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Oued Guéterini (2) - Implantation

Écrit par Jean Mazel. Associe a la categorie Exploitation du Sous-Sol

Dans un lit de torrent très large de cinquante mètres environ, un mince filet d'eau qui serpentait entre les pierres avait permis à quelques touffes d'herbe de pousser au milieu de petits roseaux.

II semblait impensable qu'un tel courant ait pu se tailler un espace aussi vaste, mais tous ceux qui ont connu un orage dans ces régions savent qu'en quelques secondes de torrents tumultueux emportent tout sur leur passage. Les berges, hautes de deux à trois mètres, ne présentaient aucun signe particulier sinon à un certain endroit, sur une longueur importante, une épaisse couche de terre noirâtre d'un mètre d'épaisseur, qui détonnait dans cette terre sans couleur au flanc d'une des rives.

Les fameux suintements se trouvaient devant moi. Lorsque l'on grattait un échantillon de terre pour le prendre dans la main, il se dégageait une très forte odeur de pétrole que je respirais pour la première fois.

M. Pons nous montra l'emplacement de ses anciens puits abandonnés et bouchés où l'on distinguait encore des ramas de terre imprégnés et des vieux madriers brisés.

J'étais très impressionné et dois-je l'avouer un peu déçu par la désolation et l'aridité des lieux. Des pierres, du sable, des cailloux, un mince filet d'eau qui s'irisait de taches arc-en-ciel, pas d'arbre ni de maison, un paysage lunaire. Je ne pouvais imaginer que nous allions passer de longues journées pendant des mois à travailler dans ce cadre rébarbatif avec au nord une vue sur les hautes montagnes de l'Atlas, et aux autres points cardinaux, l'immensité vallonnée et désertique d'un paysage désolé. J'ignorais également que les premières pluies d'hiver allaient permettre aux habitants de cette contrée, apparemment stérile au milieu d'étendue sans herbe, sans pâturage, sans ressource, de semer et récolter blé dur, orge et autres céréales en un temps record. Le miracle se produisait. Avec l'eau, ces terres desséchées devenaient fertiles. L'herbe poussait et servait de nourriture à de nombreux troupeaux de moutons. Certains jours, après une ondée, les collines se recouvraient de myriades de petits soucis nains, jaunes et roses qui disparaissaient tout à coup aussi vite qu'ils étaient apparus.

Sur le chemin du retour; après avoir visité Sidi-Aïssa, le plus proche village du gisement, nous nous étions rendu compte que malgré l'apparence désertique de la région, la densité de la population, était assez importante. C'était un jour de marché et une foule de " fellahs " se pressait autour des marchandises posées à même le sol des dattes, des figues sèches, du blé et des épices, du sel ramassé par les femmes au bord des chotts voisins.

Sidi Aïssa préfigurait les première belles oasis du désert: Bou Saada e Biskra avec un aspect caricatural et dérisoire: quelques maisons de style français, la mairie, une école, un petite église, mais aussi les grand murs de torchis de terre, quelque belles demeures indigènes, des jardins et surtout des maigres palmier au pied desquels se reposaient le premiers troupeaux de chameau agenouillés dans le sable qui attendaient de repartir, chargés de marchandises vers les douars alentours.

Au cours du trajet de retour, M. Pons avait fait comprendre à André Rosfelder que moyennant une modeste indemnité il était disposé à se désintéresser de toute recherche de pétrole dans la région, en raison de son âge, et surtout du peu de résultats de ses multiples démarches auprès de l'Administration depuis la fin de la guerre qui lui déniait tous droits quelconques de recherche ou d'exploitation sur Oued Guéterini.

 

Organisation et répartition
du travail

 

Depuis notre expédition à Oued Guéterini, les réunions se succèdaient à Alger, au domicile des uns et des autres afin de monter notre affaire de la façon la plus rationnelle possible, cela avec d'autant plus de foi et d'ardeur que nous manquions totalement d'expérience dans tous les domaines.

En dehors de Padovani, qui avait un certain usage de l'Administration, nous n'avions que de vagues connaissances théoriques et il nous fallait, en même temps que mettre en pratique, tout apprendre.

Une certitude toutefois occupait totalement nos esprits. Le pétrole existait, nous allions lui consacrer notre temps, notre jeunesse et notre enthousiasme.

 


Au cœur de l'or noir

 

Les priorités apparaissaient ; il nous fallait

- constituer une société en recherchant des capitaux privés ;
- s'assurer des conditions juridiques de la recherche et de l'exploitation du pétrole en Algérie;
- trouver un bureau et un siège social pour notre affaire;
- mais surtout prouver le plus tôt possible l'existence du pétrole à Oued Guéterini.

C'était là, bien entendu, l'évènement déterminant.

Comme nous n'avions que des moyens financiers très limités, nous louâmes deux emplacements au troisième étage d'un immeuble boulevard Saint-Saens. Après avoir obtenu l'autorisation du propriétaire, nous transformâmes par des cloisons appropriées ces locaux en bureaux avec un minimum de frais. Desservis par un ascenseur, ils étaient très clairs et présentables et bien que fort modestes, ils nous convenaient parfaitement.

Après avoir tenté vainement de me renseigner sur place sur le statut des pétroliers, les conditions de recherches et d'exploitation du pétrole en Algérie (il n'y avait rien à la bibliothèque de la faculté de droit, l'Administration se montrait très vague et réservée, te décidais de passer quelques jours à Paris pour y faire une étude absolument indispensable pour nous garantir de toute surprise désagréable.

Je trouvais dans la capitale auprès de l'Institut du Pétrole et dans différents ministères, toute une suite de documents, et de textes de lois qui s'appliquaient en Algérie. II existait trois sortes de permis concernant le pétrole

- un permis de recherche simple sur une zone déterminée ne donnant aucune garantie en cas de découverte, solution précaire et temporaire;
- un permis de recherche avec engagement de travaux sur une zone plus vaste donnant la possibilité d'obtenir, en cas de réussite, une garantie de poursuite des travaux;
- un permis d'exploitation du gisement. Comme en métropole, le soussol n'appartenait pas au propriétaire de la surface qui, en cas de recherches, n'avait le droit qu'à l'indemnisation des dégâts causés par ces dernières.

Enfin je pris contact avec la seule société susceptible de fournir une sonde, soit en location, soit en vente, la S.N. MAREP, dont les prétentions et les prix refrénèrent mon optimisme et confirmèrent ce dont je me doutais; ces recherches nécessitaient de très gros moyens financiers que nous étions loin d'avoir pour le moment.

Revenu à Alger, j'appris qu'André Rosfelder avait engagé, comme chef de chantier, un ancien parachutiste Labesse qui avait servi sous les ordres et qui lui était tout dévoué. C'était l'homme compétent puisqu'ancien mineur de fond il connaissait très bien ce que nous allions lui demander, c'est-à-dire creuser de nouveaux puits reliés par des galeries.

II s'agissait d'exploiter, en attendant une formule plus adaptée, le suintement par la méthode dite de Pechelbronn. Pendant des dizaines d'années au dix-neuvième siècle, du pétrole brut fut extrait par ce moyen en Alsace. Des puits reliés par des galeries convergentes en pente douce dans l'épaisseur du suintement vers un puis central plus profond qui servait de réservoir de stockage et de réception.

Ce mode d'exploitation était très délicat car il impliquait de travailler, pour creuser ces galeries, dans une atmosphère chargée en gaz inflammable nécessitant marteaux piqueurs et éclairage absolument étanches pour éviter toute étincelle, boisage des galeries par tailles préalables interdisant tous clous de fixation. Bref un tas de précautions élémentaires, mais primordiales, avec surtout et bien entendu l'interdiction absolue de fumer sur le chantier et d'y faire du feu.

Pendant que Rosfelder partageait son temps à constituer chez un notaire une société anonyme, que nous avions décidé de dénommer " RAFAL - Raffineries Algériennes", et à rechercher des futurs actionnaires parmi ses relations, il nous fallait effectuer les formalités d'inscription au Registre du Commerce ainsi que les déclarations d'existence auprès de toutes les administrations.

Padovani de son côté réussit à nous faire obtenir une autorisation de recherche temporaire sur la région.

André Rosfelder par un trait de génie dont il était coutumier, mais aussi il faut le dire un certain aplomb, avait décidé de forcer le sort en projetant la construction d'une petite unité de raffinage près de l'Oued Guétérini et ce bien avant d'avoir su si du pétrole brut pouvait être produit régulièrement et si le gisement était exploitable. II agissait ainsi comme celui qui fait construire une piscine dans son terrain avant d'avoir trouvé de l'eau !

Pour trouver l'endroit propice à sa construction, nous avions prospecté toute la région autour du suintement et notre choix s'était arrêté sur une zone désertique située au pied de la montagne, le long de la route nationale n° 8, entre les kilomètres 144 et 145. II s'était formé avec l'érosion une sorte de petite crique et un pauvre oued dénommé Oued Djenane, frère jumeau de l'Oued Guétérini, laissait couler en permanence un mince filet d'eau.

En aménageant un petit barrage nous étions assurés d'avoir une réserve d'eau suffisante pour la future raffinerie.

Heureusement ces terres n'appartenaient à personne. II s'agissait de terres arch, terres de tribu, qui impliquaient l'absence de toute propriété individuelle. Les ventes étaient faites au bénéfice des habous c'est-à-dire d'une fondation religieuse locale et les actes étaient passés devant notaire en présence de l'administrateur civil et du caïd de la région. Nous achetâmes ainsi 15 hectares environ de cailloux et de rochers pour un prix raisonnable.

Au cours de ces transactions, j'eus l'occasion de faire connaissance avec le caïd N.B... (je tais volontairement son nom pour ne pas poser de problème à sa descendance son sort personnel ayant été tragiquement réglé par le FLN), personnage important de la région avec qui le maire d'Aumale m'avait ménagé un rendezvous.

J'avais demandé, ne parlant pas bien l'arabe, qu'un interprète m'accompagne et ma première entrevue présenta un caractère extrêmement cocasse.

C'était un grand homme long et racé, aux cheveux roux et aux yeux verts, qui parlait parfaitement bien le français, avec un très fort accent Chtimi, car il avait vécu huit ans, je l'ai su par la suite, dans la région de Lille où il était devenu chef d'atelier dans une usine de tissage. Ce n'était qu'à la mort de son père, lui-même caïd vénéré de la région, qu'il était revenu au pays pour lui succéder.

C'était un véritable seigneur du sud, aimé et respecté par tous les habitants, dont la réputation de grande probité, de respect absolu de la parole donnée s'étendait dans toute la région.

Immédiatement une très grande sympathie s'établit entre nous qui se transforma vite, au fil des mois, en solide amitié qui se traduisait par un sens de l'hospitalité incomparable. J'étais au début de nos relations assez gêné d'accepter d'être son invité au couscous traditionnel qu'il organisait chez lui en mon honneur. Nous mangions assis sur des tapis autour d'une tablé basse. Alors que son mode de vie était très francisé, il tenait essentiellement à ce que le couscous soit servi sans assiette sur le gros plat en bois où chacun se servait avec les mains. II m'apprit ainsi que le bon usage voulait que l'on ne se serve que sur les bords du plat devant soi en laissant intact le centre sur lequel la bénédiction du ciel doit descendre. Sa façon de recevoir était en permanence pour moi une haute leçon de savoir-vivre pleine de générosité et de prévenance.

Je n'avais la possibilité de lui rendre ses invitations que les rares fois où il venait à Alger. II avait fallu une grande insistance de ma part pour qu'il accepte de loger chez moi où je tentais de le recevoir à mon tour à la française avec le maximum de considération, d'amitié et d'estime.

Je n'ai eu qu'à me louer de nos relations. Sans lui j'aurais été incapable de résoudre de nombreux problèmes. II ne tira jamais aucun profit matériel de notre implantation à Sidi Aïssa et rendre service semblait pour lui la chose la plus naturelle et la plus ordinaire du monde.

Grâce à lui, il fut possible de constituer, sous les ordres de notre chef de chantier, l'ex-parachutiste Labesse, une équipe d'ouvriers locaux, d'acheter sur place à Aumale et de faire transporter à Oued Guétérini tous les équipements, pelles, pioches, bidons, échelles pour commencer à creuser notre premier puits.

Nous avons procuré à Labesse une camionnette et fait venir d'Alger une baraque de chantier et le matériel lourd: marteaux piqueurs, groupe électrogène, compresseurs et bois de mine.

Le premier puits, destiné à être le puits de réception, avait environ deux mètres de large. En creusant nous avions rencontré à 1 m 50 du sol une première imprégnation qui correspondait à celle apparente sur les bords de l'oued, puis, plus profondément, à environ 15 mètres, une deuxième couche de terre imprégnée, beaucoup plus importante, de 2 à 5 mètres d'épaisseur.

Après deux jours d'arrêt des travaux, nous avions recueilli plus de 500 litres d'un magnifique pétrole brut que nous donnâmes immédiatement à analyser. Nous avions rempli également deux cents petites bouteilles de liquide, bouchées soigneusement pour les donner à Alger aux futurs actionnaires.

 


Le premier puits

 

Je possède comme un trésor, plus de quarante ans après, une de ces bouteilles fétiches, au trois-quarts pleine d'un merveilleux pétrole brut dont l'odeur j'allais dire le parfum, me rappelle d'une façon très intense cette extraordinaire période.

L'analyse donna des résultats excellents, d'une densité de 0,830 à 15°. Le brut contenait 26 % d'essence, 9 % de pétrole lampant, 39 % de gasoil, 24,5 d'huiles résiduaires, pour 1,54 de perte de raffinage. C'était à l'évidence un des meilleurs bruts du monde, comparable à celui que l'on nomme maintenant " Arabian Light " qui sert de référence à toutes transactions.

Les travaux de puisage et galeries avançaient bon train et nous avions atteint une production régulière d'une tonne-jour.

Nous avions réussi à acheter à un gros viticulteur qui avait rénové sa cave, un lot de vingt cuves métalliques de 150 hectos, en parfait état, que nous avions fait transporter partie sur les lieux de production, partie sur l'emplacement de la future raffinerie.

André Rosfelder s'était assuré la collaboration d'un ingénieur roumain. Mircea Yordachesco, qui cherchait du travail à Alger. II avait été directeur d'une importante raffinerie en Roumanie et avait refusé de travailler pour les Allemands, puis, après la guerre, pour les Russes. Parlant parfaitement bien le français, entre autres langues - allemand, anglais, russe, cet homme était très distingué et cultivé. II était également enthousiasmé à l'idée de faire tous les plans et de mettre en place une petite raffinerie pilote. II s'était laissé embarquer dans notre galère avec un certain humour, disant que nous étions fous de construire une raffinerie sans nous être assurés d'une production conséquente, mais il jouait le jeu sans aucune autre restriction. Quand il avait un doute, il se mettait au piano, dont il jouait remarquablement, ayant été premier prix de conservatoire dans son pays !

Je le voyais plancher avec admiration du matin au soir, et bien souvent tard dans la nuit, sur des dessins de la tour de fractionnement et autres parties de la raffinerie miniature dont la capacité avait été fixée à 40 tonnes jour.

Nous avions décidé, après avoir obtenu l'autorisation de la préfecture d'Alger, l'installation d'un établissement de première catégorie consacré au traitement, raffinage et stockage d'hydrocarbures, au lieu-dit " Bled Gerfaied " Oued Djenane, et de construire tout d'abord un grand bâtiment qui pourrait servir de dortoir, réfectoire, cuisine et sanitaires, au centre de notre terrain.

Grâce à nos échantillons, aux relations de tous, au crédit moral du père d'André Rosfelder, nous avions réussi à persuader une cinquantaine de souscripteurs, parmi nos familles et nos amis, de souscrire à cette mirifique affaire qui produisait 1 000 litres de pétrole brut par jour. Et notre capital était passé de sept millions d'anciens francs à vingt millions, ce qui nous donnait une marge de trésorerie suffisante pour poursuivre nos investissements.

 

Construction de la raffinerie

 

Je faisais part à mon ami le caïd de mon souci de trouver des fondations solides nécessaires à la construction des bâtiments, quand il me déclara avoir trouvé dans la région une mine de pierres taillées égales que nous pourrions récupérer sans problème.

II fallait effectuer, à travers une zone désertique, une dizaine de kilomètres sans aucune piste.

Un matin, ayant affrété une jeep, nous partîmes donc reconnaître cette fameuse mine de pierres.

Après avoir parcouru un terrain difficile, complètement aride, sans aucune végétation, au sud d'Oued Guétérini, nous arrivâmes dans une sorte de plaine nue au milieu de laquelle j'eus la surprise extraordinaire de constater la présence d'un pont d'une cinquantaine de mètres dans un endroit ou apparemment aucune rivière ne coulait.

II s'agissait d'un pont romain très bien conservé composé de pierres de taille de deux à trois cents kilos chacune, avec à l'entrée et à la sortie de l'ouvrage deux très belles pierres sculptées, pesant plus d'une tonne, sur lesquelles étaient gravées des inscriptions en latin.

Fallait-il que la végétation et le cours des eaux aient changé en deux mille ans pour supprimer la trace de l'oued qui devait être important !

D'autre part, d'où pouvait provenir ces pierres alors que dans la région les cailloux et les rochers n'offraient aucune possibilité de taille étant constitués de schistes friables
Enfin, comment les Romains avaient-ils pu transporter à travers le désert des pierres d'une telle importance

Questions sans réponse bien sûr.

J'ai honte à l'avouer. J'avais récupéré pour la raffinerie une grande partie du pont, au moins toutes les pierres taillées, d'un poids modeste, pour pouvoir les mettre sur un camion, laissant, bien entendu, le reste sur place. Je présume qu'elles y sont encore.

Que le soubassement du bâtiment avait fière allure avec ces pierres taillées I Tout le monde m'avait félicité, sans poser de questions heureusement.

Pour fabriquer les divers éléments de la raffinerie, nous avions fait appel à une équipe de réparateurs de bateaux sur les quais, les frères Grisa, qui avaient accepté de mettre l'ensemble de leur atelier à notre disposition pour un travail nouveau et délicat. C'étaient des artisans très compétents et chaleureux qui, bien que les plans établis par Yordachesco aient été parfaitement détaillés, eurent beaucoup de mérite à construire en aluminium une tour de fractionnement et divers éléments importants de la raffinerie.

Un incident amusant s'était produit à l'occasion du transport des pièces terminées -du port d'Alger à Oued Guétérini - Une grosse cuve avec trou d'homme à la base servait, sans qu'on le sut, d'abri la nuit à une pauvre clocharde qui y cuvait bien tranquillement son vin. La cuve attendait d'être transportée par un gros camion, affrété spécialement, et, compte tenu de son poids, une grue devait la poser délicatement sur le plateau du camion. C'était un élément fragile, réalisé entièrement en aluminium.

L'opération se déroula sans à-coup. Quelle fût notre surprise en arrivant à Oued Guétérini d'entendre des cris provenant de l'intérieur de la cuve.

Notre surprise ne fût rien en comparaison de celle de cette pauvre " Aicha des quais " de se retrouver en plein désert après s'être endormie sur le port d'Alger. Nous assurâmes bien entendu son retour à son " port " d'attache.

Les semaines s'écoulaient rapidement et la raffinerie se mettait doucement en place. Les puits et galeries produisaient maintenant deux mille litres par jour. Nous écoulions notre production en livrant tous les trois jours un gros camion vers la raffinerie Shell de Maison-Carrée.

Deux incidents d'importance inégale troublèrent ma routine. Deux voyages par semaine à Oued Guétérini, le premier, d'ordre social, me démontra, d'une façon précise, que le comportement des hommes est souvent déconcertant et que l'enfer est pavé de bonnes intentions.

Le travail de fouille au fond des puits étant très pénible, j'avais organisé par camionnette, à partir d'Aumale tous les matins, le transport à dix heures d'un repas chaud sur le chantier avec des boissons glacées. Or ce matin, en arrivant, j'eus la surprise de me trouver devant une grève générale très dure. Le motif invoqué était une panne de la camionnette qui n'avait pu assurer son service depuis 48 heures. J'eus beau expliquer que c'était moi qui avais spontanément organisé ce service, le travail ne reprit que lorsque nous pûmes à nouveau fournir les repas chauds au chantier. J'ai compris ce jour-là que rien n'était facile avec les hommes !

Le deuxième incident, eu des conséquences beaucoup plus tragiques. Alors que nous avions imposé comme règle absolue l'interdiction de fumer autour des puits, il arriva qu'un ouvrier travaillant au fond demanda à un autre ouvrier, qui sortait pour prendre un outil, de lui ramener du tabac et son briquet. Ce dernier s'exécuta sans réfléchir. Celui du fond alluma le briquet provoquant une énorme explosion de gaz et le malheureux copain, qui était encore sur l'échelle, fût projeté comme un bouchon à une vingtaine de mètres de la sortie du puits. II y perdit la vie et nous fûmes bien sûr dans l'obligation d'effectuer des formalités d'usage: Juge de Paix, enquête des gendarmes, assurances (la Sécurité Sociale n'existait pas encore.

La famille fut indemnisée par notre Compagnie d'Assurance, mais les conclusions de l'enquête nous firent redoubler de prudence. Le gaz dégagé par le pétrole brut avait un effet euphorisant tout à fait comparable à l'ivresse provoquée par l'alcool ou celle de la plongée profonde.

L'individu qui travaille dans pareille atmosphère, au bout d'un certain temps, ne contrôle plus ses réactions et perd une partie de ses réflexes. Cette sorte d'ivresse curieusement disparaît à l'air libre, sans laisser de gueule de bois.

Une ventilation intensive fut immédiatement mise en place et l'accident tragique ne se renouvela pas.

Jean MAZEL

 


La raffinerie de pétrole de Guétérini

 

In l'Algérianiste n°45 de mars 1989 p. 42

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