial, le raisin sec".

Déjà, en 1840, Blanqui constatait que l'on fait du vin en Algérie, il en avait bu et la piètre impression laissée par cette première dégustation, lui permettait de rassurer les vignerons de Bourgogne et de Bordeaux.

Dès 1841, Bugeaud demande à la Société des agriculteurs d'Algérie qui venait d'être fondée par Lacroutz d'examiner l'opportunité de développer cette culture. (1)

En 1851, à Saint-Cloud en Oranie, comme dans 41 autres centres, des plants de vigne sont distribués à chaque colon. Mais ces plants venus de France, mal conservés sont secs. Ils ne devaient jamais se couvrir de bourgeons.

En 1861, une vigne a été plantée dans une ferme modèle de Birmandreïs. Les agronomes recommandant la multiplication des variétés ainsi éprouvées.

 

II. - ORIGINE DU VIGNOBLE ALGERIEN

 

II n'existait en 1830, dans la Régence d'Alger, que de petites parcelles de vigne, dispersées sur le territoire, dont la surface totale pouvait être estimée à 2 000 ha environ (2).

En 1875, au moment où le phylloxera détruisait le vignoble métropolitain, l'Algérie était fortement sollicité par les pouvoirs publics pour fournir à la Métropole le vin qui était nécessaire à sa consommation.

Le baron Thénard alors membre de l'Institut, donnait cet avis au général Chanzy, gouverneur général de l'Algérie " avec le phylloxera en France, si l'Algérie a la volonté et la prudence de l'éviter, c'est l'Algérie qui bientôt, appelant à son aide un certain nombre de vignerons, remplira les cuves de France".

Lors de la session du conseil supérieur de 1877, le général Chanzy déclarait qu'" on devait attirer en Algérie par l'appât de cette culture, à laquelle elles sont habituées, une partie des populations qui, en France, ont été cruellement atteintes par le phylloxera".

 

Avec la vigne, la colonisation sort de la misère

 

Entre 1850 et 1885, l'Algérie connaît alors un développement fulgurant de son vignoble. Sollicités par l'appel de la mère patrie, aidés par la Banque de l'Algérie, nombreux furent les vignerons du Languedoc qui vinrent en Algérie pour y créer des vignobles de remplacement.

La vigne trouve une terre d'élection, le vin est dès lors assuré d'un écoulement d'autant plus facile que la loi du 11 janvier 1851 accordait l'entrée en franchise des produits agricoles d'Algérie sur le territoire métropolitain.

 

III. LE FINANCEMENT DU VIGNOBLE ALGERIEN

 

Dans un pays où tout est à construire et à planter les demandes d'ouverture de prêts se font de plus en plus pressantes.

Selon M. P.-Ernest Picard (3), directeur général, la Banque de l'Algérie avait fourni aux colons soit directement, soit indirectement par l'intermédiaire du Comptoir d'escompte les fonds nécessaires pour créer de nouveaux vignobles, avec leur outillage, leurs bâtiments (4), le matériel de vinification et le cheptel.

Dans la majeure partie des cas, les propriétés étaient encore improductives, sans récolte, les intérêts ne pouvaient être payés.

 

Les difficultés rencontrées

 

Les comptes des emprunteurs s'augmentaient de dépenses nouvelles, mais encore des intérêts qu'ils ne pouvaient acquitter et qu'ils soldaient avec des traites.

Avec la création et l'extension du vignoble, la Banque de l'Algérie, dont la préoccupation prioritaire réside ans la nécessité pour le débiteur de respecter les échéances ne peut elle-même satisfaire les énormes besoins de crédit.

En assumant en 1880 la charge du crédit à l'Agriculture (le Crédit agricole n'existait alors pas) les banques en général et la Banque de l'Algérie en particulier, avaient accepté un trop lourd fardeau.

Les reproches ne manquèrent pas à la banque. On ne lui ménagera aucune critique et la hardiesse économique de ceux qui l'avaient engagée à assumer tout le crédit aux agriculteurs ne trouvera plus aucun défenseur. Certains discutaient déjà de l'opportunité de lui retirer le privilège de l'émission des billets lorsque celui-ci viendrait à expiration en 1897.

 

Un endettement et un avertissement

 

De nombreux viticulteurs sont affectés, et notamment Armand Arles-Dufour à Oued-el-Alleug.

Fils d'un soyeux lyonnais, Armand Arles-Dufour a englouti toute sa fortune dans un vignoble qui sera repris et exploité durant de nombreuses années par le Crédit foncier d'Algérie et de Tunisie. (5)

Le phylloxera ne tardait hélas! pas à s'étendre en Algérie (6), avec ses conséquences sur les récoltes, de plus la reconstitution rapide du vignoble français ne permettait plus l'entrée en France que des vins de haut degré dont les colons ne maîtrisaient pas encore la production en ce début de culture.

Ainsi en 1885, les vins qu'ils vendaient jusqu'à 35 F l'hectolitre, ne trouvaient plus acquéreur qu'à 11F ou 10 F. Dans le Phénomène colonial de Boufarik, M.Gautier constate que des viticulteurs laissent couler le vin dans le fossé pour récupérer le tonneau.

C'était déjà en 1885 et peut-être pour la première fois, le signe d'une nécessaire adaptation de la production vinicole algérienne aux demandes du marché.

 

La Banque de l'Algérie interrompt ses opérations de prêts

 

Durant cette même année 1885, la Banque de l'Algérie se trouve dans l'obligation d'interrompre ses opérations de prêts aux agriculteurs. L'intervention de l'institut d'émission se déroulait en effet selon des principes qui étaient difficilement conciliables, voire antagonistes. II y avait, d'une part, le caractère d'immobilisations à long terme consécutif aux besoins du crédit à l'agriculture et, d'autre part, la liquidité absolue du portefeuille d'une banque qui a l'obligation de veiller à la convertibilité des billets qu'elle émet.

Quelques jours après son arrivée à Alger, le 15 novembre 1886, M. Nelson Chierico, nouveau directeur, déclarait : " La Banque de l'Algérie a ouvert largement ses guichets au travailleur de la terre, au colon, elle a créé et appliqué le crédit à l'agriculture. Une telle œuvre n'a pu s'accomplir, une innovation aussi hardie n'a pu se produire sans entraîner quelques mécomptes. Enfin, il faut bien le dire, on a quelquefois perdu de vue les limites permises, peut-être oublié les règles de prudence."

Par la suite, la Banque de l'Algérie contribuera très efficacement à la mise en place du crédit agricole et au financement de l'économie algérienne.

 

IV. - LA CROISSANCE DU VIGNOBLE ALGERIEN

 

Après l'apparition du phylloxera, la loi du 28 juillet 1886, intelligemment appliquée, permet de retarder l'invasion et de préparer la replantation sur porte-greffes résistants. Conduite avec méthode la reconstitution permet au vignoble de couvrir 150 000 ha en 1914.

Dès la fin des hostilités la progression devait se poursuivre en raison de la prospérité consécutive à la vente du vin et au faible profit tiré des autres cultures et notamment des céréales.

Avec la vigne, l'agriculteur vise d'une part l'augmentation de son capital foncier et, d'autre part, la mise à disposition des populations autochtones qui l'entourent de nombreuses journées de travail générées par cette culture exigeante en main-d'œuvre. En 1918 le vignoble s'étend sur 171 723 ha. Devant cette croissance il vient normalement à l'esprit que la vigne refoule les céréales vers les zones les moins fertiles. Ce schéma simpliste doit cependant être nuancé par le fait que la vigne pousse aussi sur des terrains, à forte pente, secs et pierreux où les céréales auraient beaucoup de peine à produire des épis, dont la moisson serait malaisée.

 

L'inquiétude de la viticulture métropolitaine

 

Elle entraîne en 1929 le dépôt devant le Parlement de deux propositions. Le projet Caffort propose des mesures destinées au contingentement des importations des vins algériens. La proposition Castel demande la limitation et la réglementation des plantations de vigne; ces propositions ne devaient pas aboutir à d'autres résultats que d'inciter les viticulteurs à développer leurs plantations afin de se placer pour l'avenir. En 1936 le vignoble s'étendait sur 399 447 ha, c'était la plus grande surface. La superficie moyenne de l'exploitation viticole en Algérie était alors de 12 ha 65.

Sous l'effet de dispositions législatives ci-après développées, cette surface moyenne n'était plus en 1958 que de 11 ha 95 et en 1959 elle s'était encore réduite à 10 ha 95.

 

La réduction des surfaces

 

Des mesures législatives successives devaient cependant contribuer à arrêter cette croissance et à amorcer une réduction de la surface du vignoble.

La loi du 4 juillet 1931 marque l'arrêt des plantations mais laisse encore la liberté de planter 10 ha.

-La loi du 8 juillet 1933 réduit à 3 ha les possibilités de plantation aux viticulteurs.
-La loi du 24 décembre 1934 suspend toute plantation nouvelle, exception faite cependant de celles qui doivent assurer la consommation personnelle du récoltant;
-permettre la plantation de vigne par tout agriculteur qui n'en possède pas;
-permettre le renouvellement du vignoble sur une surface préalablement arrachée et conformément aux dispositions de l'amendement Brière (7).

Le décret du 25 juillet 1935 institue l'arrachage volontaire avec incitation sous forme de primes à l'arrachage ou d'exonération de charges de blocage ou de distillation. Enfin, la loi du 20 août 1940 impose à toute exploitation viticole d'au moins 5 hectares une réduction de 10 % de la surface pour la consacrer à des cultures vivrières

 

La production vinicole

 

 

 

Le développement de la vigne permettait à Louis Bertrand (7) d'écrire, dans la Revue des Deux-Mondes du 15 juillet 1934 un article intitulé "Alger que j'ai connu " : " Cette transformation soudaine d'une ville et d'un pays tout entier, elle est due à la vigne; l'Algérie moderne, telle que la France a su la créer ou la recréer, est un immense vignoble qui recouvre un pays grand comme la métropole, un pressoir géant d'où s'échappe, comme d'une source naturelle, un véritable fleuve de vin, de quoi abreuver des millions de gosiers gargantuesques. Le vin, c'est l'avenir de l'Algérie, c'est le grand bienfait dont la France a doté ce pays du soleil qui est aussi le pays de la soif. "

 

V. - LA SOURCE DE CE FLEUVE DE VIN

 

En 1939, la production reposait sur 31 569 viticulteurs qui cultivaient 394 512 ha et produisaient 17 874 900 hl.
Vingt ans après, en 1959, ils étaient 31 906, soit 1,06 % de plus mais ils ne cultivaient plus que 349 670 ha, soit 11,40 % et récoltaient 18 600 000 hl soit 4,05 % en plus.

 

Répartition par département

 

Avec 26235 viticulteurs en 1959, le département d'Oran était le premier département viticole algérien alors que celui d'Alger n'en avait que 5059.

Durant ces deux décennies le département de Constantine avait quant à lui perdu 36 % de ses viticulterus dont le nombre est passé de 957 en 1939 à 612.

 

Tailles moyennes des vignobles

 

L'étendue des surfaces complantées en vigne était remarquable. En fait la surface moyenne des exploitations viticoles était en 1959 de :

- 9,38 ha dans l'Oranais,
- 17,22 ha dans l'Algérois,
- 26,74 ha dans le Constantinois

 

Evolution des rendements moyens en Algérie

 

Le rendement moyen général pour 1959 était de 53,19 hl par ha mais en 1958 il n'était que de 39 hl et en 1957 il s'établissait autour de 43 hl.

Dans son rapport sur la production agricole en 1959, M. Fontanille souligne que c'est le troisième plus fort rendement enregistré depuis 1931, seuls l'avaient dépassé les rendements de 1934 (57 hl) et de 1938 (54 hl).

 

Evolution des rendements des trois départements

 

Entre 1939 et 1959, les rendements moyens sont en augmentation puisqu'en vingt ans ils passent de :

- 50 hl à l'ha à 72 hl en 1959 dans l'Algérois:
- 43 hl à l'ha à 47 hl en 1959 dans l'Oranais ;
- 46 hl à l'ha à 48 hl en 1959 dans le Constantinois.

 

Evolution du vignoble Constantinois

 

Sur une période de vingt années les indices chiffrés du département de Constantine présentaient déjà en 1959 une inquiétante détérioration

- diminution de 345 déclarants soit 36,05 % ;
- disparition de 7 820 ha de vigne, soit - 32,33 % ;
- réduction de 325406 hl de la récolte de 1959 par rapport à la récolte 1939, soit - 29,40 %.

 

Une majorité de petits viticulteurs

 

En 1939 il n'y avait que 186 viticulteurs, généralement des sociétés, qui récoltaient plus de 10000 hl.

En 1959 ils n'étaient plus que 153, soit 0,5 % des 31906 propriétaires. Par contre, il y avait 22470 propriétaires soit 71 % des exploitations qui produisaient moins de 300 hl de vin par an.

 

Une main-d'œuvre sédentaire

 

Ces petits exploitants travaillaient avec les membres d'une ou deux familles de salariés sédentaires. La vigne et le vin nécessitant des soins continus l'hiver pour le décavaillonnage et la taille, le printemps et l'été étant entièrement occupés par les façons culturales, rechaussage, scarifiages, traitements anticryptogamiques dont le nombre variait avec la climatologie de l'année.

Si le vignoble était généralement constitué de Carignan et Cinsaut, le viticulteur s'efforçait d'introduire dans son encépagement des plants de Grenache, Syrah, Gamay ou Pineau moins productifs mais améliorateurs de la qualité.

 

VI. - LE VIGNOBLE FACTEUR DE DEVELOPPEMENT DE L'ÉCONOMIE

 

Parfaitement adaptée aux milieux les plus ingrats recouvrant de vert feuillage les terres les plus arides, les coteaux les plus secs, parvenant à insérer les racines à travers les fentes de la calotte calcaire, dans les terrains les plus empierrés, la vigne prospère là où aucune autre culture ne pourrait être pratiquée

Dans son ouvrage, contribution à l'étude du crédit agricole en Algérie, M. Philippar écrit : " II est certain que la vigne a été pour la colonisation une aide efficace et puissante qui l'a fait prospérer en quelques années plus qu'elle ne l'avait fait pendant les cinquante années qui avaient précédé..."

Par ailleurs, M. Pierre Berthault écrit " Culture essentiellement colonisatrice, la vigne attache l'homme au sol, développe le peuplement. II suffit pour s'en convaincre de considérer la situation réciproque des villages du Sahel, de la Mitidja et des régions céréalifères des hauts plateaux; alors que les premiers respirent l'aisance et habitent des foyers prospères, les seconds se dépeuplent et voient leurs maisons tomber en ruines. " (9)

 

LE VIGNOBLE ALGERIEN FRUIT D'UN IMMENSE EFFORT

 

A la base de cet immense effort, il avait là volonté affirmée avec vigueur de survivre et de mettre en place une Production de qualité dont les méthodes évolueront très rapidement.

Les techniques de labour, de plantation, de taille et de traitement de la vigne seront sans cesse perfectionnées avec plus de rigueur et d'efficacité.

Dans le secteur du machinisme agricole, des charrues de plus en plus puissantes seront adaptées aux conditions d'un milieu ingrat, faible épaisseur des sols et présence d'une dalle calcaire à faible profondeur.

Des pépiniéristes aidés par des scientifiques, comme le professeur Vivet, devaient mettre à la disposition des viticulteurs, suivant les régions des greffés soudés sur 41 B, Rupestris du Lot, 3309 tandis que d'autres seront obtenus en vue d'améliorer encore le comportement du plant en sols difficiles c'est ainsi que les hybrides Richter, le 216-3 et le EV 115 devaient voir le jour.

Le matériel de culture et de cave devait aussi évoluer vers une mécanisation destinée à réduire l'effort et les risques d'accident.

 

La culture de la vigne et l'encépagement

 

Malgré les risques courus par les viticulteurs et par les organismes de crédit, les plantations de vigne ont, du fait de leur importance, été à l'origine d'un important développement des entreprises de labour, des pépinières et des usines d'engrais et de produits de protection des cultures.

Sous l'impulsion du professeur E. Vivet, arrivé en Algérie en 1904, des porte-greffes devaient être sélectionnés pour leurs aptitudes et leur adaptation à des conditions de sol, de climat extrêmement diversifiées. Poursuivie par le professeur Aldebert, de l'Institut agricole de Maison-Carrée, l'œuvre d'amélioration de l'encépagement devait porter bien évidemment sur la suppression totale des variétés prohibées mais également de l'Aramon et l'introduction de cépages fins comme le Cabernet, le Syrah, le Grenache, le Pineau. Le fonds de l'encépagement étant constitué par le Carignan le Cinsaut, l'Alicante Bouschet, le Mourvedre et le Morastel et le Merseguerra pour les blancs.

Pour les raisins de table, citons les Muscat, le Dattier de Beyrouth, le Sultanine, l'Ameur Bou Ameur, et tous les raisins kabyles à gros grains fermes et de couleur ambrée ou rosée Tizourine Bou Afrara.

 

Les caves coopératives

 

La coopération voit le jour en Algérie avec la loi du 26 février 1909 qui règle les rapports entre les caisses régionales et les coopératives agricoles qui de ce fait se trouveront par la suite étroitement rattachées aux organismes de crédit. Ces relations entre le crédit et la coopération expliquent le développement rapide en Algérie des coopératives et notamment des caves.

Après la création en 1904, à Dupleix, dans le département d'Alger, de la première cave coopérative, 24 caves devaient être créées depuis cette année et jusqu'en 1920.

En 1928 on dénombrait 92 caves coopératives, réparties comme suit :

- département d'Alger : 59,
- département d'Oran : 13,
- département de Constantine : 20.

Ces caves, créées avec le concours financier de l'Etat (avances remboursables et subventions) intéressaient les petits viticulteurs.

1° Elles les protégeaient contre la spéculation;

2° Elles devaient acquérir très rapidement une excellente réputation pour la qualité uniforme de leurs vins et la mise en œuvre de procédés œnologiques modernes et rationnels.

3° Elles obtenaient de bons résultats dans la vente groupée des vins et sousproduits.
Avec les caves coopératives les viticulteurs amorçaient une première démarche vers la commercialisation collective de leurs vins.

 

Le développement des caves copératives

 

Parmi les caves créées autour de 1908, celle de Zurich, dans le département d'Alger, et en 1922 celle de Hammam Bou Hadjar dans le département d'Oran.

En 1934, il y avait en Algérie 167 caves coopératives et au 31-12-1959 elles étaient au nombre de 188, réparties comme suit

- département d'Alger: 94,
- département d'Oran : 78,
- département de Constantine : 16.

 

Répartition des sociétaires et usagers des caves

 

La coopération agricole s'est efforcée de réaliser en Algérie une étroite collaboration entre les agriculteurs en améliorant les conditions de production et d'existence de tous, sans distinction d'origine.

En raison des prescriptions du Coran, les caves coopératives intéressaient les viticulteurs musulmans qui, avec 209 associés, représentaient 3,25 % de leurs 6434 adhérents.

Quant aux usagers, ils étaient encore plus nombreux puisque pour 516 utilisateurs déclarés, on pouvait dénombrer au 31-12-1959, 151 musulmans soit 29,32 %

 

VII. - LE STATUT VITICOLE ET L'ALGERIE

 

Intégrée dans la production nationale, la collecte vinicole de l'Algérie était depuis le 4 juillet 1931 soumise aux mêmes règles.

Déjà excédentaire, la production vinicole métropolitaine devait, pour être maîtrisée, s'appuyer sur une réglementation portant notamment sur trois points

 

1. La réduction et la limitation des surfaces

 

Avant la suppression par décret du 17 avril 1962, l'article 95 du Code du vin, plus connu sous la désignation d'amendement Brière, imposait à chaque opération de reconstitution une réduction des surfaces dont le taux variait avec l'importance des arrachages. Cependant les arrachages et replantations consécutifs aux dommages causés par le phylloxéra échappaient à ces dispositions qui pouvaient également être contournées en fractionnant les opérations de reconstitution.

 

2. L'amélioration de la qualité des vins

 

Au premier rang des dispositions prises pour améliorer la qualité, il convient de citer la fixation d'un taux alcoolique minimum, variable selon les régions et appellations.

Vins de pays. - Aucun de ces vins titrant moins de 10° ne pouvait être commercialisé. Ces vins devaient être dirigés sur la distillerie ou la vinaigrerie. Dans certaines zones ce seuil était fixé à 12°.

Vins de coupage. - Le degré minimum de ces vins était fixé à 10°5 dans les départements d'Alger et de Constantine et à 11° dans celui d Oran.

Les cépages prohibés. - L'article 96 du Code du vin interdisait strictement de mettre en vente des vins provenant de cépages tels que Noah, Othello, Clinton dont le goût foxé les avait déjà fait éliminer des encépagements.

Les prestations viniques. - Elles éloignaient des circuits de commercialisation les vins de presse ou de lies. Tout producteur de plus de 200 hl devait fournir chaque année une quantité d'alcool vinique fixé à 1 litre d'alcool pur par hectolitre de vin produit.

L'amélioration des techniques d'élaboration des vins. - Au-delà des mesures législatives ou réglementaires fixées et généralement scrupuleusement respectées, il paraît utile de souligner un souci permanent des producteurs et des chercheurs d'améliorer la qualité des vins d'Algérie.

Le 24 mai 1930, la Maison du colon d'Oran abritait le congrès national de la vigne et du vin auquel devaient prendre part MM. Sicard, Kruger, Raoux et Villedieu, ainsi que M. Manquené, directeur des services agricoles.

- Les techniques de fermentation continue des moûts après stérilisation étaient présentées par M. Barbet.

- Les appellations d'origine et la délimitation des crus algériens devaient être reportées par M. Moatti, tandis que M. Gallois présentait les vins de Sidi-Bel-Abbès et de la région.

- Ces communications effectuées en 1930 pouvaient sous l'impulsion notamment de M. Sicard, déboucher un peu plus tard sur l'appellation " Vin d'Oranie " et sur la promotion des Vins délimités de qualité supérieure.

- La remise en fermentation des vins porteurs de sucres résiduaires était développée par M. G. Ducellier.

- Si les vins d'Algérie devaient très rapidement être appréciés, c'est en particulier grâce aux travaux de chercheurs comme M. J-Henri Fabre (10), du professeur E. Bremond et de tous leurs collaborateurs de l'Institut agricole d'Algérie.

- Ces travaux effectués dans un cadre scientifique et avec toutes les garanties de rigueur étaient démultipliées sur le terrain par des viticulteurs zélés qui ne se contentaient plus de cultiver la vigne mais abordaient des techniques d'élaboration et d'élevage de vins de qualité.

 

3. La régulation du marché

 

Parmi les trois mesures mises en oeuvre par le statut viticole, certaines devaient par la suite être fréquemment utilisées.

Le blocage. - Le blocage en caves, des vins d'une récolte pléthorique permettait de maintenir sous contrat de stockage des quantités importantes de vins jusqu'à allègement du marché.

Le blocage s'est révélé efficace en raison du comportement des acheteurs influencés par l'existence de stocks. Une loi du 3 février 1941 devait mettre fin au blocage.

La distillation obligatoire. - C'est un élément essentiel du statut viticole, chaque année après dépouillement des déclarations de récolte, la Commission interministérielle de la viticulture établissait en accord avec la Direction des contributions indirectes les débouchés potentiels et les ressources de la campagne. Dans le cas d'excédent de récolte, la commission proposait une distillation obligatoire et réglant les modalités de l'opération.

La libération des récoltes par tranches successives. - En 1933, le législateur instaure à l'intérieur du statut viticole le fractionnement des récoltes et la libération des vins en caves par contingents successifs.

C'est par voie d'arrêté que les producteurs sont informés qu'ils peuvent mettre en vente une tranche de leur récolte. Ce dispositif implique une excellente connaissance du marché.

La méthode devait être particulièrement efficace et appréciée en Algérie, où chacune des libérations était suivie de la sortie des courtiers en vins qui prélevaient les échantillons des cuves à vendre.

A la suite des courtiers et après analyses et recherche des acheteurs, c'était la "noria" des citernes qui sillonnaient les routes des régions pour effectuer les " retiraisons ".

 

Le statut viticole : facteur de transparence du marché

 

Négocié par des économistes, des chercheurs et des professionnels avisés, le statut viticole, malgré la rigueur, mettait sur un pied d'égalité tous les vignerons, quelle que soit la région où ils produisaient du vin.

Dans un marché globalement excédentaire, le statut viticole apportait une connaissance approfondie des ressources et du marché des vins sur les deux rives françaises de la Méditerranée: il a soumis viticulteurs et vignerons aux mêmes règles de production, aux mêmes mesures cadastrales et aux mêmes contrôles en caves durant les transports.

 

VIII. - LES EXPORTATIONS DES VINS D'ALGERIE

 

Le niveau des exportations oscillait entre 7 128 000 hl en 1923 et 17 125 000 hl en 1938 pour retomber en 1939 et en raison des hostilités à 8 500 000 hl. La part des vins dans les échanges, très importante, représentait chaque année de 43 à 67 % de la valeur totale des exportations algériennes à destination de la métropole.

Par le nombre des branches professionnelles qui interviennent dans la filière vitivinicole, pour la mise en condition des sols, les plantations, l'entretien, le traitement, la récolte, la vinification et le transport des vins, les exportations, conditionnent l'activité économique du pays.

 

La tonnellerie une industrie oubliée

 

Le transport des vins reposait pendant longtemps sur des tonneaux de bois de forme doublement tronconique. Les procédés de fabrication à la main devaient par la suite faire place à des machines outils très perfectionnées. Pour la confection des fûts, des tonneliers hautement qualifiés devaient ainsi s'effacer en ne conservant plus que la tâche, certes difficile, de la réparation des " transports " accidentés.

Pour la confection des fûts, les troncs d'arbre à l'état de billes sont fendus en quartiers. Ces quartiers sont débités en pièces appelées merrains qui, après cintrage à chaud forment les douelles creusées à leurs extrémités d'une rainure appelée jable dans laquelle s'encastrent les fonds composés de pièces maîtresses, contres et chanteaux.

Des cercles, en bois pour les petites futailles ou en feuillard pour les demi-muids maintiennent l'assemblage et permettent le déplacement des fûts par roulage ou par balancement. On distingue suivant leur capacité, les demi-muids ou transports de 600 I, les barriques bordelaises 223 I (11) les demi-barriques ou sixains 112 I.

A propos de demi-muids. - Le commerce du vin a donné lieu, donne encore et donnera encore longtemps l'occasion à des chargés de mission d'étudier les modalités et les conditions de transport de ce produit longtemps classé dans les boissons hygiéniques principales à cause de ses propriétés à la fois désaltérantes, toniques et nutritives.

Ainsi un chargé de mission avait, il y a bien longtemps, la lourde responsabilité d'étudier les conditions de transport des vins d'Algérie vers la métropole.

A l'issue d'une longue étude effectuée sur le terrain et d'une non moins longue réflexion, le compte rendu ne proposait rien d'autre en conclusion, que le remplacement des demi-muids par des muids entiers

Et ce qu'il en reste. - Si les demi-muids se sont effacés des mémoires, l'entonnage s'est maintenu dans le vocabulaire des caves. S'il ne consiste plus à remplir des demi-muids ou transports, il correspond toujours au remplissage des cuves des camions- citernes et de leurs remorques.

 


 

 

Les transports

 

Le transport de ces fûts jusqu'aux chais de remplissage situés dans les propriétés ou dans les ports donnait lieu à d'incessantes navettes effectuées par des camions hippomobiles tirés par trois ou quatre chevaux.


Des fardiers appelés aussi Charrettes anglaises, deux grandes roues et un châssis sans ridelles, transportaient huit fûts vides et étaient tirées par un cheval de type postier breton.

Camions et charrettes hippomobiles ne devaient pas tarder à être remplacés vers 1934 par des camions à moteur à essence sur lesquels les fûts étaient gerbés à l'aide d'un treuil.

Les nombreux navires de la compagnie Paquet de la C.N.M. (12) des Chargeurs réunis de la compagnie Delmas Vieljeux, de la Compagnie navale caennaise et de la société Schiaffino étaient dotés de multiples mâts de charge pour embarquer et débarquer les fûts par groupes de deux ou trois. Ces navires construits dans des chantiers français avaient leur port d'attache en France et étaient armés par des inscrits maritimes des ports du littoral métropolitain, Sète, Marseille, Bordeaux, Le Havre, Fécamp et Dunkerque.

 

Les pinardiers

 

La mise en service des deux premiers navires français équipés de citernes pour le transport des vins, le Bacchus et le Sahel devait lors de leur accostage à Alger, être à l'origine de nombreux conflits sociaux.

L'entrée en service de ces navires pinardiers construits dans des chantiers français et dont l'équipage était composé d'inscrits maritimes des ports métropolitains, devait marquer la fin des demi-muids et la fermeture des entreprises de tonnellerie et de transport de ces fûts. Entreprises qui se trouvaient toutes à proximité des ports et notamment à Alger boulevard Thiers et rue de Lyon.

 


Le vin était pompé dans les cuves d'un pinardier en partance

 

 

 

 

 

La promotion de la qualité des vins d'Algérie

 


Trop nombreuses pour être toutes évoquées, certaines grandes marques s'imposent encore dans toutes les mémoires. Le Royal ou l'Impérial Kébir, le clos Fallet de Medéa, les vins de la Trappe de Staouéli et les vins des coteaux de l'Arrach, le Château-Romain et le clos Adélia.

Les régions de Médéa, Berrouaghia, Miliana, Aïn Bessem, Bouïra, Tlemcen et Mascara étaient quant à elles classées en V.D.Q.S. Pour les travaux effectués à l'Institut agricole d'Algérie, notamment par le laboratoire de viticulture et par le laboratoire de chimie œnologie, les vins algériens devaient acquérir une grande notoriété sur tous les marchés en France comme à l'étranger et notamment en Angleterre.

Grâce à une dotation de la Fondation Germain, le professeur E. Bremond et les collaborateurs disposaient d'une cave expérimentale ultra-moderne construite à proximité des laboratoires.

Depuis l'Antiquité, le vin est chargé de symboles dans notre civilisation. Le vin est avec le pain le symbole de la vie. Aucune religion n'y est indifférente. C'est ainsi qu'aux yeux de certains auteurs de cette fin du 20e siècle, il peut paraître anormal, en terre d'Islam, de fonder une grande partie de l'activité économique d'une région sur une production proscrite par le Coran. Sans accepter ou balayer une objection certes respectable, il convient de remarquer que le vignoble algérien a heureusement fait mieux que supporter jusqu'en 1962 tous les obstacles et toutes les oppositions.

Le vignoble a en effet évolué très rapidement pour répondre à un inéluctable progrès technique, il l'a même parfois remarquablement devancé pour contribuer à la disparition des famines. C'est lui qui a alimenté le commerce des villes et villages et qui a apporté du travail aux nombreux maillons d'une longue filière.

- II a permis de construire des caves et des infrastructures routières et portuaires.

- II a fixé des populations dans des agglomérations rurales qui ne demandaient qu'à prospérer et à s'ouvrir sur d'autres productions.

- II a occupé et entretenu une importante main-d'œuvre dont le plus humble ouvrier agricole, malgré de modestes salaires, disposait d'une maison, d'un jardinet avec une bouche d'irrigation et d'un poulailler.

- II a, dans ces exploitations, fait pénétrer la Sécurité sociale qui ouvrait à tous les salariés les portes des cabinets médicaux, des établissements hospitaliers publics et privés.

- Enfin, en raison de l'avance technologique acquise, la viticulture et l'œnologie de l'Algérie étaient bien placées pour s'adapter à l'évolution du commerce des vins.

-Tout cela fait maintenant partie du passé, mais il convenait cependant de se souvenir de ce que Louis Bertrand appelle le " miracle du vin", ainsi que des trésors d'énergie déployés avec courage et confiance dans l'avenir, durant plus de cent ans par des hommes et des femmes de toutes origines.

Edgar SCOTTI

 

 

PRINCIPALES SOURCES BIBLIOGRAPHIQUES

 

MM.
P. Aldebert, professeur de viticulture à l'E.N.S.A. d'Alger.
M. Barbut, inspecteur général de l'Agriculture.
J. Bayle, Quand l'Algérie devenait française.
E. Bremond, professeur d'œnologie à L'E.N.S.A. d'Alger
J.-H. FABRE, professeur d'œnologie.
P.Ernest Picard, directeur général de la Banque d'Algérie.
H. Fontanille, secrétaire général de la Confédération des vignerons algériens.
P. Goinard, Algérie, l'œuvre française.
G. Munck, président de la Chambre d'agriculture de Constantine.
C. Orsat, chef de travaux à l'E.N.S.A. d'Alger.
Fontanille et Guenaud : Nouvelle législation viticole.

(1) Quand l'Algérie devenait française, J. Bayle, p. 223.
(2) H. Fontenille, docteur en droit, secrétaire de la Confédération générale des vignerons algériens.
(3) La monnaie et le crédit en Algérie depuis 1830.
(4) les caves coopératives n'existaient pas encore.
(5) J. Baylé, foc. cit., supra 1.
(6) Les premières attaques apparaissent en 1878, à Bône et Philippeville.
(7) Article 85 du Code du vin.
(8) Louis Bertrand, cité par H. Fontanille, de la Confédération générale des vignerons algériens.
(9) Quelques aspects du problème viticole, Pierre Berthault.
(10) Le professeur J.-H. Fabre est l'auteur du Traité encyclopédique des vins, et d'autres ouvrages traitant de leurs maladies.
(11) Toujours utilisées dans les caves des grands crus bordelais.
(12) Compagnie de navigation mixte.

In l'Algérianiste n° 38 de juin 1987

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