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Oued Guéterini (3) - Production

Écrit par Jean Mazel. Associe a la categorie Exploitation du Sous-Sol

Un moment difficile

Le bruit commençait à se répandre à Alger de la découverte de pétrole dans la région d'Aumale et d'un début d'une mise en valeur du gisement par un groupe privé composé de capitaux algérois. Les Rösfelder, père et fils, se donnaient beaucoup de mal en organisant une opportune politique de conférences de presse, d'articles dans les journaux, visites du chantier, des puits, des galeries et de la raffinerie d'Oued Djenane en construction.

Un petit car avait été affrété à l'intention des souscripteurs et futurs souscripteurs à la RAFAL dont le capital de départ de sept millions d'anciens francs avait été porté à vingt puis à trente cinq millions.

Les recettes étaient, pour le moment, très modestes. Le prix du baril de pétrole était, il faut le reconnaître, assez dérisoire à cette époque.

Nos visites groupées étaient maintenant parfaitement au point. Un repas coupait la journée, repas organisé au petit restaurant de la grande place d'Aumale. Un ancien maître d'hôtel de " l'Hôtel Transat " de Bou Saada avait décidé à la même époque de créer sa propre affaire. Nous avons fait sa fortune à laquelle il ne s'attendait pas, mais ce brave et sympathique Mouloud avait mis beaucoup de temps à abandonner dans son menu les nombreuses préparations compliquées pour les plats simples. Sa grande spécialité était devenue la " chorba ". Nous avions réussi à le persuader que la cuisine la plus traditionnelle et la moins élaborée était la meilleure. Nous nous régalions de brochettes de mouton, de méchouis et autres ragoûts de poulets, qui convenaient parfaitement à créer une ambiance favorable à la remise des bulletins de souscription et de la traditionnelle petite bouteille de pétrole brut.

Nous mettions il est vrai en garde nos souscripteurs, je dois le préciser, des possibilités d'échec et de perte du capital, mais sans grande conviction, en gardant un air entendu qui voulait dire " On vous dit cela pour le principe, mais vous allez voir... "

Un jour la préfecture d'Alger nous avisa du désir formulé par le préfet d'Alger, M. Camille Ernst, de visiter le chantier. La tournée fut magistralement organisée avec journalistes, quelques hommes politiques locaux, discours, photos, et... repas.

C'était bon signe. La haute administration s'intéressait à nous. II y avait toutefois une ombre au tableau. A la même époque, c'était le début de l'automne 1948, mon fidèle ami le caïd me signala la présence de nombreuses équipes de techniciens de voitures et camions qui parcouraient la région de long en large, en déployant de nombreux instruments mystérieux, et faisaient sauter de temps en temps des séries d'explosifs.

La nouvelle tomba comme la foudre sur nous. La SN REPAL, Société Nationale de Recherche et d'Exploitation des Pétroles en Algérie, avec laquelle nous avions eu jusqu'alors de bons rapports, par un véritable coup de force, déposa et obtint du Gouvernement Général un permis exclusif de recherches sur une vaste zone qui comprenait le petit périmètre qui nous avait été accordé.

Cette société d'Etat ayant, sans résultat, opéré une campagne de sondages dans la plaine du Cheliff, aux environs de Relizane, et les recherches s'étaient montrées très décevantes malgré le forage de 43 puits totalisant 62 000 mètres forés. Un seul sondage avait traversé une grande épaisseur (80 mètres environ) de sable imprégné mais il n'avait donné aux essais de production que de l'eau salée et du gaz (méthane).

Un autre sondage avait rencontré, dans le miocène inférieur, à Rabelais, une importante couche de condensat à forte pression, c'est-à-dire de bitume plus lourd que le pétrole brut. Les essais ne donnèrent également aucun résultat pour des raisons techniques de forages et malgré tous les espoirs il fut abandonné.

Des critiques s'étaient élevées dans un certain milieu politique sur l'utilisation des fonds publics et sur le gaspillage de l'argent des contribuables. Les dirigeants avaient très mal vécu qu'une petite affaire privée bénéficiât de tant d'audience auprès du public pour une production inversement proportionnelle, à la publicité faite autour d'elle.
M. Eugène Rösfelder, à la tête d'une délégation de parlementaires du département, fut reçu par le Gouverneur général Léonard pour protester véhémentement contre un tel procédé, alors que le secteur privé, représenté par la RAFAL, était tout disposé à trouver une formule de coopération avec l'Etat.

C'est ainsi qu'après des pourparlers menés tambours battant par les Rösfelder et Colot président de la REPAL, fut décidé la création d'une société mixte à capitaux souscrits par moitié par l'Etat et la RAFAL : la Société des pétroles d'Aumale SPA. Je fus désigné comme secrétaire de cette nouvelle affaire qui décida immédiatement une campagne de sondages sur Oued Guétérini.

Une sonde d'un modèle ancien, appelée NSCO 25, et récupérée en Libye arriva toute démontée après un transport difficile.

Les moyens mis en oeuvre furent incomparablement supérieurs à partir du début janvier 1949 et notre modeste chantier composé à ses débuts d'une petite cabane en bois et trois vieilles cuves métalliques, n'était plus reconnaissable.

Un véritable village de maisons préfabriquées, où logeaient les ingénieurs et le personnel, s'était implanté sur le site. Un énorme groupe électrogène diffusait de la lumière jour et nuit.

Le choix de l'implantation du premier sondage sur le terrain m'a laissé un souvenir très marquant

Le géologue en chef de la SN REPAL, M. Orstinsky, et notre ingénieur, M. Yordachesco, parcouraient la zone en gesticulant. 'Nous ne percevions pas ce qu'ils se disaient mais, à l'évidence, ils n'étaient pas d'accord du tout. '

Au bout de deux heures, ils se rapprochèrent du bord de l'Oued, Yordachesco prit son chapeau et le lança vigoureusement au loin en disant : " Si du pétrole jaillit de ce sondage, je mangerai mon chapeau ".

L'emplacement était enfin choisi.

Les derniers éléments de la raffinerie étaient sur le point d'être terminés et mis en place. Nous n'avions plus qu'à attendre. Nous vivions un véritable coup de banco qui allait durer plusieurs semaines et les jours du premier trimestre 1949 nous semblèrent bien longs.

 

L'attente

 

C'était un véritable plaisir de travailler sous les ordres de Colot, dont l'intelligence, la clarté d'esprit m'impressionnaient beaucoup.

Il arrivait à dicter avec précision plusieurs lettres à la fois et cette faculté avait le don de me stupéfier. Mon travail à la RAFAL occupait le reste de mon temps.

André Rösfelder venait de publier un premier livre, débutant ainsi sa carrière d'écrivain. Cet ouvrage prémonitoire " L'homme frontière " contait l'histoire d'un Algérien musulman dont la propre évolution rendait sa situation intenable partagé entre deux civilisations.

J'ai toujours pensé que notre ami le caïd avait servi de modèle. Lui avait choisi, après son long séjour en France, de reprendre un mode de vie tribale et coutumier, mais je savais par ses confidences que ce n'était pas toujours facile.

Au cours d'une entrevue qu'il avait sollicitée d'urgence, il me fit part de la découverte par un de ses hommes d'un suintement de pétrole dans un endroit situé à deux jours de marche de Sidi Aïssa, en haut d'une montagne. Je lui expliquais que le pétrole se trouvait dans les terrains plats sédimentaires et n'avait aucune chance d'apparaître sur des hauteurs.

Je compris à sa mine déconfite et son air vexé que j'avais commis une faute majeure en doutant de sa parole et je n'eus de cesse de rattraper mon erreur en lui demandant d'organiser une expédition pour nous rendre compte nous-mêmes de la réalité des faits.

Bon joueur, il accepta d'emblée et un matin de la semaine suivante nous partîmes très tôt vers cet endroit mystérieux.

Comme d'habitude, en grand seigneur, il avait bien fait les choses. Nous avions chacun un cheval : deux moghaznis, dont le découvreur de pétrole, nous accompagnaient avec deux mulets chargés d'équipement.

Direction nord-est vers l'Aurès, le premier jour nous avions parcouru une vingtaine de kilomètres, traversant vallées et oueds, escaladant de nombreuses montagnes et collines arides. Le sommet le plus haut de la région, le Djebel Dira, haut de 1 800 mètres, me servait de repère.

Au sud, on découvrait un paysage sans fin, désertique. A l'est, à l'ouest et au nord, nous étions entourés de la chaîne mouvementée de l'Atlas aux flancs abrupts, aux parois calcinées. De ci de là quelques arbustes, oliviers sauvages, chênes verts soulignaient de taches sombres, bleues ou violettes, la monotonie des masses rocheuses. De temps en temps, autour d'une source, quelques bouquets d'herbes vertes et de fleurs sauvages.

Je n'avais jamais vu de ma vie autant de compagnies de perdreaux. Par centaines, surprises par cette visite inhabituelle, ces belles perdrix grises aux pattes rouges se réfugiaient, sans se presser, sur la colline voisine.

Dans la journée il faisait chaud. Nous étions début février mais on m'avait recommandé de prendre des vêtements chauds pour le soir.

Bien avant le coucher du soleil, nous installâmes, sur les conseils de nos guides, notre campement près d'une source d'eau claire et limpide dans un endroit abrité. Pendant que les hommes du caïd préparaient des galettes de semoule à cuire sur les pierres chaudes d'un brasier, nous nous occupions de mettre à la broche quelques perdreaux tués en cinq minutes tout en admirant les couleurs indescriptibles des montagnes encore éclairées par les derniers reflets du soleil.

Ce soir là, après avoir dégusté un café autour d'un feu de bois, le caïd me parla d'une reine fabuleuse dont je n'avais jamais entendu parler " La Kahena " qui, au 7e siècle, régna sur le royaume Berbère. Les marabouts et les chanteurs de l'Aurès et du Sahara perpétuent encore sa mémoire.

Après avoir dormi à la belle étoile, c'était le cas de le dire, sous un ciel pur et noir constellé de millions d'étoiles, chaudement serré dans un burnous en poil de chameau, nous reprîmes la route très tôt le matin pour arriver au début de l'après-midi sur un vaste plateau complètement dénudé, aux maigres broussailles où s'élevaient quelques bâtiments en ruine.

- C'est là ! me dit le moghazni.

Se dirigeant vers un endroit déterminé, pelle à la main, il se mit à creuser frénétiquement. Au bout d'un moment, sa pelle recueillit une masse de terre noirâtre qui sentait réellement le pétrole. En creusant plus profondément, aidé par son compagnon, il dégagea environ six mètres carrés de terre identique, noirâtre et odoriférante.

Je m'étais muni de plusieurs sacs étanches pour recueillir des échantillons. Ce travail étant terminé, je fis alors un large tour d'horizon, me penchant avec attention sur les ruines et les vestiges. Je m'aperçus avec stupeur qu'il s'agissait de plusieurs habitations, sans doute d'origine romaine dont une possédait une baignoire rose à quatre places assises.

II s'agissait soit d'un groupe de maisons, soit d'une petite ville qui s'étendait sur le plateau. Une route d'accès se dessinait sur l'autre versant de la montagne.

Mon ami le caïd triomphait

Le retour s'effectua sans problème et ma première démarche fut de remettre les échantillons à l'analyse au Service des Mines.

Résultat le lendemain : résine de pins !

Nous avions découvert une usine de résine de pins dans une région où il n'existait plus l'ombre d'un arbre dans un rayon de vingt kilomètres ! Cette résine servait à calfeutrer les outres et les bateaux.

Je donnais les coordonnées du site au Service d'Archéologie du Parc de Galland à Alger et je présume qu'à l'heure présente rien n'a changé. Les ruines et la résine sont toujours en place, dans l'attente de fouilles éventuelles.

La semaine suivante, je repris la route pour, entre autres choses, donner au caïd le résultat surprenant de l'analyse. Les conditions atmosphériques s'étaient brutalement dégradées et j'avais traversé de violents orages de grêle en passant le col de Sakamody.

A Sidi Aïssa, j'appris que le caïd se trouvait à Bou Saada. Comme les pistes étaient impraticables, en raison des oueds grossis et de la boue, je décidais de coucher à Bou Saada.

Le lendemain matin, en ouvrant la fenêtre de ma chambre à l'hôtel, je n'en croyais pas mes yeux : vingt centimètres de neige recouvraient les dunes et les palmiers ployaient sous le poids des filocons

Cueillir des violettes en écartant la neige, faire deux doubles traces en escaladant les dunes, voilà les deux souvenirs qui m'ont le plus marqué avec, bien sûr, la tête d'une vingtaine de Suédois qui, arrivés la veille, étaient venus à Bou Saada première oasis du sud pour profiter du soleil d'hiver. lis avaient troqué leurs chemisettes et shorts blancs pour des burnous achetés au marché. C'était un spectacle étonnant. L'événement ne s'était pas produit depuis quatre-vingts ans

Je restai bloqué deux jours à l'hôtel et mon ami le caïd retrouvé me fit entreprendre une tournée complète, mais fatigante, de tous les établissements d'Ouled Nail. J'ai ramené de ce séjour le souvenir de moments que je voudrais bien revivre...

 



Sonde en production à Guétérini

 

 

L'éruption

 

Le 20 avril 1949, l'ingénieur, M. de Beaumarchais, qui dirigeait l'OG I, c'est-à-dire l'Oued Guétérini n°1, nous fit avertir par le géologue, M. Kirken, que la sonde avait atteint 930 mètres; après avoir traversé trois niveaux pétrolifères. Le premier niveau, atteint à 230 mètres, avait donné aux essais, une production initiale de 500 litres par jour, le deuxième niveau, à 340 mètres, essai retardé, le troisième à 640 mètres, plus prometteur avait, après traitement à l'acide, donné une production de mille litres par jour.

Nous étions un peu déçus et nous avions décidé, la sonde étant arrêtée, de nous rendre sur place pour constater nous-mêmes. Après André Rösfelder et Yordachesco nous apprîmes en arrivant, que des bruits sourds s'étaient fait entendre à la sonde dans la nuit et l'ingénieur paraissait inquiet.

Brutalement, dans l'après-midi, une violente éruption se produisit; Après un grondement semblant venir des profondeurs de la terre (c'était le pétrole qui remontait dans la conduite), un sifflement strident se fit entendre. On vit apparaître de petits jets de boue éjectés par saccades puissantes. Puis brusquement une longue colonne de boue irrésistiblement chassée sortit de la sonde. D'abord noir, le jet de pétrole s'éclaircissait progressivement pour devenir jaune foncé.

Le pétrole qui jaillissait avec force se répandait alentour. Nous étions littéralement couverts de la tête aux pieds de ce précieux liquide, sales, puants, mais fous de joie. Notre rêve se réalisait enfin !

C'était un événement très rare dans les annales de la recherche du pétrole dans le monde. Les exemples d'un premier sondage éruptif se comptant sur les doigts.
Les Dieux du pétrole nous avaient enfin permis d'être au rendez-vous.

L'éruption fut bientôt domptée mais auparavant nous alertâmes la presse qui publia de nombreuses photos avec articles enthousiastes.

Un grand repas fut organisé à Aumale, réunissant les dirigeants et tous les responsables du chantier. Comme dessert, nous avions fait fabriquer un beau chapeau en nougatine que Yordachesco mangea en grande partie.

La société des pétroles d'Aumale réalisa par la suite 69 sondages sur Oued Guétérini et la production quotidienne s'éleva à 270 tonnes par jour. Notre petite raffinerie de 40 tonnes était complètement dépassée. Un train complet de 300 tonnes quittait tous les jours Bouira, la gare la plus proche d'Oued Guétérini, pour la raffinerie Shell d'Alger.
Nous avions gagné notre pari

L'ère des grandes découvertes au Sahara pouvait commencer...

Jean MAZEL

 


Le chantier de la S.P.A. en 1949
Au premier plan : le NSCO 25
au fond : la Massarenti

 

In l'Algérianiste n°46 de juin 1989 p.50

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