Le Vignoble Avant la Grande Guerre
C'est seulement en 1898 que le terme de "colon", pourtant utilisé par toutes les administrations, était officialisé avec la création en Algérie, des délégations financières : "la section colons" et la "section non colons".
Ce terme n'avait pas à l'époque le sens péjoratif et méprisant que certains "penseurs" lui attribuent de nos jours, mais était synonyme d'audace, de ténacité et de travail, avec ce petit quelque chose en plus qui différenciait les émigrants du monde entier de leurs compatriotes demeurés au "pays". Malgré la crise phylloxérique et l'effondrement des cours du vin, le vignoble progressait, et alors que la querelle entre partisans et adversaires des vignes américaines se développait, leur culture était autorisée en 1899.
Dès 1890 la production méridionale s'était rétablie et l'Algérie, méconnaissant les conflits à venir, plantait toujours pour atteindre 122.000 hectares en 1895, et 155.000 en 1900, avec une production de 5,5 millions d'hectolitres, dont 4,8 devaient être exportés.
Il s'ensuivait une succession de bonnes et de mauvaises années, les bonnes étant paradoxalement les mauvaises de France; des campagnes psychologiques menées par des négociants soucieux de faire croire à la baisse prochaine des cours; des achats massifs à bas prix sur souches, des vins expédiés tonneaux ouverts avant achèvement des fermentations, des fraudes au sucrage et au mouillage.
Têtes baissées, les deux viticultures du midi de la France et de l'Algérie fonçaient vers l'irrationnel, l'empoignade et la catastrophe économique.
En Algérie le Crédit Agricole était fondé en 1894, les premières caves avec cuves en maçonnerie étaient construites à partir de 1895; le matériel se perfectionnait, devenait plus lourd et plus onéreux. De nombreux viticulteurs surendettés avaient renoncé et vendu à vil prix, entraînant une concentration des vignobles au profit de riches sociétés, mais aussi de viticulteurs plus aisés ou plus chanceux. Travail dans les vignes et vinification dans les nouvelles caves s'amélioraient. Ils exigeaient une main d'oeuvre plus qualifiée, qui devenait rare.
Des organismes de recrutement étaient ouverts en France. Leurs offres étaient chères, les colons faisaient donc de plus en plus appel à la main d'oeuvre locale, plus abordable, moins exigeante, qu'ils préféraient former, et qui s'est avérée parfaitement adaptée et fiable, en devenant sédentaire.
Des Européens, Français et Espagnols, se trouvaient réduits au chômage. Ils s'organisaient en "cuadrillas" itinérantes et allaient de fermes en fermes, de villages en villages, proposer leurs services. On les appelait "l'armée roulante". Ils se spécialisaient dans les travaux de taille, de plantations, de greffage et d'équipes de cave au moment des vendanges.
En 1905 était créée la première coopérative vinicole, qui devait être suivie de beaucoup d'autres, notamment après la grande guerre. Cette année-là (1905) le vignoble atteignait 179.500 hectares. L'Algérie, comme la France, connaissait la surproduction et la mévente générale.
La colonie se heurtait aux producteurs méridionaux et entrait avec eux dans le droit commun et le cycle des lois restrictives. Les vignerons du Midi avaient demandé, sans succès, le contingentement de la production algérienne, qui du fait de la faible consommation locale, devait être exportée en presque totalité. Le fougueux Marcellin Albert avait été acclamé à Alger en 1907 où il s'était rendu pour calmer les esprits. La crise viticole avait une incidence restrictive sur les plantations qui régressaient puis se stabilisaient.
Les statistiques officielles de l'année 1915 donnent une superficie de 177.454 ha pour une récolte de 7.815.596 hl, et pour la première fois dans l'histoire du vin, un report de stock de 51.734 hl. Cette notion de stock allait désormais faire partie du paysage viticole algérien et empoisonner les relations entre les responsables de la régulation des marchés, et les producteurs.