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Alger pendant la première moitié du XVIIe siècle, un Etat corsaire

Écrit par Bernard Bachelot. Associe a la categorie Période Islamique

Le prix algérianiste « Jean Pomier » 2004 a été attribué à Bernard Bachelot pour son ouvrage Louis XIV en Algérie - Gigeri 1664. Nous en pro­posons l'extrait suivant, qui traite d'Alger au moment de l'expédition de Louis XIV à Gigeri (Djidjelli).
 
L’indépendance grandissante "des régences du Maghreb‘’ leur permet de développer la course, sans trop se soucier des enga­gements pris par la Porte à l'égard des Etats européens, notamment de la France.
Alger vit exclusivement des produits de la course et du trafic des esclaves. La ville et les palais des raïs s'embellis­sent. Toute la population s'enrichit. Profitant des conflits qui opposent les puissances européennes, les corsaires barbaresques se permettent toutes les audaces. Ils modernisent leur marine. Ils arment de nouveaux vaisseaux et surtout des frégates plus fines et plus rapides que les navires chrétiens. Leurs galères étant trop légères pour sortir en mer plus de six mois par an, ils en arment de plus lourdes et plus stables. Leurs équipages sont désor­mais complétés de détachements de la milice. Les janissaires, jaloux des marins qui tirent des profits considé­rables de la course, ont en effet obtenu à la fin du XVIe siècle l'autorisation d'embarquer sur les navires algériens, pour aider les équipages dans leurs combats, et acquérir ainsi un droit au partage du butin. Cette alliance des forces de terre et de mer rend les Barbaresques particulièrement redou­tables. Maîtres absolus des côtes méri­dionales de la Méditerranée, ces for­bans en écument périodiquement les côtes européennes. Ils n'hésitent pas à débarquer sur les rivages de Grèce, d'Italie, de Provence et d'Espagne, dont les populations impuissantes se bornent, dès l'apparition de voiles sus­pectes, à allumer des feux de cap en cap pour avertir de leur approche. Les pirates, après avoir pillé et brûlé villes et campagnes, emportent leur butin. Ils enlèvent des femmes pour garnir leurs harems, des hommes pour rem­plir leurs bagnes et les chiourmes de  leurs galères. Les navires d'Alger fran­chissent parfois le détroit de Gibraltar : en 1617, ils ravagent Madère; en 1627, l'Islande; quelques années plus tard, les côtes même de l'Angleterre. En été, les navires marchands euro­péens, lourdement chargés et sans défense, sont des proies particulière­ment faciles. Les rapides galères barbaresques ou leurs frégates bien armées n'ont aucune peine à les neu­traliser. L'abordage, un bref combat à l'arme blanche, et les victimes se ren­dent rapidement, car les pirates sont sans pitié pour les récalcitrants. Soigneusement pillés, les bâtiments capturés sont ramenés à Alger, où ils deviennent la propriété de l'État algé­rien. Leurs cargaisons sont aussitôt vendues à l'encan sur les marchés de la ville. Les captifs, devenus objets de négoce, font l'objet de marchandages dans un bazar particulier, le Badestan. Ce commerce se tient au milieu d'une foule bigarrée. Turcs, Arabes, Kabyles, Morisques réfugiés d'Espagne, Juifs accourent à la fête qui accompagne toujours le retour des corsaires. On se partage le produit de la vente. Tout le monde a sa part: le pacha et ses digni­taires, les raïs bien sûr, les armateurs, les équipages, les janissaires, le per­sonnel du port, et tous ceux, nom­breux, qui ont cotisé pour financer l'ar­mement des bateaux. Des femmes vont jusqu'à vendre leurs bijoux pour être de ceux-là; et les Juifs y trouvent un placement fort rentable.
En ce début du xvIIe siècle, les esclaves chrétiens sont nombreux à Alger: vingt-cinq à trente mille. Leurs souf­frances sont grandes, mais il y a « là, comme ailleurs, nous dit Capot-Rey, des arrangements possibles entre bourreaux et victimes! » (1). À bord des galères, le sort des esclaves chrétiens est particu­lièrement pénible, mais
 « ils étaient moins malheureux que les Barbaresques des chiourmes du roi de France, constate Charles-André Julien, car on ne les mar­quait pas au fer rouge, et on les laissait libres de pratiquer leur religion » (2). Dans les six bagnes gouvernementaux, où s'entassent des milliers de captifs, les conditions de vie sont encore plus rudes. Le moral des prisonniers résiste mal au dénuement, à la fatigue de tra­vaux excessifs, à une nourriture insuf­fisante et à l'attente d'un rachat ou d'une libération éventuelle qui, pour les plus déshérités, peut durer dix, vingt, parfois même quarante ans. Les bagnards, voyant s'éloigner toute perspective de rentrer au pays, som­brent dans la débauche ou le déses­poir. Les apostasies et les suicides sont fréquents. De nombreux renégats vont grossir les forces des ennemis; ils sont quelque dix mille à Alger, dont sept mille sont des Corses! Les proprié­taires d'esclaves ne sont pas favorables aux apostasies, car les renégats n'ont plus guère de valeur marchande.
Plus heureux sont les captifs aisés, pré­sumés rachetables. Leurs conditions de vie sont tout à fait supportables; le plus souvent, ils sont placés au service de particuliers, qui ont tout intérêt à ménager cette « marchandise » lucrati­ve, que de mauvais traitements pourraient déprécier. Certains de ces privilégiés deviennent parfois les hommes de confiance de leur maître; d’autres retrouvent une quasi-liberté et peuvent exercer un métier. La pluspart  des artisans de la ville et du port d'Alger sont ainsi des esclaves chrétiens. (3).


H.Leconte, « Les pirates algériens » (Histoire d’Algérie en images, Gabriel Esquer)


Les relations de la France et d’Alger pendant la première moitié du XVIIe, jusqu'à la Paix des Pyrénées en 1659


La course va de pair avec le commerce qui l'alimente. Le négoce est florissant à Alger. La France, en raison de sa politique continue d'alliance avec les Turcs, jouit d'un préjugé favorable et de certains privilèges. Elle est la seule puissance avec laquelle le royaume d'Alger n'est pas en guerre constante. Depuis 1580, elle a été autorisée à ins­taller un consul à Alger, où les mar­chands français sont nombreux à com­mercer, notamment avec leurs corres­pondants marseillais. Alger écoule ainsi ses produits, et, en échange, se procure des voiles, des cordages, des agrès et les rames dont elle a besoin pour sa marine. En dépit d'une bulle du pape qui prévoit l'excommunica­tion de ceux qui fournissent des armes ou des munitions aux musulmans, les Français vendent parfois même des canons et des boulets aux Barbaresques. Tout le monde ferme les yeux sur ce trafic; en contrepartie, les pirates épargnent les vaisseaux fran­çais.
En 1604, le Bastion de France est à nouveau repris par les Algériens. Réoccupé par les Français, il est encore attaqué en 1618. Son gouverneur, Mas de Castellan, y est fait prisonnier avec cent personnes. Les marchands français à Alger ne sont pas favorables au maintien du Bastion, source de conflits répétés qui gênent leur com­merce et accroissent leur insécurité. Néanmoins, en 1626, Richelieu ouvre de nouvelles négociations avec le divan d'Alger afin de reconduire les accords sur les concessions françaises. Il est aidé dans cette tâche par Sanson Napollon, un Corse de Marseille. L'habileté de cet ancien consul à Alep, qui connaît bien l'Islam, permet d'aboutir, le 19 septembre 1628, à la signature d'une importante conven­tion entre le consul de France et le divan d'Alger. La France obtient à nouveau le monopole du commerce et de la pêche du corail sur les côtes kabyles. Sanson Napollon est autorisé « à redresser et fabriquer, comme elles l'étaient anciennement », les places détruites « pour se garantir contre les Maures, vaisseaux et brigantins (4)de Majorque et de Minorque » (5). L'accord stipule que si « les bateaux de la pêche, entraînés par vents contraires [sont contraints} d'aborder ces lieux de la côte comme Gigeri, Collo et Bône, il ne leur sera fait aucun déplaisir [... ]. Toutes sortes de marins, galères et frégates qui passent par ladite côte [... ] ne pourront nuire, ni faire aucun déplaisir aux bateaux qui pèchent le corail » (6). En contrepartie les Français sont astreints à payer une redevance annuelle de 16 000 livres, destinées à la paie des janissaires.

Sanson Napollon relève et développe considérablement le Bastion de France, dont il fait une véritable forte­resse, où vivent plus de huit cents per­sonnes. Il ouvre également deux petits comptoirs à La Calle et au cap Rosa, à l'est de Bône. Les intentions de Napollon sont moins pacifiques qu'il n'y paraît. Sous couvert de pêche et de négoce, il cache des visées que nous qualifierions aujourd'hui de colonia­listes. Il souhaite faire du Bastion de France un centre d'espionnage, une base de ravitaillement pour les bâti­ments de guerre français. « II est néces­saire, précise-t-il dans un mémoire, de conserver lesdites places, sous voile de négoce et pêche du corail, afin que le des­sein défaire lesdites conquêtes ne soit pas connu » (7).

En dépit de l'avis de Richelieu, Sanson Napollon décide de s'emparer de l'île de Tabarka, occupée par les Génois (8). À la troisième tentative, trahi par un des siens, il est tué et sa tête est fichée à l'entrée de la forteresse génoise. La mort de ce négociateur, aussi retors que ses homologues turcs et berbères, va provoquer une dégradation rapide des relations de la France avec Alger. Les Barbaresques disposent mainte­nant de la plus puissante flotte de Méditerranée. Les raïs sont maîtres de tous les royaumes turcs de Barbarie: ceux de Tripoli, de Tunis, d'Alger, de Salé et de Tétouan. En France, le père Joseph, « éminence grise » de Richelieu, relance dans ses prêches l'esprit de croisade. L'amiral Sourdis est envoyé sur les côtes de Kabylie pour soutenir le sieur Lepage, qui a remplacé Napollon. Il attaque des navires algériens. Alger, craignant que le Bastion de France ne devienne une base des flottes chrétiennes, saisit le premier prétexte - deux bateaux fran­çais surpris alors qu'ils faisaient de la contrebande de blé - pour décider de la destruction définitive des établisse­ments français. Le 13 décembre 1637, le renégat italien Ali Bitchnin s'empare du Bastion de France et le détruit. Trois cent soixante-sept chrétiens sont vendus aux galères. Les comptoirs de La Calle et du cap Rosa sont également fermés. Mais cette disparition des établissements français provoque une réaction surprenante de la tribu berbère des Hanencha qui tirait de gros bénéfices de ses trafics avec la France. C'est avec l'argent de ce com­merce qu'elle payait notamment la lisme, l'impôt dû à Alger. Aussi, Khaled ben-Ali, chef de la tribu, déci­de-t-il de subordonner sa soumission à Alger et le paiement de la lisme au rétablissement des concessions fran­çaises. Cette prise de position va réduire le divan d'Alger à accepter la signature, le 7 juillet 1640, d'une nou­velle convention permettant à la France d'ouvrir à nouveau ses établis­sements « où il serait permis, précise le traité, de bâtir pour se protéger des galères ennemies et des Maures » (9).

Saint Vincent de Paul et l'Œuvre des esclaves

Le renouveau religieux, à travers l'Europe, incite les ordres religieux et tous les gouvernements à se préoccu­per du sort des esclaves chrétiens. Ils vont tenter de les racheter, comme le faisait déjà au XIIe siècle l'ordre des Trinitaires. En France, saint Vincent de Paul, aumônier des galères et fonda­teur de la congrégation des lazaristes -constatant qu'en dépit de ses recom­mandations, Richelieu se refuse à réagir militairement contre Alger -, crée vers 1640 l'Œuvre des Esclaves (10). Il envoie des prêtres lazaristes à Alger-, et à Tunis, pour racheter les captifs ou, tout au moins, pour les « assister [... ] spirituellement et corporellement [... ] par visites, aumônes, instructions et par l'ad­ministration des saints sacrements ». À sa charité et son dévouement légen­daires, saint Vincent de Paul ajoute un sens développé de la diplomatie. À Alger, il se fait tant d'amis qu'à la demande du pacha lui-même, la France, en 1646, décide de confier son consulat à Alger aux lazaristes. Le père Barreau y est nommé consul et le demeurera jusqu'en 1659.
L'action des lazaristes permet indubi­tablement de soulager les souffrances des captifs d'Alger. Les gouvernants français la soutiennent, car ils estiment qu'elle peut en outre faciliter à leur pays l'obtention de privilèges com­merciaux. « L'égoïsme national se couvre ainsi des apparences de l'idéalisme », remarque Capot-Rey(ll). Mais « l'humi­lité chrétienne, la soif du martyre, ne sont pas des qualités consulaires » (12), et la politique des missionnaires de saint Vincent a aussi des aspects négatifs. Le rachat des captifs, en confirmant la valeur marchande des esclaves, entre­tient la piraterie. Les chrétiens sont, à l'époque, confrontés à la même problé­matique qu'est, de nos jours, la nôtre lors des prises d'otages: payer une rançon, c'est en favoriser le développe­ment. En outre, les collectes et mouve­ments de fonds nécessaires aux rachats des captifs sont fréquemment l'occasion de trafics et de malversa­tions. Certains collecteurs de fonds rachètent, par exemple, à bas prix à Alger des esclaves vieux, malades ou déshérités, donc sans « valeur mar­chande », les promènent et les exhi­bent à travers le royaume de France pour collecter de nouveaux fonds, dont ils détournent ensuite une large partie.
Saint Vincent de Paul connaît ces risques, aussi regrette-t-il la politique trop pacifique de la France. Mais Richelieu et, plus tard Mazarin, ne veulent pas intervenir militairement. Ils préfèrent négocier, même lorsque pour des raisons futiles les autorités d'Alger maltraitent physiquement le consul de France ou le jettent en pri­son.
L'installation de religieux au consulat et leur influence grandissante sur la politique française posent également de sérieux problèmes à tous ceux qui commercent avec les Turcs de Barbarie. Armes, voiles, mâts, rames, agrès et goudron destinés aux flottes barbaresques constituaient jusqu'alors une source importante de profits pour les marchands français d'Alger et leurs correspondants marseillais. Il est désormais plus difficile de fermer les yeux sur la contrebande de ces pro­duits que le pape interdit de vendre à l'Islam. Si les négociants ne souhaitent que la paix, les religieux, eux, pen­chent de plus en plus pour la guerre. Ainsi, en 1646, Olivier d'Ormesson, dans son journal, signale le prêche d'un capucin qui, à Paris, s'est excla­mé : « Les rois de France devraient subju­guer le monde et chasser le Turc de Constantinople » (13>.


H.Leconte, « Un bazar d’esclaves à Alger », (Histoire d’Algérie en images, Gabriel Esquer)


Dès lors, la tension va s'accroître rapi­dement entre la France et les Barbaresques. Yousouf, nouveau pacha d'Alger, intensifie la course. Toutes les côtes sont touchées, et plus particulièrement celles d'Italie et de Provence. L'immunité relative dont jouissaient les navires français en Méditerranée est révolue. Les bâti­ments sont désormais attaqués, sans distinction de pavillon. Le pachalik d'Alger, qui a pris une large indépen­dance vis-à-vis de la Porte, ne se sent plus lié par la politique de coopération franco-turque, du reste fort négligée par Richelieu comme par Mazarin. La crainte de l'Espagne, ennemi commun de la France et de l'Empire ottoman, avait rapproché les deux États; la décadence espagnole et la menace nouvelle que fait peser Constantinople sur la chrétienté - menace qui a fait renaître en France l'esprit de croisade - fragilisent maintenant la vieille allian­ce du Lys et du Croissant.
En 1648, Alger est ravagée par une ter­rible épidémie de peste et doit, au même moment, faire face à une grave révolte de la province de Constantine. Le pachalik a besoin de ressources nou­velles: la crise économique espagnole entraînant une baisse sensible du trafic commercial en Méditerranée, les cor­saires d'Alger ne veulent plus se pri­ver du gibier français. La relative pro­tection du pavillon français réduit leurs possibilités de prises, d'autant que les vaisseaux toscans et espagnols n'hésitent pas « à arborer la bannière fleurdelisée pour se dérober aux pour­suites ».

Capot-Rey constate que les Barbaresques, ayant « peu de choses à craindre de la guerre, tout à espérer de la course [... ], se sont [alors] décidés pour la course » (14). Ils attaquent Marseille, la Corse, Naples, Civitavecchia, débar­quent et font des prisonniers à quelques pas de Rome. Au milieu du xviie siècle, la Méditerranée est deve­nue un repaire de brigands. La piraterie, véritable entreprise, est pratiquée autant par les chrétiens que par les musulmans (15).

Majorque, la Provence, la Toscane, Naples, la Sicile arment en cour­se. « Malte est une Alger chrétienne », selon les mots de Capot-Rey. Les mar­chandises volées sont parfois recelées par des marchands hollandais, toscans ou génois. « On pend quelques courtiers, nous dit de Grammont, mais sans résul­tat » (16). La Méditerranée voit appa­raître des navires tout à la fois mar­chands et corsaires; les deux métiers finissent par se confondre. Plus inquiétant encore, des pirates anglais et hollandais naviguent de conserve avec ceux d'Alger; malheur à ceux qui tombent en leurs mains, car ne pou­vant négocier leurs captifs, ces forbans chrétiens sont obligés de les tuer ! Les puissances européennes finissent tout de même par réagir. En 1653, l'amiral anglais Blake s'empare de neuf vaisseaux à Tunis. L'amiral hol­landais Ruyter coule dix-huit navires turcs à Gibraltar. Venise, Malte et Gênes multiplient leurs croisières sur les côtes algériennes. Seule la France reste en retrait. Une escadre française conduite par Valbelle et Cabaret réus­sit néanmoins à libérer le Golfe du Lion des Barbaresques, mais les vues de Colbert, nouvel intendant de Mazarin, sont plus mercantiles que guerrières. Les ressources militaires de la France sont totalement absorbées par les guerres européennes, et Colbert ne veut rien en divertir pour une politique africaine qui, pour l'ins­tant, le laisse indifférent. En bon ges­tionnaire de l'État comme de sa fortu­ne personnelle, il cherche seulement à reprendre le contrôle des concessions françaises. Pour ce faire, il suggère à Mazarin « de prendre des actions du Bastion de France, soit à son propre nom, soit à celui d'une tierce personne, pour éli­miner les propriétaires de concessions et leur substituer une compagnie à sa dévo­tion » (17). Saint Vincent de Paul se désespère du peu d'ardeur dont fait preuve Mazarin pour la défense des intérêts de la chrétienté. Il loue les suc­cès des autres nations européennes contre les Barbaresques. « J'ai été conso­lé d'apprendre les expéditions des Anglais contre Tunis et souhaite que la France en fasse de même, écrit-il à Get, le 4 juin 1655. Il y a apparence que si l'on entreprenait ces gens-là, on en viendrait à bout ». Puis, désireux de passer à l'ac­tion, il conçoit avec un des marins français célèbres de l'époque - son ami le chevalier Paul, l'ennemi juré et le plus redouté des Barbaresques - un projet d'attaque d'Alger pour y aller délivrer les esclaves. Pour monter cette expédition, saint Vincent a besoin de beaucoup d'argent. Il va solliciter un financement des Marseillais; mais ceux-ci, souhaitant le maintien de la paix, garantie de leur commerce, font la sourde oreille; le projet reste sans suite. À Alger, la situation des Français se dégrade. Le père Barreau est au bord de la faillite et les commerçants français lui reprochent sa mauvaise gestion. Il n'y a plus d'argent pour racheter les esclaves, ce qui provoque la colère des Turcs. Une nouvelle fois, ils jettent le consul de France en pri­son, sous prétexte que Fabre, un négo­ciant marseillais, s'est enfui en laissant un déficit de
12 000 piastres. Quelques mois plus tard, pour une autre faillite, Barreau est bastonné... et la France continue de négocier !

Bernard Bachelot


1 - Capot-Rey, La politique française et le Maghreb méditerranéen (1643-1685), p. 50, dans Revue africaine, tome LXXV, 1934 et tome LXXVI, 1935.
2 - Julien (Charles-André), Histoire de l'Afrique du Nord, des origines à 1830, p. 660, Payot, Paris, deuxième édi­tion 1994.
3 - Capot-Rey, op. cit. p. 58.
4 - Au XVIIe siècle, on appelait brigantin un petit navire de la famille des galères, ponté, ne gréant qu'une seule voile, ayant 8 à 16 bancs à un seul rameur. Ce navire léger et rapide fut très employé dans la Méditerranée, surtout par les forbans turcs.
5 - Julien, op. cit. p. 664.
6 - Masson (Philippe), Histoire de la marine, tome 1, L'Ère de la voile, Lavauzelle, Paris Limoges, p. 31.
7 - Cité par Julien, op. cit. p. 664.
8 - Bachelot (Bernard), Louis XIV en Algérie,, Gigeri 1664, p. 33, Éditions du Rocher.
9 - Julien, op. cit. p. 665.
10 - En 1640, au moment où il crée l'Œuvre des Esclaves, saint Vincent de Paul a déjà fondé les Confréries de la Charité, la congrégation des Prêtres de la Mission (plus connus sous le nom de lazaristes), l'institution des Sœurs de la Charité, et l'établissement des Enfants trouvés. La plupart des historiens prétendent que saint Vincent de Paul aurait été, vers 1605, et pendant deux ans, esclave des Turcs. Mais Charles-André Julien nous signale que Grandchamp a prouvé de « façon irréfutable » que Vincent de Paul aurait « par un mensonge de jeunesse, ima­giné de toutes pièces sa captivité à Tunis, dont il refusa obstinément de parler par la suite ». Julien, op. cit. p. 662.
11 - Capot-Rey, op. cit. p. 50.
12 - Grammont (Henri de), Histoire d'Alger sous la domination turque, 1887.
13 - Ormesson (Olivier d'), Journal, tome 1.
14 - Capot-Rey, op. cit. p. 59-60.
15 - Braudel (Fernand), La Méditerranée et Le monde méditerranéen à l'époque de Philippe II, A, Colin, Paris, 1966, tome il, p. 209. La course chrétienne est souvent passée sous silence par les Européens. Elle fut pourtant d'une importance égale à celle des musulmans. Fernand Braudel, à partir d'une étude d'Alberto Tenenti, a montré que sur 300 bateaux vénitiens capturés en 17 ans, au début du XVIIe siècle, on avait pu identifier 90 agresseurs, et que 44 seulement de ces prises revenaient aux musulmans, 24 aux Anglais et Hollandais, et 22 aux Espagnols. Il souligne également que le nombre total des prises était inférieur à celui des naufrages dans cette mer difficile pour les voiliers et encore plus pour les galères.
16 - Grammont, op. cit.
17 – Charles-Roux (François), France et Afrique du Nord avant 1830, les précurseurs de la conquête, Paris, 1892, p.131.

In « l’Algérianiste » n° 108

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