L'Encépagement en Algérie
Après la prolifération anarchique des cépages, lors des années de tâtonnement (il arrivait en effet de trouver plus de vingt cépages différents sur une même petite parcelle) une sélection, rigoureuse avait été opérée avec le concours du Jardin d'Essais d'Alger et des premières fermes expérimentales.
Des pépiniéristes audacieux avaient suivi : Astay à la Chiffa, Buffet à Guyotville, Gontier à Sidi Bel Abbés, Goyard à Maison-Carrée, Richter de métropole à Chebli, et bien d'autres. Conseillés par des scientifiques, les professeurs Vivet et Aldebert, ils avaient déterminé l'encépagement le mieux adapté à la culture de la vigne en Algérie.
La production locale permettait d'obtenir des plants d'une fraîcheur et d'une qualité que la France, lointaine, et les moyens de transport inadaptés, ne pouvait garantir. Les cépages indigènes, souvent à grosse peau, de couleur pâle, avaient été abandonnés ou cantonnés dans une production limitée de raisins de table et de raisins secs. Seul l'un d'entre eux, le "Faranah" blanc, qu'on appelait également "Mascara" en Oranie, avait subsisté et s'était propagé en coteaux où il donnait des vins alcooliques et assez capiteux.
Les raisins de table kabyles, trop tardifs, avaient été supplantés par d'autres venus d'ailleurs, plus précoces, essentiellement le chasselas, exporté en presque totalité vers la métropole et l'étranger. Ils représentaient environ 1.000 tonnes pour 5.000 hectares.
De tous les raisins blancs importés d'Europe, dans les bagages des colons, avaient survécu la Clairette, l'Ugni blanc, le Maccabeo et le Merseghera. Conduits en gobelets, ces cépages au port presque toujours retombant et au bois cassant, offraient au moment de la cueillette, des grappes brûlées par le soleil et altérées par les piqûres de guêpes et les frottements au sol. Leur vin était riche en alcool, mais manquait d'arômes, et la production oscillait entre 600 et 800.000 hectolitres.
Les cépages rouges en revanche, originaires du midi de la France et d'Espagne, trouvaient en Algérie, comme dans le reste de l'Afrique du Nord, leur terre de prédilection.
Le Carignan, espagnol, environ 140.000 hectares, tenait la première place et donnait des vins souples, alcooliques et buvables en l'état. Il était, comme partout ailleurs, sensible à l'oïdium et quoique tardif, les grappes à la récolte étaient saines, compactes, et les grains croquants, d'une belle couleur bleutée plus ou moins nuancée selon l'exposition et la couche de poussière.
Venait ensuite l'Alicante avec 75 000 hectares à la production régulière, précoce, très colorée, recherchée par le négoce comme vin de coupage.
Peu sensible aux maladies habituelles, ce cépage était souvent atteint de dépérissement prématuré.
Le Cinsault, avec 60.000 hectares suivait l'Alicante. Résistant aux terrains pauvres et à la grande sécheresse, il donnait du raisin de table, des vins rosés très fins, et parfois des vins rouges d'assouplissement. Tous les sols lui convenaient et ses arômes s'exprimaient le mieux dans les sables du littoral.
Le Morrastel espagnol et le Mourvèdre, souvent à tort confondus, mais aux mêmes caractéristiques, tardifs et vigoureux, se limitaient aux régions d'altitude, moins chaudes et aux plus grandes amplitudes de températures. Ils couvraient environ 20.000 hectares et, avec des fermentations correctement maîtrisées, donnaient des vins de garde d'excellente tenue, alcooliques et de belle couleur.
Venait enfin le Grenache, le Garnacha espagnol, avec 10.000 hectares. Résistant, on le trouvait en tous terrains et particulièrement en zones sèches. Dans les terres plus fertiles il était sensible à la coulure et sa production devenait irrégulière. Les vins de Grenache vieillissaient mal, mais très riches en alcool (souvent plus de 14°), ils étaient destinés aux assemblages ou à la préparation de mistelles.
Les autres cépages rouges, Aramon, Grand Noir, étaient en régression, et les cépages dit "améliorateurs" en 1995 ne subsistaient, apportés au début de la colonisation, que d'une manière épisodique.
En matière de porte-greffes, les pépiniéristes locaux multipliaient les sélections obtenues en France ou en Sicile, suivant la demande, avertie et souvent aventureuse, des viticulteurs confrontés au calcaire, à la salinité et à la sécheresse.
On plantait généralement dans les plaines d'alluvions le 3309 Couderc, et dans les hautes terres et les coteaux, les Richter 99 et 110. Beaucoup plus tard sont venus s'y ajouter, avec un engouement certain, les Paulsen 1103 et 1147.
Le Couderc 161-49 et le Millardet 41-B se partageaient les terrains les plus calcaires, alors que pour tenter de passer au travers de la salinité on essayait sans grand bonheur le 216-3 Castel.
Les plants hybrides ont été peu multipliés sinon dans des sols épuisés par les cultures précédentes, ou pour tenter d'avancer en terrains aux brusques "remontées de sel". C'étaient pour la plus grande part des Seyve-Villard 18.315 en noir et 12.375 en blanc.
Les plants racines, plantés en janvier, février, voire en décembre, étaient greffés en août suivant, à la "majorquine" par des équipes itinérantes, souvent espagnoles, et repris à la "fente" au printemps.
Les racinés-greffés n'ont pas eu le temps de s'imposer.