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Comment et Pourquoi la Clémentine ?

Écrit par François Rioland. Associe a la categorie Histoire Agricole

Pour répondre à une aimable lectrice des Charentes, qui vécut à Aïn-Témouchent, et à d'autres amis exilés ça et là, qui avaient exprimé le désir d'avoir des renseignements complémentaires sur le Père Clément et sa clémentine, je me suis adressé à Mme Raymond Blanc, auteur d'une maîtrise sur Misserghin, ouvrage retardé par le départ en Terre Adélie de son époux. Ma correspondante m'avait déjà permis, l'an dernier, d'étoffer une évocation de ce village, où son père fut directeur d'école. En effet, tous les détails concernant ce fruit savoureux émanent de ses recherches et de l'acharnement affectif qu'elle a apporté pour enrichir et agrémenter des souvenirs qui l'ont fortement marquée. Ecoutons-la:

"  Je ne puis préciser la date de l'arrivée à Misserghin du Père Clément, mais je sais qu'il s'agit de Vital Rodier, né à Maleveille, dans le Puy-de-Dôme, en 1839, et qu'il mourut à Misserghin en 1904. J'ignore la durée de sa formation religieuse, mais je pense qu'il devait avoir entre 20 et 25 ans lors de son entrée dans la Congrégation des Frères du Saint-Esprit (18591864). L'abbé Desjardins a consacré un ouvrage au Père Abram, dont voici un extrait intéressant le Frère Clément:

" Le Frère Clément contribua considérablement à la prospérité de la splendide propriété de Misserghin. On peut même dire que rien n'a été planté sans lui dans les 20 ha de la pépinière et les 35 ha du vignoble. C'est lui qui a introduit dans le pays plusieurs centaines d'espèces d'arbres forestiers, fruitiers et d'ornement, sans compter une merveilleuse collection de rosiers qui comprenait près de 600 variétés des plus rares. Il obtint même et développa plusieurs variétés nouvelles de plantes et de fruits, entre autres une espèce de mandarine qui fait l'admiration des connaisseurs et que les orphelins de l'établissement baptisèrent du nom de clémentine. Sans avoir une instruction bien développée, le Frère Clément était arrivé. par le travail et l'expérience, à devenir comme un dictionnaire vivant de toutes les plantes utiles d'Algérie. Sa conservation, quoique très simple, surprenait et charmait les plus savants visiteurs. Il avait acquis ces -multiples connaissances par une étude suivie, méthodique, et par d'innombrables essais, dont il consignait les résultats sur ses cahiers. Ainsi, depuis près de 40 ans (ce qui confirmerait qu'il soit venu aux alentours de 1864), il avait l'attention d'enregistrer, jour par jour, la température moyenne et la quantité d'eau tombée à Misserghin... "

La clémentine a été découverte en 1892. Comment? Le mystère reste entier car Frère Clément n'a rien écrit à ce sujet. D'autre part, les archives des Pères du Saint-Esprit ne sont pas exploitées car fermées aux chercheurs non religieux. Et il se peut qu'une trace de cette découverte existe dans ces archives. Nous connaissons le fait brut, mais j'ai réussi à obtenir deux versions concernant la découverte. La première émane d'un Frère du Saint-Esprit, actuellement en maison de retraite. Il m'a transmis la tradition orale qui avait cours chez les religieux du village. C'est une version digne de foi à qui vous trouverez un arrière-goût "d'eau bénite", comme dit mon mari.

" Selon une tradition, il y avait alors sur le terrain de la propriété, au bord de l'Oued Misserghin, un arbre non cultivé qui avait poussé là parmi les épines ; ce n'était pas un mandarinier. ni un oranger. Ses fruits, plus rouges que les mandarines, étaient d'une saveur délicieuse et de plus n'avaient pas de pépins : c'est ce que devait apprendre au Frère Clément un jeune arabe qu'il avait surpris à en déguster. Intéressé par cette espèce de fruits, Frère Clément prit sur lui la décision de faire des greffes avec greffons pris à l'arbre miraculeux et l'opération réussit. On multiplia les greffes, et au nouvel arbre qui ne possédait pas de nom particulier, on donna celui du Frère Clément... "

La deuxième version, transmise par le même religieux, vient d'un habitant d'Assi-Bou-Nif, né à la pépinière de Misserghin, fils d'un employé à l'exploitation du temps de Frère Clément.

" Frère Clément aurait suivi le travail d'une abeille en train de butiner. L'abeille passe d'un bigaradier sur un mandarinier. Que peut-il sortir d'un tel mélange de pollen ? Le Frère attache un ruban rouge à la fleur du mandarinier et surveille la production, il prélève le fruit à maturité, fait un semis et obtient... la clémentine.

Voici donc les deux versions qu'il a été donné de connaître à mon aimable correspondante, et elle ajoute, ce qui dénote chez elle une étude complète et approfondie de l'histoire de la clémentine, "que la commercialisation de ce fruit en France métropolitaine n'a probablement commencé qu'après la Première Guerre mondiale, en raison des difficultés de conservation pendant le transport. En 1902 seulement l'appellation "clémentine" a été approuvée et divulguée par la Société d'Agriculture d'Alger qui, sur un rapport des plus élogieux, lu par le Docteur Trabut, décerna à la clémentine une médaille d'or grand module. C'est probablement dès 1902 que cette culture se propagea. Mais il faut compter avec le temps pour qu'un arbre atteigne sa pleine production ".

Ma correspondante des Charentes, épouse d'un architecte que j'avais rencontré à plusieurs reprises à Aïn-Témouchent, décédé ici peu après la braderie de notre cher pays, m'avait signalé qu'elle avait dégusté la clémentine à Paris pour la première fois en 1924. Mme Raymond Blanc m'a f ait savoir que cette date est vraisemblable.

François Rioland
L'Echo de l'Oranie n° 101 de septembre 1974

 

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