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La préhistoire de l'Afrique du Nord, cette inconnue (2)

Écrit par Jean Zammit. Associe a la categorie Préhistoire

3. -- PRÉHISTORIENS DE L'AFRIQUE DU NORD

En 1826, un jeune pharmacien audois, Paul Tournal, dont le passe-temps principal consistait à explorer et fouiller les cavernes de la région de Narbonne, mettait au jour, dans une grotte de Bize-Minervois, les premières séries préhistoriques connues. Il inaugurait du coup l'étude de la préhistoire mondiale, dont la France devait rester le maître incontesté jusqu'à la guerre de 1939-1945.

En 1830, pour une obscure histoire de blé et de chasse-mouches, la France prenait pied en terre africaine et y instaurait sa suprématie.

Ces deux dates 1826-1830 expliquent en partie que l'engouement pour la préhistoire, qui gagna lettrés et érudits du XIX° siècle en Métropole, ait contaminé rapidement le public cultivé de l'Afrique du Nord. Au sein des sociétés savantes qui fleurissaient un peu partout (Société d'histoire naturelle d'Afrique du Nord ; Société de géographie et d'archéologie d'Oran ; Société d'archéologie de Constantine, etc.) et qui jouèrent un rôle capital dans l'établissement de la culture algérianiste, bon nombre de préhistoriens en herbe allaient se mettre en évidence.

Avec l'aide des nombreux naturalistes (géologues, botanistes, zoologues, agronomes) qui recensaient pour le compte de l'Administration les ressources naturelles du territoire nord-africain, ces pionniers de la recherche des origines purent entreprendre fouilles et prospections, jetant ainsi les bases de la préhistoire de leur nouveau pays. Comme en Métropole, ils se recrutaient principalement dans les corps professionnels orientés vers la connaissance de l'homme, enseignants, médecins, militaires, ecclésiastiques... surtout parmi ceux qui habitaient les petits villages de colonisation. Plus tard, l'Université et la recherche nationale allaient prendre le relais de ce noyau de créateurs et permettre le plein épanouissement de la préhistoire en terre africaine.
On peut dès lors distinguer quatre périodes essentielles dans le développement de la préhistoire nord-africaine

- les novateurs (1830 à 1930) ;
- Raymond Vaufrey ou la normalisation de la préhistoire nord-africaine (1930-1950) ;
- Lionel Balout - la grande époque de la préhistoire algérienne (1952-1962) ;
- Gabriel Camps : la continuité après l'indépendance de l'Algérie.

Les novateurs. - Il faut attendre malgré tout les années 1880 pour voir apparaître les premières publications de haute tenue scientifique rendant compte des progrès de la préhistoire algérienne. Les auteurs abordent ainsi la classification des principales industries qui, grossièrement, reproduit celle de la Métropole, avec cependant dés inconnues et des mystères qui traduisent déjà l'originalité de l'histoire du Maghreb et la richesse insoupçonnée de son épipaléolithique.

Parmi les pionniers, il faut citer particulièrement : R. Collignon, A. Debruge dans le Constantinois ; J. Latapie, gendarme à Tébessa ; P. Pallary qui mit en évidence l'Ibéro-maurusien ; A. Robert à Aïn-M'lila ; F. Doumergue a Oran ; A. Barbin, L. Gentil à Mascara et le tout premier, O. Bleicher. Trois figures se dégagent pour cette période

- le docteur E. Gobert, qui allait devenir inspecteur des Antiquités historiques tunisiennes, éminent spécialiste du capsien et figure de proue de la préhistoire algérienne et tunisienne ;
- J. de Morgan, qui décrivit le capsien en 1909 ;
- Maurice Reygasse, qui allait devenir maître de conférences et directeur du musée du Bardo à Alger. Il organisa jusqu'en 1947 un cours d'ethnographie et d'archéologie préhistoriques qui, aux dires de ses élèves, était singulièrement... rébarbatif !


Raymond Vaufrey ou la normalisation de la préhistoire nord-africaine. - Avec les encouragements de Marcellin Boule, l'illustre paléontologue, directeur de l'Institut de paléontologie humaine, Raymond Vaufrey entame dès 1927 une série de missions en Afrique du Nord, essentiellement axées sur les territoires tunisien et algérien. Mis en contact avec le docteur Gobert, aidé par l'infatigable Raymond Le Du et ses amis, F. Logeart, P. Rodary, L. Saccardy, E. Serée de Roch, il va reprendre l'étude des principaux gisements préhistoriques déjà connus et entreprendre de nouvelles fouilles, notamment à Aîn-Meterchen, à Aïn-M'lila, dans le sud Oranais, au Djebel-Amour, etc. Aux collaborateurs des premiers jours s'ajoutent d'année en année d'autres adeptes : A. Teste, A. Truillot, le médecin-général P. Delmas, le commandant A. Ribaud, le commandant C. Masson, F. Doumergue, D. Estainue. Ce réseau efficace de préhistoriens, galvanisé par l'enthousiasme de R. Vaufrey et la logistique qu'il apporte de Paris, va désormais pouvoir publier dans les grandes revues de la .Métropole, notamment le Bulletin de la Société préhistorique française et l'Anthropologie.
R. Vaufrey peut définitivement fixer le caspien dans ses lignes intimes et met en évidence un néolithique de tradition caspienne. En 1936, R. Vaufrey met un terme à ses missions africaines et entreprend une vaste synthèse qui le mènera à la production d'une prestigieuse Préhistoire de l'Afrique dont le tome I consacré au Maghreb, paru en 1955, sous .les auspices de l'Institut des hautes études de Tunis, constitue pour l'époque un sommet et un modèle.

R. Vaufrey s'intéresse notamment à l'art rupestre nord-africain et publie le résultat de ses travaux dans les Archives de l'Institut de paléontologie humaine (n° 20). De Paris, il continue à diriger la préhistoire maghrébine et à guider ses élèves, R. Neuville, M. Antoine, A. Ruhlmann (pour le Maroc). Seule la mort viendra mettre un terme à son inlassable activité. On peut considérer que, grâce à la valeur scientifique de ses travaux, R. Vaufrey a propulsé la préhistoire nord-africaine au plus haut niveau international et préparé l'âge d'or des années cinquante.

Lionel Balout - La grande époque de la préhistoire algérienne. - Né à Nantes en 1907, Lionel Balout entreprend de brillantes études littéraires, notamment sous la direction de Jérôme Carcopino. Reçu à l'agrégation d'histoire et de géographie en 1932, il est nommé en 1933 professeur au lycée d'Alger où il enseigne jusqu'en 1947. Formé à la préhistoire, il entreprend bientôt d'importantes séries de fouilles sur le littoral algérois. Son dynamisme et sa rigueur l'amènent rapidement au premier rang des préhistoriens. En 1948, il succède à M. Reygasse et devient maître de conférences, puis professeur titulaire en 1958, et dernier doyen de la faculté des lettres d'Alger avant l'indépendance de l'Algérie. Entre-temps, il est chargé de mission pour la préhistoire à la direction des Antiquités d'Alger et crée, au musée du Bardo, un laboratoire d'anthropologie et d'archéologie pré-historiques. De ce tremplin, fusent de brillantes réalisations avec essentiellement

- la création, en 1952, d'une chaire d'enseignement de la préhistoire, à la faculté des lettres d'Alger, premier enseignement de ce type en France;
- l'organisation du II° congrès panafricain de préhistoire à Alger, en septembre 1952, couplé avec le XIX° congrès international de géologie. Alger, capitale du monde scientifique pour un instant, accueille l'élite de la préhistoire d'Afrique et d'Europe méridionale, entre autres l'abbé H. Breuil, L.S.B. Leakey, le Kenian qui fouillait le site d'Olduvay, Pedro Bosch-Guimpera, etc. ;
- la création, dès 1952, de la revue Lybica qui regroupait l'ensemble des travaux à publier sur la préhistoire, l'anthropologie et l'ethnographie de l'Afrique du Nord et de ses marges ;
- la publication, en 1955, d'une Préhistoire de l'Afrique du Nord qui complète et améliore l'œuvre de Vaufrey;
- l'établissement, en 1955, du Centre de recherches anthropologiques, préhistoriques et ethnographiques (C.R.A.P.E.) avec l'appui du gouverneur général Jacques Soustelle.

Ce feu d'artifice de réalisations brillantes consacrait l'identité véritable de ce que Vaufrey intitule l'École de préhistoire d'Alger qui accueille sans cesse de nouveaux adeptes
-- les licenciés G. et H. Camps, F. Curtes ;
-- les enseignants H. J. Hugot, M. Richaud, J. Tixier, D. Grebenart, R. de Bayle des Hermens ;
-- des étudiants, tels J: P. Maître, J: P. Froger, Liliane Ramendo-Arnaud, Colette Roubet, derniers auditeurs lors de l'année universitaire 19611962.

L'élan irrésistible de cette école d'Alger suscite de nombreux travaux dans l'aire maghrébine
-- les fouilles de C. Arambourg à Aïn-El-Ahnech, près de Sétif, puis à Palikao, près de Mascara ;
-- celles de P. Biberson et de J. Roche au Maroc ;
-- la parution d'une Préhistoire de l'Afrique sous la plume d'H. Alimen ;
-- les recherches magistrales de H. Lhote au Sahara, centrées sur l'étude de l'art rupestre.

Gabriel Camps - La continuité après 1962. - -L'indépendance de l'Algérie établie, l'École d'Alger va naturellement devoir se replier vers la Métropole, mais sans rompre avec sa mission africaine. L. Balout est nommé professeur de préhistoire au Muséum national d'histoire naturelle et à l'Institut de paléontologie humaine qu'il dirigera en 1973. Gabriel Camps et son épouse Henriette gravissent aisément les marches de la hiérarchie du C.N.R.S. et se retrouvent maîtres de recherches et professeurs à l'université d'Aix-en-Provence. Jean Tixier est actuellement maître de recherches au C.N.R.S., Danilo Grébenart chargé de recherches, Colette Roubet maître de conférences, sous-directeur au Muséum, H.-J. Hugot professeur à l'université de Dakar.
M. et Mme Camps participèrent à la direction du C.R.A.P.E. à Alger jusqu'à la fin des années 1970, en collaboration avec le professeur Mammeri. Ils assurèrent de nombreuses séries de fouilles dans le Maghreb. Ils ont publié et publient encore de nombreux articles. En 1974, G. Camps produit un ouvrage capital : Les civilisations préhistoriques de l'Afrique du Nord et du Sahara qui actualise avec brio les données de la préhistoire nord-africaine après 1962. H. Camps continue ses recherches sur le capsien et notamment le faciès sétifien de cette culture. Leur élève Colette Roubet travaille sur le néolithique de tradition capsienne et a fouillé activement en pays aurasien. G. Aumassip poursuit ses travaux sur le Sahara.

L'inépuisable érudition de G. Camps, son immense expérience de la préhistoire nord-africaine, son humanisme profond, sa stature scientifique de renommée internationale inclinent à penser qu'il est le continuateur de l'École d'Alger.

Pour conclure, nous faisons volontiers référence à la remarque qu'il formula lui-même au récent colloque international, pan-méditerranéen, sur les premières communautés paysannes de (Méditerranée, qui s'est tenu à Montpellier en avril 1983.

Gabriel Camps y a publiquement déploré l'absence de représentants de pays du Maghreb que les organisateurs avaient oublié d'inviter. Ce faisant, il soulignait la nécessité de fonder la recherche de nos origines communes sur des relations interméditerranéennes renouvelées.

 

Lexique des principales industries préhistoriques
de l'Algérie et de l'Afrique du Nord

 


PEBBLE CULTURE : terme anglo-saxon désignant l'outillage le plus archaïque utilisé par les premiers hominidés, c'est-à-dire l'humanité des origines.

ACHEULÉEN : civilisation du paléolithique inférieur dont l'élément matériel essentiel est le biface, outil généralement taillé dans le silex ou la quartzite, en forme de grosse amande.

ATERIEN : civilisation du paléolithique moyen, typiquement maghrébine, dont les outils principaux sont des pointes, des racloirs, quelques grattoirs, présentant en général un pédoncule à facettes.

IBEROoMAURUSIEN : civilisation de l'épipaléolithique, c'est-à-dire des temps préhistoriques faisant suite au paléolithique ou époque glaciaire proprement dite. En fait, pour l'Afrique du Nord, le modèle climatique ne suit pas les données européennes, il s'agit donc d'une culture intermédiaire maghrébine, s'intercalant entre le mouvement paléolithique de chasseurs-cueilleurs prédateurs et le néolithique de paysans-éleveurs producteurs. L'outillage est toujours de petite taille.

CAPSIEN : autre civilisation de l'épipaléolithique maghrébin, faisant suite à la précédente et utilisant à peu de choses près le même petit outillage, avec des pièces microlithiques.

NÉOLITHIQUE : révolution culturelle qui fait de l'homme préhistorique un producteur responsable de sa survie par la pratique de l'élevage, de l'agriculture et de la cohabitation en villages et villes. L'élément culturel majeur qui s'y associe est la poterie, ensemble de récipients en argile cuite.

ÂGE DES MÉTAUX : apparition des premiers outils en métal, d'abord en cuivre, puis en bronze (alliage de cuivre et d'étain) et en fer.

POUR EN SAVOIR PLUS

La trilogie :

- Préhistoire de l'Afrique du Nord, par L. Balout (Arts et Métiers graphiques), 1955.
- Préhistoire de l'Afrique (tome I : Le Maghreb), par R. Vaufrey (Masson), 1955.
- Préhistoire de l'Afrique, par H. Alimen (Boutée), 1955.


Ces trois ouvrages, malheureusement épuisés, constituent une inestimable base de références, cependant dépassées à l'heure actuelle.

Les ouvrages de Gabriel Camps

- Les civilisations préhistoriques de l'Afrique du Nord et du Sahara (Doin), 1974.
- Berbères, aux marges de l'histoire (Éditions des Hespérides), 1982.
- Manuel de recherche préhistorique (Dion), 1979.


Il s'agit d'œuvres fondamentales, tenant compte des données les plus récentes sur la préhistoire maghrébine en général.

La thèse de Colette Roubef

- Économie pastorale préagricole en Algérie orientale : le néolithique de tradition capsienne
(Éditions dû C.N.R.S.), 1980.

Cet ouvrage a le mérite, entre autres, de refléter les divers aspects de la recherche préhistorique en Algérie, après l'Indépendance.

In l'Algérianiste n°26 du 15 juin 1984

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